Pourquoi fête-t-on Noël?
Un jour, la déesse de l’univers mis au monde, pardon, au cosmos, des triplés.
Il va de soi que les Dieux n’accouchent pas dans le sang et les larmes. Ainsi, trois esprits s’échappèrent des tempes de la Déesse et se matérialisèrent devant elle.
Le premier fut nommé Yael car il était sage et bon.
Le second, elle l’appela Satanael. Il avait le regard dur et l’esprit tourmenté.
Enfin, le dernier trouva tout naturellement le prénom de Noel. Il ne se mêlait pas aux jeux de ses frères.
On leur offrit une boule de feu pour les occuper ainsi qu’une poignée de cailloux. La déesse vit que ses enfants s’amusèrent grandement.
Satanael s’empare des cailloux et les jette, le regard mauvais. Noel détourne la tête, il n’aime pas les jeux violents.
Aussitôt, Yael ordonne les pierres qui se mettent lentement à tourner autour de la boule de feu en virevoltant sur elles-mêmes. Bientôt les cailloux difformes se transforment en jolies sphères bien rondes. Une bille, la troisième en partant de la boule de feu, est la plus belle de toutes.
Noel, resté à l’écart, s’approche et ne peut retenir une exclamation admirative. C’est le plus beau spectacle qui lui ai été donné d’observer. Un grand sourire illumine son visage d’ange.
En revanche, Satanael ne peut supporter une telle perfection et, de rage, envoie un dernier petit caillou qu’il gardait secrètement dans sa poche. Le projectile frappe durement la belle bille et lui en arrache une partie.
Noel s’apprête à pleurer de dépit, mais Yael réagit promptement. La partie projetée tourne maintenant autour de la troisième bille lui conférant un nouvel équilibre. Tout redevient normal à ceci près que dorénavant, la bille continue sa rotation légèrement désaxée, offrant tantôt un hémisphère aux rayons de la boule de feu, tantôt l’autre, comme si elle boitait dans son tour de manège.
Noel est de plus en plus captivé par les jeux de ses frères auxquels il ne participe pas. Il reste de longs moments à paresser, contemplant le spectacle que compose toutes ces billes formant de jolies ellipses autour de la boule de feu qu’il a surnommé Soleil.
Satanael bout de colère et souffle tout l’air qu’il avait dans ses poumons pour anéantir cette bille devenue encore plus belle depuis qu’elle possède ce petit satellite qui ne la quitte jamais, comme un petit chien qui tourne autour de vous en vous suivant partout.
Noel prend peur et se réfugie derrière Yael.
Loin de désintégrer la solide boule, l’air transporté se transforme en lourds nuages qui recouvrent toute sa surface. Bientôt, sous l’effet du refroidissement, de l’eau se met à couler. La pluie tombe sans arrêt, inondant la totalité de la sphère, lui conférant un nouvel aspect encore plus admirable que ses voisines. Noel est subjugué. Jamais il n’aurait imaginé admirer un tel chef d’œuvre.
Exaspéré au point de ne plus pouvoir se retenir, Satanael utilise son pouvoir ultime qu’il ne doit en aucun cas mettre en œuvre lors de leurs jeux avec ses frères. Heureusement sa mère, la déesse, lui tournant le dos, ne le voit pas.
Ses doigts tendus lancent des éclairs à la surface de la boulle, provoquant chaos et désolation. Noel est sur le point de se remettre à pleurer, effrayé par les déflagrations du tonnerre et les éclats de la foudre. C’est alors qu’au milieu de cet océan frappé continuellement par les assauts de Satanael, quelque chose se met à bouger par elle-même.
Les trois frères restent interdits, frappé de stupeur, ils ne bougent plus d’un pouce. Yael qui est la bonté même cherche à comprendre comment cela est possible. Leur statut de Dieux leur permet de mouvoir chaque chose mais jamais encore ils n’avaient été témoin d’objet pouvant se passer de leur aide.
Noel ouvre grand ses yeux et n’en croit pas son entendement.
Satanael, passé un moment de surprise, ne supporte pas que quelque chose puisse exister en dehors de son pouvoir. Il doit anéantir ces cellules qui commencent déjà à se multiplier et se diversifier sous l’insistance, il est vrai, de Yael.
Puisque qu’aucun projectile n‘est assez destructeur, aucun souffle assez puissant et que la foudre n’a pour but que l’exact contraire de ce qu’il recherche, Satanael joue cette fois en finesse.
Il déplace de grandes plaques sous la surface de la jolie boule qui foisonne maintenant de vie, espérant engloutir tout ce beau monde dans les entrailles brûlantes de la sphère.
