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Mont Ventoux


Les doigts, le majeur et l’index, poussèrent d’une légère mais rapide pichenette la manette de frein droite. Un cliquetis bien reconnaissable se fit entendre à l’arrière. Un bruit que Jérome appréciait. Celui d’une belle mécanique qui fonctionne à la perfection, répondant à la moindre sollicitation de son utilisateur. 
Ses jambes tournèrent plus vite, environ cinq à six tours par minute. Un profane ne l’aurait pas remarqué, un passionné aurait immédiatement deviné que, imperceptiblement, la route s’élevait à peine. 
Il ne voulait pas relancer simplement en se mettant debout sur les pédales, en danseuse. Pas encore. Les vraies difficultés n’arriveraient pas avant cinq bons kilomètres. Ici, ce n’était qu’une mise en bouche, un avant goût, des prémices, les préliminaires. A cette évocation sensuelle, Jérome sourit. 
Il faisait corps avec sa machine rutilante comme dans un face à face amoureux. Une complicité avec la mécanique de haute précision, une tendresse même. Il était aux petits soins pour ce nouvel engin qu’il avait acquit pendant la saison d’hiver. Un bijou de technologie qui pourtant ne contenait aucun électronique. Contrairement à tous les objets électriques qui nous entouraient, particulièrement les voitures, personne n’avait songé à trop sophistiquer ce qui devait rester d‘une simplicité confondante. Pas encore. 
Et ça lui plaisait. Qu’on puisse soi-même entretenir et réparer sa machine, comprendre chaque roulement, chaque pièce. Pouvoir la démonter et la remonter comme un militaire le fait de son fusil. D’ailleurs ses rapports avec son engin évoquaient ceux, privilégiés, qu’avait un soldat avec son arme. S’il ne couchait pas avec, il n’en était pas loin. Son ancienne bécane dormait dans le garage poussiéreux et humide. Cette nouvelle merveille avait droit au vestibule d’entrée. Rien de moins. 
Cet hiver, il avait débarrassé un coin de l’entrée en déplaçant la lourde armoire qui contenait manteaux et pardessus, les bottes pour le jardin et les vêtements chauds d’hiver. A la place, un dispositif qui permettait de suspendre la machine, tout simplement. L’atelier restait au garage. La pompe à air comprimé, les roues de rechange, tous les outils pour l’entretien et le graissage. Aux beaux jours, il sortait laver à grande eau sa nouvelle acquisition sur la pelouse du jardin. 

En contrebas de la route gémit le ruisseau dont les rares eaux serpentent entre de gros blocs polis. Il imagine que ces flots débonnaires de fin Juin doivent être un puissant torrent au printemps, charriant des moellons dans un bruit de tonnerre. Il fait un temps superbe. Pas trop chaud, du moins pas à dix heures du matin. 
Il n’est pas parti trop tôt ce matin. Huit heures passées. Quarante bornes pour se mettre en jambes avant d’attaquer ce géant qu’il n’aperçoit pas encore, dissimulé par l’étroite gorge qu’il remonte inlassablement. 
Il n’a plus l’âge des montées sèches où il déposait sa voiture au pied d’un col, enfourchait son vélo et trouvait immédiatement  le bon rythme. Souvent, passé le sommet sans s’arrêter, il plongeait dans la descente sans aucune attention pour l’air vif qui refroidissait son maillot trempé de sueur. Parvenu au bas du col, il faisait demi tour aussi sec, mâchonnait une pâte de fruit, et escaladait l’autre versant avec autant d’énergie. Il ne s’arrêtait qu’une fois le sommet atteint pour la seconde fois. Il contemplait enfin le paysage, prenait parfois quelques clichés, et redescendait en roue libre, profitant du panorama, souvent d’un coucher de soleil qui enflammait la montagne. 
Passé soixante cinq ans, il préfère rouler le matin, à la fraiche, prend bien soin de se couvrir dans les descentes et n’hésite plus à s’arrêter pisser. La prostate, sans doute.
C’est sa première sortie en altitude avec sa nouvelle bécane. Jantes carbones, dérailleur Shimano, pneus ultra fins et résistants, cadre Bianchi moins de quatre kilos, selle en cuir  qu’il nourrit régulièrement de crème. Une merveille de la technique. Matériaux à la fois légers et résistants.  Il a gardé son ancienne monture pour les petits entrainements autour de chez lui, là où les routes sont mauvaises. Il lui semble alors monter un cheval de trait ou de trainer une caravane derrière lui. 
Il s’était promis d’acheter une belle machine pour sa retraite. Ca fait déjà trois ans. Comme le temps passe vite lorsqu’on a dépassé trente ans! Cet hiver, il a sauté le pas. Vidé une partie de son compte épargne et poussé la porte d’un marchand de cycles réputé. 
A la sortie d’un virage serré à gauche, il relance sur cinquante mètres, mettant deux dents de moins à l’arrière. La machine répond au centième de seconde à ses sollicitations. Il chevauche un pur-sang fougueux qu’il faut savoir maitriser. L’entrainement et la technique, il les a. Dix mille kilomètres par an depuis bientôt deux décennies et, depuis sa retraite, presque le double. 

Ce matin, le ciel est d’un bleu pur, presque transparent, à peine voilé de brumes s’élevant des vallées encore humides d’une importante rosée et profitant des courants ascendants sur les versants sud pour gagner de l’altitude, purifiant ainsi un air déjà exceptionnel. Lorsque la route passe à l’ombre dans ces étroites gorges, Jérome ressent la fraicheur provenant du ruisseau d’abord dans ses jambes, puis irradiant tout son corps comme on enfile une combinaison tout juste sortie du réfrigérateur. Dans quelques heures à peine, l’air sera suffocant au même endroit, comme si le soleil s’amusait à comprimer l’air. Jérome ne sent pas les années et adopte un rythme régulier, bien calé sur sa machine qu’il a apprivoisé en quelques milliers de kilomètres. Il l’a désormais bien en main et a la sensation que toute cette mécanique, ces roulements bien graissés, ce cadre rutilant, les roues éclatantes envoyant des reflets sur le bitume, les pédales automatiques fixées à ses jambes dans un mouvement parfait, tout cela n’est que le prolongement de ses muscles, une prothèse permettant non plus de marcher ni de courir, mais de glisser en silence.
A vrai dire, ce n’est pas exactement du silence, juste le ronron rassurant et mélodieux de la mécanique qui se joue des éléments. Le murmure de la chaine qui s’enroule indéfiniment sur les pignons dans un cliquetis évocateur, le délicieux souffle du vent découpé par les rayons offrant une tonalité nouvelle, somme toute assez proche du bruit des ailes d’un  rapace fendant l’air. 
Il lui semble discerner ces mêmes sons en écho, juste à quelques mètres derrière lui. 
Il ne se retourne pas. Il sait déjà que quelqu’un profite de sa roue. Il finira bien par passer. Durant ces quelques secondes avant l’immanquable rencontre, Jérome imagine à quoi peut bien ressembler celui qui a inscrit le même col à son programme. 
Quel maillot porte-t-il? Celui d’un club, ou d’une des grandes marques qui ont coloré les routes du Tour de France, ou bien simplement un maillot discret et confortable. 
Quel âge a-t-il? L’agilité et la fougue des vingt ans, la force et la puissance des trente, la facilité et l’efficacité des quarante avant de perdre lentement mais surement cette vigueur au profit de l’expérience, cette vélocité remplacée par la contemplation. 
Comment est il? Ambitieux et bagarreur, altruiste et prévenant, égoïste cherchant à sucer les roues et vous en mettre plein la vue à deux kilomètres du sommet ou bien un agréable compagnon de route, partageant anecdotes et bonnes blagues qui font qu’on n’a pas vu défiler les kilomètres. 
Jérome sent un changement dans cette configuration, l’homme se porte à sa hauteur. 
Passé un instant de surprise, celle là même qui vous fait sursauter alors que vous vous attendez exactement à voir surgir quelque chose de nouveau, il adopte un air conciliant et attentif. La grande famille du vélo où l’on tutoie d’emblée de parfaits inconnus. Croiser un adepte de la petite reine sur une route, de surcroit à l’approche d’un des cols les plus difficiles s’apparente à rencontrer un compatriote au bout du monde, dans un pays perdu. On a même vu de vrais voisins qui n’échangeaient pas un mot, s’ignorant parfaitement dans la banalité de leur fade quotidien, déployer une familiarité et une sympathie toute surprenante lorsqu’ils se rencontraient à dix mille kilomètres de leur domicile. La satisfaction de savoir qu’un semblable partage leur passion, leur rêve, que leur choix est le bon, que l’on n’est pas seul. En fait, nous adorons ceux qui nous parlent de nous. Voilà la clé de tout bon rapport humain: pour intéresser quelqu’un à ce que l’on peut lui dire, il suffit d’abord de lui parler de lui. Pour qu’il partage nos opinions, lui donner l’impression que l’idée vient de lui.

