Je Pense donc... J'écris 2025
Je pense donc j'écris
2 Février - Besoin de paysage
C'est là d'où l'on vient. Notre héritage. C'est lui qui nous nourrit. D'où provient notre énergie. Nos racines. Malgré cette déconnexion issue du vingtième siècle, le paysage nous est indispensable. Surtout sa beauté. A la limite, on pourrait vivre sans nature. Pas sans beauté.
Il faut avoir à la conscience que l'être humain a passé deux millions d'années à vivre dans et avec la nature. A s'y adapter du mieux qu'il a pu, comme n'importe quelle espèce animale. Il ne s'en est affranchi que depuis deux siècles à peine. Tous nos comportements liés à la société moderne, technologique et supra naturelle, ne peuvent être intégrés dans notre biologie. Il faudrait, pour cela, plusieurs centaines de générations afin de s'y adapter. De modifier notre physiologie en fonction de notre environnement.
Ainsi la lumière artificielle. Il est avéré que notre œil supporte mal un éclairage trop vif. La lumière chancelante et douce de la bougie lui convient mieux, car notre espèce a grandi avec. Bien sûr, hors de question de s'éclairer à nouveau à la bougie, excepté pour quelques repas en amoureux, mais il serait intéressant de produire des ampoules dont la lumière en serait plus proche.
Nous utilisons des moyens de transport mécaniques depuis un gros siècle. Là encore, on ne va pas tout bazarder, mais réutiliser nos pieds nous ferait le plus grand bien. Et, par là, nous reconnecter à notre environnement, notre paysage.
Ce paysage est primordial, au même titre que nos comportements naturels. Il existe une certaine harmonie dans l'agencement de la nature. Elle est vivante, contrairement à nos murs de verre, d'acier et de béton. Elle s'adapte. Même lorsque, en apparence, la vie a disparu (glaciers, rochers, banquise, déserts), quelque chose nous rappelle que nous sommes liés par elle. Nous avons besoin de repères immuables, en apparence du moins. De cet équilibre, né de millions d'années, résultat de tentatives, toutes heureuses, puisque les moins pertinentes ont fini aux oubliettes. La Nature a essayé toutes les possibilités, tenté tous les chemins. Cela s'appelle l'Evolution. Or, le paysage est composé essentiellement de vivant. De ces adaptations réussies puisqu'elles ont résisté à mille maux. Avec nos villes, nos constructions, nous n'en sommes qu'à quelques millénaires tout au plus. Du reste, les plus anciennes compositions humaines ont quelque chose de beau. Les pyramides et les cathédrales sont agréables à l'oeil. Ainsi les réalisations de l'homme peuvent avoir leur place dans un environnement apaisant, porteur de beauté. Il leur faut juste la justification du temps, la patine que seuls les siècles peuvent offrir.
26 Janvier - Une histoire de bikini
C'est en parcourant la prose si subtile de Jean Rochefort (ce genre de choses, Stock, 2012) qu'il m'est apparu que l'événement qui a le plus contribué à l'émancipation de la femme n'est pas, en réalité, le droit de vote obtenu en 1946 mais l'invention, la même année, d'un objet qui allait révolutionner les relations entre les hommes et les femmes.
Le bikini.
Après avoir fait leurs mains au Japon (Hiroshima, Nagasaki), les militaires américains entendent bien réitérer leurs fameux essais nucléaires afin de développer une force de dissuasion face à l'émergence du bloc soviétique. Une autre guerre, dite froide comme la vengeance, allait débuter, jetant du même coup une ombre dangereuse sur ce nouveau monde, apparemment en paix après tant d'années d'horreur.
Cette fois, les dirigeants ont eu le tact d'effectuer leurs explosions radioactives au bout du bout du monde, dans un archipel qui se nomme bikini.
La première bombe aura les traits de Rita Hayworth, alors véritable icône pour des millions de cinéphiles, peints sur les flancs d'un nouvel ange de la mort.
Surfant sur ces flots particulièrement risqués, Louis Rérard aura l'idée de séparer ce qui, jusqu'alors, enveloppait le corps de la femme lorsqu'elle prétendait prendre des bains de mer – activité somme toute assez récente, héritage d'un autre mois de Mai (1936) en ce qui concerne la France et, plus globalement, cette insouciance des années 20 et début des 30 qui suit une grande malédiction et précèdent l'enfer.
