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Je Pense donc... J'écris 2025

Je pense donc j'écris

10  Aout -  Regrets ou remords ?

La légende du pianiste sur l'océan est un film de Giuseppe Tornatore, celui qui avait déjà tourné Cinema Paradiso. Comme son premier essai, il met en scène un être surdoué, pour la musique cette fois. La seule différence, c'est que le petit Toto deviendra un grand réalisateur et que le pianiste restera à jamais sur son paquebot, parfaitement incapable de mettre pied à terre. Il y a quand même un point commun entre les deux personnages : Toto n'aurait jamais quitté son petit village de Sicile sans un coup de pouce du destin, sous la sombre machination d'Alfredo, le projectionniste.

Nous gardons tous, au plus profond de nous, ce petit village de Sicile ou ce paquebot, où nous connaissons tout le monde et tout le monde nous connaît. Un coin où l'on a ses repaires, ses habitudes, où nos capacités nous permettent d'être quelqu'un. Et plus nous avons un talent particulier, moins on a envie d'aller voir ailleurs pour se frotter aux autres, ayant, eux aussi, ce même feu, cette même étincelle.

Les deux personnages des films de Tornatore possèdent un talent inouï, un trait de génie qui pourrait s'affirmer à la face du monde... s'ils étaient capables de s'y jeter.

Quelqu'un qui n'a pas ce talent ne se posera pas de questions. Il laissera derrière lui, et sans regrets, son petit monde bien confortable. Il sortira de son cocon, ira s'évaluer face à l'inconnu qui terrorise tant. Il aura ce courage de ceux qui n'ont rien à perdre.

Ce courage qui pousse certains à traverser un océan, à se perdre dans les grandes métropoles, à se confronter aux autres. Un certain sens de la compétition. Une envie d'en découdre, du moins de dépasser ses propres limites.

Quand j'étais plus jeune, je balbutiais quelques borborygmes à la radio. Parmi mes collègues, deux vraiment doués. L'un, venu de Paris, avait atterri dans cette modeste bourgade de province où il était, forcément, devenu une petite star locale. L'autre, tout aussi doué, après s'être fait ses dents sur cette petite radio locale, est « monté » à la capitale pour vivre de sa voix.

Qu'est-il arrivé ensuite ? Le second est parvenu à assumer sa passion, doublant des acteurs, faisant des voix off pour des documentaires ou des spots publicitaires, prêtant sa voix à des personnages de dessins animés, s'initiant au théâtre.

L'autre, une fois son petit succès facile ayant prit fin, s'est laissé vivre sans plus rien tenter d'extraordinaire. Il est retombé dans l'anonymat.

Se reposer sur ses lauriers, même si ceux-ci sont modestes, ne nécessite aucune audace, aucun courage. Facilité de ceux qui ont un don qui ne le travaillent pas.

Je ne juge pas. Je remarque simplement que, dans un cas, il y a un sacré gâchis. Gâchis pour la personne qui aurait pu se révéler, s'épanouir dans le domaine qu'elle adore. Et immense perte pour tous les autres qui auraient pu profiter de ce talent.

Ou pas.

Car on ne compte plus celles et ceux qui, partis pour faire fortune, s'y sont cassés les dents. Meurtris par la violence de cette société qui ne donne pas de deuxième chance. Déçus par la dureté de l'existence.

C'est le risque de vouloir prendre un risque, justement.

Mais prendre ce risque, n'est-ce pas simplement vivre ? La banalité de l'existence n'est pas la vie. Bien entendu, tout le monde n'a pas ce talent, ce trait de génie qui permet toutes les audaces, du moins qui peut les porter. Mais, ici, je ne parle pas forcément de carrière artistique de premier plan, de champions sportifs de haut niveau ni même de conquérants de la grande entreprise ou de cadors de la politique.

Chacun peut trouver, même dans la vie la plus modeste et insignifiante, de quoi lui donner des ailes. Une raison d'en faire un chef d'oeuvre. Peut-être rendre service aux autres, se dépasser dans quelque catégorie ou, tout simplement, réaliser sa plus belle histoire d'amour.

Préférer avoir des regrets ou des remords ?

 

 

3  Aout -  Vroum vroum

S'il est un objet, un outil, une machine qui a prit une importance si grande dans nos vies, c'est bien la voiture.

On la bichonne, on l'invective, on lui parle, comme à un percheron dont elle n'est, finalement, que la descendante.

Ce tas de ferraille, maintenant davantage de matières plastifiées, sur roues n'est pas un objet. Et c'est bien toute la difficulté pour régler deux problèmes directement liés à son existence : sa dangerosité et son potentiel polluant.

Une voiture, c'est une projection de soi, comme un cinquième membre. Une voiture, c'est un rêve devenu réalité. Une voiture, c'est l'image de la Liberté aux chromes rutilants.

Premier paradoxe : cet outil qui permet de s'affranchir des distances reste bloqué au moindre ralentissement. Les cyclistes et même les piétons nous narguent en avançant, eux.

On achète pas une voiture pour les services qu'elle peut rendre, mais pour l'idée qu'elle représente. Une parure, puisque l'habit fait le moine.

Pour tenter de régler le problème, il faudrait pouvoir dissocier ses deux fonctions : utilitaire et plaisir.

Puisqu'il est impossible de rendre cette tonne de technologie et de mécanique à son état premier : se déplacer, on pourrait imaginer une sorte de schizophrénie de son utilisation.

Et pourquoi pas en faire un transport non privatif, comme on prend le bus ou les vélibs. Accessible à tous, moins lourdes, juste pour effectuer un trajet, d'une contenance de deux personnes ou permettant de transporter des encombrants (commissions). Ces minis voitures, plus légères, consommeraient moins, iraient moins vite, réduisant ainsi le nombre d'accidents et se garant plus facilement. Ce parc serait laissé à la location, au prêt, dont la vocation serait essentiellement utilitaire. Aucun désir entre ses quatre roues là. Juste un outil. Leurs carrosseries ne seraient pas belles... encore que, à voir le parc actuel, on peut se demander où l'on pêche les designers. Sûrement pas aux beaux arts.

Et on garderait la voiture privée pour partir en vacances.

D'une manière plus générale, à l'heure de la chasse au gaspillage et à la réduction d'émissions carbonées, il faudrait repenser l'utilisation de chaque objet douteux sur leurs conséquences environnementales.

A-t-on réellement besoin d'une tondeuse à gazon privée ?

Sans entrer dans un collectivisme primaire, il serait bon de mutualiser, de fédérer, en un mot de partager les objets qui nous entourent et qui, au final, sont les gardiens de nos prisons dorées.

 

 

27 Juillet - Réflexions sur la vie moderne

On s'aperçoit que l'on devient vieux au premier cheveu blanc, lorsqu'on est grand-père, quand on tutoie tout le monde et que tout le monde nous vouvoie... mais aussi quand on ne comprend plus le monde des hommes autour de soi.

J'ai la chance d'appartenir à une génération qui a pas trop mal intégré l'informatique (mais peut-on parler de chance?), bien que la liste des incompréhensions liées au numérique soit aussi longue qu'une étape du Tour de France. Pour la téléphonie, c'est déjà du chinois, enfin, du mandarin.

Je ne sais, je n'ai jamais su à quoi servait facebook et autres réseaux sociaux. Ce que je remarque, en revanche, c'est cette débauche d'affichage sauvage sur le bord des routes. Je ne parle pas des affiches 4X3 vantant des mérites purement commerciaux et profanant l'horizon au passage. En plus de souiller sans vergogne le paysage visuel, ils polluent d'une manière intolérable le cerveau d'innocents consommateurs (cons, sots et donc mateurs malgré eux). Non, je parle de ces affiches placardées au bord des routes, aux couleurs criardes, souvent de simples cartons attachés à de vulgaires poteaux, plus souvent collées à des palettes en bois. Récemment, j'en ai compté 18 autour d'un seul rond-point. Elles sont toujours placées aux endroits stratégiques (croisements) où l'automobiliste est censé ralentir, donc avoir le temps de déchiffrer l'information, mais aussi exactement là où il devrait se concentrer sur les dangers potentiels de collision.

En principe, il n'y a rien de commercial là dedans. On y vante les joies de feux d'artifices, de marchés bio, de randonnées organisées, de fêtes populaires, parfois un vide-maison.

Elles sont apparues en masse en même temps que se développait l'immense réseau numérique qui permet à tout un chacun d'avoir toutes les informations qu'il désire en temps réel.

Alors, pourquoi continuer à polluer le paysage, risquer de distraire un conducteur au volant de 2 tonnes de métal, alors qu'il est plus malin d'envoyer un message sur les smartphones connectés.

Il y a pire : ces municipalités qui investissent dans des panneaux, bien numériques cette fois, éclairés tellement que notre regard est forcément attiré par le flot d'informations déversées comme le papillon tourne autour de l'ampoule. En pleine nuit, c'est atroce. Je me demande s'il ne sont pas responsables d'accidents de la circulation.

La voiture, parlons-en !

On a tous, plus ou moins, reconnu et accepté qu'elle est néfaste pour l'environnement et pour nous-mêmes. Les constructeurs ont fait d'énormes efforts, il faut l'admettre, pour réduire le potentiel meurtrier de ces tombeaux roulants : à l'image du roseau de la fable, les matériaux plient mais ne guillotinent plus, l'espace intérieur est plus vaste, la consommation tend à diminuer drastiquement. Enfin, jusqu'à ce nouveau siècle. Depuis, la consommation repart en flèche à cause... du poids de ces mastodontes.

Pour illustrer mon propos, il suffit de prendre n'importe quel modèle assez ancien pour avoir connu plusieurs versions. Que ce soit la mini (qui n'a de mini que le nom, puisqu'elle affiche maintenant 4 portes), la Panda, la Polo, la Clio ou même la minuscule Fiat que l'entreprise Turinoise aurait dû rebaptisée Fiat 5000.

Cette inflation est totalement à contre-courant de la volonté de réduction des émissions carbonées. En effet, plus de poids à lancer rageusement demande davantage de carburant.

Je ne vais pas mentionner ici toutes les soit disant avancées techniques afin de nous rendre la vie plus facile et qui, au final, deviennent de véritables casse-tête à comprendre, faire fonctionner ou réparer. Pour rester dans le domaine de la voiture, un garagiste qui n'y connaît rien en informatique peut envisager très sérieusement de changer de métier. Avez-vous déjà tenté de programmer une télévision, connecter une imprimante ou même acheter un billet de train ?

Pour résumer le propos, on mélange tout. Ainsi la politique qui se trompe constamment d'objectif. Au temps détestable des idéologies, on discutait, on débattait, on échangeait sur des projets d'avenir. On refaisait le monde, on le rêvait. Depuis 40 ans, on se contente de s'étriper par le biais de petites phrases assassines, on ne propose plus rien de porteur ni d'engagé. Si je devais lancer un parti politique, je l'appellerais Demain.

S'intéresser à hier, ce n'est pas de la politique, c'est de l'Histoire. Cependant primordial pour jeter les fondations de demain.

S'intéresser à aujourd'hui, ce n'est pas exactement de la politique, c'est de la gestion, de la gouvernance. La branche pragmatique et pratique de la politique. Vivre jour le jour est essentiel pour bien profiter des petits bonheurs de la vie. Il ne sert à rien de se vautrer dans le passé ou d'imaginer demain si l'on ne sait pas vivre l'instant présent, pour soi et pour les autres. Mais ce n'est toujours pas de la politique.

S'intéresser à demain, c'est de la politique pure. Imaginer, concevoir et jalonner des concepts plus généraux, avoir un projet de société, voir plus loin qu'à ses pieds, à la fois dans l'espace et dans le temps, c'est de la politique. Penser, inventer le monde des générations à venir, c'est de la politique.

 

20 Juillet - Superlatifs

 

Il semblerait que le journalisme moderne se sente obligé d'user de superlatifs pour décrire ce qui sort simplement de l'ordinaire, même une certaine banalité. Cela atteint jusqu'aux confins de la météo où l'on parle de froid « polaire » quand il fait juste cinq degrés ou l'utilisation récurrente du terme canicule dès que le thermomètre affiche trente degrés.

On n'hésite plus à s'étonner de la banalité, à grand renforts d'excessifs tics de langage. Chacun de nous abonde ainsi dans le même sens. Juste pour attirer l'attention dans un monde où règne le trop plein d'information. Pour se distinguer dans la foule, il faut soit mesurer deux mètres, soit s'habiller de couleurs criardes.

Pourtant et paradoxalement, le sensationnalisme est la conséquence du manque d'émerveillement.

Pas besoin d'en rajouter : la vie, elle-même, est source de fascination, de contemplation, d'enchantement. Il suffit de bien regarder, écouter, sentir.

Cette antinomie n'en est pas une : quand on ne sait plus s'étonner, on en rajoute des tonnes, comme trop saler un plat fade ou sucrer sans modération un dessert raté.

Pourtant que la montagne est belle chantait Ferrat. Plus généralement, la vie est sensationnelle. Par le fait même d'exister. Imaginer le nombre de coïncidences, de hasards, de chances pour simplement qu'un être voie le jour, jusqu'au plus minuscule insecte. Le moindre moucheron, la plus infime fourmi est le résultat de millions d'années d'évolution, le point d'arrivée de milliers de générations. Sans compter sur l'ingénieuse adaptation à leur environnement. Ce sont des merveilles au même titre que les pyramides ou Notre Dame. En sachant ça, il sera difficile d'en écraser d'un revers de main, simplement parce qu'elles vous agacent ou, pire, parce qu'elles ont le simple défaut d'être là.

Pour lutter contre cette morosité de trouver tout d'une banalité sans fond est de lister les petits bonheurs. Des instants un peu magiques, qui apparaissent systématiquement au détour du quotidien. Savoir observer, ressentir. Ce n'est pas se contenter de rien, mais être capable de voir la beauté dans le quotidien le plus banal ou le plus proche.

 

 

13 Juillet - Dernières fois

J'ai souvent parlé des Premières Fois. Essentielles au développement de la personne et qui permettent de ralentir la course du temps. Si les journées passent comme des années lorsqu'on a cinq ans, c'est, d'une part, parce qu'un an correspond à 20% de notre vie passée, alors qu'elle ne représente plus que 2% à 50 ans, mais surtout parce nous faisons l'expérience de ces premières fois quasiment quotidiennement.

A l'inverse, lorsque notre vie bascule dans sa seconde partie - mais comment savoir ce moment exact, disons, pour faire simple, qu'à partir de 50 ans, il y a de fortes chances pour qu'il ne vous reste moins de temps que vous en avez vécu – nous faisons l'expérience des dernières fois... sans le savoir vraiment. Raison de plus pour continuer d'éprouver ces premières fois, devenues de plus en plus rares, mais surtout savoir aborder les dernières fois avec un sentiment de plénitude et de détachement.