Dans un premier temps les plaques en se déplaçant provoquent l’explosion de milliers de volcans, en s’entrechoquant elles soulèvent un fatras pas possible, une cohue de roches et de lave, un amoncellement désordonné.
Satanael jubile. Yael est inquiet. Noel est atterré.
Le mal a enfin vaincu. La jolie boule est toute ravinée, ravagée d’excroissances. Mais le sourire de Satanael s’estompe tandis que Yael redevient serein.
Loin d’avoir éliminé toute agitation à la surface de la boule, les efforts maléfiques de Satanael ont permit l’émergence de terres et la formation de magnifiques chaines de montagnes. Déjà les cellules les plus sophistiquées sortent de leur bain et un tapis d’herbe commence à recouvrir le sol.
Noel n’en croit pas ses yeux une fois de plus. Emerveillé, il suit pas à pas, l’évolution inexorable de la flore. Elle se densifie, quelques arbres commencent à étirer leurs troncs droit vers le ciel et déployer leurs vastes branchages sous les rayons du soleil.
Noel frappe des mains, il jubile. Car le spectacle est tout bonnement merveilleux, au-delà de ce que l’imagination la plus délurée peut concevoir même en rêve.
Grâce à cette verdure, l’atmosphère de la troisième bille change du tout au tout. Le ciel se colore du bleu le plus pur qu’il puisse exister, chargé maintenant d’oxygène.
Dès lors, Yael nomme cette bille singulière, la planète bleue.
Satanael reste pensif. Il prépare surement un mauvais coup.
Des animaux sont apparus à la surface de la planète bleue. Les plus gros, moins nombreux, dévorent les plus petits qui pullulent. Certains grignotent des plantes et Satanael a une idée de génie.
Il permet à certains animaux de grossir démesurément afin qu’ils dévorent toute cette végétation si luxuriante, une abomination à ses yeux, un affront au chaos qu’il vénère tant.
Noel pressent le danger et redevient triste, constatant que par endroits, les arbres sont moins hauts, l’herbe plus rase. Mais cela ne va pas assez vite au goût de Satanael qui, de rage une nouvelle fois, lance le dernier caillou qu’il cachait dans ses poches. Cependant celui-ci n’est juste qu’un fragment du dernier caillou qu‘il avait antérieurement jeté, il n’arrache pas un morceau de cette belle planète bleue mais provoque un séisme ravageur. Son cratère est visible à la surface et longtemps un nuage de poussière interdit au soleil de réchauffer le sol.
Tout dépérit, les plantes, les animaux.
Toute vie semble avoir disparu lorsque le nuage s’estompe. Ne subsiste qu’une immense lande de terre dépourvue de flore, entourée par des flots stériles.
Satanael saute de joie tandis que Yael se morfond. Il n’a rien pu faire. Noel sanglote dans un coin, les mains sur les yeux pour ne plus voir la catastrophe.
Tandis que Satanael savoure sa victoire en se tapant sur les cuisses, Yael scrute la surface de la planète bleue. N’a-t-il pas vu quelque chose bouger dans le sol?
Un léger monticule se forme, semblable aux volcans que son frère avait déclenchés auparavant. Mais celui-ci est minuscule, on le voit à peine. Il ne déplace qu’une terre bien noire en une infime éminence, puis, le sommet se creuse et on voit apparaitre le museau moustachu d’une petite bestiole aveugle, fière de son territoire, fière d’être là, peut-être l’unique rescapée du cataclysme.
Satanael cesse de rire, anxieux.
Car tout va alors très vite. Ironie du sort, alors que les gros reptiles étaient sur le point de tout avaler et par conséquent de s’éliminer eux-mêmes ainsi que toute vie sur la planète bleue, il a, contre sa propre volonté, donné sa chance à une évolution qui n’aurait jamais vu le jour.
Des milliers, des millions d’espèces toutes différentes inondent le sol, les eaux, le ciel.
Certaines se déplacent sur six pattes, d’autres n’en utilisent que quatre. Certaines ont des plumes qui leur permettent de voler dans les airs, d’autres une épaisse fourrure qui les protège du froid. Il y en a même qui ont des écailles, ou encore une lourde carapace qu’ils ont du mal à trainer. Noel écarquille ses yeux, n’en revient pas.
Là, un petit animal est hérissé de piquants, celui-ci est pourvu d’un museau démesurément long qui lui permet de fouiller dans les terriers. Celui-là arbore un cou démesurément étendu.
Yael est satisfait, il a gagné?la partie cette fois. Il y a des animaux de toutes les couleurs, il y en a même qui arborent de magnifiques rayures, d’autres ont des taches sur le dos, Noel a noté qu’un petit reptile prenait la coloration de l’endroit où il se trouvait, devenant ainsi invisible.