« Salut! » 
Un simple acte de reconnaissance. Pas un bonjour empreint d’une sollicitation sous jacente. Je vous salue en vous souhaitant une bonne journée. Non, juste la salutation brève d’un complice, d’un allié. Un signe de reconnaissance davantage qu’une politesse. 
Jérome répond d’un salut presque paternel. Le rapide coup d’œil qu’il a jeté à son nouveau collègue l’informe que l’homme est bien plus jeune que lui, surement quarante ans, peut-être moins. Difficile de prêter un âge exact à quelqu’un qui s’entretient par une activité physique, spécialement le vélo. Tourner les jambes affine la silhouette. Lors de ses sorties en plaine, il n’est pas rare qu’il rencontre des cyclistes de son âge, plus vieux souvent. Mais à l’abord d’un grand col, tout change. La moyenne d’âge baisse considérablement. Combien de jeunots affutés il a dû laisser partir devant, mesurant ses années aux longueurs qu’un plus ardent bien entrainé mettait entre son dérailleur et le guidon de Jérome. Celui-ci n’est pas un perdreau de l’année, mais sur une selle, vingt ans de moins multiplient la puissance des jarrets et réduit le temps de récupération, le souffle est moins court, le cœur plus solide.
Cependant, le nouveau venu reste à sa hauteur, épaule contre épaule. Il a une imperceptible sensation de déjà vu, comme si cette scène s’ était déroulée auparavant.

« J’ai cravaché pour te rejoindre », puis regardant Jérome plus intensivement, « la bécane, ça conserve ! ».
Il a jeté les deux parties de la phrase dans un souffle, comme on crache une salive usée, gênante. Jérome comprend bien que le p’tit jeune a remarqué les années qui les séparent. Comment doit-il prendre ce « la bécane, ça conserve »? Lui suggère-t-il qu’il n’est plus de la première jeunesse, que retrouver un papy sur un vélo n’est pas dans l’ordre des choses? Ou bien, est-ce un compliment, une félicitation qu’à son âge il puisse en donner à retordre à un bien plus fringant? 
Jérome préfère pencher pour la seconde solution tout en pensant: « toi, mon gaillard, attends un peu les premiers lacets, je vais te garder un chien de ma chienne ».
L’inconnu semble reprendre son souffle. Il remet deux dents de plus à l’arrière, preuve qu’il a dû piquer un sprint pour venir à la hauteur de Jérome, et reprend son monologue.
« Beau temps pour un col mythique, n’est-ce pas? Ni trop chaud, ni trop froid. »
Jérome comprend qu’il doit ajouter une remarque quelconque, par pure politesse, une de ces convenances qui permettent la vie en bonne société. Il n’aime pas parler sur le vélo, surtout avec le programme qui les attend. Vingt bons kilomètres d’ascension sans pause, sans replat, sans aucune aide. Juste à la force des mollets et en choisissant le bon braquet, relançant suffisamment pour ne pas perdre le rythme mais sans se mettre dans le rouge. Il n’est pas du genre d’homme à se confier sur une bécane. Pas du genre à se confier tout court. 
« C’est ta première ascension ici? » 
La question est posée sans sous-entendu, d’une voix claire et idéalement posée, comme si l’effort fourni n’entamait en rien son souffle. Un ton bienveillant, nullement entaché d’une quelconque suffocation, détaché, aérien, à l’image du style du bonhomme sur sa machine.
« Celui-là, oui! J’ai un peu escaladé cette saison, mais je débute, en fait.
- Beaux débuts, alors. » Jérome s’en veut d’avoir instinctivement relancé la conversation. L’autre va penser qu’il est en manque de parlote. Quel imbécile! Lui qui n’est jamais aussi bien qu’en grimpant en silence, en écoutant les cliquetis de sa machine, le grondement d’un torrent vite dépassé, le souffle du vol d’une buse comme un coup de ciseaux dans de la soie, plus rarement le cri d’un choucas ou d’une marmotte.
« Oh, je n’ai pas la prétention d’être un as du vélo. J’aime bien ça, c’est tout. » L’inconnu se tait une seconde. Il semble chercher ses mots, ne semble pas à l’aise. Jérome tourne la tête vers le visage concentré du moulin à paroles. Il y a quelque chose de familier dans ses traits. 
« En fait, je suis venu au vélo d’une façon un peu originale. Je n’ai pas suivi le cursus généralement établi. »
Jérome se demande bien s’il existe un passage obligé pour faire du vélo. On fait du vélo et puis c’est tout. Pourquoi se demander les raisons du pourquoi, les causes du comment. C’est bien sa veine, il est tombé sur un philosophe à la petite semaine, un type qui coupe les cheveux en quatre et se pose toutes les questions qui n’ont pas de réponse. 
Cette fois, il ne fait pas l’erreur de relancer le monologue de son compagnon par une remarque futile. Mais l’autre enchaine.
« Petit, je n’ai même jamais enfourché un tricycle. J’avais d’autres occupations, d’autres envies. Et puis, il n’est écrit nulle part qu’on est obligé de satisfaire la fierté de ses parents le jour où l’on enlève les petites roues stabilisatrices. 
Je m’appelle Loïc. » Il tend un bras en direction de Jérome. Celui-ci empoigne brièvement une main nue, fraiche, presque froide, plus nerveuse que musclée. 

Lui ne peut plus se passer de ses mitaines. Même par une chaleur intense. Surtout par forte chaleur. Les doigts transpirants qui glissent sur les cocottes de frein, merci! Ca le rassure quelque part, ces bouts de tissus qui enveloppe la paume, comme la corde rassure l’alpiniste pourtant chevronné. Une manie, une de plus. Comme de toujours enfiler la chaussette gauche d’abord, lever ses lunettes de soleil vers l’astre pour s’assurer qu’aucune trace ne viendra troubler sa vision, de toujours faire monter et descendre la chaine sur le pignon de la roue libre avant d’entamer une sortie. Des automatismes qui vous collent à la peau. Qui font de vous une personne unique. 
« Moi, c’est Jérome. »
Loïc pense aussitôt au grand dadais qui arpentait de ses interminables jambes la cour de promenade, l’air absent, plongé dans ses pensées bien que ce soit aussi le prénom de son père. Mais à lui, il préfère ne pas trop y penser. 
« Il semblerait qu’on ait inscrit le même géant à notre programme aujourd’hui. J’sais pas si je vais pouvoir te suivre jusqu’en haut.
- Tu as bien réussi à me rattraper. 
- C’est différent. Il est toujours plus facile de courser un lièvre que de pouvoir répondre à une accélération.
- Je te rassure, je ne suis pas le genre à placer des attaques, surtout sur ce monstre. »

La pente s’est légèrement accentuée. Le début de conversation a fait oublier aux deux hommes que l’allure s’est imperceptiblement réduite, qu’il faut déjà mettre une ou deux dents de plus à l’arrière. Le souffle doit s’habituer avant de trouver son rythme. Pendant quelques minutes, le silence règne. Pour le plus grand plaisir de Jérome. 
Cependant, quelque chose l’intrigue. Il aimerait bien savoir, après tout, quel est-ce parcours atypique que Loïc sous-entendait. Comment en vient-on à monter sur une bécane? A s’entrainer régulièrement? A imposer cette passion dans sa vie, lui accorder de plus en plus de temps? Il repense à ses propres motivations. Lui non plus n’avait pas suivi ce qu’on pourrait appeler une logique sans détours. 
Il jette un regard vers Loïc. Leurs yeux se rencontrent. Il semblerait qu’une complicité puisse naître automatiquement, là, maintenant, entre les deux hommes. Un échange évident. Comme de vieilles connaissances se retrouvant par hasard. Et pourtant, une gêne empêche un franc épanchement. Après l’échange de quelques détails techniques, Jérome s’étonne que Loïc connaisse aussi bien la mécanique, enfin il veut dire, pour son âge.
« C’est pas une question d’âge. 
- Un peu quand même. C’est dû à toute cette électronique. De mon temps… » Loïc a sourit. Jérôme a saisit l’ironie.
« Ben oui, j’ai 65 ans. » Loïc veut ajouter quelque chose, Jérome l’en empêche, en abaissant deux ou trois fois sa main gauche.
« Ouais, je sais, je ne les fais pas. Mais, je te rassure, ils sont bien là. Hé bien, dans ma jeunesse, la mécanique c’était de la mécanique, un point c’est tout. Pas besoin d’un ordinateur pour déterminer une panne dans le moteur d’une deux chevaux. J’avais une 4l quand j’ai commencé à conduire. Sans être un as de la mécanique, hé bien, elle n’a jamais vu un garagiste. Avec un pote, on arrivait même à la bricoler un peu. Pareil pour tout, la machine à laver par exemple. Toute la société était plus simple. On pouvait s’arranger. Tu vois, quand les flics t’arrêtaient pour excès de vitesse, tu pouvais t’expliquer, parlementer. Aujourd’hui, ils te flashent et tu reçois la contravention par courrier. Bientôt, ils prélèveront directement le montant de l’amende sur ton compte, tu verras. »
Loïc sourit. Ce gars là, il lui plait bien. Franc du collier.
« Avec le vélo, c’est ce qui m’a plut. Mettre ses doigts dans le cambouis, effectuer les réglages soi-même. Les générations suivantes ont grandi dans l’informatique. Mis à part quelques cracks, la plupart fait confiance à cette sophistication à outrance en n’y connaissant rien. Si ça tombe en panne, on fait appel à un spécialiste quand on ne change pas carrément le tout. 
- Oui, t’as raison. On ne répare même plus une télé ou un lave linge, on en achète un nouveau. 
- Pardi! Toujours consommer davantage. On est en train de se faire bouffer par toute cette informatique. On n’y comprend plus rien, on ne maitrise plus rien, on subit, voilà tout. 
- Si ça peut te rassurer, je suis un peu comme ça, moi aussi, malgré mon âge. Enfin, j’ai bientôt quarante ans, j’ai roulé ma bosse comme on dit. »

