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Je Pense... donc j'écris 2023

Je Pense donc j'écris (journal)

31  Décembre -  Evolution 

En ouvrant un énième livre sur l'Histoire du vivant, de profondes réflexions viennent naturellement à l'esprit.

Avant toute chose, il existe deux manières de raconter cette fabuleuse Histoire. Notre Histoire. Soit en partant d'aujourd'hui et en remontant le temps jusqu'à ses premiers balbutiements, un peu à la manière d'un généalogiste recherchant ses ancêtres. Soit en partant du début pour aboutir au monde actuel. Cette solution comporte un biais : celui d'affirmer, plus ou moins ouvertement, que nous sommes, nous les humains, la finalité de l'Evolution. Tout semble parvenir à la conscience de soi, qui est sinon le propre de l'homme, du moins son aboutissement le plus élevé.

Pourquoi la vie existe-t-elle ? Le comment, on sait tout juste y répondre depuis à peine quelques dizaines d'années. Quant au pourquoi : y a-t-il une finalité, seulement ?

En relatant l'histoire en partant de ses débuts, on ne peut s'empêcher de tomber dans ce biais de la finalité. Tout sembler s'organiser pour faire apparaître l'humain. Cependant, on pourrait tout aussi bien raconter l'évolution du point de vue de l'éléphant, du mollusque ou de l'étoile de mer. La vie n'aurait donc pas d'autre but que celui d'exister tout simplement ?

Les étoiles, ces gigantesques centrales nucléaires, en formant des atomes toujours plus compliqués, ne participent-elles pas aussi à cette sophistication ?

Pour n'importe quelle espèce, survivre revient à conserver un équilibre. Cet équilibre de survie est encore plus difficile à tenir quand on est capable de maîtriser son environnement. Ce qui est le cas de l'humain. Et cette maîtrise de l'environnement est la conséquence d'une conscience de soi même. Cet individualisme qui pousse l'espèce à se surpasser, à être curieux au-delà de toute mesure, à vouloir connaître ce qui se cache derrière les choses, à aller plus loin. Inévitablement, on parvient à pouvoir dominer les autres espèces. Il ne s'agit donc plus d'un simple équilibre (ni trop, ni trop peu) pour la survie de l'espèce mais d'un équilibre de notre action sur notre milieu (suffisamment pour assouvir nos envies, mais pas trop pour de pas le détériorer et scier la branche sur laquelle nous nous tenons).

Un organisme qui n'évolue plus est un organisme qui a trouvé son équilibre. Sa perfection, d'une certaine manière. Du moins sa parfaite adaptation aux circonstances.

L'évolution s'accélère quand les conditions, généralement climatiques, se dégradent. Les grandes extinctions sont du reste de formidables catalyseurs.

L'humain se cherche encore. Le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas adapté à son environnement. Il a grandi trop vite. J'entends : son cerveau s'est développé trop rapidement. Le milieu n'a pas suivi. Alors, nous avons utilisé la technologie pour palier à nos déficiences. Pour nous déplacer, pour nous nourrir, pour nous chauffer, pour nous protéger.

Et nous courrons à notre perte, en emmenant une bonne partie des autres formes de vie avec nous dans cette sixième grande extinction qui a déjà commencé.

Il est peu probable que les créatures qui ont les besoins les plus élevés y subsistent.

Il y a un autre problème venant stopper l'évolution humaine. Selon Darwin et sa théorie communément admise, les espèces évoluent par transformation de leur gènes, certains mieux adaptés que d'autres à l'environnement ambiant. Lors d'une période glaciaire, celles et ceux qui présentent une belle et bonne couche de graisse seront avantagés par exemple.

Seulement, depuis un bon siècle et les progrès justifiés de la médecine, nous sommes capables de réparer, d'assister les plus faibles. Humainement, c'est respectable, d'un point de vue évolutionniste, c'est stagner en conservant toujours les mêmes gènes, puisque les plus adaptés ne seront pas les seuls survivants. En poussant ce raisonnement jusqu'au bout, on parvient, non sans quelque effroi, à rejoindre l'eugénisme et les plus sombres théories nazies. L'humain s'affaiblirait en conservant les plus faibles, en ne sachant plus évoluer pour s'adapter à de nouvelles conditions. Mal adaptés, nous serions réduits à toujours l'être.

Quelles seront alors les espèces qui régneront sur la Terre pour les siècles à venir ? En attendant le big crush final, programmé dans quatre milliards d'années, quand notre soleil, en fin de course et ayant épuisé toute son hydrogène, gonflera pour exploser dans un superbe feu d'artifice. Qui, à ce moment-là, en sera le spectateur abasourdi ?

Pour parvenir à émettre des hypothèses censées, il faudrait connaître deux choses : l'état de la planète à la suite de cette extinction majeure et quels seront les survivants.

Les modèles que nous possédons sont les extinctions passées, à commencer par la dernière en date, il y a 65 millions d'années.

