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le Chemin

Un jeune garçon habitait un petit village perdu dans les immenses forêts du nord. 
Ambitieux, il voulait devenir le meilleur des hommes, d’une grande bonté et aux connaissances parfaites. Le doyen du village lui dit d’aller rencontrer le sage des sages, le lama qui vivait dans le Haut Pays, par delà les océans et les montagnes. Lui seul pouvait lui apprendre toutes les connaissances du monde, lui seul pouvait le transformer en homme parfait.

Le lendemain, à la première heure, avant même que ne se lève le soleil, il chaussa des sandales aux semelles les plus épaisses qu’il put trouver, et un simple baluchon au bout de son bâton porté sur l’épaule, il parti. Il marcha le nez sur ses sandales.
Bientôt il croisa un drôle d’olibrius, chargé d’une gigantesque loupe et d’un si long télescope.
Il lui demanda où il se rendait, notre garçon leva la tête et lui dit qu’il rendait visite au plus sage de tous, celui qui habitait par delà les montagnes et les océans. Intrigué par le curieux attirail, son possesseur lui expliqua l’infiniment petit, le monde microscopique et l’immensément grand, les galaxies sans limites. Toute la journée ne suffit pas à tarir le flot de paroles du scientifique. Il raconta les microbes et les molécules, les atomes, les particules. Il était intarissable. Et encore plus prolixe lorsqu’il évoquait les mystères de l’univers, des distances défiant l’entendement le plus poussé. Et il continua ses explications, ses démonstrations une grande partie de la nuit.
Il reprit sa marche, la tête haute.
Ainsi il apprit la curiosité.

Le deuxième jour, il remarqua un aïeul  assis au bord du chemin, sa main droite posée sur sa canne et la gauche tenant un livre usagé. Par curiosité, le jeune garçon voulu connaître le titre du livre et l’histoire qu’il racontait. Le vieil homme usé de tant d’années lui parla littérature, lui dit que tout avait déjà été écrit, qu’il ne restait plus rien à découvrir, que la totalité des connaissances du monde entier se trouvaient imprimées sur des milliards de milliards de pages et que mille vies ne suffiraient pas à tout lire, à tout apprendre.
Il le remercia et le salua. Il reprit sa marche.
Ainsi apprit il l’humilité.

La troisième journée, il traversa de grands prés où ployaient sous une légère brise des centaines de fleurs  aux couleurs inimaginables. Il gambada parmi cet arc-en-ciel floral et ne vit pas le temps passer. Le soir le surprit alors qu’il était bien loin du prochain village où il pourrait trouver le gîte et le couvert.
Avançant parmi les ténèbres les plus sombres, les dizaines de bras velus, noueux, tordus, qui se penchaient vers lui pour le kidnapper n’étaient que les branches des arbres ; les hurlements de monstres assoiffés de sang n’étaient que les cris d’inoffensives bêtes de la forêt.
Il eut bien peur, mais finit par rejoindre le village.
Ainsi il apprit à se méfier des apparences.

A l’entrée du village, il croisa un mendiant tremblant de froid qui le regarda avec insistance et tant de bonté qu’il eut pitié et lui donna son manteau, en pensant que lui bénéficierait dans  quelques minutes de la chaleur d’un bon feu de cheminé pour se réchauffer le corps et un bon repas de mets délicieux arrosé du meilleur vin pour se réchauffer l’âme. 
A peine entré dans l’auberge, il réserva une chambre bien chauffée pour la nuit et commanda un copieux repas en demandant d’en apporter une portion au mendiant qui passait la nuit dehors.
Ainsi apprit-il le partage .

Le lendemain et c’était bien déjà la quatrième journée si nous tenons correctement notre compte, un large fleuve lui barra la route peu avant midi. Nulle passerelle, ni le moindre pont en vue. Comme il n’était pas un champion olympique de natation, il se résolu à construire une barque pour traverser les flots impétueux et le courant puissant. Au bout d’une journée, il avait bâti un radeau assemblé de rondins et en guise de rames, il avait noué ensemble quelques larges feuilles de palmiers. Mais à peine eut-il atteint le quart du fleuve que l’embarcation se disloqua. Il rejoint la rive, haletant et frissonnant,  en voyant les rondins éparpillés, entraînés par le courant.
Le lendemain, il construit une barque plus solide en prenant soin de clouer les planches entre elles. Malheureusement, arrivé à la moitié des flots, il remarqua que le bateau prenait l’eau, il eut juste le temps de faire demi tour avant que la barque fut remplie d’eau.
Le troisième jour, il élabora une embarcation solide et badigeonna la coque avec du goudron. Il atteint l’autre rive alors que la nuit tombait.
Ainsi il apprit à se servir de ses dix doigts.

Mais sur l’autre rive habitait de redoutables félins aux griffes acérées et à l’appétit féroce. Ils bondirent sur lui dès qu’il mit pied à terre. Sachant son heure venue, pétrifié de peur, il resta debout, ne cherchant pas à fuir. Les monstres assoiffés de sang en firent le tour, étonnés que cette proie ne s’enfuie pas comme toutes les autres. Si elle ne détalait pas, ce n’était donc pas une proie et ils s’allongèrent à ses pieds après l’avoir longuement reniflé.
Ainsi apprit-il le courage.

Escorté des deux félins, il traversa la grande forêt et voulu se nourrir du délicieux miel trouvé dans un tronc de hêtre. Aussitôt, un essaim d’abeilles fut sur lui, piquant sa peau tandis qu’un colonie de fourmis s’attaquait à ses pieds. Instinctivement, il se détourna, recula et abandonna le miel, mais quelques dards restaient plantés sur ses bras et le venin des fourmis lui picotait les jambes. Par vengeance, il voulu écraser les faibles insectes rampants, décimer la horde d’insectes volants, puis il pensa aux fauves qui l’avaient épargné et continua son chemin, graciant les impétueux insectes.
Ainsi apprit-il le pardon.

A l’aube du neuvième jour, il commença à gravir la montagne. La pente devint alors si raide qu’il ne pouvait s’arrêter de grimper. La moindre pause l’aurait déséquilibré et il aurait roulé au bas de la montagne, se brisant les os et le reste. Il escalada la montagne lentement mais sans jamais s’arrêter. Il trouva le bon souffle et lorsque la nuit tomba, il avait atteint le sommet.
Ainsi apprit-il la puissance de la volonté.

La crête était si fine qu’à chaque pas, il manquait de chuter dans l’un des deux précipices, un abîme à sa droite, un gouffre à sa gauche. Il se concentra et travailla son équilibre, assurant chaque pas et utilisant ses bras pour se stabiliser.
Ainsi apprit-il l’équilibre et la précision.

Alors, il arriva au sommet de la montagne, dans le Haut Pays où résidait le grand sage des sages, celui qui avait toutes les connaissances dans ses mains. Il vit un petit lac au milieu, car la montagne était un ancien volcan dont le cratère était recouvert d’une eau limpide. Il descendit sur la rive. L’eau était si claire, si transparente que le paysage s’y reflétait comme dans un miroir, les eaux restituaient l’image mieux que la photographie la plus nette. Il se pencha sur le miroir hydraulique et il le vit. Le sage des sages, le grand lama était là devant ses yeux et il lui apprit toute la connaissance du monde. Et il comprit que le grand sage n’était autre que lui-même. Et il comprit que toute la sagesse, les connaissances sans limite, il les avait obtenues en parcourant le long chemin qui le menèrent jusqu’à lui-même.

 

 

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