Jérome se tourne un instant, pour comparer cette révélation  avec le résultat apparent, voir si l’âge correspond bien au physique, si la carrosserie coïncide avec le compteur. Il ne peut s’empêcher de constater que, à l’inverse de ce qu’on lui dit sans arrêt, chez Loïc, ce serait plutôt le contraire. Il parait largement plus que ses proches quarante années. 
L’étonnement de Jérome n’a pas échappé à Loïc.
« Ouais, moi je ne fais pas mon âge non plus, hein? Il faudrait bien en ajouter dix de plus.
- Bah, l’important c’est l’âge qu’on a dans sa tête. » 
Une manière polie d’affirmer que Loïc est marqué par les années. Celui-ci ne s’en formalise pas. Après tout, c’est vrai, on lui donne régulièrement dix ans de plus. Ce que Jérome ne sais pas, c’est que, moralement, c’est pareil. Loïc a vieillit prématurément. On a tous un secret dans sa vie. Quelque chose qu’on ne dévoile pas facilement. 
Quelque chose qu’on tait. Pas par honte, plus par commodité.
Loïc n’a pas envie d’en dire davantage, de défiler la pelote amère.
Il n’y tient pas. 
Mais ils sont tous les deux embarqués dans un périple assez singulier. Et déjà, le premier lacet se profile, là-haut, au bout de cette longue ligne droite bien pentue, traçant au milieu des prés en fleurs une ligne évidente mais cruelle.
Et puis, ce Jérome lui inspire confiance. 
« Les choses sérieuses commencent.
- C’est juste une entrée en matière, une porte d’accès en quelque sorte. »
Jérome se détend sur ses pédales, déployant sa carcasse nullement altérée par des kilos superflus. Ses épaules oscillent de droite à gauche dans un lent balancement, une horloge bien huilée. Son rythme cardiaque s’est accéléré, sans atteindre toutefois les 160 pulsations minute, il gère sa respiration, la bouche grande ouverte. Il grimpe en souplesse, essayant de ne pas puiser dans ses réserves, pas encore. 
Loïc imprime un style plus haché. On voit tout de suite le novice, celui qui n’a pas encore un vrai tableau de chasse à son palmarès. Il manque de réflexes, cette attitude instinctive qui vient naturellement à celui qui a une longue pratique derrière lui, une expérience conséquente, l’habitude d’écouter ses sensations, de suivre son propre tempo. On voit bien qu’il cherche le bon braquet, une fois assis sur sa selle, écrasant rageusement les pédales, puis l’instant d’après se levant dans un mouvement forcé qui lui demande davantage d’air. Sa silhouette, plus ramassée que celle de Jérome, accentue cette impression de lourdeur sur le vélo. Là où Jérome est aérien, semblant survoler le bitume, Loïc passe en force, brûlant davantage ses muscles, développant plus d’énergie. Finalement, les vingt ans qui les séparent sont bénéfiques au plus ancien.
Cette première rampe avalée, les deux hommes virent à droite dans un lacet qui expédie la route sous l’ombre de pins malmenés par le gel et les tempêtes. Il commence déjà à faire chaud. Loïc s’éponge le front du revers d’une main, le souffle court tandis que Jérome récupère en prenant de profondes inspirations. Son visage est sec, à peine coloré par l’augmentation de son rythme cardiaque. Loïc remarque la facilité de l’ancien. S’il se sent capable, sur un sprint, une attaque, de lui prendre rapidement cent mètres, il se demande bien s’il pourra suivre ce métronome jusqu’au bout, jusqu’au sommet.
« C’est l’expérience qui parle là, non?
- Bien obligé. Tu sais, à soixante ans, tu ne peux plus te permettre des accélérations comme à quarante. Je suis un diesel. Long au démarrage, mais une fois lancé, je ne m’arrête plus.
- Je vois. » 
Il se détourne et envoie un gros crachat sur le bas côté. Il lui semble qu’on vient de lui récurer les poumons à l’eau de Javel. 
La pente s’est un peu adoucie après le premier lacet, l’ombre accorde une fraicheur idéale pour la récupération. Les deux hommes grimpent à nouveau côte à côte. 
« Je l’ai sentie passer cette première rampe!
- Tu devrais économiser tes forces, tes mouvements en danseuse sont trop désordonnés, tu perds de l’énergie dont tu aurais besoin pour enrouler les jambes.
- Ouais, je sais. On m’a dit que j’étais trop fougueux. 
- Tu fais partie d’un club?
- Un club? Non, non. »
Loïc hésite. Il n’a pas envie de déballer son passé. Devant un inconnu. Pourtant une force le pousse à se confier. Justement parce que c’est un inconnu. Il n’a pas de comptes à lui rendre. Rien qui puisse lui porter préjudice. Au contraire, il doit crever l’abcès, se prouver qu’il est capable de nouer à nouveau des relations saines avec les gens et cela ne peut se bâtir sur un mensonge, fut-il par omission. 
« En fait, j’ai commencé le vélo sur le tard. Il y a à peine cinq ans. Je faisais partie d’un groupe. Une sorte de thérapie.
- Se soigner par le vélo? Beau programme!
- Oui, enfin, pas tout à fait. 
- Et tu n’avais jamais enfourché une machine avant? 
- Jamais. J’ai dû tout apprendre. On a presque dû m’adapter des roulettes au début. » 
Les deux hommes partent d’un rire qui résonne sur les flancs de la montagne avant d’être avalé par le grondement d’un torrent qui dévale les pentes en plusieurs sauts sur de lourds rochers, des pierres d’un bleu foncé luisantes sous le jet blanchâtre de l’écume. 
Loïc cesse de rire d’un coup.
« En fait, je sortais de prison. »
Jérôme a eu un temps de roue libre. Une seconde, ses muscles ont cessé de répondre au commandement du cerveau. Cela dépasse l’étonnement, une surprise qui vous fige littéralement. 
On peut aisément définir un être humain, tracer son portrait intérieur, déterminer  son psychisme, analyser ses pensées rien qu’en observant sa réaction au devant de révélations simples, mais en quelque sorte, définitives. L’annonce de la mort d’un proche, la découverte d’une maladie grave, la révélation d’une paternité, la confession d’un amour, la rencontre avec celui ou celle qu’on admire de même que la confrontation avec votre pire ennemi. Dans la joie ou dans la peine, il est quelques phrases, pas plus d’une dizaine, qui permettent de se faire une idée précise du comportement psychique d’un individu au vu de sa réaction. L’aveu d’avoir fait de la prison, d’avoir été mis à l’écart de la société, d’avoir payé (combien?) pour une faute commise (laquelle?) fait partie de ces énoncés.
Chacun a sa propre conception de l’univers carcéral, largement documenté par un nombre infini de livres et de films, de reportages et d’articles, ainsi que de la psychologie des détenus, nettement plus secret. Comme il existe mille façons de se trouver prisonnier des barreaux, il y a mille visions de la prison, vu du dehors. Chacun a son opinion. La prison ne laisse personne indifférent. Pour Jérome, cela s’ajoute à sa douloureuse expérience, non qu’il ait été lui-même emprisonné, mais une personne très proche avait commis un délit et fut jugée coupable, il y a de cela bien longtemps, une éternité lui semble-t-il. Et là, devant cet homme dans la force de l’âge, qui partage sa passion des deux roues et de la montagne, lui revient une foule de sentiments, de perceptions diverses, malheureuses et douloureuses. Comme si on lui jetait son passé à la figure. Un passé qu’il croyait loin derrière lui, jeté dans un puits bien profond, perdu au fond des oubliettes de sa conscience. 
« Ca surprend toujours. 
- Quoi? 
- Quand j’annonce que j’ai fait de la prison, les gens ont un mouvement de recul, une appréhension. Alors, j’hésite à m’épancher là-dessus.
- Non, non, ce n’est pas ça. C’est juste que…
- Tu sais, il y a cent raisons pour être incarcéré. Je n’ai jamais tué personne, ni volé quoi que ce soit.
- Je ne te demande pas de détails. Visiblement, tu as payé ta dette. Basta.
- Oui. C’est du passé tout ça. Enfin, un séjour derrière les barreaux, ça marque, et tu ne peux plus dormir du sommeil du juste. Forcément t’y penses tout le temps. Ca remet en question toute une vie. Et dans les rapports avec les autres, sa famille. »
L’allure avait nettement faiblit suite à la révélation de Loïc. Jérome avait été sonné et c’est son compagnon qui relança la cadence. Pendant quelques hectomètres pas un mot ne s’échappa de leurs lèvres. Pourtant, les deux hommes le savaient, quelque chose les unissait désormais. Plus qu’un secret, un pacte.
Le soleil était maintenant plus haut, eux-mêmes s’étaient élevés au dessus de cette zone où, immanquablement, il subsiste des zones d’ombres. A un certain point, passée une limite bien définie, il ne reste que l’ombre du feuillage des arbres pour vous abriter des rayons ardents et, plus haut, dans quelques kilomètres, plus aucune végétation ne permettrait de s’abriter derrière des faux-semblants. Une certaine altitude atteinte, personne ne joue plus, ni sur le vélo, ni dans des convenances sociétales, des mensonges préfabriqués, une politesse de salon.
« T’as des enfants, toi? » Jérome ne répondit pas tout de suite. C’était un sujet sensible. En d’autres lieux et d’autres personnes, il aurait arrangé un petit mensonge bien inoffensif.  
« Juste un fils, avant d’ajouter faiblement, on ne se voit plus guère.
- Les années séparent plus radicalement qu’un train qui part ou qu’un avion qui décolle.
- T’es poète, toi, par moments! «  Loïc sourit. En cellule, on le surnommait le philosophe. 
« Et toi? Des enfants?
- Non, j’ai pas eu le temps.
- Oh, pardon, je ne vou…
- Non, non, c’est pas ça. Tu sais, mon séjour derrière les barreaux c’est pas toute ma vie quand même. Non, je dirais plutôt que ça ne s’est pas fait, c’est tout. Par manque d’attention. Plus jeune, je ne regardais que mon nombril. Difficile de nouer des relations basées sur la confiance dans ces cas là. 
- C’était quoi cette thérapie par le vélo? De la réinsertion?
- En quelque sorte, oui. En fait, ils avaient imaginé un programme d’aide par l’activité physique. Il faut dire que dans mon groupe, il y avait des vraies têtes brûlées. J’étais l’intello de la bande, pourtant je n’ai guère dépassé le bac, tu sais. » 
Loïc savait qu’il allait  s’épancher maintenant. Le moment était venu, plus question de faire machine arrière. Tout comme il s’était lancé dans cette ascension ce matin, il fallait qu’il aille jusqu’au bout de sa confession. Il ne savait pas encore quel exercice serait le plus difficile.
« Je venais de tirer six mois quand un gars est venu à la maison d’arrêt. On nous a réuni. Pas tous. Le directeur avait dû faire un premier choix, je crois bien que tous étaient des toxicos. Pas de longue peine en tout cas. Ce mec, il m’a plut d’emblée. Il ne nous considérait pas comme des détenus, simplement comme des gars qui étaient là, comme pour entamer un match de foot. Sauf qu’il n’était pas question de foot. Ca en a rebuté quelques uns. On a formé un petit groupe. 
Pas loin de la centrale, il y avait un ancien circuit auto. Sept bornes. Grillagé. Ils n’étaient pas dingues, les mecs! De toute façon, la plupart sortiraient d’ici moins d’un an, alors. Trois fois par semaine, on roulait sur d’antiques machines pesant des tonnes. Pas de vitesses indexées et des cale-pieds en lanières.
Le gars en question,  il s’appelait Ronan. Vingt ans auparavant, il était un espoir du cyclisme national. Une vraie fusée. Au sprint, il mettait tout le monde d’accord. Il roulait depuis l’âge de douze ans. Encadré comme un pro, il ne s’occupait que d’appuyer sur les pédales. Il suivait vaguement un programme scolaire en alternance. Il bouffait diététique matin midi et soir. Et les ampoules qu’on lui tendait, il les avalaient aussi. A dix huit ans, il était déjà néo-pro. Les cours, c’était terminé. Les ampoules aussi. On lui faisait carrément des injections. Quand il gagnait une course, il n’était même pas entamé, juste excité. Il repartait faire cent bornes pour se calmer. Des nuits, il se levait et tournait les jambes sur le vélo d’entrainement. Il participa à ses premières courses avec des pros. Il en gagna quelques-unes. Six mois avant de passer définitivement professionnel, il remporta un championnat, je ne sais plus lequel. Contrôle antidopage. Positif. Tout le monde nia, le staff, l’équipe médicale qui le suivait. Tous ceux qui lui avaient fourni les produits illicites. Ses coéquipiers de club le lâchèrent alors qu’ils faisaient la même chose. Lui ne s’était jamais posé la moindre question. Il avalait les produits comme on fini ses carottes râpées. Sa seule erreur était de n’avoir pas suivi les recommandations de son coach: ne jamais prendre un produit la veille d’une participation à une épreuve officielle, contrôlée. Il aurait pu continuer. Dans ce milieu, on a la mémoire courte. Et puis une suspension de deux ans, ça passe vite, ça n’empêche pas de  s’entrainer. Mais il avait comprit une chose : que tout était truqué, qu’on jouait avec des règles qui n’avaient rien à voir avec le sport, des règles qu’on ne retrouve qu’en économie, dans les grandes entreprises, sur les marchés financiers : tout était permis à condition de gagner et de ne jamais se faire prendre.
Il était dégoûté. Il a voulu tout envoyer promener, ne plus jamais entendre parler de vélo. Ne plus jamais poser son cul sur une selle. Pendant six mois, il a tout coupé. Puis il a comprit. Depuis, il entraine des gamins, des ados difficiles, il va même jusque dans les cours de prison pour faire partager son amour du vélo et, accessoirement, sa haine du dopage. » 