J'écoutais Patrick Sébastien se lamenter récemment sur notre époque : « tous mes modèles disparaissent, Delon, Belmondo, Hallyday, c'est terrible comme époque ».

Ce n'est pas notre époque qui est en cause – elle l'est, d'une manière bien plus radicale, dans la perte des repères et la déshumanisation programmée de nos sociétés. Simplement, Sébastien, comme tout un chacun, vieillit. Et l'une des conséquences liée à la prise de l'âge, c'est que l'on devient le témoin privilégié de la disparition de nos aînés. Cela commence par nos parents, puis certains de nos amis moins chanceux, enfin de nos modèles.

C'est pour cette simple et bonne raison qu'il serait détestable de devenir immortel. Ce ne serait qu'une suite ininterrompue de manques et de vides. Et il ne servirait à rien de se faire constamment de nouveaux amis. A rien ? Pas si sûr.

Une première fois se doit d'être vécue complètement, pouvoir en éprouver le meilleur en s'en faisant un merveilleux souvenir pour se construire ou bien une leçon dans le cas où cette première fois ne serait pas idéale (« ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort »).

Une dernière fois, c'est déjà plus compliqué car, sauf dans un cas de perte, on ne sait forcément pas que ce sera une dernière fois. Si la prochaine éclipse de soleil a lieu dans 70 ans alors que vous en avez 60, il est certain que vous devrez en profiter vraiment : c'est la dernière fois que vous en serez témoin. Mais ce coucher de soleil parfait en charmante compagnie, rien ne laisse présager que vous n'en vivrez pas d'autres.

Une visite à un ami, un proche, sur son lit d'hôpital en phase terminale, aura un air d'adieu. Alors que la plupart du temps on entend cette phrase écoeurante « il était encore en pleine forme la dernière fois que je l'ai vu ».

Pourquoi ne pas vivre ces dernières fois dont on ne sait pas si elles le sont vraiment, comme des premières fois à rebours. En profiter au maximum. Toujours rester optimiste. J'entends parfois cette phrase triste à pleurer : « la dernière fois que je lui ai parlé, c'était pour l'engueuler ». Etre capable de se dire que tout ce qui nous arrive est original en y décelant ce qui est inédit et beau. Les petits plaisirs de la vie. Mis bout à bout, ils peuvent s'ériger en un magnifique monument.

Quand j'étais petit, j'écoutais le Hit-Parade diffusé à la radio. L'animateur avait bien saisi qu'il était plus intéressant pour ménager le suspens de décompter à l'envers le classement. Du dernier au premier. Au risque, toutefois peu probable, que l'auditeur passe de vie à trépas avant que ne lui soit révélé le numéro un. Mais la vie n'est pas un Hit-Parade. Il n'y a pas un numéro meilleur que l'autre.

6 Juillet - L'art du renoncement

La philosophie bouddhiste est riche en réflexions sur le bien être. Toute l'énergie et l'intelligence que nous, occidentaux, avons mis dans la technologie et les réalisations matérielles, eux l'ont employé à comprendre le meilleur moyen de vivre en paix, débarrassé de toutes ces petites contrariétés qui nous pourrissent la vie. Plutôt que s'extérioriser dans des constructions, certes magnifiques, mais finalement assez vaines, faire un travail sur soi-même et nos rapports aux autres. Bien entendu, cela est moins osxtensible que des ponts et des cathédrales, mais cela est plus respectueux, à la fois de chaque personne et de la Nature en général.

Ce travail sur soi est plus gratifiant que manier la pelle et la truelle.

L'une des réflexions, j'oserais même dire l'une des techniques censée nous détacher des emprises du quotidien, c'est le renoncement.

Krishnamurti, grand penseur, un peu trop vite catalogué « new age », ne dit rien autre chose que prendre du recul par rapport aux choses et ne s'intéresser vraiment qu'aux sentiments, aux émotions : les vrais leviers d'une vie simple et naturelle.

Apprendre à renoncer, à ne pas s'entêter dans une voie sans issue est la clé, une des clés du bonheur. Du moins, un poids ôté de nos consciences. Bref, du stress en moins. Ce lâcher-prise demande, paradoxalement, un grand courage. Il est, en effet, moralement plus difficile de faire demi-tour sur le chemin de l'objectif que l'on s'est fixé. Et cela est d'autant plus dur que l'on est porche du but. Pourquoi renoncer à boucler un marathon lorsqu'on aperçoit la ligne d'arrivée ? Pour la simple et bonne raison que, si l'on continue, si l'on dépasse ses limites, la satisfaction immédiate ne soit entachée de complications physiques ultérieures. Cela est plus parlant en haute mer ou en haute montagne, deux univers apparemment opposés, qui se rejoignent dans la façon de les aborder. On est résolument seul et bien minuscule face à cette grandeur inhumaine. Ici ou là, l'homme n'est que toléré, il ne doit en aucun cas se prendre pour un Dieu tout puissant, au risque d'y laisser des plumes.

Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire et se la couler douce, sieste après sieste. Il est gratifiant de se fixer des buts, des objectifs à accomplir. Mais, pour repousser ses limites, encore faut-il commencer par bien les connaître. Savoir jusqu'où on peut aller, ce qu'il est humainement possible de faire sans risquer de détériorer à la fois sa propre personne, mais aussi la vie et le bien-être des autres. Avoir cela à l'esprit lorsqu'on décide d'entreprendre est crucial. Quelles seront les répercussions sur notre entourage, notre environnement direct ? En un mot, laisser cet égoïsme qui nous pousse à dépasser nos limites, pour se concentrer sur la manière d'y parvenir.

On l'a compris, si l'art du renoncement est crucial dans nos actions, nos rêves et nos intentions, il devient primordial en cas de perte.

La vieillesse, la mort sont des concepts face auxquels on ne peut rien. Fatalement, un jour ou l'autre, on ne pourra plus exécuter avec autant de facilité des gestes autrefois simples, mais surtout, il faudra apprendre à accepter le vide laissé par la disparition de ceux qu'on aime.

L'une des meilleures techniques, à mon humble avis, est de considérer le verre comme étant toujours moitié plein. Et même s'il n'en reste qu'une seule goutte, s'y attacher coûte que coûte, plutôt que se lamenter sur tout ce que nous avons perdu.

Se lever le matin comme si c'était notre premier jour et se coucher comme si c'était le dernier. Savoir lâcher prise sur tout ce qui n'est pas à notre portée.

Profiter de chaque instant volé à l'éternité et en faire profiter les autres. Ce n'est pas de la compassion, ni même de l'amour, mais le meilleur moyen pour éprouver le bien en soi.

 

 

29 Juin - Techno 

Au détour d'une question au bac de philo (l'avenir dépend-il de la technique ?), l'indécrottable et radical écologiste dont je revendique l'appartenance la plus intégriste se pose la question qui place un sacré doute dans mes convictions : et si nous nous trompions dans toutes les largeurs ? Si Donald Trump possédait la vérité ? L'avenir de la planète passerait-il par une réponse résolument technique, technologique, informatique. Bref, après l'évolution biologique, une évolution numérique. Et, pourquoi pas, virtuelle ?

Prenons l'exemple de notre Terre.

5 milliards d'années au compteur, mais la bonne moitié dans rien de vivant, puis les trois quarts peuplée de petites bestioles unicellulaires. En réalité, le développement de la vie multicellulaire et, au-delà, d'une certaine forme de conscience, est tout récent. Pourquoi alors ne pas imaginer que l'Evolution ne passe pas par un nouveau palier ?

Il est bien connu que l'humain fait des erreurs. C'est même son mode de fonctionnement habituel pour parvenir à apprendre. On a tous en mémoire ces images de bébés qui essayent de faire entrer des formes géométriques dans des cases prévues. Au bout d'un moment, le nourrisson comprend que la balle ne peut s'enfoncer que dans le trou circulaire.

Le problème avec l'humain, c'est qu'il pense rectifier ses fautes en utilisant la technique. Soit un mécanisme inventé par lui-même, donc intrinsèquement porteur d'erreurs.

Il fait froid : faisons du feu. Il fait chaud, inventons la climatisation. Il pleut : trouvons l'idée du parapluie. Le soleil brille : barbouillons-nous de crème solaire. A chaque fois, une réponse technique, technologique et, dorénavant, numérique, artificielle, pour nous tirer d'affaire. Il ne se remet pas en question, ne s'adapte pas une seule seconde : il adapte son environnement à ses souhaits.

Plutôt qu'aller chercher ce que la nature propose qui, par définition, comporte moins d'erreurs, puisque ces fameuses erreurs ont été évacuées lors de l'Evolution, nous nous ingénions à trouver par nous mêmes des solutions... qui posent toujours de nouveaux problèmes. Un cercle vicieux sans fin.

Chaque réponse technique augmente même le désordre, le chaos, l'entropie générale. Comme si, pour boucher un trou, on en creusait un plus grand encore. Une vertigineuse descente vers un cataclysme annoncé.

Et pourtant. Qui peut prétendre que la technique ne peut pas dominer la Nature ? Il est parfaitement possible que les machines se substituent à l'organique, créant ainsi une nouvelle forme de vivant. Numérique à la place du biologique.

Une planète débarrassée de toute vie biologique, sans arbres, sans plantes, sans animaux. Plus aucune cellule, juste des circuits imprimés.

En revanche, dans un univers régit par la technologie, les formes vivantes risquent de disparaître. Or l'humain est une forme vivante.

 

 

22 Juin - Une vérité 

 

Etant donné que le mois de Juin semble l'apothéose des grandes questions philosophales réunies lors du sacro-saint examen du baccalauréat, voici l'un des sujets 2025 : la vérité est-elle toujours convaincante ?

 

Il convient déjà de déterminer ce que l'on entend par vérité. Cela semble si évident qu'on ne se pose pas la question. Quand j'ai un doute sur une évidence, j'ouvre un dictionnaire. Il est des mots, des concepts que l'on utilise quotidiennement qu'à force on en oublie le véritable (!) sens, la portée radicale, la juste définition.

Donc, Vérité :

Adéquation entre la réalité et l'homme qui la pense.

Connaissance, ou son expression, conforme aux faits réels tels qu'ils se sont déroulés.

Proposition ou idée qui emporte l'assentiment général.

Sincérité.

Expression artistique fidèle de la nature.

Cinq propositions pour un mot qui exclut, à priori, toute tergiversation. Donc quatre de trop. On rencontre le même paradoxe pour le concept, finalement assez flou, de Liberté. Cela devrait claquer comme un coup de fouet ou une paire de claques.

Reprenons chaque acception, l'une après l'autre, afin de découvrir, peut-être, la lumière parmi les ombres.

Cette concordance entre la réalité et la pensée qu'en a l'homme pose déjà un problème. Une image de cinéma peut entrer parfaitement dans cette signification : les images ne sont pas un rêve : elles sont bien réelles puisqu'elles existent par elles-mêmes. Ainsi un personnage qui meurt, meurt vraiment. La réalité est copiée, singée. Aidée par la technologie, toujours plus précise, rigoureuse et, d'une certaine façon, oui, véridique, les images peuvent passer pour la réalité.

Finalement, tout comme nos rêves : lorsque nous rêvons, nous ne savons pas que nous rêvons (à quelques exceptions près).

Il convient donc de réduire la vérité au seul réel et non sa représentation, même si celle-ci est parfaitement fidèle.

La seconde définition semble plus précise : la connaissance conforme aux faits. On appelle cela l'Histoire. Ou, pour notre époque moderne, le journalisme. Relater ce qu'il se passe d'une manière objective. Mais comment être parfaitement neutre ? En physique quantique, on sait que certains électrons changent de propriétés dès qu'on les observe. Il en est de même à partir du moment où quelqu'un relate quelque chose. Mettre des mots sur une scène banale tend déjà à l'interpréter. Le poids des mots, même s'ils sont précis et adéquats, peut avoir des résonances différentes en fonction du lecteur. Un même texte sera « traduit » d'une façon différente, selon l'expérience et la façon de penser d'une personne ou d'une autre. C'est encore pire si l'on filme. On croit, à tort, que les images ne mentent pas. Rien n'est plus faux. Une lumière, un angle changent de beaucoup la donne. Le cadrage et le mouvement de la caméra ajoutent encore à l'interprétation.

La vérité du réel ne peut être appréhendée seulement si on la vit soi-même. Si l'on en fait l'expérience directe, sans intermédiaire. Et encore.

Un même trajet, une même rencontre, un paysage identique seront vécus différemment selon notre état d'esprit à un moment donné. Nos émotions influent sur nos sens. Nous ne sommes pas des ordinateurs, mais constitués de cellules biologiques qui naissent et meurent. Un corps en éternel changement, pas une simple suite immuable de 1 et de 0. Notre conscience est un terrain extrêmement mouvant, tout comme notre mémoire. A elles deux, elles brouillent carrément les cartes.

La troisième assertion est, je crois, la pire et je ne comprends pas comment madame Larousse ou monsieur Robert ont pu se laisser aller à une telle absurdité.

Proposition qui emporte l'assentiment général. Cela revient à dire qu'au XIXème siècle, il était vrai de considérer l'homme noir comme inférieur et au XXème, en Allemagne et ailleurs, tenir les juifs pour responsables du désordre économique. Pas la peine d'en rajouter, cela sent déjà mauvais.

Sincérité reste le synonyme le plus fidèle à la vérité. Evacuer tout mensonge, aller au fond de sa pensée, sans détour, être franc et direct. Cette vérité, on l'aura bien vite compris, est impossible à mettre en place en société sans devoir s'étriper à la moindre occasion. Un concept idéal, mais non applicable. Une ligne d'horizon que l'on atteint jamais.

Enfin, l'expression fidèle de la nature.

La nature et la vie ne mentent pas. Ce n'est pas une vue de l'esprit ni même une conscience supérieure. C'est tout simplement des mathématiques, plus précisément des lois de probabilités.

En 13 milliards d'années dont 5 consacrées au développement de la vie sur Terre (et ailleurs?), la Nature a largement eu le temps d'essayer, non pas toutes les possibilités, mais un grand nombre. Les erreurs disparaissent d'elles-mêmes. Ne demeure que ce qui fonctionne. Si tout est si étroitement imbriqué, si une telle diversité se montre à chaque recoin, c'est uniquement parce que « ça marche ».

La vérité serait donc l'expression de ce qui fonctionne à grande échelle.