En révélant à l'humanité toute entière, donc forcément sa composante à 50% masculine, le nombril de la femme, les années d'après guerre allaient déclencher l'explosion d'une toute autre bombe. Alliée à une déflagration démographique sans précédent : pour la première fois dans l'Histoire de l'homme, on ne copulait pas davantage, mais les enfants étaient mieux soignés et parvenaient à maturité. Ce fut le baby boom. Des millions de bambins, nés dans des pays qui allaient devenir riches, très riches même. Jeter un maillot deux pièces sur toute cette jeunesse aux hormones bouillonnantes, c'était jeter de l'huile sur le feu, cela allait provoquer une prise de conscience nouvelle : la jeunesse comme contre pouvoir. Cela donna le Rock'n'Roll, terreau fertile aux contestations en tous genres puis, une décennie plus tard, temps nécessaire à une bonne maturation, comme pour les grands crus, mai 1968 un peu partout dans le monde avec sa corrélation la plus importante : le féminisme. La femme allait, elle aussi de son côté, se révolter contre ce patriarcat qui avait pris possession du monde depuis que ce primate qui allait devenir l'homme s'était redressé, il y a quelques centaines de milliers d'années.
Penser que le bikini et la découverte du clitoris vont de pair, c'est aller un peu vite dans les raccourcis, mais je comprends parfaitement le point de vue de monsieur Rochefort, le plus flegmatique et anglais de nos acteurs nationaux. Lui a vécu toute cette période. Il sait donc de quoi il parle.
On peut également soutenir que l'émancipation féminine doit son étincelle à Gustave Eiffel et l'invention du soutien gorge à armatures, un demi siècle plus tôt qui, en libérant ce corps tant désiré du carcan étouffant du détestable corset, donnant naissance aux suffragettes anglaises, Colette, Chanel et Marie Curie. Mais ces exceptions ne font pas loi. Il faudra attendre le début des années 70 pour voir, à mon plus grand bonheur et un émoi non dissimulé (oui, la simulation est plus compliquée pour l'homme que pour la femme), les filles retirer ce soutien gorge qui opprime cette poitrine, redevenue à cette époque à de justes proportions – début d'une androgynie égalitaire ?
Si le vêtement peut engendrer des Révolutions et faire se déshabiller les filles (ce qui est donc un comble : vouloir se vêtir pour se dénuder), on comprend pourquoi, aujourd'hui, dans ce vingt et unième siècle trop policé, on n'est pas à la veille, ni même l'avant veille, d'un changement notable.
19 Janvier - Réflexions sur le concept d'intelligence
S'il existe un schème difficilement définissable c'est bien l'intelligence. Comment parvenir à cerner ce qui est tellement diffus, insaisissable, imperceptible et pourtant si fondamental ?
En ressassant ce concept si fluctuant, en l'étirant dans toutes les directions, le malaxant tant et plus, il m'est apparu que la vraie, la seule intelligence demeurait l'art de savoir s'adapter.
Darwin n'est pas si loin : tous les animaux, tous les êtres vivants, d'une manière générale, peuvent être intelligents – et la disparition d'une espèce n'est pas gage de sa bêtise : il y a des événements contre lesquels on ne peut rien. Une météorite qui nous pète à la gueule, des océans qui débordent, des volcans qui se réveillent, une invasion extraterrestre, que sais-je...
Ainsi l'intelligence s'applique autant à la théorie qu'à la pratique. Savoir correctement utiliser ses mains, savoir observer son environnement vaut autant qu'avoir la faculté d'analyser et de synthétiser des concepts plus métaphysiques.
Savoir s'adapter, c'est faire preuve de finesse. C'est avant tout bien observer, faire jouer tous ses sens, ses capteurs. Mais savoir s'adapter c'est aussi avoir le talent de se mettre à la place d'autrui.
De là découle l'altruisme et la compassion. Oui, être intelligent, c'est être compréhensif, pacifiste. Il n'y a pas d'intelligence militaire.
