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L'obole de l'écureuil

   

 

 N’avez-vous jamais remarqué lors d’une promenade en forêt un bruit significatif comme un grignotement produit par des  griffes sur les troncs des arbres? N’avez-vous jamais levé alors la tête à vous rompre le cou et découvert à plus de trente mètres, un petit animal pas plus grand que votre poche qui sautille, bondit et jaillit parmi les branches? Ne vous êtes vous pas demandé de quoi était faite son existence?
Lorsque les premiers signes de la fin de l’été s’annoncent; lorsque le soleil monte moins haut dans le ciel, que ses rayons ne réchauffent plus aussi ardemment la résine dégoulinant du tronc des épicéas, lorsque les nuits s’étirent tard dans la matinée, que les premières gelées blanchissent et engourdissent les brins d’herbe, que la forêt se tapisse de champignons de toutes les formes, lorsque les feuilles s’enluminent de mille couleurs allant du rouge écarlate à toutes les nuances de brun, châtain, havane, bistré en passant par les jaunes ambrés, mordorés, cuivrés, ocres. En un mot, quand l’automne s’installe, prend ses quartiers, annonçant la lente inclinaison vers une dégénérescence totale et complète, un aller simple vers le crépuscule des saisons.
Chacun se prépare à affronter un rude hiver, car l’hiver est toujours rigoureux tant que l’on ne l’a pas traversé, alors on se dit, à la mi-février, encore un de passé, ce n’était pas si terrible, on s’en est bien sorti.
Les hommes coupent du bois en petites bûches, leurs cheminées se remettent à fumer. Cerfs et chevreuils, les seigneurs de la forêt, épaississent leur pelages. Tous les insectes s’endorment. L’écureuil, lui, déploie toute son énergie à remplir son grenier. Il bondit de branches en branches, à la recherche de pignes, de noisettes et toutes sortes de graines riches en lipides.
Il existe une pépinière coincée au fin fond d’un vallon, une sorte de combe d’où partent les versants menant aux crêtes. Peut-être y êtes-vous déjà promené dans la lumière dorée d’une fin d’après midi d’Octobre. Vos souvenirs remontent du fin fond de votre mémoire. Oui, bien sûr, comment aviez-vous pu oublier un tel déchaînement? Une agression en règle, une offensive incontestable. Comment est-ce possible? A peine entré dans ce petit bois où se mêlent pins, sapins et épicéas, vous êtes la cible d’un jet constant de pommes de pins, parfois de petites branches, plus rarement des billes de terre ou encore des petits cailloux. Intrigué, puis irrité, enfin agacé, vous essayer de comprendre d’où provient cette agression peu commune. L’homme étant un loup pour l’homme, vous pensez naturellement à une mauvaise plaisanterie d’un groupe de gamins facétieux dont l’éducation vous semble totalement à refaire. Vous vous apprêtez à leur manifester vos quatre vérités quand vous vous apercevez que vous êtes tout seul dans ce bois, un silence de fonds marins pèse sur la voûte sylvestre, on entendrait le bourdonnement d’insectes. Justement, il n’y a aucun vrombissement. Vous êtes juste là, ridicule. Car enfin, qui peut bien être à l’origine de cette salve de projectiles? Qui peut vous en vouloir de la sorte? Et pourquoi? Vous essayer de vous rappeler vos mauvaises actions de la journée, vous culpabiliser jusqu’à ce que les tirs reprennent de plus belle. Alors vous explosez en lâchant un juron dont vous saisissez immédiatement l’inutile portée. Vous trépignez, vous pestez, vous enragez tout en vous mettant à l’abri d’un gros tronc. Peine perdue, la pluie de projectiles continue autour de vous, sans vous atteindre cette fois. Reprenant vos esprit et votre humeur qui s’était, il faut bien l’avouer, éparpillée quelque peu, libéré d’une colère justifiée mais inefficace, comme tout emportement en général, vous commencez à raisonner, ce qui, de vous à moi, est bien la meilleure chose à faire. Levant le nez, vous pensez avoir deviné une agitation à la cime du sapin en face de vous. Lorsque vos yeux arrivent à cerner les mouvements du dérisoire petit rongeur au poil roux, un soulagement s’empare de votre esprit surchauffé, accompagné d’un sourire intérieur désamorçant ce sentiment du grotesque de la situation. La surprise fait place à l’irritation, cependant qu’elle soit d’origine humaine ou animale, cette brutalité est intolérable et parfaitement injustifiée.
En êtes vous si sûr? Invité chez une de vos connaissance, chez des amis, même convié dans votre propre famille, vous n’imaginez pas débarquer comme ça, les mains vides et le cœur sec. Le bouquet de fleurs, la bouteille de bon vin ou encore le célèbre « j’ai apporté le dessert » ne sont que la preuve éclatante que vous avez pensé à vos hôtes, que vous y avez consacré sinon du temps, du moins une pensée.
Lorsque vous êtes entré dans ce bois, vous avez pénétré dans la maison de ce gentil petit animal sans défense qui, une minute avant vaquait à ces occupations quotidiennes. Vous l’avez dérangé dans son ouvrage. Vous êtes entré chez lui sans prévenir, ni même apporter un quelconque présent. Quelle mauvaise éducation! Vous tonnez contre ses manières belliqueuses mais êtes vous sûr de faire preuve d’un civisme rigoureux, d’une urbanité sans faille? Le doute s’insinue. Vu sous cet angle inattendu vous devenez un freluquet inconvenant et d’une impolitesse à rougir. Vous vous sentez brusquement comme un cheveu dans la soupe, comme un éléphant déambulant grossièrement au milieu de fines porcelaines. Vous sortez en courant de ce bois en vous protégeant des tirs soutenus et plus jamais vous n’entrerez dans la forêt sans déposer au pied du grand sapin qui en marque l’entrée quelques graines, une poignée de noisettes.