Si l'on tire au sort deux nombres parmi plusieurs millions, on a toutes les chances de ne jamais tomber sur les deux mêmes. Pourtant la probabilité existe. L'une est toute aussi réelle, donc vraie, que l'autre. Est-ce à dire que sortir deux fois de suite le 3 parmi un million de jetons est moins vrai ?

 

 

15 juin - Droit de mourir

 

Peut-on être, à la fois, contre la peine de mort et pour l'avortement ? Ou l'inverse.

Il semblerait même que ce paradoxe soit la généralité.

Avant même de se pencher sur notre légitimité à décider de la vie d'autrui, essayons de définir de quoi on parle.

La vie d'un homme ou d'une femme, c'est assez clair. Cependant, nous ne nous valons pas tous. Personne n'aurait eu de regrets si Henry Tandey, le soldat britannique qui eut la possibilité de tenir en joue un soldat allemand à la fin de la première guerre, eut appuyé sur la gâchette. Il aurait assurément changé le cours de l'Histoire.

Un Prix Nobel est, qu'on le veuille ou non, d'une importance plus grande pour la société. Un simple médecin, un pompier, un professeur, apportent davantage au bien-être général qu'un simple vendeur de sandwiches ou un fabricant d'écrous. Si la valeur, l'importance, l'influence de certains dépasse celle d'autres, moins méritants, moins chanceux, moins importants, est-ce une raison pour décréter la mort de l'un d'entre nous ? Même Hitler ou Staline ne méritaient pas la mort. Nous ne choisissons pas notre naissance. Nous pouvons, en revanche, choisir de quitter la vie. Cela devrait être un droit. Mais un choix qui n'appartient qu'à la personne concernée. Du reste, la logique de l'oeil pour œil dent pour dent voudrait qu'un meurtrier soit tué. Ainsi, le bourreau mériterait la peine capitale. Sans fin.

D'autre part, qu'est-ce qu'un homme ?

A quel moment la conscience nous vient-elle ?

Pour le Talmud, un fœtus n'est pas considéré comme un être vivant. Un bébé ne commence à rêver que vers trois ans, il ne parle pas avant deux ans. Autrefois, on ne s'alarmait pas outre mesure de la mort d'un nourrisson. Avant qu'il ne puisse être d'une quelconque utilité à la ferme, il n'était qu'une bouche supplémentaire à nourrir sans rapporter de labeur en contre-partie. La disparition d'un enfant en âge de travailler était beaucoup plus considérable.

Pourtant, la graine est indispensable. Sans elle, pas de fleur, pas de fruit. Ce devenir rend la larve primordiale.

La loi a fixé à douze semaines le délai pour effectuer un avortement. C'est parfaitement arbitraire. Dès lors que la fusion entre le spermatozoïde et l'ovule a lieu, tout un processus est enclenché. Cela revient à penser qu'il y a une progression linéaire. Donc, un enfant, un adolescent, voire un adulte qui ne se sont pas encore révélés, matures et devenus utiles à la société, ne peuvent pas être considérés comme des personnes à part entière. Ils ne sont pas responsables d'eux-mêmes, à plus forte raison des autres.

Elargissons le débat : moralement, il est indécent de tuer un chien ou un cheval, mais personne n'ira vous dénoncer pour avoir écrasé une simple mouche ou éradiqué moustiques, araignées, vers de terre par paquets de douze...

Le problème posé est avant tout d'origine culturelle : on peut être parfaitement contre l'avortement et pour la peine de mort. Le fœtus ne décide pas, un homme en pleine possession de sa conscience, si. S'engage alors le principe de responsabilité. Nous sommes tous redevables de nos actes. Un fœtus ne peut l'être. Mais un enfant non plus, du moins au regard de la loi. Aurions-nous, comme par le passé, tous les droits sur nos enfants ?

Dans les deux cas se pose une autre question, celle de l'influence d'une vie. Le meurtrier risque de recommencer à tuer ; le foetus risque de naître et grandir dans des conditions déplorables. Est-ce leur rendre service de supprimer d'une manière radicale un penchant criminel dans un cas et une vie de désolation dans l'autre ? Des exemples de rédemption existent, sans aller chercher d'improbables Jean Valjean ; des personnes parviennent à s'extraire de conditions familiales épouvantables. Dans un cas comme dans l'autre, il n'existe pas de solution idéale, de remède miracle.

 

 

8 juin - Troisième voie 

Depuis que l'homme a décidé de vivre en communauté, constituant la civilisation telle que nous la connaissons, il n'a eu de cesse de trouver le meilleur système pour organiser les règles et les lois du vivre ensemble.

La première solution découle du principe de la meute, de la tribu : un pouvoir central, hiérarchique, paternaliste, monarchique. Le principe de caste où chacun est et doit rester à sa place, exécutant son devoir et son labeur pour conforter la société dans laquelle il a forcément sa place. Pas d'exclusion, mais aucune liberté non plus. L'ascenseur social ne peut exister. Cette solution, que l'on retrouve naturellement chez la plupart des insectes, notamment les fourmis, où chaque individu peut être considéré comme une cellule constituant une entité plus large, qui dépasse l'entendement de chaque partie du tout, est d'une logique imparable. Tout le monde œuvre sans connaître ni se soucier vraiment du but général. Il n'y a pas de place pour les individualités, les artistes. Sont-ils tout juste tolérés, n'étant pas essentiellement utiles au groupe. Ils se réalisent eux-mêmes, s'épanouissent dans leur activité, mais leur contribution est futile : chacun étant à sa place, effectuant sa partition, nul besoin de loisirs. C'est une société purement fonctionnelle, dans laquelle la superficialité n'existe pas, elle risque même de troubler, de distraire le bon fonctionnement des rouages. Dans une telle structure, rien n'est laissé au hasard, à la contemplation, au jeu. Ainsi l'enfant passe directement au statut d'adulte. L'enfance est même, dans certains cas, réduite au minimum : le temps du sevrage. Dès que l'enfant peut être utile, il travaille. Pas de place pour la cogitation. On évite ainsi les débordements existentiels, les désordres psychologiques ou psychiques. Pas de le temps de penser lorsqu'on travaille dès l'âge de 8 ans. L'individu n'existe pas et l'esclavage, à quelque niveau qu'il soit, a naturellement sa place.

Mais l'humain possède un cerveau plus gros, plus élaboré, aux multiples connexions. Il a besoin de sens. Se sentir différent, à part, unique. Sa pensée ne peut être bridée. A un moment ou à un autre, il deviendra individualiste. Il pensera à sa condition. A force d'y réfléchir, il voudra s'épanouir. Ne plus être un simple rouage du groupe. En faire partie, certes, mais en connaissance de cause. Organiser une telle société est forcément une gageure. J'aime assez à comparer cette situation au couple. Avant la seconde guerre mondiale, l'amour n'était pas nécessaire pour former un couple et fonder une famille. Sans même parler des mariages arrangés, bien souvent il ne suffisait qu'une simple inclination de l'un ou l'autre partenaire pour former davantage une cohabitation, une association que vivre une véritable passion assouvie.

La bourgeoisie, afin de renverser l'aristocratie, s'est servie de cette aspiration à l'individualité de chacun pour parvenir à ses fins lors des Révolutions françaises et anglaises, tandis que la Révolution d'Octobre serait, en quelque sorte, une tentative de retour à un système de caste, monarchique, où l'administration remplacerait le seigneur et où cet élan communautaire ressemblerait à une fourmilière dont le but général échappe à ses constituants.

Dans cette seconde voie, celle du libéralisme, tout est, à priori, possible. Rien n'empêche quiconque de s'élever, d'échapper à sa condition première. L'audace, plus que le travail et la chance plus que le mérite sont les atouts majeurs d'une société demeurant encore inégalitaire. Les différences ne sont plus le fait d'une naissance, mais de la richesse – ce qui, dans la plupart des cas, revient au même. Paradoxe de ce monde dans lequel nous vivons : nous sommes tellement libres que nous ne nous apercevons pas que nous sommes, en réalité, prisonniers de notre mode de vie. Trop de choix supprime la possibilité même de choisir : plus besoin de censure. Un choix reste possible entre deux ou trois solutions, mais se corse nettement lorsque des centaines, des milliers de propositions nous sont offertes. Nous nous en remettons à d'autres, conseillers, spécialistes.

Il est alors impossible de tout maîtriser. La spécialisation devient obligatoire dès lors que la société se complexifie. D'autre part, l'enfance et l'adolescence s'allongent démesurément. Pour atteindre cette spécialisation, le temps de formation est plus long. Cette déresponsabilisation, imposée par une foule d'assurances diverses, nourrie par tant de conseillers, nous infantilise. Nous n'atteignons quasiment jamais le stade adulte. D'où ces régressions que l'on observe quotidiennement. Nos goûts restent ceux d'enfants qui ont grandi physiquement, mais à peine psychologiquement et surtout psychiquement.

Une telle société permet et demande la présence de nombreux artistes, le temps des loisirs est décuplé, afin de satisfaire nos égos. Notre cerveau nous demande de trouver du sens à nos vies alors qu'elles n'en ont pas davantage que dans un système centralisé, monarchique. Combien de gens détestent-ils leur travail, engendrant un stress plus profond que celui qui résulte d'un emploi de caste. Car, malgré les nombreux conditionnements dont notre société si complexe nous gratifie, on ne peut nier que nous avons le choix. Dans nos habitudes de consommation mais aussi dans la voie que nous faisons prendre à nos vies. C'est d'autant plus désolant que s'apercevoir que nous ne faisons que rarement ce que nous voulions réellement faire au départ. Des rêves brisés.

Alors, paternalisme ou libéralisme, n'y a-t-il aucune possibilité de concilier nos individualités et cette incapacité dans laquelle nous sommes de vivre en groupe?

Il existe pourtant une troisième voie. Jamais (ou alors très rarement et sur un laps de temps très court) l'humain ne l'a expérimenté. Et pour cause.

Dans nos gènes, il existe un puissant levier : celui du pouvoir. Aucun humain, si tendre et sage soit-il, ne résiste à éprouver un brin d'autorité. Pouvoir exercer son influence sur autrui. Le principe de la meute et du mâle dominant, fortement inscrit dans notre patrimoine. Nous devons nous extraire de cette simplissime façon de voir les choses et tendre vers le mutualisme et le fédéralisme.

Constituer nos sociétés comme autant d'entités composées de cellules, cellules autonomes mais devant sans cesse échanger et interagir avec leur milieu. Des petites structures, pas forcément individuelles (l'auto-entreprise), mais à taille humaine, familiale. Capables de s'auto-gérer, sans actionnaire extérieur – les composants seraient leurs propres actionnaires – et échangeant continuellement avec leur environnement. Cela implique le recyclage, mais aussi une certaine autonomie et une mutualisation. Ne plus appliquer la loi de la jungle, mais au contraire, tendre vers le même but en étant complémentaires. Se compléter, s'aider au lieu de se battre. De là, un fédéralisme afin que l'anarchie ne s'impose pas d'elle même. Une société cohérente, donc, respectant les mêmes lois, les mêmes règles, mais un vrai kaléidoscope de diversité économique, impliquant chaque maillon, intéressant chaque emploi, donnant du sens à la vie au travers d'une activité essentielle pour la communauté. Chacun pouvant choisir sa place, éventuellement en changer au cours de sa vie, sans plus imposer cette volonté d'être le premier, mais vouloir, en revanche, devenir le meilleur. Ne plus désirer être plus fort que son voisin, mais éprouver une émulation tendant à devenir plus fort soi-même. L'excellence pour le bien de tous. Une reconnaissance en guise de salaire.

 

 

1er Juin - De la capacité à s'émerveiller

Selon la sagesse populaire, l'argent ne fait pas le bonheur. Cette maxime peut s'entendre comme une sorte de consolation pour tous les exclus, mais surtout elle révèle que le secret du bonheur n'est pas dans l'accumulation de biens matériels. Cela peut, tout au plus, combler un manque, en aucun cas exalter une vie comblée.

Il existe pourtant une solution pour s'enrichir de ce qui ne s'achète pas : assouvir tous ses sens. Cette capacité à s'émerveiller commence par savoir observer autour de soi, écouter notre environnement sonore, sentir, goûter et toucher. A la façon d'une Amélie Poulain, être capable d'apprécier la simplicité des choses – et on s'apercevra très vite de leur incomparable beauté. De là naîtra l'émotion sans laquelle la vie ne vaut d'être vécue.

Cela commence par le premier et le plus utilisé de tous : la vue.

La beauté est partout autour de nous. La Nature étant le plus doué de tous les artistes. Elle a eu, pour cela, des milliards d'années pour façonner, détruire et recommencer encore et encore cette formidable œuvre qu'est notre planète. Essayer tant et plus, dans tous les domaines : minéral, floral, animal. Jusqu'à développer une forme de conscience. Comme un joueur de loto qui aurait eu le temps de cocher toutes les combinaisons possibles : il ne peut que gagner.

Savoir observer le moindre indice de cette beauté universelle est à la portée de toutes et tous. Les enfants sont particulièrement réceptifs à s'émerveiller pour un rien. Peut-être parce qu'ils ont gardé cette innocence, cette naïveté des premières fois.

Le vol d'une libellule, le jeu des animaux sauvages ou domestiques, la course poursuite entre le corbeau et la buse, mieux que Top Gun. Cette sagesse dans l'oeil de l'éléphant, l'harmonie parfaite de la nage du dauphin, le vent dans les feuilles. Cela commence au coin de notre rue, à deux pas de chez soi. La démarche d'une petite veille, la façon de courir, jamais la même, de chaque jogger, cette maman qui dit au revoir à son gamin devant la porte de l'école, ces amoureux qui se tiennent par la main, ce vieil homme pensif...

On ne sait plus écouter, privilégiant trop nos yeux – qui nous mentent le plus souvent. En les fermant, on parvient très vite à retrouver une autre architecture. Les sons possèdent un contraste, ils remplissent l'espace, nous renseignent sur le proche et le lointain. Ils sont la musique du banal, du quotidien. Si l'on s'éloigne des bruits de la civilisation, on parvient à discerner les sons, parfois subtils, de la vie.

Nous avons oublié les odeurs à force de les multiplier à outrance. Des lessives parfumées qui finissent par empester dix mètres à la ronde alors que les porteurs de vêtements ne sentent même plus, des parfums en excès et je ne parle pas de toutes ces fragrances issues de l'industrie pétrolière, à commencer par les gaz des pots d'échappement. Ouvrir nos narines permet de découvrir un autre monde.

Même constatation pour le goût, saturé en sucre et en sel dans les diverses préparations proposées au rayon surgelé ou dans des restaurants de mal bouffe, afin de masquer l'absence du véritable goût des bons produits – ou par obligation de conservation.