Loïc jette un œil en coin à Jérome. Celui-ci est bien posé sur sa machine, visiblement à l’aise. La chaleur qui progresse est atténuée par l’altitude gagnée, quelques dizaines de mètres à chaque virage, à chaque lacet. Il a de l’allure. Il n’est pas sûr que lui-même ait le même aspect. Son visage doit être plus rouge, la sueur perle davantage sur son front. 
« Ca fait longtemps que tu roules?
- Pour parler franchement, pas tellement. Pas plus que toi, je pense. » 
Jérome aimerait en rester là. Finir de grimper ce col, basculer dans l’autre vallée comme on tourne la page d’un livre, laissant les mots et les phrases derrière soi. Ne plus avoir à y revenir, à y penser sans arrêt. Mais cette fois, les mots venaient tout seuls, un peu comme cette ascension où il a l’impression de rouler tranquillement, sereinement.
« Tu vois, moi aussi j’ai été un peu… obligé je dirais, oui, d’une certaine façon, obligé de faire du vélo. C’était ça ou la marche à pied. Pas un sport violent en tout cas.
- Ouais, enfin, je trouve parfois que le vélo c’est violent, non? Attaque les dernières rampes du Galibier ou les ultimes kilomètres du Tourmalet, tu m’en diras des nouvelles! » 
Nouveau sourire complice des deux hommes.
« Surement. Mais d’un point de vue médical, le vélo c’est bon pour le cœur. Bon, faut peut-être pas trop tâter du sprint, mais ça fortifie le palpitant.
- T’as eu des problèmes cardiaques?
- On peut dire ça, oui. » 
Loïc à son tour reste perplexe, comme si cette révélation anodine trouvait un écho dans son passé, un air de déjà vu. Il fixe plus intensément cet homme plié sur sa machine qui, de temps en temps, dans un lent mouvement où chaque geste est étudié instinctivement, se déploie pour relancer sans aucun effort apparent. Il repense à certains moments de sa vie, une décision prise en réaction à une autre qu‘il a subie, une stupide vengeance comme si une nouvelle privation pouvait en combler une plus ancienne. Mais Jérome enchaine déjà. C’est un diesel, autant sur le vélo où il lui faut de la distance pour s’exprimer pleinement que dans ses paroles qu’il ne délivre que parcimonieusement et à des personnes de confiance.
« Il y a dix ans, j’ai fait un arrêt cardiaque. J’ai faillit y rester. Mais le plus dur, ce furent les mots du cardiologue. Il n’a pas prit de gants, il savait à qui il avait à faire. Fallait me faire peur, me foutre une bonne trouille pour que je change de vie. Alors, il y est allé carrément. J’ai compris. Et comme un petit enfant apeuré, j’ai suivit tous ses conseils et je me suis mis au vélo. Parce que la marche… Enfin, bon. Je ne le regrette pas. 
- En effet, ça doit faire quelque chose de se voir partir. Un peu comme de tuer quelqu’un. Après, tu ne peux plus voir les choses de la même façon.
- Mais… Tu m’a dis que tu n’avais tué personne.
- Non. Enfin, pas directement. »
Loïc s’est piégé tout seul. Il ne voulait pas en parler. Il aime bien nouer une conversation, échanger des propos avec les autres. Mais quand ça devient trop personnel, trop intime, il se sent mal à l‘aise.  Cet homme lui inspire confiance, mais il y a quelque chose d’indéfinissable en lui qui le gêne. Comme on se déshabille plus facilement devant de parfaits inconnus ou dans des vestiaires que devant ses parents.
« Au procès, il a été reconnu qu’il y a eu non assistance à personne en danger.
- On ne met pas quelqu’un en prison pour ça.
- Si. Dans mon cas, si. »