Et tout ce bestiaire chante et grogne, aboie, bêle, glapit, piaule, blatère, beugle, grisolle, cancane, jappe, stridule, rugit, clapit, pupule, feule, hennit, roucoule, gémit, chicote, couine, hulule, gazouille, zinzinule, grommelle, vrombit, bourdonne, jase, braille, siffle, brame, barrit, trompette, coqueline, nasille, chicote, cacabe, jase, glougloute, babille, râle, glousse.
Noel a même remarqué un oiseau capable de déployer un arc-en-ciel pour séduire sa belle. Yael le pousse du coude: là, une élégante aux jambes démesurées tisse une toile superbe.
Et ça foisonne, et ça grouille.
Dans les airs, les oiseaux réalisent des figures impressionnantes, ayant apprivoisé le vent. Dans les océans les poissons nagent avec la même grâce, la même fluidité. Des primates se balancent de lianes en lianes. Ca gesticule en tous sens sauf cet être nonchalant aux ongles longs qui passe ses journées simplement à ne rien faire. Quel paresseux! se dit Noel qui voit en lui son alter-ego.
Toutes les formes sont représentés. Il n’y a pas deux espèces identiques et chacun a son propre mode de vie, ses habitudes alimentaires, sa façon de chasser, sa manière de jouer.
Yael est satisfait. Il va enfin pouvoir se reposer.
Dans son coin, Satanael rumine. Il n’a pas dit son dernier mot. Il observe tout ce petit monde fourmillant où chacun a sa place, son équilibre. Nulle espèce ne domine l’autre.
L’idée jaillit comme la langue du caméléon.
Les ruses grossières, les décisions à l’emporte-pièce dictées par les exaspérations de sa mauvaise humeur tout autant que ses coups de tête ou de sang se retournent toujours contre lui. Satanael l’a enfin comprit et il a décidé d’utiliser de plus fins et pervers stratagèmes.
Satanael repère parmi les primates le plus malin, le plus dégourdi. Lentement, il lui libère ses pattes supérieures en le faisant se déplacer debout. Bientôt tous se moquent de cet animal instable qui ne possède même pas d’ailes, ses deux bras ne servant apparemment à rien. Et c’est bien connu, ce qui ne sert pas dans la nature est voué à disparaitre.
Mais Satanael a plus d’un tour dans son sac. En libérant ces pattes, il permet ainsi au primate de s’en servir comme il le souhaite, n’étant plus tributaire d’elles pour se déplacer. Bientôt, il est capable de fabriquer des outils rudimentaires. Mais l’idée de génie qu’a Satanael est de lui faire approvisionner le feu. Jusque là, seuls les Dieux avaient ce privilège.
Est-ce le ressentiment né de l’humiliation d’avoir été l’objet de tant de moqueries quant à sa posture, ou bien une sourde et profonde vengeance dont le motif reste trouble ou simplement la jalousie de ne pas posséder tous les attraits que les autres créatures disposent, il ne va cesser de maîtriser son monde.
Noel et Yael se regardent. Assurément, leur frère a créé un monstre sur cette petite planète bleue.
Effectivement, très vite l’animal prolifère. Il commence à détruire la nature autour de lui, massacrant les animaux ou les rendant en esclavage. Pire: il applique cette méthode à ses semblables. Ainsi nait la guerre, la désolation, les pleurs et un nouveau chaos où Satanael n’a même plus besoin d’intervenir. Celui-ci sourit de bonne grâce. Il a enfin réussit, par une astuce implacable à dominer, à gagner la partie.
A ce rythme là, tel un cancer rongeant les cellules saines, le monde sera anéanti d’ici peu.
Vient à Yael une idée. Il faut jouer sur le même terrain que Satanael.
Il choisit le plus humble parmi ces hommes et lui souffle à l’oreille. Il va répandre la bonne parole du généreux Yael chez les hommes. Au début, personne ne l’écoute. Puis se forme un petit cercle autour de lui, juste une douzaine d’individus. Alors, il déplace des foules, on lui attribue de véritables miracles. La foule est aveugle et cela désole Yael. Mais c’est pour la bonne cause.
Noel regarde tout ça du fond de son coin et semble perplexe. Il doute qu’un seul individu puisse influer la course effrénée du monde.
L’homme à qui Yael avait parlé finira cloué sur une croix et son discours sera déformé, sa pensée trahie, son objectif trompé. Pire: en son nom, on provoquera de nouvelles guerres et d’inédites tortures, des condamnations sans preuves, des mises à l’écart. On tuera, on assassinera, on massacrera des millions d’innocents.
Satanael exulte. Jamais il n’aurait pensé que cela soit si facile. Il a trouvé en l’humain un allié qui le surprend toujours dans sa férocité, dans sa cruauté, dans sa perversion.