Retrouver le vrai goût des aliments en les préparant soi-même avant de les déguster et non plus de simplement les avaler à la chaîne. Moins ingurgiter pour mieux manger.

Enfin, ce sens primordial, celui qui est la base de tout échange avec les autres et notre environnement proche : le toucher. Nous ne savons plus utiliser la peau de nos doigts. Trop peur d'un contact trop proche. Bien avant le Covid, nous avions déjà mis en place une distance de sécurité inconsciente. Pour nous protéger de quoi ? De quelle intrusion ? Paradoxalement, les attouchements non désirés existent encore. On ne sait plus correctement faire l'amour. Cela commence à donner du plaisir, pas en prendre. Car, après avoir emmagasiné tant de beautés, de splendeurs, il convient d'en faire profiter les autres. La seule façon quasiment de donner du sens à nos vies.

25 mai - Jouons !

En observant attentivement les animaux, on constate que leurs journées se divisent en trois parties : trouver de la nourriture, dormir et... jouer.

En général, les animaux ne font pas la guerre. Certains luttent d'arrache-pied pour conserver leur territoire ou se remplir l'estomac, mais la plupart du temps les scènes d'intimidation s'apparentent au jeu – y compris chez les mammifères de meute où la hiérarchie fonctionne en opposant ses muscles à ceux des autres candidats.

D'une manière générale, le jeu est omniprésent dans la vie des jeunes mammifères, y compris et avant tout, chez l'humain.

Un enfant n'a qu'un but dans la vie. Pas celui de gagner plein de pognon, ni celui d'être célèbre, pas plus celui se séduire quiconque.

Jouer. Jouer pour mieux se connaître. Jouer pour apprendre. Jouer pour se tester. Jouer pour établir des liens. Jouer pour exister.

Jouer permet de tester différentes situations qu'il n'est pas possible de recommencer dans la vie. Puisque nous n'avons qu'une vie, chaque choix est définitif. Il sera impossible de les répéter. Le jeu permet toutes les possibilités pour s'entraîner à la vie et c'est en cela qu'il est crucial pour les enfants. Le jeu est la meilleure école.

Le jeu permet aussi d'optimiser les rencontres. Lors d'une partie, on apprend bien davantage sur un inconnu que vivre à ses côtés pendant toute une semaine. Les ressorts mis en œuvre pour participer à une partie offrent de se dévoiler, tout en gardant cette pudeur : tout étant pour de faux mais avec une bonne dose de sincérité.

Le jeu demande réflexion, concentration, adaptation mais, avant tout, il crée des liens. Que la partie soit offensive : on se bagarre pour gagner, ou mutualiste : on lutte pour gagner ensemble (je pense notamment à l'excellent jeu Pandémie), c'est une tranche de vie concentrée – un peu comme le cinéma ne retient que le meilleur de la vie.

En conclusion, fuyons les clubs de rencontre et les boites de nuit (après tout, la danse est AUSSI un jeu) et inventons des endroits où jouer, c'est à dire : n'importe où, n'importe quand.

 

18 Mai - Super pouvoirs

De Harry Potter aux héros Marvel, on a tous quelque désir de super pouvoirs au fond de nous.

Petit revue d'extravagances.

1. Que tout ce qu'on touche se transforme en or.

Pratique pour qui n'aime que les richesses et tout ce qui brille, mais, tel le personnage mythique, on en finit par mourir de faim – personne n'est jamais parvenu à digérer le métal précieux !

Savoir voler. Je dois reconnaître que ça doit être grisant de pouvoir nager dans les airs, avoir un autre point de vue sur les choses. Mais cela nécessite une paire d'ailes et il faut bien parvenir à les ranger quand on évolue sur terre. Se balader constamment avec un volumineux sac à dos, merci. D'accord, Superman n'a pas d'ailes et ça ne semble pas lui poser de problème pour fendre les airs. Après tout, une fusée n'est qu'un gigantesque suppositoire. Toutefois, en quelques heures d'exercice, on parvient quasiment au même résultat avec un parapente. Maintenant, utiliser le vol pour son côté pratique (fini les embouteillages), mieux vaut ne pas trop y penser : le ciel est déjà suffisamment encombré (lignes à haut tension, avions de tourisme).

Devenir invisible. Belle idée qui permet de se faufiler partout sans que personne ne le sache et, au passage, pouvoir entendre ce que l'on dit dans notre dos. Seulement, à part assouvir les répréhensibles tentations de voleurs en tout genre, passer inaperçu implique forcément que vous n'existez pas au vu des autres. On risque donc de vous marcher dessus ou de vous assommer sans sommation. D'autre part, il n'est pas certain que partager ces confidences soit une si bonne idée. Savoir ce que l'on pense de vous, peut-être, mais il n'est question, ici, que de découvrir ce que l'on dit de vous à autrui : il y a autant de chances qu'on lui mente qu'à vous même.

4. La téléportation. J'avoue que celui-là me tente vraiment. Pouvoir se trouver où l'on veut quand on veut, voilà vraiment une capacité intéressante. Découvrir le monde entier dans un claquement de doigts. Etre avec des amis situés loin de soi, profiter d'autres lieux, d'autres cultures. Il est difficile d'y trouver un défaut. Excepté, peut-être, le principe même du voyage : aller d'un point A à un point B. Le plus court chemin serait la ligne droite, le raccourci. Mais un raccourci est aussi le moyen le plus stupide de voyager. Comme de prendre l'autoroute. C'est le trajet qui est important, ce lien qui unit les lieux comme l'amitié et l'amour sont les liens qui unissent les humains.

Devenir immortel. Sûrement le désir numéro un de l'humanité. Cela rassure face à notre ancestrale peur de la mort, donc de l'inconnu. Reste que la mort est bien pratique. En devenant immortel, vous allez devoir pleurer la mort de tous vos proches et sûrement ne plus rien comprendre à la société moderne, ne plus savoir vous servir de toute cette technologie, ne plus être en accord avec les idées du temps, ses mœurs, ses habitudes. Il faudrait alors que TOUTE l'humanité devienne immortelle. Mais, à ce moment là, l'ennui guette, si plus rien ne change. Un ennui... mortel !

Tout savoir. Avoir réponse à tout. Tout comprendre. Devenir une vraie encyclopédie. Brillant en société, être capable de tout déchiffrer, parler toutes les langues du monde, déchiffrer n'importe quel mode d'emploi, même plus besoin de plan, de carte. Omniscient par nature. Mais cela implique de connaître aussi toutes les choses moins belles, d'être au courant de chaque fait divers, savoir comment et pourquoi on licencie, on torture, on tue, on pollue. Connaître toute la beauté du monde, mais aussi toute sa laideur. Largement matière à ne plus pouvoir dormir.

7. Que notre volonté soit faite. En un mot : devenir Dieu. En pensant simplement aux choses, elles se réalisent. Grisant. L'ultime force, qui englobe, par définition, TOUS les autres pouvoirs. Le but suprême. Mais, quelle responsabilité, grands Dieux ! Le vrai pouvoir, confiait Oscar Schindler à un SS directeur de camp de concentration, c'est avoir le pouvoir de tuer... et ne pas le faire. Le pardon. A ce moment, oui, ça peut être pas si mal.

 

 

11 Mai -  A qui appartenons nous ?

Depuis l'abolition de l'esclavage, il va de soi que nous sommes maîtres de nous mêmes.

De nos vies, de nos corps, de nos choix.

C'est aller un peu vite, n'est-ce pas ?

Notre corps nous appartient, c'est une réalité. Je suis capable d'aller à droite ou à gauche, me lever ou rester couché. Soit.

Mais commençons par parler de la maladie qui empêche certains choix. Une première entrave.

La seconde, et de taille, concerne nos proches. Nous avons des devoirs envers eux. On ne peut pas tout plaquer, sans le risque de les laisser démunis.

Ainsi, la question du suicide apparaît sous un nouveau jour et comme un formidable acte de lâcheté. Cette prétendue liberté absolue de pouvoir mettre fin à ses jours n'est-elle pas, au final, un renoncement à nos choix. Après tout, nous n'avons pas contribué à vivre. Cette étincelle nous a été donnée par d'autres. Nous nous sommes contentés de respirer un grand coup le jour ne notre naissance. Mais nos poumons, notre cœur n'ont que faire de notre volonté pour fonctionner. C'est une machine qui s'auto-alimente.

L'immense avancée de la condition féminine est liée à pouvoir librement choisir leur sexualité. Pour un homme, tirer un coup ne prête pas à conséquence. Pour la femme, il existe depuis toujours le risque d'avoir une grossesse non désirée. En cela, les hommes auront toujours du mal à comprendre certains points de vue. Pour eux, pour nous, le rapport au corps est foncièrement différent. C'est juste une machine qu'il faut essayer de maintenir en bon état de marche, sans plus s'en préoccuper davantage.

Bien sûr, notre corps nous appartient. Un peu moins déjà lorsqu'il est épaulé ou perturbé par des produits (médicaments, cigarette, boisson, drogues diverses). Mais notre esprit ? Vivant en communauté, nous sommes tous, sans exception, soumis à un conditionnement impitoyable.

Ce devoir d'être présent pour les autres, en particulier quand on devient parent. Nos vies ne nous appartiennent pas vraiment, à moins de se conduire comme le plus pur des égoïstes, en parfait salaud.

Et même dans ce cas, nous sommes influençables. Sauf à pratiquer la méditation bouddhiste, il sera difficile, voire impossible, de se détacher complètement des choses, des gens, de notre milieu, de nos sentiments.

Si le débat sur l'euthanasie est en train de pencher du côté du choix des patients, c'est uniquement parce que tout le monde a bien compris qu'il n'y avait plus d'autre issue, que c'était notre dernier choix, que nous ne serions plus utile à quiconque, après.

Mais il existe des gens qui ne sont utiles à personne, du moins qui le pensent si fort qu'ils s'en persuadent. Ceux là sont bien vulnérables.

Ca commence dans notre travail. Combien de personnes le vivent mal, non pas par les difficultés et la fatigue qu'il occasionne, mais bien plus par l'absence de sens qu'il véhicule.

Redonner du sens à sa vie, c'est prendre conscience d'être utile. Simplement utile. Savoir que, sans nous, quelque chose irait moins bien, qu'un manque existerait quelque part, pour quelqu'un.

J'ai toujours pensé que le port de la ceinture de sécurité au volant, mesure dont tout le monde s'accorde à ne pas remettre en cause depuis 50 ans, j'ai toujours eu l'intime conviction que c'était la mesure la plus stupide qui soit. Car, en fin de compte, la seule victime est celle qui refuse de la boucler.

 

4 mai - Question de choix

S'il y a quelque chose qui m'horripile au plus haut point dans les jeux télévisés, c'est bien cette propension à donner les réponses prémâchées aux candidats sous la forme de choix multiples.

Le choix a laissé place à la décision.

Un simple choix est une possibilité parmi d'autres, comme lorsque l'on fait ses courses dans les rayons du supermarché. On ne décide de rien, en définitive – on nous balade, un point c'est tout.

Un choix n'est que la volonté de déterminer la meilleure (ou la moins mauvaise) solution. Dans le pire des cas, on a une chance sur deux, parfois sur quatre, de se tromper.

Une vraie décision implique totalement notre capacité à choisir, vraiment. Là, les possibilités sont illimitées. Et le choix plus difficile, car il met en question notre volonté, cette formidable faculté à orienter sa vie.

Ces choix ne sont que des béquilles, autant d'attelles qui nous déresponsabilisent. La vie ne se résume pas à choisir entre le fromage et le dessert. La vie, c'est constituer soi-même son propre menu. Nous avons déjà délégué à d'autres le soin de le fabriquer, ne cultivant les produits (comment, dans quelles conditions?) puis de le préparer. S'il ne nous reste plus que la seule alternative entre A et B, qu'allons-nous devenir ? De vulgaires robots pensant tout contrôler, mais ne décidant de rien.

Une volonté assumée, c'est savoir endosser les responsabilités qui en découlent. Nos choix de vie impliquent forcément des renoncements. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Déterminer le meilleur rapport entre ce que l'on veut, ce que l'on désire et notre impact sur l'environnement d'une part, et sur les autres surtout.

La liberté personnelle s'arrête là où commence celle des autres. Rien de plus vrai, mais il est quasiment impossible de se priver des autres. De leur savoir, de leur savoir-faire, leur expertise, leur aide, leur présence, tout simplement. On choisit ses amis, plus rarement sa famille. On peut tout juste composer avec elle. Du reste, choisit-on réellement celles et ceux avec qui l'on vit ?

Il existe des atomes crochus, c'est certain. Mais pourquoi un ou une plutôt qu'un ou une autre ? Le hasard règne en maître sur nos existences. Certains parviennent à le réduire à de simples choix aux réponses multiples. Mais, est-ce vraiment un progrès de tout vouloir régir ? N'empiète-t-on pas un peu sur les plates-bandes des autres, élargissant notre parcelle de terrain suffisante pour nous permettre de vivre ?

Je peux prendre ma voiture ou un billet d'avion pour assouvir mon désir de liberté. Mais est-ce que j'en supporte réellement les conséquences ?

Comme le battement d'ailes du papillon qui déclenche, par un jeu de causes et conséquences, une tornade à l'autre bout du monde, nos choix ne sont pas gratuits. Ils ont un coût. Est-on enfin prêts à l'assumer ?

 

27 Avril - Niveaux de lecture

 

Il existe, à mon avis, trois niveaux de lecture.

Une fois passé le cap de l'ânnonement du CP, on s'oriente pour commencer vers les lectures faciles (beaucoup de dialogues, de l'action, un style simple et efficace ou... pas de style du tout, façon journalistique). Cela convient durant les premières lectures, mais très vite, on se rend compte, notamment à la relecture, donc en connaissant la fin de l'histoire (le fond), qu'il faut quelque chose en plus : le style (la forme). Cet habillage permet de lire et relire constamment la même histoire et d'y découvrir, à chaque fois, quelque chose de neuf, comme un paysage toujours changeant sous une lumière différente... ou des émotions particulières.

Cette seconde phase se complaît dans les grandes (et parfois lourdes) phrases, comme un gastronome raffole des plats de haute volée, sauces, préparations alambiquées, beaucoup de tralala pour assouvir sa faim et sa soif de grandiose. On recherche l'excellence, inaccessible sans une haute technicité. De telles réalisations demande un savoir-faire et une expérience que peu peuvent posséder. Pourtant, ce n'est pas le talent, à mes yeux.

A trop vouloir s'empiffrer, même de mets préparés à la perfection, on frôle l'écoeurement. Alors advient le troisième niveau de lecture : l'épuration.