Nouveau lacet, plus pentu celui-là. Les deux hommes se regardent, comme pour se jauger. Ils n’ont pas gravit la moitié du col mythique et cette grimpée se déroule autant en tournant les jambes et relançant régulièrement que dans un ping-pong étonnant où les mots sont souvent plus raides que le pourcentage moyen du bitume. 
Leurs souffles s’harmonisent maintenant. Chacun grimpe avec son propre style, mais ils font équipe. Tout comme leur conversation, où chacun emploie ses mots à lui, forme des phrases qui lui sont propres, mais ils pourraient tout aussi bien parler d’une même voix. Ce qu’il ont à se dire, c’est un peu la même chose. Deux angles différents d’un seul et même problème comme les deux versants d’un unique col. 
« A dix-sept ans j’ai fait quelques conneries. Des bêtises de jeune con. J’ai touché à la drogue. Au début, c’était juste pour se marrer entre copains. Quelques pétards, rien de méchant. Mais avec cette saloperie, il faut savoir ne pas dépasser ses limites. Par la suite, j’ai longuement pensé aux tribus primitives qui utilisaient des narcotiques. J’ai pas mal de trucs là-dessus. Ils maniaient la dope avec beaucoup de précaution et surtout, jamais seuls. Quand tu commences avec n’importe quelle drogue, y comprit l’alcool et la cigarette, il faut savoir rester le maitre, comme avec une meute de chiens, sinon tu te fais bouffer complètement. C’est allé très vite, d’autant plus que quand tu mets un pied là dedans tu es déjà fragile au fond de toi. Bref, de l’herbe, je suis passé aux cachets, à la cocaïne, puis aux piquouzes. 
- Ton père n’a rien remarqué? » 
Jérome avait posé la question avec le plus grand naturel, comme si le problème le concernait.
« Pourquoi mon père?
- Je veux dire, enfin, tes parents. Ils n’ont pas vu ce qui se passait?
- Non. Bon, c’était compliqué. Trop long à expliquer. En tout cas, je me suis retrouvé dans une situation où je ne pouvais plus m’en sortir. Je revendais pour pouvoir me payer mes doses et dès lors, je me droguais seul et, tu connais l’expression?
- Quelle expression?
- Au début, tu en prends pour être bien. Après tu en prends pour ne pas être mal. J’en étais là. 
- Laisse-moi deviner. Les flics t’ont choppé en train de dealer? 
- Oui, mais indirectement. C’est plus glauque que ça. Tout ce que j’en sais de cette putain de journée, c’est ce que les flics m’ont raconté plus tard. J’étais trop pété pour pouvoir me rappeler quoi que ce soit. 
Donc, j’avais un pote, enfin un pote, on n’a plus d’amis quand on en est arrivé là où j’étais descendu. Ce gars là était dans le même état que moi et j’ai souvent repensé plus tard que j’aurais pu être à sa place et lui à la mienne. D’un sens, j’aurais préféré. La vie est injuste parfois. 
Ce jour là, nous étions dans une chambre avec un vague type que je n’avais vu qu’une ou deux fois. Félix, c’est mon pote, a du faire un mélange pas très indiqué, enfin, bref, il a eu un mauvais trip et nous deux, on n’a rien pu faire pour le sauver. Nous étions des larves. Pas même pensé à appeler une ambulance, demander des secours… »
Loïc stoppa son récit. D’abord la pente se corsait, maintenant à flanc de montagne, chauffée à blanc le long des rochers et surtout, les souvenirs l’écrasaient. 
Jérome observait son compagnon. Malgré la tenue de cycliste, malgré le casque qui lui dissimulait une partie de sa tête, il en était convaincu désormais. 
« Dans un sens, ça valait mieux que je ne me rappelle pas trop cette saloperie de journée. Le problème c’est au procès.  Le juge a voulu faire un exemple, il en faisait une affaire personnelle. Le gars que je connaissais à peine venait d’un milieu très aisé. Ses parents avaient prit sa vie à bras le corps, l’avaient tiré du monde de la drogue, avaient engagé le meilleur avocat et entendaient bien tout me mettre sur le dos… »
Jérome écoutait le récit de Loïc. Son cœur se serrait. Une étrange émotion grandissait dans sa poitrine, remontant jusque dans sa gorge. Il cracha. Mais un insupportable arrière goût demeurait dans son gosier. Un goût de culpabilité.
« Normalement, enfin ce que m’avait dit mon avocat, je devais m’en tirer avec une peine minime, surement avec sursit. Le hic, c’est que les flics avaient trouvé une bonne réserve de dope, sans doute apportée par ce mec. Nous n’avions jamais plus d’un ou deux jours d’avance Félix et moi. Là, pour le coup, je tombais pour détention et revente vu la quantité. Le jury n’a rien voulu savoir. Il y avait la mort d’un homme.  On m’a tout collé sur le dos. La famille du gars en question avait des appuis, des relations. Une vraie justice à deux vitesses. Et moi, je n’avais rien. Personne pour me soutenir.
Personne.
Pas même mon père. »

Un crissement de pneus dilatés sur le bitume. 
Un ronronnement qui se rapproche. 
Le silence rompu par le bruit d’un moteur qui lance l’assaut à la montagne. On entend les rapports descendre à l’approche d’un lacet, puis les vitesses tombant, les unes après les autres, dans un fracas de tous les diables. 
Enfin, le vacarme envahit tout l’espace, un écho renvoie la tornade bruyante d’une vallée à l’autre. L’engin passe, pétaradant à souhait, puis, très vite, les explosions du moteur s’éloignent, se confondent bientôt avec l’air. 
Jérome et Loïc sont assis au bord de la route. L’ancien sur le cadre de son vélo, les coudes sur les cuisses, la tête se relevant de temps en temps. Le plus jeune, le cul par terre, son vélo couché sur le talus. Lui aussi a une position de replis. Personne ne dit un mot. Quand il relève la tête, Jérome contemple les sommets alentour, la brume qui monte de la vallée, mais il ne voit qu’un passé révolu, qu’il croyait oublié depuis longtemps. Loïc semble lessivé. Nullement par les efforts consentis sur sa machine, mais bien plus par l’émotion qui l’étreignit d’un seul coup, il y a à peine cinq minutes. Il était devenu pâle en quelques secondes. Jérome lui demanda si ça allait. Il répondit en mettant pied à terre, puis se recroquevillant dans la position d’un perdant, battu au sprint, éliminé lors d’un championnat, échouant dans une compétition.
Jérome s’était arrêté lui aussi, comme si son destin était lié à celui de Loïc désormais. Ils n’avaient pas échangé un mot. Chacun ressassait ses propres idées, ses souvenirs douloureux. 
Jérome rompit le silence par quelques mots totalement étrangers à ce qu’ils avaient en tête.
« Allez, on ne va pas se laisser impressionner par un géant des alpes quand même! »
Jérome posa sa main gantée sur l’épaule de Loïc. Un geste paternel.
Loïc sourit. Une porte s’était ouverte dans son esprit. Son cœur battait plus lentement, il respirait mieux à présent. Il lui semblait avoir franchi une étape, s’être libéré d’un poids qui l’empêchait de se réaliser pleinement. 
Il enfourchèrent leurs bécanes et, dans un second souffle, relancèrent d’un même coup de pédale jusqu’au lacet suivant.

« Cette montée est un véritable traquenard. Quand la pente se calme un peu, c’est pour mieux s’élever au prochain lacet ». 
Jérome commençait à bien connaitre les pièges de cette route serpentant entre les sapins et les mélèzes. Bientôt ce seraient les alpages. Rien que de la rocaille et de l’herbe rase et toujours un pourcentage très exigeant. Aucun répit, car dans les rares moments de récupération, il fallait s’attendre à un nouveau mur ensuite. Un peu à la façon d’un maître vicieux qui laisserait du champ à la laisse du chien pour mieux tirer dessus ensuite, étranglant la pauvre bête qui s’était sentie libre un instant. 
« C’est agréable de grimper avec quelqu’un qui connait le terrain, ça évite les mauvaises surprises.
- Je le dis toujours: quand on reconnait le parcours, c’est déjà la moitié du travail effectué. » 
Loïc regardait Jérome de biais. Il voulait engager la conversation sur un thème précis mais ne savait pas comment s’y prendre. Il décida que le meilleur moyen était d’y aller franco.
« Ton accident… Ton alerte cardiaque… C’était grave?
- Assez, oui. Je suis resté trois jours entre la vie et la mort. Même pas un coma, non. Je ne sais plus très bien le terme. Bref, il fallait fortifier mon cœur, apparemment un peu trop faiblard. 
- D’où le vélo…
- Exactement. Le cardiologue m’a expliqué que le mieux était de pratiquer une activité physique peu violente, de manière à renforcer le muscle cardiaque. Certains font de la musculation, il fallait que je muscle mon cœur. En douceur. 
Alors, j’ai commencé par tourner les jambes sur un vélo d’appartement. Puis, très vite, il m’a fallut la nature, être dehors. J’ai fait l’acquisition d’une machine pour débutant, une bécane que les mecs que je croisais ne gardaient même pas. J’ai roulé, roulé. Puis j’y ai prit goût. J’ai progressé. J’ai reprit le boulot doucement, mais je continuais à avaler des kilomètres. J’ai changé de monture. J’ai vu la différence! Plus rigide, plus nerveux, plus léger. C’était un plaisir de sortir. Ca reste encore un plaisir.
- Tu… Ta famille… Ils t’ont soutenu? » 
Les mots s’étaient échappés difficilement. Jérome eut encore plus de difficulté à formuler des phrases de réponse.
« Je crois que c’est peut-être ça qui a été le plus dur. Souffrir physiquement, c’est éprouvant, ça fait atrocement mal, mais tu peux lutter contre. Un bon moral, une force psychique sont le meilleur des médicaments. Mais s’apercevoir qu’on est seul, résolument seul face à de telles épreuves, c’est dur. Insurmontable. » 
Loïc comprenait parfaitement. N’avait-il pas été, lui aussi, à l’instant le plus cruel de sa vie, abandonné par sa seule famille? L’impression de se débattre dans l’eau ou dans une épaisse couche de poudreuse. Aucun appui, aucun repère. Rien sur quoi se hisser, personne sur qui pouvoir se reposer. 
« J’en ai voulu à mon fils ». 
Jérome lança un regard vers Loïc. Un regard qui pouvait aussi bien dire : tu peux comprendre ça? Ou encore tu vois de quoi je parles? Et puis à ma place qu’aurais-tu ressenti, qu’aurais-tu fait?
Loïc regardait droit devant lui, mais il ne voyait plus la route s’élever virage après virage. Il ne voyait plus le pierrier à sa gauche qui semblait dégueuler de la montagne, ni le vide qui s’imposait à sa droite, plongeant dans quelques brumes persistantes. Il ne voyait rien de tout ça. Il regardait en lui-même. Parfois, ce sont les expériences des autres qui permettent une vraie introspection. Loïc pensait à la solitude de Jérome sur son lit d’hôpital et il ressentait la sienne, derrière les barreaux, en prison.
« Tu lui en veux encore? »
Jérome ne répondit pas à cette question. Le pouvait-il? Savait-il ce qu’il en était de ses sentiments envers une personne qu’il n’avait plus vu depuis près de quinze ans? Ce fils unique, sa seule famille, il l’avait gommé de sa mémoire. Alors, Loïc enchaina.
« Tu sais, en prison, je pensais tous les jours à mon père. Tu va penser que le plus dur c’était la nuit. Hé bien non. En tôle, jour et nuit c’est pareil. Le même ennui. Je n’avais que lui. Ma mère, je l’ai à peine connue. Et il m’a fermé sa porte. Abandonné comme on se défait d’un chien au bord d’une autoroute, sans même un regard. Il ne m’a pas envoyé son poing dans la figure comme l’auraient fait d’autres pères, ni même crié une engueulade. Il n’a rien fait. Il me considérait alors comme un moins que rien, inexistant, même si j’étais son unique fils, sa seule famille. Je me demande s’il pense encore à moi.
- Tu ne l’as jamais revu depuis?
- Jamais. 
- Mais… tu as essayé de prendre contact? 
- Il m’a causé la plus grande blessure qu’on peut affliger à quelqu’un. C’était à lui de faire le premier pas. »