Cela renvoie à la philosophie. Cet art de poser les questions tandis que la politique se concentre sur les réponses. Le questionnement est cérébral, il répond au « pourquoi ? » alors que les solutions ne sont que mécaniques, mathématiques, elles répondent au « comment ? »
La différence entre un métier et un travail n'est pas tant dans le savoir-faire mais bien dans cette scission fondamentale : réfléchir à ce que l'on fait. Ne pas répéter sottement des gestes, aussi précis qu'ils puissent être. Pouvoir s'adapter à toute nouvelle donnée, régler des problèmes inédits. Tandis que le travail n'est que répétition de gestes immuables, virant à l'ennui le plus souvent. Une activité robotique, facilement exécutable par une machine. Lorsque nous travaillons, nous devenons ces machines. Des ordinateurs se contentant d'aligner des uns et des zéros. L'intelligence informatique n'existe pas. L'A.I. non plus. Ce n'est juste qu'un tic de langage. Répétition jusqu'à l'ennui. Ennui qui engendre la bêtise.
Cette définition peut s'appliquer partout et pour tous. Ainsi les relations amoureuses. Oui, je sais, elles sont d'abord dictées par les sens, par le cœur – lieux où ne peut se nicher l'intelligence, à priori. L'intelligence du cœur n'est qu'un concept. Je préfère parler d'âme à ce moment-là. Le cœur n'est qu'une machine, un métronome. Rien d'inventif là-dedans. La passion ne s'embarrasse pas de raisonnement. Elle fonce sans réfléchir. On en a besoin, évidemment. Comme l'étincelle pour démarrer un feu. Mais sans braises, le foyer risque de s'éteindre rapidement et ne réchauffer que notre imagination.
Dans une relation amoureuse, comme dans un métier, comme dans la vie de tous les jours face à l'adversité, aux nombreux problèmes qui ne manquent pas de s'imposer, il faut savoir s'adapter. Donc, comme nous l'avons vu plus haut : se mettre à la place de l'autre.
J'aime assez à dire que l'intelligence du couple commence par ne pas utiliser le même côté du lit, soir après soir, ne pas instaurer cette habitude d'avoir toujours la même place à table, les mêmes rites, ces habitudes tue-l'amour.
Essayez d'échanger vos positions – je parle là du sommeil, le reste ne me regarde pas : faites ce que bon vous semble !
12 janvier : Tous à la tombe
Celui qui pense qu'une chose ou un système est fait d'un seul bloc se trompe dans les grandes largeurs.
Toute organisation présente des paradoxes, des ambivalences, des contradictions. Tout n'est ni tout blanc ni tout noir.
On entend souvent ces propos de comptoir affirmant haut et (surtout) fort que le monde actuel court à sa perte, que tout va de mal en pis, soutenu en cela par des nostalgiques d'un temps que les auteurs de telles incohérences n'ont pas connu et dont ils se forgent une image fausse.
C'était mieux avant. Pas si sûr.
Loin de moi de prétendre que tout est merveilleux dans ce monde chaotique, mais prenons quelques exemples sur lesquels argumenter.
A commencer par le pire du pire : la guerre.
Globalement, elle a tendance à perdre du terrain. Dix mille morts par an, globalement. On est donc loin des 6 millions exterminés en 5 ans... et je ne parle là que de l'épuration nazie pure et simple.
Les épidémies. On nous a tant rabattu les oreilles avec le Covid (1,8 millions de morts depuis 2020) alors que la grippe moissonne aux alentours d'un demi-million annuel. Cela prend plus d'ampleur avec les accidents de la route (un gros million annuel, malgré les spectaculaires avancées dans les pays riches qui contribuent à diminuer les victimes tout en augmentant sensiblement le trafic).
Je ne parlerai pas des deux causes de décès les plus radicales, spécialement en occident : les maladies cardio-vasculaires et toutes espèces de cancers. Celles-ci progressent au rythme de la dégradation de notre alimentation et de notre environnement. C'est là-dessus qu'il faut agir. Sans attendre.
En revanche, les accidents domestiques envoient 20 000 personnes au cimetière rien qu'en France. La fameuse « chute dans l'escalier » serait même la première cause de mort chez les moins de 15 ans – faut les voir dévaler les escaliers tels de véritables Candide Thovex sur les pentes enneigées. Ca vous étonne ? Oui, on n'en parle pas. Encore moins des 2 millions de morts au travail. Oui, vous avez bien entendu : le travail tue (enfin, quatre fois moins que le tabac, soyons honnêtes).