Foin des préparations alambiquées, des sauces que seuls les grands chefs sont capables de composer, après avoir suivi un parcours initiatique particulièrement rigoureux. Stephen King prétendait faire la chasse aux adverbes. Il n'a pas tort.

Le vrai talent est l'art de retrouver le goût des mots, comme en cuisine, l'art de sublimer les bons produits sans pour autant les noyer dans trop de technicité. La différence entre l'artiste et l'artisan, en somme.

Comme le disait si bien George Sand : « écrire comme personne avec les mots de tout le monde ».

 

20 Avril -  ... Avec le temps   

Petite expérience de relativité restreinte à l'usage de chacun. On ne se voit pas vieillir puisque les objets et les personnes que l'on voit tous les jours vieillissent en même temps que nous. En revanche, revoir un lieu après tant d'années, ou retrouver un ou une amie d'enfance nous fait prendre conscience du temps qui passe.

Cela tient au fait que notre cerveau corrige sans cesse nos perceptions. Nos sens ne mentent pas. Ils enregistrent, un point c'est tout. Mais notre machine interne interprète sans arrêt. Et c'est très bien comme ça. Imaginez ne plus pouvoir voir un mouvement fluide, mais une succession de 25 images fixes par seconde. Déstabilisant, non ?

Les modifications temporelles sont de la même trempe. On ne s'aperçoit pas des subtiles modifications de chaque jour.

Plongez une grenouille dans une casserole d'eau bouillante : elle s'échappe aussitôt. Trempez la dans une bassine d'eau froide et faites-la chauffer très, très lentement. Lorsque l'eau sera à ébullition, la grenouille ne se sera aperçue de rien.

Nous ne réagissons pas autrement à notre environnement.

Un séisme, une révolution, une guerre et nous sommes choqués. Un lent glissement vers toujours moins de liens, moins d'humanité, ne nous semble pas très grave. Ces changements imperceptibles ne peuvent être détectés par notre cerveau, empêtré dans ses habitudes et sa routine.

Heureusement, il existe des âmes plus aiguisées qui perçoivent ce que le commun des mortels ne peut apercevoir. Ils sont primordiaux. Galilée, Newton, Darwin, Einstein. Tous ont vu ce qui était invisible. Mieux : ils ont vu d'une autre manière la même chose. L'usure du couple participe du même mouvement. Si l'on ne voit pas l'autre vieillir, comment deviner qu'il change, lui-aussi. Pour éviter un tel glissement, il faudrait prendre mentalement une photo et la comparer avec celle enregistrée un, cinq, dix ans plus tôt.

Il en va de même pour la société toute entière. Comparer le monde dans lequel nous vivons avec celui de notre enfance. Mais, attention : le biais de la nostalgie peut brouiller les pistes. Ce n'était pas forcément mieux avant. Mais on était plus jeune, en pleine santé et avec l'avenir devant nous. Dès lors que l'on s'aperçoit qu'il ne nous reste objectivement moins d'années à vivre que toutes celles vécues, quelque chose change.

Il est temps de réagir. De faire un pas de côté. De s'arrêter un moment. Prendre cette photo mentale. Et comparer. Sommes nous toujours sur le bon chemin ?

 

13 Avril - Les tics de langage

Avez-vous remarqué cet emploi intempestif de mots ou d'expressions à tout bout de champ ?

L'utilisation du mot trop, par exemple. A contresens. C'est trop bien. Non. Ca peut être très bien, mais sûrement pas trop bien.

En ce moment, nouvelle déferlante. Du coup.

Censé exprimer une relation de cause à effet, la locution est bombardée au début de chaque phrase.

Il y a quelques années, on rencontrait un « quoi » qui clôturait n'importe quel énoncé. Sans parler du très français « voilà », intraduisible, censé accentuer le propos.

Il y a bien sûr les classiques : le fameux « heu » qui permet de combler une hésitation : pourquoi ne pas alors garder le silence (ou tourner sept fois sa langue dans sa bouche) ? Il y a quelques années, on avait eu droit au « super » agrémenté à toutes les sauces (un « trop » d'il y a 40 ans). Et puis, tous les superlatifs employés si souvent qu'ils en perdent toute leur consistance (génial, énorme, méga). J'ai plus de mal avec le « grave » qui ressemble assez au « trop », beaucoup... trop utilisé.

C'est clair ou carrément m'exaspèrent sauf lorsque Bigard s'en moque (c'est clur : mélange de c'est clair et c'est sûr). Ou que Luchini s'empare du hallucinant en insistant bien sur le S du milieu. Désopilant.

En vérité ou « on ne va pas se mentir » pourraient passer s'ils n'étaient pas le fait de ceux qui ont quelque chose à cacher (n'est-ce pas, Nicolas?).

Parfois, le geste s'ajoute à la parole, notamment l'index et le majeur pour former des parenthèses imaginaires. Ridicule.

Quelque part ressemble au voilà cuisiné à toutes les sauces. Il désigne tout et n'importe quoi. A dégager. Ou simplement le « vous voyez ce que je veux dire » et son cousin « j'me comprends ». Moi, je ne vois pas et ne comprends rien si c'est mal exprimé.

Je me suis toujours demandé d'où venaient ces tics de langage, à l'image des blagues que l'on colporte et dont on ne connaît jamais les circonstances de naissance. Pour l'argot, j'ai bien une petite idée : une façon d'inventer une langue qui ne peut pas être comprise de tout le monde, à commencer par l'establishment, un signe de ralliement, un masque.

Il existe un vocabulaire spécial et précis à toute organisation ou activité humaine. Un paysan n'emploiera pas les mêmes mots qu'un avocat, un artiste peintre ne parle pas comme un peintre en bâtiment. Question d'environnement, de milieu, de culture.

Les esquimaux possèdent 27 mots pour désigner la neige ; à Dakar on n'en a besoin que d'un et même, logiquement, d'aucun.

Plus ardu est l'explication de l'existence des accents. Au-delà du langage, des mots utilisés, propres à des rassemblements humains, au temps où l'on ne voyageait pas.

Tout comme une nouvelle espèce se crée quand elle est séparée de celle dont elle est issue, évoluant de sa propre façon. Le langage serait donc une évolution du parler. Car, à l'origine, l'humain doit émettre quelques simples borborygmes de primates. Son larynx lui offre la possibilité d'articuler avec une formidable précision des sons, d'inventer des mots, ces briques précieuses. Enfin, il va pouvoir distinguer les nuances subtiles et former ses premières phrases.

Je serais curieux de voir comment il s'y est pris. Tout comme le bébé commence par dire maman, puis papa, il a forcément été tenté de nommer ce qui l'entourait et lui importait le plus.

On raconte que le A n'est rien d'autre qu'une tête de bœuf inversée. Pour le paysan – car, à cette époque, l'homme s'était déjà sédentarisé – c'était le symbole de la force. Très révélateur de l'avoir placé en tête de l'alphabet. Pour ma part, j'aurais commencé par le O, symbole du soleil. La vraie énergie, c'est lui. Ensuite, la Terre qui nourrit, puis l'amour qui unit.

Les langages sont donc nés autour du principe de partage et communication au sein d'une tribu. Ils se sont ensuite répandus. Mais pourquoi ces accents si différents qu'ils modifient en profondeur le son d'une même langue ?

Il existe un monde entre un pur Marseillais et un Alsacien de souche, le phrasé lent et rude d'un Savoyard au parlé précipité des banlieues. A l'échelle mondiale, c'est encore plus notable : certains idiomes sont impossibles à répéter. Le TH anglais donne des sueurs froides aux français, la différence entre le SCH et CH allemand demande une subtilité qui n'est pas innée. En revanche, le CH français est la bête noire des indiens tandis que notre R cassant demeure une utopie pour les asiatiques, tandis que nous avons du mal à l'enrouler, façon ibérique.

Ces accents sont la marque d'un terroir, comme le vin ressemble à la terre sur laquelle la vigne pousse. Mais comment ce que nous vivons peut entrer dans notre manière de le concevoir ? La seule explication du mimétisme ne s'applique qu'une fois l'accent créé, tout comme une blague peut faire le tour du monde. Encore faut-il que, un jour, quelqu'un ait eu l'idée de l'inventer. D'où commence un accent chantant ? Peut-être de vivre au soleil, constamment dehors, la voix devant porter davantage. Sa modulation permet de porter plus loin qu'un phrasé monotone et précieux de salon. Ces accents montagnards, traînants, comme le lent pas du berger qui conduit son troupeau à l'alpage. Ces parler paysans, rocailleux à l'image des pierres qui les entourent. Le guttural alémanique, rêche comme un long hiver qui n'en finit pas. Mais alors, que dire du Texan qui avale la moitié des mots et semble parler par le nez (trop de poussière dans l'air?) ou encore l'énigme absolue du Québécois.

 

6 Avril - Je suis

Je suis Africain. Parce que ce sont nos origines.

Je suis Eskimau ; parce que j'aime le froid et la neige.

Je suis Chinois ; parce que leur médecine respecte l'homme, en cherchant davantage le pourquoi au comment.

Je suis Japonais ; parce que je raffole des sushis.

Je suis Russe ; parce que Tolstoï et Dostoeivski.

Je suis Juif et Amérindien ; parce je préfère les victimes aux bourreaux, les persécutés aux tortionnaires.

Je suis Tzigane ; parce je suis nomade au plus profond de moi.

Je suis Italien ; parce que j'aime le soleil et les pizze.

Je suis Irakien ; berceau de notre civilisation.

Je suis Grec ; parce que Socrate et Platon.

Je suis Québecois ; le plus bel accent au monde quoiqu'on en dise.

Je suis Belge ; pour leur sens de l'humour et leur coup de pédale.

Je suis Corse et Palestinien; pour la fierté et l'honneur.

Je suis Australien ; parce que c'est notre inverse saisonnier.

Je suis Tibétain, Népalais, Suisse, Péruvien, Tanzanien, Pakistanais ; parce que j'aime les montagnes.

Je suis Arabe ; pour leur sens de l'accueil, les loukoums et les mathématiques.

Je suis Jamaïcain ; parce Bob M arley et le reggae.

Je suis Polynésien ; pour l'évasion.

Je suis Mexicain ; pour les tapas.

Je suis Viennois ; parce que Stefan Zweig.

Je suis Anglais ; pour une certaine idée de l'élégance et du loufoque.

Je suis Allemand ; p arce que c'est la plus belle langue lorsqu'elle n'est pas hurlée par des soldats (comme dans n'importe quelle langue).

Je suis Egyptien ; pour les pyramides et la bibliothèque d'Alexandrie.

Je suis Californien ; parce que Hollywood et les Beach Boys.

Je suis Breton ; pour les crêpes, Savoyard pour la fondue et Alsacien pour la choucroute.

Je suis Marseillais ; pour l'exagération sans limites et la poésie de Pagnol.

Le suis Ch'ti ; pour une certaine idée de la solidarité.

Je suis Scandinave ; pour les avancées sociales et les aurores boréales.

Je suis Kenyan ; pour leur aptitude à courir.

Je suis Congolais; pour la faune sauvage.

Je suis Martiniquais et Guadeloupéen ; pour leur sourire.

Je suis Sibérien ; parce qu'il n'y pas que le Goulag.

Je suis Islandais ; pour les geysers et les cascades.

Je suis Andalou ; pour l'exubérance mais aussi Thaïlandais pour la discrétion, la retenue.

Je suis Néo Zélandais ; parce qu'ils respectent la nature.

Je suis Néerlandais ; parce que Van Gogh.

Je suis Indien ; parce que Gandhi.

Je suis Mongol ; pour les grands espaces.

Je suis Indonésien et Brésilien ; pour leurs forêts primaires.

Je suis Portugais ; pour la gentillesse et le dévouement.

Je suis Sénégalais et Ivoirien ; pour la bonne humeur et un rire grand format.

Je suis de tous les océans, les steppes, les déserts, je suis de la jungle, les plaines, les rives, les monts et les vallées.

Je suis des villes quand elles sont belles, des villages lorsqu'ils sont chaleureux.

Je suis de toutes les langues et toutes les couleurs.

Je suis Terrien ; parce qu'on n'a qu'une planète et c'est, de loin, la plus belle.

Mais avant tout, je suis moi-même ; avec mes qualités et mes défauts. Je suis tous les hommes et unique à la fois.

 

30 Mars  - Pourquoi les gens sont-ils si méchants ?

Malgré les années et l'expérience qui en découle, jamais je ne comprendrai ce besoin viscéral de vouloir être méchant. Il semblerait que cela fasse partie de notre ADN, une seconde nature en quelque sorte. Peut-être est-ce qui a permis à l'espèce de perdurer. Il faut bien reconnaître que l'humain est mal armé pour résister aux éléments.

Il n'est pas rapide, ni sur terre ni dans l'eau et ne sait pas voler. Sa vision est assez médiocre même quand elle est optimale. Le spectre de son ouïe reste moyenne et ne parlons même pas de son odorat ou de ses possibilités de détecter les vibrations.

Vulnérable de toutes parts, il a dû s'endurcir pour survivre. Bref, homo sapiens n'est pas altruiste par nature. Il serait même foncièrement égoïste. Lui d'abord, les autres ensuite.

Cela fait grosso modo dix mille ans que les civilisations existent, ayant pour principe de fortes concentrations d'humains au mètre carré. C'est une loi fondamentale de la physique : plus les atomes sont serrés, plus ils interagissent entre eux. Et cela peut causer des frottements, des frictions. Dans un cas, cela donne de l'énergie, dans l'autre, le chaos.

Pourquoi nous déchirons-nous au lieu de nous aider mutuellement ?

L'homme est un peu tout à la fois. Un prédateur vivant en meute et capable de communiquer d'une façon unique : le langage. Sauf que ce moyen révolutionnaire offre aussi la possibilité de tromper son monde. Les animaux qui communiquent par phéromones ou en fonctions de leurs grimaces, de leur comportement, ne peuvent connaître le mensonge. L'information s'échange, un point c'est tout.

Là commence les ennuis sérieux. De la dissimulation naît le désir d'influence, le harcèlement. Ou bien le contraire : cet extraordinaire moyen de communication est au service de la malfaisance humaine.

Contraintes et pressions diverses, jusqu'à l'esclavage. La hiérarchie de la meute poussée à son paroxysme, jusqu'à la bêtise finale : la guerre.

Il est bien plus simple de régler un conflit en supprimant l'autre, plutôt que parlementer, trouver des arguments, convaincre plutôt que soumettre ou opprimer pour parvenir à un accord. Nous avons un formidable moyen de communication que nous n'utilisions la plupart du temps que pour dissimuler et astreindre l'autre. Jamais pour essayer de vraiment communiquer.