L’air est plus piquant à cette altitude. Les deux hommes vont bon train, leur souffle a trouvé un rythme, leurs jambes tournent régulièrement, de temps en temps ils se dressent, se déplient davantage pour assouplir les muscles tétanisés que par souci de relance. Une communion s’opère entre les deux hommes. 
« Ca change de l’entrainement. C’est si beau ici.
- C’est tout l’intérêt. Transpirer dans une salle de sport, très peu pour moi! Au début, j’ai dû me contenter d’une salle d’hôpital. Le cardiologue avait disposé trois vélos, enfin, plutôt des machines à tourner les jambes dans une petite pièce qui servait de débarras au sein du service cardiologie. Là, tous les jours pendant ma convalescence, je réapprenais à faire fonctionner mon cœur, le torse criblé de capteurs. Un électrocardiogramme était posé à côté de l’engin trapu, une barre en guise de guidon, et sur le cadran un seul chiffre: ni la vitesse, ni les kilomètres n’intéressaient le professeur, seul comptait le tour de pédales par minute et surtout le rythme cardiaque. Je devais bien faire attention à suivre le programme qu’il m’avait concocté chaque matin. Je restais vingt minutes, puis trente et une bonne heure à la fin. Parce qu’il savait que la motivation était le principal moteur du cœur, le cardiologue avait punaisé quelques posters aux murs laiteux de ce cagibi. Des panoramas de grands cols. Il y avait les pentes du Galibier, le Ventoux posé sur un champ de lavande, le Puy-de-Dôme montrant du doigt un ciel bleu azur, les virages d’Allos, les alpages de l’Aubisque et, le plus impressionnant, l’Iseran tout juste déneigé, la route traçant un couloir entre deux murs de neige hauts de trois bons mètres.
Quand je suis sorti avec les chaudes recommandations de continuer sur cette voie, je connaissais les images par cœur et je n’ai eu, depuis, que le désir et la volonté d’aller voir par moi-même comment c’était sur le terrain. C’est de là qu’est venue ma passion pour la montagne. 
Ca m’a donné la force de tenir le coup. Petit à petit, le moral a reprit le dessus… » 
Pendant toute la confession de Jérome, Loïc le regardait à la dérobé. Il y avait chez cet homme une volonté, une puissance que lui-même n’avait pas. Il se dit que décidemment, les hommes sont bien inégaux face aux difficultés de la vie. Certains les traversent comme on plonge dans une eau chaude et limpide, d’autres s’y cassent les dents à vouloir les affronter directement, quelques uns n’osent pas et reculent devant l’obstacle, plus rares sont ceux qui ignorent le danger et continuent leur chemin en passant miraculeusement au travers des gouttes d’une averse fournie. Où se situait-il, lui? Plongé dans ses pensées, il n’écoutait plus les paroles de Jérome. Un seul mot le sorti de sa rêverie.
«…mon fils.
Ma femme est morte quand il n’avait pas trois ans, autant dire qu’il n’a jamais eu que moi pour toute famille. Et, en retour, je n’avais que lui. Savoir qu’il n’est même pas venu me voir à l’hôpital… Juste un coup de fil. Que j’avais passé moi-même. Lorsqu’il a décroché, il y a eu un moment d’interrogation, un silence, une gêne. Puis ses mots. Coupants comme la lame d’un rasoir. Là, j’ai comprit que je pouvais faire une croix sur la seule personne au monde qui comptait pour moi. »
- Peut-être avait-il ses raisons.
- Que veux-tu dire?
- Je ne sais pas. Il y plusieurs raisons. Tu l’avais peut-être déçu.
- Comment ça, déçu? Non, il n’y a aucune, tu m’entends bien, aucune raison pour laquelle un fils ne soutienne pas son père dans une épreuve comme celle-ci. 
- Je ne sais pas. Je n’ai pas d’enfant. Juste un père qui m’a bien laissé tombé au moment où j’en avais besoin.
- Mais ça n’a rien à voir! Enfin, non… je… je ne voulais pas dire ça. Je suis sincèrement désolé de ce qui t’es arrivé. Mais la différence c’est que la maladie te tombe dessus sans que tu n’aies rien demandé.
- Ah oui? Tu veux dire que tu n’es pas responsable de ton accident cardiaque?
- Bien évidemment. Alors que… Enfin bon, tu me comprends.
- Oui, je commence à voir. Mais peut-être que je n’étais pas davantage responsable de ma situation d’alors que toi ne l’étais des conditions dans lesquelles tu as eu ton arrêt cardiaque.
- Je ne comprends pas bien. J’ai pas choisi de passer à deux doigts de la mort tout de même! Je n’ai pas l’âme suicidaire. Tandis que toi, enfin, je ne veux pas te faire de peine ni t’offenser en quelque manière que ce soit, mais tu avais quand même choisi la situation dans laquelle tu évoluais. 
- N’en sois pas si sûr! Il y a mille raison pour lesquelles un adolescent plonge dans la dope, mille. Et toutes se valent même si elles ne sont pas excusables. Fragilité psychique, envie de se prouver quelque chose, trop facilement influençable, désir de quitter quelque chose et de découvrir un autre monde. On peut faire toutes sortes de conneries à dix sept ans. Se droguer n’en est qu’une parmi d’autres.
- La plus pourrie de toutes, ça oui.
- Comme tu veux. Tu as raison. Et je n’en suis pas fier, tu sais. 
- Manquerait plus que ça. 
- Seulement, as-tu déjà réfléchit aux causes de ton arrêt cardiaque? 
- Comment ça, les causes?
- Ben oui. C’est pas venu tout seul. Tu avais une prédisposition génétique?
- Non. Pas que je sache. Le cardiologue m’a posé la même question.
- Il a dû t’en poser d’autres aussi. Sur ta qualité de vie, tes repas, ton sommeil, ton boulot.
- Quoi, qu’est-ce qu’il avait mon boulot?
- Ah, je pense que j’ai touché au point sensible, là.
- Y’a pas de point de sensible, ducon. Et puis tu m’emmerdes avec toutes tes questions. Je suis venu ici pour être tranquille peinard. Salut! »
Là-dessus, Jérome place une attaque digne des cadors de la montagne. Loïc ne peut que le laisser prendre dix, puis cinquante et au final deux à trois cent mètres. Intérieurement, il pense que pour une victime cardiaque, il a de beaux restes. Il en vient à se demander si tout cela n’est pas du flan. Un truc inventé pour provoquer la pitié. Non, pas inventé, mais surement qu’il en a rajouté un peu aux encoignures. Passer à deux doigts de la mort? Tu parles. Dans ce cas, lui aussi l’a vu en face, cette salope. 
Il n’a pas forcé l’allure. Il continue de grimper à son rythme. Tant pis pour la rencontre. On n’est pas obligé d’être ami avec tout le monde et le monde entier ne saurait être votre ami. Ca, il le sait. Il l’a apprit en prison, et au dehors aussi. Ne pas le savoir à bientôt quarante ans, ce serait  pitoyable. Cette petite altercation n’a même pas fait bondir son rythme cardiaque. Il s’étonne de rester paisible, bien assis sur sa machine, tournant régulièrement les jambes, négociant chaque lacet en danseuse en mettant un braquet un peu plus gros pour délasser ses jambes. 
Le paysage est splendide. Il approche de la cote deux mille et l’air est plus clair, pourtant il ne ressent pas le manque d’oxygène, à peine perceptible pour un gars bien entrainé, il est vrai. Autour de lui, sur la pente que la route fend, ce n’est plus que pierriers, rochers en saillie et lichens sur les pierres. Un monde minéral. Le col n’est plus très loin. 
Une silhouette se détache devant lui. Jérome. L’attend-il? A-t-il quelque remords? Ou bien son accélération de tout à l’heure l’a mis dans le rouge? Peut-être a-t-il de nouveau un problème cardiaque? Cette fois, Loïc ne veut pas être absent. Il se lève sur les pédales, enclenche deux pignons de moins à l’arrière et rejoint l’ancien.