Les esprits chagrins avanceront que les conflits militaires se sont mués en batailles économiques, dézinguant au passage largement plus de victimes. Certes. Et l'abominable chiffre de deux millions de morts au travail est bien là pour le souligner. Seulement, c'est oublier un peu vite que les pyramides d'Egypte ne se sont pas élevées sans un sérieux pourcentage de pertes, que la condition de serf au moyen-âge n'était pas très enviable, que celle de l'ouvrier dans les premières manufactures n'était pas une sinécure, que les famines régnaient même aub cœur des régions riches. Au pire, le monde a juste un peu progressé. Mais un peu tout de même.
Prenons l'exemple de l'esclavage (ou de la domesticité chez les seigneurs) : il a été largement remplacé par des machines qui font le sale et répétitif boulot à notre place. Un progrès. Et le premier qui ose me rétorquer que les machines ont volé le boulot des ouvriers, je lui réponds : mais quel boulot ?
Il convient maintenant de progresser encore, non plus en nous bombardant de robots, d'intelligence artificielle, de logiciel censés nous rendre la vie plus douce. Je préfère une vie meilleure à du confort assuré.
Reste tout de même un sérieux problème. Et de taille : 9 millions de personnes décèdent chaque année dans le monde tout simplement parce qu'ils n'ont pas assez à... manger ! Presque la moitié de cet abominable chiffre concerne les enfants. Nouveau paradoxe : dans les pays dits riches le surpoids et l'obésité concerne quasiment la moitié de la population.
Il serait temps de partager. Mais pas n'importe quoi. Car ce n'est pas de TROP manger qui rend obèse, mais plus exactement de manger MAL.
Individualisme (5 janvier)
Paradoxe : l'évolution de nos sociétés occidentales voit l'individualisation portée à son plus haut sommet. Au détriment de la communauté. La personne n'a jamais été autant respectée de toute l'Histoire. On reconnaît partout l'unicité de chaque être vivant. Cela déborde maintenant sur la condition animale. Chaque personne est un trésor. Chacun a cette chance inouïe de pouvoir choisir. Jamais dans l'Histoire, nous n'avons eu notre destinée entre nos mains de cette façon.
Cependant, nouvelle ambivalence : jamais nous n'avons autant désiré ressembler à un modèle, jamais nous n'avons réagi d'un même mouvement, jamais nous n'avons vécu sur le même mode. Un vrai troupeau. On nous vend du particulier (bienvenue dans « votre » magasin – non, ce n'est pas « mon » magasin) en mettant tout en œuvre pour que l'on réagisse globalement. Miracle de la production de masse et la consommation à outrance. On nous laisse l'impression, fausse, de pouvoir choisir, alors que nos choix sont largement conditionnés.
D'une manière générale, ce qui donne l'impression que tout va mal, c'est justement de le savoir. La multiplication des sources d'information et, surtout, cette façon de pousser au sensationnalisme, de tout aggraver (ainsi, la présentatrice de la météo qualifiera un petit deux degrés de température polaire – je veux bien que le réchauffement climatique aille dans ce sens, mais deux degrés au pôle, c'est la canicule!) pour simplement attirer l'attention. On multiplie les images chocs, on se focalise sur des faits divers, oubliant au passage son ridicule pourcentage global. Si l'on montre des images d'accidents routiers, avec force gros plans sur des carcasses d'automobiles pliées – ou pire – on oublie simplement de mentionner que le nombre des tués diminue régulièrement d'année en année et même s'il était constant, il diminuerait relativement étant donné l'explosion de la circulation routière.
Autre paradoxe concernant cette individualité : on est plus seul au milieu de la multitude. Ces mégapoles qui font se coexister des millions de solitudes. Ces téléphones mobiles qui permettent de communiquer mais pas d'échanger. On parle, on filme, on envoie. Mais on ne partage plus. Nous sommes devenus des robots, réagissant plus par instinct que par raisonnement. Pascal, réveille-toi, nous sommes devenus fous !