Au fil des siècles, la diplomatie a fait d'énormes progrès, tandis que les armes employées devenaient de plus en plus performantes et destructrices. Des avancées psychologiques contrecarrées en permanence par le progrès technique.

Faudrait-il tout simplement supprimer les armes à feu plutôt qu'augmenter bêtement les budgets militaires, déjà hors de toute proportion.

Cependant, le ver est dans le fruit.

Autre déviance que je ne comprendrai jamais : cette propension à se repaître du malheur des autres.

Un accident routier quelconque et déjà une foule de badauds se presse « pour voir ». Il ne me viendrait jamais à l'esprit d'éprouver du plaisir, du moins de la consolation pour mon triste sort, de voir exposé le malheur d'autrui. J'ai subi quelques accidents de ski ou de vélo dans ma vie : je ne supporte plus de voir les coureurs du Tour de France chuter en grappes. Mais surtout je maudis le réalisateur de repasser les images de l'accident parfois deux ou trois fois avec le fameux ralenti artistique.

Connaissez-vous le syndrome de la caissière de supermarché ? Voilà un boulot bien crétin, ennuyeux, mécanique et mal payé. On peut comprendre que la personne qui bipe les produits plusieurs heures par jour (et jamais à sa convenance) soit de mauvaise humeur. Mais faire la gueule au client ne règle en rien ses problèmes : on a n'a pas envie de sourire à quelqu'un qui fait la tête. Car, de son côté, le consommateur n'est pas mieux loti : prix toujours plus élevés, corvée des courses après le travail, problèmes familiaux ou professionnels impossible à régler.

Pour parvenir à un monde meilleur, il faudrait que chacun y mette du sien, commence par sourire et communique pas seulement pour mentir ou harceler. Mais ce sont les personnalités en vue (économiques, politiques, sportives, artistiques) qui doivent donner l'exemple. Il y a encore du chemin à faire.

 

23 Mars  -  La rançon du talent 

Quoiqu'on fasse et quelque manière que ce soit, une journée ne fera jamais plus de vingt quatre heures. Et le fait d'ajouter un jour supplémentaire tous les quatre ans ne change absolument pas la donne. On ne peut pas en faire plus. Il faut donc faire des choix.

C'est le thème principal du génial film « Cinema Paradiso ». Un passionné de cinéma, projectionniste à six ans, tombe fou amoureux. Son mentor, celui qui lui a appris le métier, complote pour qu'il ne voit plus la fille de ses rêves. Il deviendra un génial réalisateur.

Cruauté ? Ou bien grande sagesse ?

Car, en fin de compte (et la fille elle-même le reconnaît), si il était resté avec elle, il n'aurait jamais fait tous ses films. « Et ils sont beaux, tes films », avoue-t-elle.

Un artiste doit-il faire une croix sur sa vie personnelle pour se donner totalement à son public ? De la même façon, un chef d'entreprise, un homme politique (cela fonctionne indépendamment du sexe – c'est sûrement pour cette raison, qu'à un certain niveau, les hommes et les femmes commencent à se ressembler) doivent sacrifier toute vie personnelle, du moins la faire passer au second plan. Faire concilier les deux est un vrai défi d'équilibriste.

Je parle ici de vocation, de sacerdoce, de passion. Il est inconcevable que notre petit cerveau puisse se diviser en deux, bien qu'il ait deux hémisphères qui se partagent les tâches. On ne peut que se donner entièrement à sa passion. Elle est exclusive. Elle nous dépasse. N'est pas « raisonnable ». Soit on vit sa passion jusqu'au bout et pleinement, sans compter ses heures, ni son énergie. Cela est incompatible avec une vie de famille respectable, normale. Il n'y a plus de week-end ni de vacances. On est marié à son entreprise ou à son art.

Soit on privilégie sa vie personnelle, en faisant de son amour une œuvre d'art. A ce petit jeu, bien peu y parviennent, car il est peut-être encore plus difficile de mener à bien cet audacieux projet. Simplement parce qu'il se joue à deux.

Ainsi, on peut jouer les guides, les entrepreneurs exclusifs, désirant tout régir jusqu'à devenir imbuvables, prétentieux et autoritaire, tyrannique au sein de sa propre famille. Le talent, le génie seraient-ils donc réservés à des êtres solitaires, au fond ?

 

 

16 Mars -  Pop music

Lorsque Gainsbourg s'énerve contre Béart qui, voulant lui faire sans doute un compliment mal formulé, lui affirme que la chanson est un Art majeur, l'homme à la tête de chou lui précise qu'il n'existe que six Arts majeurs (architecture, sculpture, peinture, musique, poésie, expression corporelle-danse) et qu'il est nécessaire d'avoir une initiation pour les comprendre et les pratiquer. Le génial compositeur sait de quoi il parle : il a fait les beaux-arts et connaît la différence entre la peinture (son plus grand regret) et la chansonnette.

Cet élitisme réduit ainsi les véritables artistes du commun des mortels, ceux pour qui il est vital de s'adonner à leur passion, à leur art – et non juste des artisans. Pourtant, il est vrai qu'on ne jouit réellement d'un art lorsqu'on le connaît mieux. Ceci est, du reste, valable dans n'importe quelle activité humaine. Un œnologue percevra de subtiles nuances que le buveur lambda ignorera toute sa vie. Il est une profondeur dans la musique classique que même les plus talentueux artistes pop ne peuvent égaler. La peinture aura toujours une longueur d'avance sur l'image capturée – même si celle-ci est transformée – car elle comportera davantage d'âme (celle de l'artiste) que le simple talent du cadrage et la finesse du point de vue.

Les Arts majeurs parlent à l'esprit.

Les arts mineurs au cœur.

Sauf que l'Art, d'une manière générale, et il se rapproche ainsi de la beauté, s'adresse forcément au cœur, car il fait naître de l'émotion.

Alors, pourquoi ce succès non démenti et depuis 70 ans pour la pop-music ? Déclinée dans tous ses genres : rock, rap, reggae, dance, chanson populaire.

D'abord, elle fait bouger les pieds et les muscles : en plus de s'adresser au cœur, elle parle au corps. Elle est viscérale. Pas besoin d'initiation pour la ressentir. C'est instinctif. Mais il y a autre chose. Ces petites chansonnettes qui ne durent, telles des cigales, qu'un été, sont des aide-souvenir, à l'image des photos qui fixent un instant donné. Elles sont le journal intime que nous écrivons, chaque jour, sans nous en rendre compte. Il est même possible que plusieurs d'entre-elles nous rappellent des choses, alors que nous ne les aimons pas, ne les avons jamais aimées. Ces fameux « vers d'oreille » : des mélodies qui trottent dans notre tête à notre corps défendant.

Cela tient à la force de l'audio, contrairement au visuel. Il est parfaitement possible de faire autre chose en écoutant la radio. Les chansons deviennent la bande son de notre vie, rythmant les événements majeurs, ou mineurs, tous très personnels. Ces petites madeleines de Proust épousent notre époque. Il y aura toujours des chansons d'amour, mais certains thèmes sont passés de mode, d'autres sont apparus. Les chansons racontent une époque, captent l'air du temps jusque dans leurs mélodies. Les arrangements, les sous styles musicaux, l'orchestration datent bien mieux qu'une encyclopédie ou l'expertise de l'historien le temps qui passe. Rien qu'en écoutant les premières mesures d'une chanson pop, on sait à quelle décennie elle appartient.

Double performance : diffusée à grande échelle, dorénavant parfaitement mondialisé et, en cela, épousant le paradigme de notre société libérale basée sur le désir et le besoin de consommation, les chansons parlent à chacun d'entre nous en particulier. Prouesse quasiment inexplicable d'un objet à la fois universel et personnel. Ou bien serait-ce à dire que nous nous ressemblons tous dans nos goûts, formatés à notre insu par la puissance de persuasion et de conditionnement de la publicité – ici, la promotion artistique.

Le matraquage radiophonique permet de rabâcher tant et plus un air qui, à priori, ne nous parle pas. Comme ces fameuses tables de multiplication apprises par cœur à l'école élémentaire, les détestables règles de grammaire et les dates de bataille – dont tout le monde se moque bien.

La pop-music est comme ce cinéma populaire, dédaigné par l'élite qui ne jure que par les films d'auteur, d'art et d'essai. Thèmes sérieux, graves. Rire n'est pas répréhensible en soi pourtant. C'est même la plus belle chose au monde (après l'amour, peut-être). Mais il y a rire et rire. Quelqu'un a dit « on pleure quasiment tous pour les mêmes raisons, mais chacun rit à sa façon ». Voilà pourquoi il est conseillé de rire de tout, mais pas avec n'importe qui.

Or, Claude Zidi et Louis de Funès font rire, tout comme les Nuls ou les Guignols. Mais pas de la même façon. Peut-être pas pour les mêmes personnes. La pop-music, c'est pareil. Genre décrié, car trop facilement accessible, pas assez de profondeur, pas suffisamment grave. Et pourtant il y a un monde entre « hey jude », « let it be », « bohemian rhapsody » et les rengaines de Dave ou Frédéric François.

 

9 Mars - un chanteur comme les autres

Il est le chanteur français le plus écouté, quasiment celui qui a vendu le plus de disques. Chacun connaît forcément au moins l'une de ses chansons. Non, pas Johnny. Pas Sardou. Pas Cloclo. Ni Brel, Brassens, Ferré...

JJG.

Goldman.

Personne n'y pense parce qu'il n'a jamais fait de vagues, aucune révélation fracassante, aucun scandale ne l'entache, pas le moindre éclat au menu. Ni drogues, ni sexe (mari et père de famille à 24 ans, bien avant de devenir célèbre), ni rock'n'roll... Même pas.

Il serait un peu l'inventeur de la pop française, mais cela n'est même pas exact. S'il précède Daho, il suit quand même Berger.

Goldman est un cas à part dans le paysage audio français... sûrement même mondial. Auteur de 300 chansons dont une cinquantaine tournent régulièrement sur les ondes et les plate-formes de streaming. En fait, l'ambition de Goldman serait d'être célèbre sans être connu, en écrivant pour les autres. Sauf que, après son expérience avec le groupe Taï Phong, tous refusent ses chansons, à commencer par notre Johnny national – qui finira par le chanter quand même, juste après Berger.

La presse élitiste des années 80 n'a jamais été tendre envers ce chanteur à minettes comme Claude François ou Dave en leur temps. Pas de look (chemise, jean, baskets), pas de message, même pas rock.

Pas de message, pas si sûr. Si l'on écoute attentivement ses chansons, chose difficile quand il s'agit de pop music, bien orchestrée et trop arrangée, on notera plusieurs thèmes. Le départ, le déracinement, ses origines juives, la place de l'homme dans la cité, face aux élites, aux profiteurs, y compris la place de l'homme dans ses rapports aux femmes et cette volonté de s'en sortir.

Mais tout cela passe sans qu'on y fasse attention. Ses chansons sont à l'image de leur auteur : insaisissables.

Du reste, on peut aimer ou détester Sardou ou tel groupe de rap ou de hard-rock, c'est plus difficile d'avoir un avis tranché sur quelqu'un qui ne fait pas de vagues. Une anguille insaisissable. Encore plus fort : au sommet de son succès, il décide de se retirer de ce grand cirque, particulièrement médiatique. Depuis 25 ans, plus de nouvelles. Il continue d'écrire encore un peu, mais aucun nouvel album, aucun concert. Silence radio. Même pas : ses chansons font partie du patrimoine commun.

Modestie, humilité, altruiste (la chanson des Restos du Coeur, c'est lui). Un personnage honnête et droit, délicat, attentif, digne.

Cette dignité lui confère une aura qu'il partage avec les français les plus aimés (longtemps à égalité avec l'abbé Pierre dans le sacro-saint classement des personnalités préférées des français). Ne pas exister pour soi, par soi, mais en tant que auteur compositeur et chanteur. Ne pas être, juste faire. Mais, en même temps, Goldman EST. C'est même cette banalité qui le rend si populaire. Un peu comme s'il nous disait : voyez, je suis comme vous, donc vous avez la possibilité de réussir comme moi.

Goldman n'a jamais été politique, contrairement à Balavoine qui n'hésitait pas à prendre position ouvertement, jusqu'à interpeller le candidat Mitterrand de face. Ses chansons ne s'inscrivent pas dans la pensée gauchiste (Ferré) ni revendicatrice (rap). Il serait plutôt un social-démocrate, situé au centre de l'échiquier politique, promouvant la libre entreprise, mais à taille humaine. Un libéralisme qui se fixerait lui-même ses limites. Impossible, par définition. Rappelons que ses parents étaient devenus des petits commerçants ; lui même gérera le magasin de sports jusqu'au début des années 80 quand la musique (devint) bonne...

Ce grand frère qui rassure, il l'a été pour des millions de filles et de garçons qui se cherchaient dans un monde en mutation (les années 80). Aujourd'hui, on sent bien que tout est plié. Les idéologies ont vécu, écrasées par la chute du mur de Berlin, l'ascenseur social est en panne, la planète a la fièvre et l'élitisme politique, social et économique jamais aussi démesuré, creuse un fossé financier et social entre les plus riches et les plus pauvres.

Donc JJG serait un guide, un exemple.

Il y a cependant une autre lecture possible du personnage.

Tout comme quand la pression est trop forte, Goldman sort de son antre, de son silence, et pousse des coups de gueule. Oh, pas grand chose. Juste pour recadrer. La presse ne l'aime pas, il ne l'aime pas non plus.

Ainsi, on pourrait penser que tout est calculé d'avance. Il ne faut pas oublier que, lorsqu'il rencontre le succès solo, il a 30 ans. Ce n'est plus un perdreau de l'année. Il a passé toute sa jeunesse à jouer dans différents groupes. Il connaît le milieu. Les ficelles. Rien n'interdit de penser qu'il s'est lui-même forgé cette attitude, cette réserve, ce non-look, cette position au centre où on ne doit compter que sur soi-même (« ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous mais ce que vous pouvez faire pour lui »). Contrôler son image en la refusant, la distillant. Se tenir en dehors du système tout en y étant fermement ancré. Ne pas faire de vagues pour éviter une trop forte exposition qui risquerait de noter le moindre dérapage. Faire profil bas pour éviter les coups du sort.

Peut-être, tout simplement, c'est l'histoire d'un jeune musicien qui rencontre un public et se voit dépassé par la puissance de son talent.

Quoi qu'il en soit, Goldman appartient à l'histoire.