Les poumons brûlent la poitrine de Jérome. Cette attaque l’a mis dans le rouge d’emblée. Jaillir comme il l’a fait dans un grand col tout en étant énervé, c’est déjà pas conseillé à celui qui a un cœur en béton. Mais on ne fait rarement les choses par logique, n’est-ce pas? Une force l’a poussé à montrer à ce blanc-bec ce qu’il avait dans le ventre. La fierté? L’orgueil? Une vanité mal placée en fait. Bien sûr qu’on ne choisit pas toujours de faire les choses. On réagit à l’instinct quand cela touche à notre intégrité, à notre moi intérieur. Bien sûr qu’un jeune ne se drogue pas de plein gré, en connaissance de cause. Bien sûr qu’on ne fait pas d’arrêt cardiaque sans raison. Toutes ces pensées, Jérome les voit défiler dans son cerveau comme un jour de quatorze Juillet. Serions-nous prisonniers de notre milieu, englués dans les filets que nous tendent les autres, et en premier lieu ceux que tissent notre famille, nos amis et connaissances proches? L’influence se traduit soit par l’imitation, soit par le rejet, la révolte. A chaque moment de notre vie, nous réagissons. Nos prises de position que l’on croit dictées par notre propre volonté ne sont que des réactions à des situations établies par d’autres puis, à notre tour, nous interagissons sur le destin de nos semblables. Toutes ces interrogations naissent dans l’esprit tourmenté de Jérome sans y trouver le moindre début de réponse. Lentement, un remords grandit dans sa conscience. 
Loïc n’est pas le premier à invoquer les raisons, les causes qui ont déclenché son arrêt cardiaque. Mais il est des questions qui sont réservées à une certaine catégorie socioprofessionnelle. La santé touche tellement à notre intimité qu’on ne supporte pas que d’autres que le personnel du corps médical nous interrogent, nous scrutent, nous dissèquent, pour autant que ce soient des proches avec qui on partage tout. Alors un inconnu rencontré sur une route de montagne. 
Dans les semaines d’hospitalisation qui ont suivit son accident, il s’est beaucoup remis en question. La peur de mourir peut nous faire changer de comportement. Combien de personnes ayant côtoyé l’au-delà, embrassé la grande faucheuse, vu la mort en face ont changé du tout au tout. Pari sur la vie? Sombre prémonition? Une leçon à retenir? Superstition ridicule? Ou plus exactement une révélation. 
Notre corps se charge parfois de nous faire comprendre qu’on le maltraite. Il nous envoie de petits signes tous les jours mais nous ne savons pas ou nous ne voulons pas les remarquer. Puis, un jour, il emploie les grands moyens. Parfois il va trop loin, parfois nous ne comprenons pas, nous ne voulons pas comprendre le message. Pour ceux qui s’aperçoivent de leurs erreurs, une nouvelle vie commence. En sortant de l’hôpital, Jérôme a tiré un trait sur beaucoup de choses du passé. Terminé les cadences délirantes au boulot, terminé le stress qui jusque là le motivait, le portait. L’adrénaline, il allait la distiller au goute à goute. Il troqua le tennis où il était tout de même classé contre le vélo, chaudement recommandé par son cardiologue. Il changea de service au sein de sa boite, divisant son salaire par deux. Tous ses anciens collègues ne comprirent pas son attitude et mirent sur le compte de la peur d’une rechute sa décision de changer de vie. C’est effectivement bien cette peur qui fut à l’origine de sa modification de rythme de vie, mais la peur de continuer une vie qui n’est pas la vie. 
Il ralenti son quotidien, prit le temps de lire le journal, même de remplir parfois les grilles de mots croisés, savoura de copieux petits déjeuners en lieu et place d’un café trop fort vite avalé sur un bout de comptoir ou en s’habillant à la hâte dans son immense appartement. Il avait gardé le même studio sous les toits d’un quartier huppé de la capitale après la disparition de sa femme. Son unique fils n’avait pas trois ans. Son fils qui l’avait déçu, qu’il n’avait pas comprit. Il lui avait tourné le dos pour une lugubre histoire de drogue, procès, prison. Cette évocation de son propre fils le fit penser à Loïc. Il avait étonnamment le même parcours que son fils. Lorsqu’il avait mentionné certains détails de sa vie passée, Jérome l’avait observé plus attentivement, à la recherche d’un indice, la forme des oreilles, la courbure du nez, ses yeux, le menton volontaire. Mais le casque lui dissimulait sensiblement la tête de son compagnon de route et puis, ça faisait si longtemps…
Après coup, Jérome se senti piteux de sa réaction d’orgueil face à une simple question  d’un inconnu. Il l’avait touché au point essentiel de son être, pour ça il avait raison. 
Certains jours lors de sa convalescence, il lui arrivait même de penser que son accident cardiaque, il en était un peu responsable. Beaucoup, même. C’est pour ça qu’il avait tout changé. Qu’il avait changé. 
Maintenant, il comprenait de la même façon qu’on ne fait pas d’accident vasculaire par hasard, que ce même hasard n’était pas totalement étranger à ce qui était arrivé à Loïc. Et à son fils. Il avait admit sa responsabilité dans ses troubles médicaux, dorénavant il sentait qu’il était également pour quelque chose dans le comportement d’un adolescent qui n’avait pas connu sa mère, vécu à l’ombre d’un père tout puissant, métier de prestige, sans faille apparente (elle viendrait donc plus tard, cette faiblesse, sous la forme radicale et quelquefois définitive d’un accident cardiaque), exigeant autant envers lui-même que pour son fils. Le moindre résultat juste moyen au collège, une note inférieure à quinze au lycée et c’était des reproches à peine formulés. Les pires. Il se rendait compte qu’à vouloir considérer trop tôt son fils comme un adulte, il lui avait volé son enfance. Sans maman, sans enfance, avec un héros comme père, un père qui l’écrasait de toute sa puissance en ne voulant que le protéger, il avait cherché ailleurs la frivolité de ses quinze ans. 

Jérome entend les cliquetis de la machine de Loïc se rapprocher. Il ne prononce même pas un « désolé » inutile, leurs regards sont suffisamment éloquents pour qu’ils reprennent leur ascension commune. 

Le soleil est maintenant haut dans un ciel si bleu en son centre qu’on en a mal aux yeux de trop le regarder. Un rapace tournoie à la recherche d’une proie dans les rochers et les pierriers qui constituent l’essentiel du paysage. Ici, le minéral originel reprend ses droits comme pour souligner la pureté de l’endroit. Il semble qu’on soit revenu aux premiers temps de la formation terrestre. Plus près de la vérité. L’air est plus vif, même sous l’astre ardent, il ne fait pas chaud, du moins ne la ressentons nous pas comme en vallée, cette moiteur oppressante, suffocante. Ici, on respire. 
Ici, on ne triche plus.
Pas une parole n’est échangée entre les deux hommes qui semblent se jauger, s’apprécier. De rapides coups d’œil comme pour prévenir une attaque. Un mouvement de tête sec à la manière des gallinacés. Puis leurs regards ne fixent plus que le bitume qui étend son ruban sinueux aux flancs de cette montagne qui révèle les hommes, parfois ils lèvent brièvement la tête, cabrant ainsi leur cou, appréciant la distance qui les sépare du sommet maintenant visible, là-bas, encore assez loin. 
« J’aime rien moins que cette griserie d’avant col. Les cent ou deux cent mètres qui séparent du sommet, lorsqu’on sent tous ces kilomètres d’ascension dans ses jambes mais qu’il ne faut pas encore s’avouer vainqueur. Cet ultime effort, un dernier souffle de volonté, savoir puiser dans ses forces amoindries. 
- Oui. J’ai ce sentiment parfois, mais la griserie ne m’atteint qu’une fois le col franchi. Tu dois être un sacré perfectionniste, toi!
- Je l’étais, oui. Surement un peu trop même. Mais, tu sais, quand tu connais de graves ennuis de santé, tu relativises sérieusement. Ca fait prendre du recul par rapport aux futilités, tu te concentres sur l’essentiel. 
- Et l’essentiel, c’est quoi?
- Ca varie surement d’une personne à l’autre, mais généralement, ça veut dire s’apercevoir qu’on n’est pas tout seul sur terre, qu’il faut accepter les autres.
- Les autres… Ton fils, par exemple?
- Entre autres. 
- Tu as réussi à lui pardonner… ne n’avoir pas été là quand tu en avais besoin?
- Non. Ca, non. Enfin, pas encore. Mais, je me rends compte maintenant que je n’ai pas été présent pour lui. Je n’ai eu que ce que je méritais. 
- Encore que c’est un peu simple de résumer la vie à une question de mérite, de récompense ou de punition. Rien n’est ni tout blanc, ni tout noir. Le bien et le mal ne se combattent que dans les légendes. Dans la vraie vie, chacun est à la fois blanc puis noir, fait le bien puis le mal, il me semble.
- Je te trouve bien philosophe d’un coup.
- Tu sais ce qu’il va te montrer, le philosophe? »
Là-dessus, Loïc part en danseuse. Au regard qu’il lui lance par-dessus son épaule, Jérome voit bien que c’est par jeu et non par vexation que Loïc lui montre que, lui aussi, il peut réagir après cette belle ascension. A moitié anéanti par son accélération de tout à l’heure, il essaye de prendre la roue de son nouvel ami, autant chercher à rattraper le vent. Dans le milieu cycliste, il existe des vantards comme partout en ce monde, mais plus souvent on rencontre des sournois d’un tout autre type, faisant mine d’être à l’agonie, de ne pas se sentir bien, avoir une tendinite ici, un reste de rhume par là, d’avoir mal récupéré, d’être lessivé. Puis ils nous font voir que tout ça était du flan, de l’esbroufe à rebrousse poil. Vraiment, sur le vélo, on rencontre parfois de beaux joueurs de poker.
Cent mètres et plus de vingt ans les séparent, inutile de se mettre dans le rouge pour rattraper ce blanc-bec. Les hectomètres suivant, Jérome, seul, pense une nouvelle fois à sa vie. Il repasse en accéléré toutes les décisions qu’il a prise et leurs conséquences devenant à leur tour de nouvelles causes engendrant de nouvelles prises de position. La théorie des dominos. Chaque pièce faisant tomber la suivante. Mais les chemins se recoupaient-ils? Était-il possible d’exécuter des traversées à défaut de pouvoir revenir en arrière? N’avait-on jamais la possibilité d’une seconde chance? N’avait-on pas le droit de se tromper? C’était trop bête. 

