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La fille du Géant

 

Il y a bien longtemps vivait un géant et sa fille au sommet de la montagne. C’était un temps reculé que même la meilleure mémoire du plus vieux d’entre nous ne peut se souvenir. Les hommes ne s’aventuraient pas sur les sommets en ces moments là. Ils savaient que des créatures monstrueuses y habitaient. C’est eux qui envoyaient de grands éclairs de lumière en rugissant si fort lorsque la chaleur devenait suffocante que même les mouches devenaient folles au cœur de l’été. C’étaient eux qui soufflaient si fort les soirs d’hiver que même la lourde porte d’entrée laissait passer l’air glacial venu des sommets. Il ne valait mieux pas s’aventurer sur ces contrées inhospitalières où l’on pouvait y faire de mauvaises rencontres. Les hommes vivaient tranquillement dans les vallées et le géant et sa fille sereinement au sommet de la montagne.

Cependant la fille du géant s’ennuyait. Elle n’avait aucun compagnon de jeu et tournait en rond dans le château.

Un jour, elle descendit de la montagne et fut émerveillée par le spectacle qui s’offrait à ses yeux.

Ca grouillait de petites créatures qui s’affairaient dans la campagne verdoyante. Elle repéra un homme qui arpentait un grand champ mais qui n’était pour elle pas plus large qu’un mouchoir de poche. Elle observait les gestes de l’homme qui ensemençait la terre, envoyant de larges poignées de graines dans un geste large et non dépourvu de grâce. Il avançait lentement sur un rythme connu de lui seul, accompagné d’une jolie mélodie qu’il sifflait dans le petit matin. Il était vêtu d’une chemise à grands carreaux et un pantalon de velours brun. Il portait un large chapeau relevé sur un front volontaire et une paire de gros sabots qu’il avait taillé lui-même l’hiver précédent. Une veste rapiécée aux coudes pendait sur le manche d’une bêche, plantée à l’extrémité du champ. La fille du géant pensa que le petit homme ferait un excellent jouet et elle le prit dans sa main. Il gesticulait et poussait de petits cris qui firent éclater de rire la fillette.

Rentrée au château, elle s’empressa de montrer sa découverte à son père.

« Malheureuse! » lui répondit-il lorsqu’il vit le paysan se débattre dans sa large main de gamine géante.

« C’est un paysan qui travaille dur toute l’année. Il cultive du blé. Sans blé, point de farine. Sans farine pas de pain. Sans pain, comment ferions-nous pour vivre? Rapporte le immédiatement dans son champ! »

La fille du géant s’en retourna, dépitée et honteuse d’avoir fait tant de peine à son père. Elle déposa le paysan au bord de son champ où il reprit son labeur aussitôt.

En revenant au château, elle croisa un drôle de petit homme qui gardait un troupeau de vaches. Il était encore plus minuscule que le paysan dans son champ. Il était assis, un long bâton à la main et chantonnait un air qui plaisait bien à la fille du géant. Elle l’observa un moment. Parfois, il se levait et menait le troupeau sur un autre pâturage où l’herbe était plus tendre, plus verte, tout en continuant de fredonner un nouvel air. En marchant, il donnait des coups de pied dans les mottes de terre qu’avaient formées les marmottes en creusant leurs galeries.

La fille du géant trouva cela amusant et préleva le garçonnet au béret ainsi que deux ou trois vaches blanches aux flancs noirs.

Rentrée au château, elle fut accueillie une nouvelle fois par les foudres de son père.

« Miséricorde! Le berger! Sais tu que sans ce petit, le troupeau ne brouterait pas la meilleure herbe et que la viande dont nous nous nourrissons serait maigre et fade. Rapporte tout de suite le petit berger et ses vaches dans son pré. »

Une nouvelle fois, la fille du géant baissa la tête, et déçue qu’on lui retire son nouveau jouet, rendit le berger et ses vaches à son pâturage. Elle était triste de ne pouvoir trouver un jouet avec lequel s’amuser comme tous les enfants de géants du monde.

Sur les coteaux, elle découvrit un homme assorti d’un curieux artifice. Il portait une large hotte de baguettes d’osier tressées sur son dos et maniait un instrument coupant de sa main droite. Il vendangeait son lopin de vigne en sifflotant un air gai. La fillette se dit qu’il n’y avait aucun mal à prélever celui là qui semblait bienheureux et parfaitement inutile à son père.

Elle enfouit le viticulteur dans sa poche et, sautillant comme au printemps, elle remonta au château.

Une fois encore, son père l’accueillit avec des reproches dans ses yeux noirs.

« Que diable ai-je fait pour avoir une gamine pareille? Tu me rapportes un vigneron qui récolte ses grappes. Le raisin devient du vin, ce vin qui me désaltère bien agréablement lorsqu’il fait si chaud. Relâche immédiatement ce pauvre homme, qu’il continue à œuvrer dans sa vigne et que la récolte soit bonne. »

La fillette était désemparée. N’y avait-il personne avec qui elle puisse jouer?

Elle promenait sa déception par la forêt. Elle avait toujours aimé s’y perdre. Elle appréciait la douce fraicheur que le feuillage lui procurait, le tapis de mousse sur lequel elle se reposait et jusqu’au vent qui soufflant dans les hautes branches l’apaisait. Elle entendit des coups de hache et des chuintements de scie. Là encore, de petits bonshommes s’affairaient comme dans les champs, sur les pâturages et les vignes. Sont-ils donc partout? Se demanda la fillette. Elle examina attentivement les bucherons. Eux aussi entonnaient des chants, plus virils que ceux qu’elle avait entendu jusque là. Elle réfléchit et se dit que son père ne mangeait pas d’arbres et qu’il n’y avait donc aucun risque qu’il ne se mette en colère si elle rapportait un de ces spécimens.

Elle s’avança vers les hommes de la forêt, en ramassa une poignée mais ceux-ci étaient moins dociles que les habitants de la vallée. Ils maniaient maintenant leurs haches tranchantes et leurs scies aux dents acérées sur ses doigts sensibles.

Aie! Cria la fillette en lâchant sa poignée de bucherons. Aussitôt, ils reprirent leur labeur en chantant. La fille du géant était contrariée. Ne savaient donc ils pas qui elle était? N’en avaient ils pas peur comme tous les autres habitants de la vallée?

Par jeu, elle poussa d’une pichenette les hommes aux instruments tranchants mais d’autres s’acharnaient déjà sur ses tendres petits pieds.

Ouille! Lança la fillette en se tenant le pied droit et en chancelant sur l’autre. Elle perdit l’équilibre et s’affala de tout son long comme un arbre qu’on abat. Elle voulait se relever mais déjà les hommes des bois l’enserraient de lianes de lierre qu‘ils fixaient aux arbres environnants. La fillette gonfla son torse et se libéra des liens dans un immense fracas. Tous les arbres auxquels ils l’avaient attachée furent emportés. Elle partit en courant vers le château, tandis que les bucherons, ravis de la besogne ainsi abattue sans aucun effort commençaient à ébrancher les troncs sans le risque que ceux-ci ne leur tombent sur la tête.

La fillette s’enferma dans sa chambre au sommet de la tour du château et n’en sortit plus jamais.

 

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