Yael parlera à d’autres hommes. Mais personne ne les comprendra, on les écoutera d‘une oreille distraite, un sourire indulgent aux lèvres. C’est un original pensera-t-on. Ou bien ils feront peur aux détenteurs d’un pouvoir inventé par cette infernale créature. On déformera alors leurs propos. On les jettera en prison.
Encouragé par sa réussite, Satanael imagine des créatures magiques afin d’effrayer davantage les hommes.
Les forêts et les montagnes sont désertées. La peur engendre la violence. Les contes et les légendes sont remplis de toutes ces créatures imaginaires et cela les rend encore plus réelles, plus menaçantes.
Satanael se sert de l’intelligence de l’homme pour la retourner contre lui et contre le reste du monde. Partout où il passe, celui-ci massacre et saccage et ne fait que croître sans limite exceptée celle qu’il se fixe lui-même, à savoir des guerres sanglantes et meurtrières.
Noel s’est réfugié dans son coin, abattu par tant de violence et d’exactions. Il ne sourit plus.
Yael continue de penser au bien. Fatigué par la rude partie en jeu, il n’abdique pas.
Puisque l’ignorance engendre la peur qui provoque la barbarie, il va développer l’esprit scientifique dans la tête des hommes.
La science a réponse à tout, ou presque.
L’humanité est rassurée.
Les démons et les mauvais génies disparaissent comme par enchantement. La maladie recule. On vit mieux, plus longtemps. Débarrassé de ses peurs, l’homme peut enfin se consacrer aux idées. Le ventre plein, il peut penser autrement qu’avec ses tripes et son sang.
On entrevoit une issue à cette période noire.
Cependant Satanael n’abandonne pas.
De cette science révolutionnaire, il invente la technologie. Les créatures maléfiques des contes et légendes se matérialisent maintenant dans des objets récalcitrants, censés adoucir la vie des hommes, la leur rendre plus aisée mais au bout du compte leur proposant de nouveaux soucis, encore davantage de tourments.
Les effrayants ogres des légendes rugissent maintenant de toute la puissance de moteurs à explosion qui assourdissent et polluent l’air d’une fumée nauséabonde.
Les mauvais génies des histoires racontées se transforment en égoïsme forcené.
Les guerres dévastatrices d’antan sont remplacées par une volonté de performance à tout prix qui laisse sur le carreau des millions d’êtres démunis.
L’argent roi a remplacé les boulets de canon. Le commerce s’est substitué aux légendaires peurs ancestrales. Et plus personne ne se parle, ne s’écoute. C’est chacun pour soi.
Cette fois, c’est fini. Satanael a gagné la partie.
Yael s’assoit, dépité, découragé, anéanti.
Le bien n’aura pas vaincu le mal. Devant la toute puissance de son frère, devant son sourire carnassier de vainqueur, Yael baisse les yeux. Il a échoué. Lamentablement. Tous ses efforts ont été réduits à néant. Rideau.
Dans son coin, allongé dans une posture nonchalante, juste soutenu par son bras droit, Noel laisse échapper un soupir de désolation et de consternation. Son souffle atteint la planète bleue au moment où elle passe devant lui, poursuivant sa lente rotation en ellipse. Il émane de cette expiration tant de pureté et l’innocence.
Alors, tout s’arrête sur la petite bille bleue.
Les gens se parlent, se sourient. Les guerres s’arrêtent. La course au toujours plus cesse. On s’embrasse, on se souhaite du bonheur, on se fait des cadeaux. On se parle, enfin. Les enfants sont au cœur de toute cette bienveillance inédite. On les serre dans ses bras. On leur offre des friandises. On leur accorde le pardon. On les recouvre de cadeaux. Les sourires ont remplacés les mines tristes. Et plus personne n’a peur. Plus personne n’a froid. Plus personne n’est seul.
Satanael est étonnement surprit. Comme est-ce possible? Comment ce fainéant de Noel a-t-il pu accomplir ce que son généreux frère, la bonté même, n’a pas pu réaliser?
Il est tellement éberlué qu’il ne sait quoi répondre. Il reste là, les bras ballants, exténué, assommé.
Yael relève son regard et, heureux de cet étrange dénouement, pense jouir enfin d’un repos bien mérité. Finalement, le bien a gagné. Il peut alors se relaxer, un vague sourire sur les lèvres.
Mais Noel est infiniment paresseux. Il reste couché dans son coin et ne souffle sur la planète bleue que lorsqu’elle passe près de ses lèvres, une fois à chaque rotation complète.
Un jour par an.
Dans notre calendrier, cela tombe le 25 décembre.
Et c’est pour ça que ce jour bénit entre tous se nomme Noel.
?