Loïc avait effectivement placé son démarrage davantage par jeu que par agacement. Il se rendait compte que Jérome était un type bien sous des dehors d’un ours mal léché. Il pouvait lui faire confiance. Se livrer un peu, lui qui avait toujours été méfiant face aux autres. Peut-être un peu de honte aussi. La honte de la prison, mais pas seulement. Il savait que son parcours était forcément jugé par ses contemporains, et plus en mal qu’en bien. Il avait le sentiment qu’on ne pardonnait pas ses erreurs de jeunesse alors qu’en fait, s’il avait prit du recul, il aurait constaté que le rejet dont il faisait l’objet lorsqu’il se confiait provenait davantage de la peur que d’un jugement définitif. La peur que les gens bien éprouvent face à ceux qui par manque de chance, à cause de mauvaises rencontres, parce qu’ils étaient influençables, plus rarement par choix, vivaient des situations dont personne ne voudrait faire l’expérience. Tous « ces braves gens que » de la chanson de Brassens. Pas de mauvais bougres, juste des gens empêtrés dans leur quotidien, entouré de leurs valeurs, bordés de leurs habitudes, et qui avaient un mouvement de recul, rendu souvent imperceptible par trop de politesse ou de sens social, devant la vie de ceux « qui n’avaient pas suivit la même route qu’eux. »
Loïc manquait de discernement et ne voyait pas que cette peur qui terrorisait la populace qui n’aspirait qu’à une hypothétique place au soleil les rendaient renfermés sur leur petite vie. La crainte qu’un de leur proche ne glisse dans l’ornière d’où il venait, l’inquiétude de se voir anéanti par le destin, l’anxiété de se voir privé de leur petit train-train quotidien pas si folichon mais somme toute bien préférable à une vie de drogué ou un passage derrière des barreaux, jusqu’à l’effroi provoqué par ce qu’avait dû vivre et subir un repris de justice, parfois ce qu’il avait dû infliger aux autres. Au final, ils ne lui reprochaient que de véhiculer l’image d’un gars paumé, un gars à la place duquel ils se voyaient, eux. 
Alors Loïc taisait son lourd secret. Et plus il se taisait, plus cela devenait lourd. Les seules personnes à qui il aurait pu se livrer n’étaient que ceux et celles qui étaient passés par là d’où il revenait, peut-être y étaient-ils encore, piégés, bernés, dupés par la vie qui ne faisait aucun cadeau à ceux qui n’ont rien, qui n’était jamais tendre avec les faibles. Autant alors replonger tout de suite. Souvent la tentation de la facilité apparente lui avait fait ses yeux doux. Les paradis artificiels ressemblaient à des filles de joie qui, tout sourire, dévoilaient leurs charmes pour mieux vous faire tomber ensuite. Les sirènes de l’asphalte.  Le paradis au bout d’une aiguille.
Il ne lui avait manqué qu’une bonne paire d’épaules sur lesquelles pouvoir se reposer au sens littéral du terme. Se re-poser, profiter d’un appuis, d’un support comme une bouée lancée au milieu de l’océan des turbulences de la vie, savoir que quelqu’un est là, sera toujours là, un repère, offrant une aide. Un guide, accompagnant et soutenant, sans pour autant tomber dans une complaisance de pacotille. Des rapports francs, honnêtes, authentiques, justes, loyaux, sincères. Une vraie amitié. Mieux, un père.

Les pensées roulaient en tous sens dans la caboche de Loïc. La vie n’avait pas été tendre avec lui, mais il lui en restait une bonne moitié à vivre. Il ne fallait gâcher une éventuelle seconde chance. Repartir du bon pied. Il avait déjà trouvé un boulot sérieux où on lui faisait confiance, où l’on comptait sur lui. Le vélo était devenu son passe temps, peut-être même le début d’une passion. Pour les femmes, il ne voulait pas s’engager encore. Restait ce qu’il cherchait depuis si longtemps et, là, maintenant, il était certain que cela était possible. 
Il coupa son effort. Ses muscles se chargèrent aussitôt d’acide lactique, lui parurent raides comme si on avait tendu les cordes d’un arc au travers de ses jambes, de son corps tout entier. Il redouta une crampe. Bu une gorgée. Il regardait le panorama impressionnant à cette altitude. Les sommets encore tout embrumés de leurs écharpes vaporeuses matinales se découpaient au loin, formant des croupes acérées que le soleil inondait, ne laissant que le bas des vallées dans une ombre de plus en plus réduite. L’air vif piquait le nez, une odeur d’ozone mêlée d’un relent minéral, presque ferreux, se répandait dans ses poumons en feu, maitrisant un début d’incendie. 
Jérome ne fut pas long à le rejoindre. 
« Vingt ans de moins, ça fait des dégâts!
- Tu parles! J’en peux plus, oui. Je suis sûr que tu devras me pousser pour finir de basculer.
- Plutôt crever, oui! »
Le rire partagé s’évanouit rapidement en une quinte de toux. 
« Allez, y’a juste trois ou quatre lacets pour finir. A peine un kilomètre et on le tient. »
Les deux hommes roulaient à nouveau épaule contre épaule, chacun son propre style, Jérome déployant ses longues jambes dans un mouvement impeccable, sans à-coups, une vraie horloge, Loïc un peu plus haché, davantage courbé sur sa machine. Loïc relança la conversation, un ton plus intime, comme on parle sans ambages entre amis, entre membres d’une même famille.
« Ton fils… Tu l’as revu? »
La question posée il y a encore une demi heure aurait provoqué une réponse nette, cinglante, sans équivoque. Maintenant, Jérome ne savait plus trop quoi en dire. Son fils? Hé bien, cela demandait réflexion.
« Non. » Mais Loïc sentit un léger soupçon de regret dans son intonation.
« Non, et je crois que je ne le reverrai jamais, même pas le jour de mon enterrement. 
- Tu ne lui a pas pardonné.
- Non, je n’ai pas pardonné, mais lui, y a-t-il seulement pensé, au pardon? 
- Ca, tu ne pourras le savoir qu’en le lui demandant.
- Et pourquoi se serait moi qui irais vers lui, qui ferais le premier pas? » 
Jérome était redevenu méfiant, sur la réserve. Non, la blessure était trop grande, mal refermée, à peine cicatrisée après toutes ces années. 
« Peut-être qu’il en a envie, lui, mais qu’il n’ose pas, qu’il a peur de ta réaction.
- Peur? Je ne pense pas qu’il ait peur de quoi que ce soit.
- Ah bon? Alors tu penses que la prison efface toute appréhension? 
- Ca rend plus fort, plus… ça enveloppe d’une carapace, n’est-ce pas?
- Oui, absolument. Une épaisse carapace qui n’exclut en rien la peur de l’autre, des autres. On se sent fiché, étiqueté, jugé en permanence. On a l’impression que cela se voit sur notre figure. Alors, on se renferme sur soi. On se coupe de la société parce qu’on la croit contre nous. C’est très difficile la réinsertion à cause de tout ça. L’ex détenu y a sa grande part de responsabilité. Si personne ne l’aide, il ne s’en sort pas. 
- Oui, mais comment tendre la main après tant d’années?
- Oh, tu sais, ça se fait tout naturellement. Parfois le présent sait effacer le passé mieux qu’un bulldozer rase un vieux quartier. Si j’avais la possibilité, la chance d’avoir mon père là, en face de moi… » il s’arrêta un instant pour donner du poids à ses mots, se tourna vers Jérome et, dans leurs regards croisés, il crut percevoir une lueur, comme celle qui brille soudain dans les yeux de celui qui vient de comprendre. 
« S’il était là, juste en face, je crois que je ne dirais rien. Absolument rien. Je le prendrais dans mes bras et nous nous comprendrions parfaitement. 
- Ca a l’air simple.
- Oui, c’est vraiment très simple et c’est pourquoi c’est si difficile pour nous qui sommes habitués à des choses trop compliquées. Il n’y a pas à réfléchir, juste retrouver ses instincts, c’est tout. »
Déjà pointait l’ultime lacet. Les deux hommes prirent bien soin de prendre le virage bien large, passer à la corde vous coupait les jambes aussi efficacement qu’un couteau à pain. D’un même souffle, ensemble, ils franchirent la ligne invisible du sommet, à l’endroit exact où le dernier coup de pédale envoie dans la descente de l’autre versant. Jérome souffla longuement, ravi. Loïc remonta la fermeture de son maillot. Ils roulèrent sans un mouvement pendant cinquante mètres avant de s’arrêter. 
Ils se faisaient face, le cadre de leur mécanique posé sous leurs fesses. Loïc enleva son casque d’un geste ample, libérant sa tête. Jérome comprit alors, en voyant son visage détendu, face à lui en plein soleil, débarrassé du casque et du rictus de l’effort. Loïc s’avança d’un pas. Il enlaça Jérome.
« Papa!
- Mon fils. »

 

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