 

2 Mars -  La pensée paradoxale 

Pour résumer, il s'agit simplement de l'anti manichéisme qui régit souvent le monde. Dès que l'on commence à mettre les choses, pire : les gens, dans des cases, cela va de travers.

L'informatique n'est rien autre chose. Soit on est un, soit on est zéro. Il n'y a pas d'alternative. Ce n'est qu'en physique quantique que les atomes, les électrons, peuvent être à la fois ici et là.

Une chose est son contraire, comme une pièce contient un pile et une face.

Il faut se faire une raison. Tout n'est ni tout noir, ni tout blanc dans notre monde si riche en diversité. A commencer par la couleur de nos peaux. Il n'existe ni un visage immaculé comme du lait et pas davantage une face noire comme une nuit sans lune. Ce ne sont que des variantes, à l'infini.

Et c'est pareil pour n'importe quelle chose, n'importe quel concept. Dire que quelqu'un est méchant, mauvais, nul ne veut rien dire. Il y a forcément un peu de bien dans le pire des hommes tout comme le meilleur des êtres humains peut se révéler pas si formidable que ça, en fonction des circonstances.

Comme un ciel breton. Moitié ensoleillé, moitié nuageux. Du reste, pour obtenir un coucher (ou un lever) de soleil respectable, il faut qu'un ciel soit chargé. Débarrassé de ces nuages, il n'y a aucun contraste, comme si le soleil se levait à poil.

A partir de là, tout n'est qu'une question de dosage. Trouver l'équilibre parfait, entre névrose et psychose. Savoir transformer ses faiblesses en force.  Du reste, la faiblesse peut être un atout dans certains cas. Tout comme la peur : elle évite d'aller se jeter directement dans la gueule du loup. La colère peut être bénéfique si elle permet de faire des choses, comme une étincelle.

Cette pensée paradoxale est à la base de la compréhension d'autrui, d'empathie. Nous ne sommes pas si différents que cela tout en restant uniques. Les mêmes organes, mais pas constitués des mêmes cellules. Un vocabulaire en commun et pourtant une façon propre de s'exprimer. Un cerveau qui fonctionne de la même façon et cependant des pensées bien personnelles.

Intégrer cette ambivalence, tous ces paradoxes qui constituent notre fond de commerce, offre la possibilité de mieux se connaître pour mieux communiquer avec l'autre. Reconnaître que rien n'est simple dans le monde. Complexe, sibyllin, double. Une personnalité n'est que l'addition de tant de petites choses, parfois opposées. Comme une entité faite de milliards de cellules, d'atomes.

L'objectif est de parvenir à l'équilibre parfait entre le yin et le yang. Les situations changeant constamment, savoir s'adapter est primordial. Ne jamais rester identique. Pas forcément aller de l'avant, mais dans toutes les directions. Expérimenter, essayer, se jeter dans la vie !

 

23 Février -  le Coeur & la Raison

Si vous aviez le choix entre faire l'amour à la plus belle fille du monde sans que personne le sache ou plutôt que tout le monde le sache sans que vous ne l'aviez fait, quelle solution choisiriez-vous ?

82% des hommes ont répondu qu'il préféraient la seconde solution. Ceci est très révélateur de notre société du paraître.

Entre savoir-faire et faire savoir, le choix est pourtant simple. Cette considération sociale est à la base de quasiment toutes les dérives. Mensonge, influence, lutte pour le pouvoir, tout n'est affaire que d'exhibition. Briller aux yeux des autres plutôt que briller pour soi-même.

En réalité, c'est un cruel manque de confiance en soi qui est à l'origine d'un tel désir de reconnaissance. On n'existe que par le regard de l'autre. Si c'est valable au sein d'une relation amoureuse, la seule où il peut y avoir cet échange si riche, tout simplement parce que cela ne met en cause que deux personnes, tout le reste n'est que futilité.

Il n'y a qu'à voir la rapidité avec laquelle on brûle nos idoles d'hier. Aussitôt adulées, très vite oubliées. L'esprit humain est versatile.

j.j. Rousseau soulevait un autre paradoxe : selon lui, la passion relaté, transcrite par une belle plume ne peut être réellement vraie. Si les mots sont choisis, si la syntaxe est correcte, si le ton est juste, elle ne parle qu'à la tête, pas au cœur. Seul un être passionné peut exprimer ce qu'il ressent. Peut-être le fera-t-il d'une manière moins glorieuse, truffé d'incohérences, d'erreurs, de répétitions. Très certainement même, étant envahi par des sentiments qu'il ne peut exprimer sans ce recul qui permet le beau langage. Ne pas se trouver sur la montagne si on veut la voir dans son ensemble.

Il est troublant que la meilleure façon de juger une action ou un homme est de le faire par un jury dont l'issue du procès ne changera rien dans leur propre vie. Le film « Douze Hommes en Colère » est un exemple flagrant. Douze hommes étrangers à l'accusé, ne se connaissant pas entre eux et n'ayant d'autre objectif que la recherche de la vérité pure. Rien d'autre.

Partant de là, le constat est troublant. Ainsi, on ne peut accéder à la perfection qu'en cultivant un certain détachement.

On ne fera réellement bien l'amour qu'en l'absence de sentiments, situation purement mécanique où aucun trouble ne viendra mettre son grain de sel dans des gestes précis, calculés, peut-être même répétés comme l'entraînement d'un chammpion. L'amour, en revanche, apportera son lot d'hésitations, de pudeur, d'à peu près – toutes ces imperfections qui nous font aimer encore davantage l'autre. Un être idéal ne peut être aimé. La perfection ne déclenche aucun sentiment. Rien ne vient du cœur, tout part de la tête. On dissèque une œuvre d'art avec brio mais on la ressent avec son cœur et ses tripes, tout en devenant moins loquace. N'avoue-t-on pas qu'on n'a « pas les mots » pour décrire ce qui nous émeut profondément ?

Les Bouddhistes recherchent, lors de leurs méditations, un certain détachement des choses, s'extraire de la passion qui dicte sa loi. Colère ou envie sont des sentiments néfastes, qui nous brûlent l'âme.

Pourtant, c'est le désir qui peuple le monde et la colère qui fait avancer les choses.

 

16 Février -  S'adapter 

Si j'ai bien lu Darwin, une espèce doit s'adapter à son environnement si elle veut perdurer. Les conditions externes jouent sur l'évolution, privilégiant les mieux lotis.

L'humain est la seule espèce à avoir renversé cette tendance, pourtant fondamentale. Lui a réalisé la prouesse d'adapter son environnement à ses besoins, pire: à ses envies, ses désirs.

Bien entendu, un tel retournement n'est pas allé sans dégâts et il se pourrait même que l'arroseur finisse bien arrosé, ayant fini de scier la branche sur laquelle il était, jusque là, confortablement assis.

Il est probable qu'homo sapiens, en voulant jouer à Dieu (un jeu terriblement risqué), s'y brûle les ailes qu'il n'a pas. Comme tant d'autres choses du reste. Serait-ce notre inadaptation aux éléments qui nous poussé à régir tout le système, jusqu'aux paradoxes les plus fragrants et les absurdités sans fond ?

Hormis une poignée de champions olympiques, nous ne savons pas nager, du moins allons nous moins vite qu'en marchant à pied. Nous ne volons pas, en tout cas sans y brûler des tonnes de kérosène. Nous ne courrons pas si vite que ça. Notre peau est bien fragile sous les assauts du froid et les blessures diverses. Même nos os ne sont pas si solides. Notre vue, malgré la multiplication des écrans doit être corrigée par des prothèses oculaires.

Sans toute notre technologie qui nous entoure (nous emprisonne?), nous ne sommes absolument rien face à la fureur des éléments. Aucune spécificité dans laquelle on peut se permettre de briller. A part, peut-être, cette fameuse intelligence, si difficile à définir. Mais qui peut, qui s'est souvent retournée contre nous-mêmes. Cette technologie issue de la capacité à manier la science et surtout nos dix doigts aux pouces opposables nous dépasse désormais. Sans parler de l'intelligence artificielle dont on ne connaît pas vraiment les possibilités et les dangers (toujours cette manière de faire irresponsable : inventer des cocnepts et des processus dont on ne maîtrise pas grand chose et qui se révèlent dangereux), il est déjà ardu de se dépatouiller avec un simple appareil ménager ou l'utilisation d'un ascenseur.

J'ai longtemps pensé, comme tant d'autres, que l'immortalité serait une panacée. Pouvoir vivre des siècles en bonne santé, quelle aubaine ! Avoir enfin le temps de tout faire, du moins de cocher le maximum de lignes sur nos « to do lists». C'est compter sans les machines et appareils de plus en plus sophistiqués. Combien de fois ai-je entendu se lamenter des personnes âgées, ne sachant plus se servir de cette technologie qui supplée à nos déficiences ? L'informatique est un cruel exemple.

J'ai maintenant atteint l'âge où l'on commence à ne plus rien comprendre à rien. Un smartphone est une énigme pour moi. Je n'utilise qu'environ cinq pour cent des potentialités de mon ordinateur et je commence à ne plus bien comprendre le fonctionnement de ma nouvelle voiture, pourtant un modèle de base.

Ainsi l'humain est parvenu à adapter son environnement sans plus être obligé de s'y conformer et, dans une certaine manière, c'est une chance, un progrès. Il n'y a pas si longtemps, les plus faibles mourraient, tout simplement. La médecine a permis à tous d'atteindre l'âge adulte et de réparer la plupart du temps des pathologies qui, si elles ne sont pas toutes mortelles, empêchent de vivre convenablement. Les démocraties, un état social ont renforcé l'acceptation des différences tout en réduisant les inégalités. Il reste beaucoup de chemin à faire, mais je suis convaincu qu'on y parviendra sans tarder. Il sera peut-être toutefois trop tard. Et, surtout, nous devrons nous adapter à nos machines. Voyez comme un gamin pianote sur son téléphone nouvelle génération, comment l'informatique est devenu un réflexe. Grâce à son formidable cerveau, l'humain est capable de s'adapter à l'environnement nouveau qu'il s'est lui-même créé. Peut-être au détriment de simples relations humaines.

 

9 Février  -  Anti gaspi

Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.

Ce n'est juste qu'une façon de voir les choses, particulièrement empreint de ce libéralisme mâtiné de capitalisme intransigeant.

D'un point de vue social et écologique, à quoi bon tuer l'ours si l'on n'est pas certain de vendre sa peau.

Si vous désirez acheter français, une voiture par exemple, il n'est pas utile d'entrer chez un concessionnaire Renault, Peugeot ou même Citroën. Tous ont largement délocalisé leur production, leurs sous-traitance. Vous ne ferez alors qu'engrosser le compte en banque de leurs directeurs et actionnaires, qui ne sont pas, au demeurant, des modèles de citoyenneté (« je paie mes impôts dans mon pays ») ou même d'honnêteté.

Paradoxalement, en achetant une Yaris, vous permettez à toute une équipe forte de 5000 ouvriers de l'usine de Toyota située dans le Nord à Onnaing de boucler leur fin de mois.

Mieux : à Molsheim, en Alsace, la seule marque 100% française (même si les actionnaires sont dorénavant majoritairement Croates) fabrique des modèles sur le sol français et emploie 160 personnes.

Car, tout le succès de cette façon de faire réside dans la taille de l'entreprise. Plus celle-ci sera grande, plus il sera difficile de parvenir à s'adapter au marché.

En 2022, la firme Alsacienne a produit 80 modèles. Tous vendus avant même le plus petit boulon serré.

D'aucuns me diront qu'on parle ici de luxe. Chanel, Givenchy, Dior, Bugatti.

Et alors ?

Ne serait-il pas possible d'adapter le même concept à n'importe quelle production ?

Les paysans bio le font déjà au sein des Amap, en proposant des paniers de leur production agricole, pré-payée. Ainsi, on élimine le principal fléau de la production de masse : le gaspillage. On en parle continuellement en essayant de trouver des solutions pour y remédier sans jamais penser aux solutions qui peuvent exister en amont. Ne produire QUE ce que l'on va consommer. Et n'acheter que ce que l'on doit utiliser réellement.

Cela a deux avantages. D'abord, à la façon d'un abonnement, le producteur -le travailleur donc - est assuré d'un salaire avant même de commencer à travailler. Comme une assurance. Ensuite, il n'y a pas de perte, puisque ce qui est produit est d'ores et déjà vendu. Il est même possible de personnaliser sa production, pour répondre aux attentes diverses des consommateurs.

Allié à de plus petites structures (mini entreprises, auto-entreprises, pouvant être reliées sous forme de fédération, de coopératives, d'associations, mutualisation), plus réactives, plus proches et, également, plus diverses.

Il vaut mieux mille petites exploitations d'un hectare, qu'une seule de mille hectares. Il en va de la diversité, de la multiplicité, de la différence.

Local, anti-gaspi et répondant aux attentes plutôt qu'une production de masse (à bas prix – bas salaires) que l'on écoulera en forçant la vente en ayant recours à une autre dérive du système : la publicité.

 

2 Février - Besoin de paysage 

C'est là d'où l'on vient. Notre héritage. C'est lui qui nous nourrit. D'où provient notre énergie. Nos racines. Malgré cette déconnexion issue du vingtième siècle, le paysage nous est indispensable. Surtout sa beauté. A la limite, on pourrait vivre sans nature. Pas sans beauté.

Il faut avoir à la conscience que l'être humain a passé deux millions d'années à vivre dans et avec la nature. A s'y adapter du mieux qu'il a pu, comme n'importe quelle espèce animale. Il ne s'en est affranchi que depuis deux siècles à peine. Tous nos comportements liés à la société moderne, technologique et supra naturelle, ne peuvent être intégrés dans notre biologie. Il faudrait, pour cela, plusieurs centaines de générations afin de s'y adapter. De modifier notre physiologie en fonction de notre environnement.

Ainsi la lumière artificielle. Il est avéré que notre œil supporte mal un éclairage trop vif. La lumière chancelante et douce de la bougie lui convient mieux, car notre espèce a grandi avec. Bien sûr, hors de question de s'éclairer à nouveau à la bougie, excepté pour quelques repas en amoureux, mais il serait intéressant de produire des ampoules dont la lumière en serait plus proche.

Nous utilisons des moyens de transport mécaniques depuis un gros siècle. Là encore, on ne va pas tout bazarder, mais réutiliser nos pieds nous ferait le plus grand bien. Et, par là, nous reconnecter à notre environnement, notre paysage.

Ce paysage est primordial, au même titre que nos comportements naturels. Il existe une certaine harmonie dans l'agencement de la nature. Elle est vivante, contrairement à nos murs de verre, d'acier et de béton. Elle s'adapte. Même lorsque, en apparence, la vie a disparu (glaciers, rochers, banquise, déserts), quelque chose nous rappelle que nous sommes liés par elle. Nous avons besoin de repères immuables, en apparence du moins. De cet équilibre, né de millions d'années, résultat de tentatives, toutes heureuses, puisque les moins pertinentes ont fini aux oubliettes. La Nature a essayé toutes les possibilités, tenté tous les chemins. Cela s'appelle l'Evolution. Or, le paysage est composé essentiellement de vivant. De ces adaptations réussies puisqu'elles ont résisté à mille maux. Avec nos villes, nos constructions, nous n'en sommes qu'à quelques millénaires tout au plus. Du reste, les plus anciennes compositions humaines ont quelque chose de beau. Les pyramides et les cathédrales sont agréables à l'oeil. Ainsi les réalisations de l'homme peuvent avoir leur place dans un environnement apaisant, porteur de beauté. Il leur faut juste la justification du temps, la patine que seuls les siècles peuvent offrir.

 

26 Janvier - Une histoire de bikini  

C'est en parcourant la prose si subtile de Jean Rochefort (ce genre de choses, Stock, 2012) qu'il m'est apparu que l'événement qui a le plus contribué à l'émancipation de la femme n'est pas, en réalité, le droit de vote obtenu en 1946 mais l'invention, la même année, d'un objet qui allait révolutionner les relations entre les hommes et les femmes.

Le bikini.

Après avoir fait leurs mains au Japon (Hiroshima, Nagasaki), les militaires américains entendent bien réitérer leurs fameux essais nucléaires afin de développer une force de dissuasion face à l'émergence du bloc soviétique. Une autre guerre, dite froide comme la vengeance, allait débuter, jetant du même coup une ombre dangereuse sur ce nouveau monde, apparemment en paix après tant d'années d'horreur.

Cette fois, les dirigeants ont eu le tact d'effectuer leurs explosions radioactives au bout du bout du monde, dans un archipel qui se nomme bikini.

La première bombe aura les traits de Rita Hayworth, alors véritable icône pour des millions de cinéphiles, peints sur les flancs d'un nouvel ange de la mort.

Surfant sur ces flots particulièrement risqués, Louis Rérard aura l'idée de séparer ce qui, jusqu'alors, enveloppait le corps de la femme lorsqu'elle prétendait prendre des bains de mer – activité somme toute assez récente, héritage d'un autre mois de Mai (1936) en ce qui concerne la France et, plus globalement, cette insouciance des années 20 et début des 30 qui suit une grande malédiction et précèdent l'enfer.

En révélant à l'humanité toute entière, donc forcément sa composante à 50% masculine, le nombril de la femme, les années d'après guerre allaient déclencher l'explosion d'une toute autre bombe. Alliée à une déflagration démographique sans précédent : pour la première fois dans l'Histoire de l'homme, on ne copulait pas davantage, mais les enfants étaient mieux soignés et parvenaient à maturité. Ce fut le baby boom. Des millions de bambins, nés dans des pays qui allaient devenir riches, très riches même. Jeter un maillot deux pièces sur toute cette jeunesse aux hormones bouillonnantes, c'était jeter de l'huile sur le feu, cela allait provoquer une prise de conscience nouvelle : la jeunesse comme contre pouvoir. Cela donna le Rock'n'Roll, terreau fertile aux contestations en tous genres puis, une décennie plus tard, temps nécessaire à une bonne maturation, comme pour les grands crus, mai 1968 un peu partout dans le monde avec sa corrélation la plus importante : le féminisme. La femme allait, elle aussi de son côté, se révolter contre ce patriarcat qui avait pris possession du monde depuis que ce primate qui allait devenir l'homme s'était redressé, il y a quelques centaines de milliers d'années.

Penser que le bikini et la découverte du clitoris vont de pair, c'est aller un peu vite dans les raccourcis, mais je comprends parfaitement le point de vue de monsieur Rochefort, le plus flegmatique et anglais de nos acteurs nationaux. Lui a vécu toute cette période. Il sait donc de quoi il parle.

On peut également soutenir que l'émancipation féminine doit son étincelle à Gustave Eiffel et l'invention du soutien gorge à armatures, un demi siècle plus tôt qui, en libérant ce corps tant désiré du carcan étouffant du détestable corset, donnant naissance aux suffragettes anglaises, Colette, Chanel et Marie Curie. Mais ces exceptions ne font pas loi. Il faudra attendre le début des années 70 pour voir, à mon plus grand bonheur et un émoi non dissimulé (oui, la simulation est plus compliquée pour l'homme que pour la femme), les filles retirer ce soutien gorge qui opprime cette poitrine, redevenue à cette époque à de justes proportions – début d'une androgynie égalitaire ?

Si le vêtement peut engendrer des Révolutions et faire se déshabiller les filles (ce qui est donc un comble : vouloir se vêtir pour se dénuder), on comprend pourquoi, aujourd'hui, dans ce vingt et unième siècle trop policé, on n'est pas à la veille, ni même l'avant veille, d'un changement notable.

 

19 Janvier - Réflexions sur le concept d'intelligence  

S'il existe un schème difficilement définissable c'est bien l'intelligence. Comment parvenir à cerner ce qui est tellement diffus, insaisissable, imperceptible et pourtant si fondamental ?

En ressassant ce concept si fluctuant, en l'étirant dans toutes les directions, le malaxant tant et plus, il m'est apparu que la vraie, la seule intelligence demeurait l'art de savoir s'adapter.

Darwin n'est pas si loin : tous les animaux, tous les êtres vivants, d'une manière générale, peuvent être intelligents – et la disparition d'une espèce n'est pas gage de sa bêtise : il y a des événements contre lesquels on ne peut rien. Une météorite qui nous pète à la gueule, des océans qui débordent, des volcans qui se réveillent, une invasion extraterrestre, que sais-je...

Ainsi l'intelligence s'applique autant à la théorie qu'à la pratique. Savoir correctement utiliser ses mains, savoir observer son environnement vaut autant qu'avoir la faculté d'analyser et de synthétiser des concepts plus métaphysiques.

Savoir s'adapter, c'est faire preuve de finesse. C'est avant tout bien observer, faire jouer tous ses sens, ses capteurs. Mais savoir s'adapter c'est aussi avoir le talent de se mettre à la place d'autrui.

De là découle l'altruisme et la compassion. Oui, être intelligent, c'est être compréhensif, pacifiste. Il n'y a pas d'intelligence militaire.

Cela renvoie à la philosophie. Cet art de poser les questions tandis que la politique se concentre sur les réponses. Le questionnement est cérébral, il répond au « pourquoi ? » alors que les solutions ne sont que mécaniques, mathématiques, elles répondent au « comment ? »

La différence entre un métier et un travail n'est pas tant dans le savoir-faire mais bien dans cette scission fondamentale : réfléchir à ce que l'on fait. Ne pas répéter sottement des gestes, aussi précis qu'ils puissent être. Pouvoir s'adapter à toute nouvelle donnée, régler des problèmes inédits. Tandis que le travail n'est que répétition de gestes immuables, virant à l'ennui le plus souvent. Une activité robotique, facilement exécutable par une machine. Lorsque nous travaillons, nous devenons ces machines. Des ordinateurs se contentant d'aligner des uns et des zéros. L'intelligence informatique n'existe pas. L'A.I. non plus. Ce n'est juste qu'un tic de langage. Répétition jusqu'à l'ennui. Ennui qui engendre la bêtise.

Cette définition peut s'appliquer partout et pour tous. Ainsi les relations amoureuses. Oui, je sais, elles sont d'abord dictées par les sens, par le cœur – lieux où ne peut se nicher l'intelligence, à priori. L'intelligence du cœur n'est qu'un concept. Je préfère parler d'âme à ce moment-là. Le cœur n'est qu'une machine, un métronome. Rien d'inventif là-dedans. La passion ne s'embarrasse pas de raisonnement. Elle fonce sans réfléchir. On en a besoin, évidemment. Comme l'étincelle pour démarrer un feu. Mais sans braises, le foyer risque de s'éteindre rapidement et ne réchauffer que notre imagination.

Dans une relation amoureuse, comme dans un métier, comme dans la vie de tous les jours face à l'adversité, aux nombreux problèmes qui ne manquent pas de s'imposer, il faut savoir s'adapter. Donc, comme nous l'avons vu plus haut : se mettre à la place de l'autre.

J'aime assez à dire que l'intelligence du couple commence par ne pas utiliser le même côté du lit, soir après soir, ne pas instaurer cette habitude d'avoir toujours la même place à table, les mêmes rites, ces habitudes tue-l'amour.

Essayez d'échanger vos positions – je parle là du sommeil, le reste ne me regarde pas : faites ce que bon vous semble !

 

12 janvier :  Tous à la tombe 

Celui qui pense qu'une chose ou un système est fait d'un seul bloc se trompe dans les grandes largeurs.

Toute organisation présente des paradoxes, des ambivalences, des contradictions. Tout n'est ni tout blanc ni tout noir.

On entend souvent ces propos de comptoir affirmant haut et (surtout) fort que le monde actuel court à sa perte, que tout va de mal en pis, soutenu en cela par des nostalgiques d'un temps que les auteurs de telles incohérences n'ont pas connu et dont ils se forgent une image fausse.

C'était mieux avant. Pas si sûr.

Loin de moi de prétendre que tout est merveilleux dans ce monde chaotique, mais prenons quelques exemples sur lesquels argumenter.

A commencer par le pire du pire : la guerre.

Globalement, elle a tendance à perdre du terrain. Dix mille morts par an, globalement. On est donc loin des 6 millions exterminés en 5 ans... et je ne parle là que de l'épuration nazie pure et simple.

Les épidémies. On nous a tant rabattu les oreilles avec le Covid (1,8 millions de morts depuis 2020) alors que la grippe moissonne aux alentours d'un demi-million annuel. Cela prend plus d'ampleur avec les accidents de la route (un gros million annuel, malgré les spectaculaires avancées dans les pays riches qui contribuent à diminuer les victimes tout en augmentant sensiblement le trafic).

Je ne parlerai pas des deux causes de décès les plus radicales, spécialement en occident : les maladies cardio-vasculaires et toutes espèces de cancers. Celles-ci progressent au rythme de la dégradation de notre alimentation et de notre environnement. C'est là-dessus qu'il faut agir. Sans attendre.

En revanche, les accidents domestiques envoient 20 000 personnes au cimetière rien qu'en France. La fameuse « chute dans l'escalier » serait même la première cause de mort chez les moins de 15 ans – faut les voir dévaler les escaliers tels de véritables Candide Thovex sur les pentes enneigées. Ca vous étonne ? Oui, on n'en parle pas. Encore moins des 2 millions de morts au travail. Oui, vous avez bien entendu : le travail tue (enfin, quatre fois moins que le tabac, soyons honnêtes).

Les esprits chagrins avanceront que les conflits militaires se sont mués en batailles économiques, dézinguant au passage largement plus de victimes. Certes. Et l'abominable chiffre de deux millions de morts au travail est bien là pour le souligner. Seulement, c'est oublier un peu vite que les pyramides d'Egypte ne se sont pas élevées sans un sérieux pourcentage de pertes, que la condition de serf au moyen-âge n'était pas très enviable, que celle de l'ouvrier dans les premières manufactures n'était pas une sinécure, que les famines régnaient même aub cœur des régions riches. Au pire, le monde a juste un peu progressé. Mais un peu tout de même.

Prenons l'exemple de l'esclavage (ou de la domesticité chez les seigneurs) : il a été largement remplacé par des machines qui font le sale et répétitif boulot à notre place. Un progrès. Et le premier qui ose me rétorquer que les machines ont volé le boulot des ouvriers, je lui réponds : mais quel boulot ?

Il convient maintenant de progresser encore, non plus en nous bombardant de robots, d'intelligence artificielle, de logiciel censés nous rendre la vie plus douce. Je préfère une vie meilleure à du confort assuré.

Reste tout de même un sérieux problème. Et de taille : 9 millions de personnes décèdent chaque année dans le monde tout simplement parce qu'ils n'ont pas assez à... manger ! Presque la moitié de cet abominable chiffre concerne les enfants. Nouveau paradoxe : dans les pays dits riches le surpoids et l'obésité concerne quasiment la moitié de la population.

Il serait temps de partager. Mais pas n'importe quoi. Car ce n'est pas de TROP manger qui rend obèse, mais plus exactement de manger MAL.

 

Individualisme (5 janvier)

Paradoxe : l'évolution de nos sociétés occidentales voit l'individualisation portée à son plus haut sommet. Au détriment de la communauté. La personne n'a jamais été autant respectée de toute l'Histoire. On reconnaît partout l'unicité de chaque être vivant. Cela déborde maintenant sur la condition animale. Chaque personne est un trésor. Chacun a cette chance inouïe de pouvoir choisir. Jamais dans l'Histoire, nous n'avons eu notre destinée entre nos mains de cette façon.

Cependant, nouvelle ambivalence : jamais nous n'avons autant désiré ressembler à un modèle, jamais nous n'avons réagi d'un même mouvement, jamais nous n'avons vécu sur le même mode. Un vrai troupeau. On nous vend du particulier (bienvenue dans « votre » magasin – non, ce n'est pas « mon » magasin) en mettant tout en œuvre pour que l'on réagisse globalement. Miracle de la production de masse et la consommation à outrance. On nous laisse l'impression, fausse, de pouvoir choisir, alors que nos choix sont largement conditionnés.

D'une manière générale, ce qui donne l'impression que tout va mal, c'est justement de le savoir. La multiplication des sources d'information et, surtout, cette façon de pousser au sensationnalisme, de tout aggraver (ainsi, la présentatrice de la météo qualifiera un petit deux degrés de température polaire – je veux bien que le réchauffement climatique aille dans ce sens, mais deux degrés au pôle, c'est la canicule!) pour simplement attirer l'attention. On multiplie les images chocs, on se focalise sur des faits divers, oubliant au passage son ridicule pourcentage global. Si l'on montre des images d'accidents routiers, avec force gros plans sur des carcasses d'automobiles pliées – ou pire – on oublie simplement de mentionner que le nombre des tués diminue régulièrement d'année en année et même s'il était constant, il diminuerait relativement étant donné l'explosion de la circulation routière.

Autre paradoxe concernant cette individualité : on est plus seul au milieu de la multitude. Ces mégapoles qui font se coexister des millions de solitudes. Ces téléphones mobiles qui permettent de communiquer mais pas d'échanger. On parle, on filme, on envoie. Mais on ne partage plus. Nous sommes devenus des robots, réagissant plus par instinct que par raisonnement. Pascal, réveille-toi, nous sommes devenus fous !