La percussion d'un astéroïde qui engendra un hiver de quelques années, rayant de la carte pas mal de plantes – toutes celles qui se basaient sur la photosynthèse pour vivre. Alors, pourquoi y a-t-il encore des arbres et des herbes ? Simplement parce que leurs graines ont hiberné. Certaines essences sont capables de résister à des températures affolantes et parvenir à germer suite à un gigantesque incendie.

D'une façon ou d'une autre, plus l'espèce est petite, moins ses besoins sont importants, plus elle a de chance de survivre. Les dinosaures n'avaient, à terme, aucune chance. Météorite ou pas. J'aimais bien cette parabole voulant qu'à force de dévorer les plantes, celles-ci viennent à manquer et que les grands herbivores disparaissent, l'estomac vide, éliminant avec eux leurs propres prédateurs.

Ainsi, au vu de ce qui nous attend, je miserais volontiers sur le développement des insectes. Ces petites bestioles sont partout et représentent l'immense majorité des espèces sur Terre. On parle d'un million d'espèces différentes, sûrement davantage étant donné que nous n'en connaissons qu'à peine la moitié. Du reste, les insectes ont parfaitement traversé la dernière extinction de masse.

D'après de simples probabilités, elles possèdent tous les atouts pour perdurer. Ils sont invincibles.

Seulement, il n'est pas sûr qu'elles puissent dominer le monde, comme l'ont fait les dinosaures ou l'humain. La plupart existaient avant les grandes bestioles et ne se sont jamais développé, tant en taille qu'en domination sur les autres espèces.

Mais la conscience de soi (pour éviter d'utiliser le terme intelligence, soumis à caution) est-elle une finalité en soi ? Puisque la nature n'a pas de volonté propre que celle d'aller vers toujours plus de complexité. Ce qui ne veut pas forcément dire : intelligence.

L'autre exigence de la nature est la vie, elle-même.

Il est fort à parier, même si TOUTE forme de vie venait à disparaître, que tout pourrait redémarrer comme au premier jour.

Cela implique que l'on efface toute l'ardoise, qu'il ne subsiste aucune piste pour poursuivre la grande saga du vivant. Repartir de zéro.

Si il s'est produit cette étincelle quelque part dans l'océan primitif, elle pourrait à nouveau avoir lieu. Mais justement, peut-être parce que ces conditions étaient primitives, avec un soleil jeune, un rayonnement cosmique qui, paradoxalement, est à l'origine de la vie et lui est devenu son pire cauchemar (le rayonnement cosmique détruit les brins d'ADN).

Cela nous amène à imaginer la possibilité de vie sur d'autres planètes dans d'autres systèmes solaires.

Notre graal depuis toujours.

Ce n'est pas étonnant. Ce qui serait surprenant, c'est justement le contraire.

Notre galaxie présente cent milliards d'étoiles. Qu'il faut multiplier par cent milliards de galaxies. S'il y a une chance sur un milliard que la vie puisse se développer, cela donne dix millions de milliards de possibilités. Et si, sur ce milliard, une seule aboutit à la conscience d'elle-même, il reste encore dix millions de nos lointains cousins.

 

 

24 Décembre - des Questions et des  Réponses

En cosmologie, il existe encore quelques questions dont les réponses, autrement dit les théories ou les hypothèses, ne satisfont pas le milieu scientifique.

On connaît désormais bien le Big Bang. Enfin, plus exactement la théorie du Big Bang, parce que, à l'instant T du big bang, c'est le flou total. Qu'est-ce qui l'a déclenché ? Y avait-il quelque chose avant ? Comment s'est agencé ce formidable amas de matière (imaginez TOUT l'univers actuel dans un espace pas plus grand que notre poing) ?

Franchement, on n'en sait rien. A tel point que certains pensent même que les lois immuables de la physique ne s'appliquent plus à cet instant. Peut-on même parler d'instant à un moment où le temps n'existe peut-être pas encore ?

L'univers est en expansion, conséquence première de cette fameuse théorie. Toutes les équations le démontrent, toutes les observations le prouvent. Seulement il est contre intuitif et même en opposition aux lois de la physique car toute la masse de l'univers devrait plutôt tendre à ralentir le processus, à cause de la force de gravité qui s'applique entre les objets célestes, qui ont une masse.

Du reste, cette masse de l'univers pose problème. En additionnant la masse de toutes les galaxies, on n'arrive à peine à 20 ou 30 % de la masse totale, soit un chiffre incompréhensible de 2,78 fois dix puissance 54 kilos (un suivi de 54 zéros). Cette matière noire majoritaire, on ne sait pas où elle se cache. Ni ce dont elle est responsable, peut-être justement cette accélération délirante ?

A l'inverse, l'anti matière qui devrait, selon les hypothèses et les équations, être à égale quantité de la matière palpable est excessivement rare. Bon, c'est une chance, parce que si d'aventure vous rencontriez votre anti-vous, vous disparaîtriez comme le lapin du chapeau du magicien.

Le savoir est comme un ballon que l'on gonfle : plus son volume augmente, plus la surface avec l'inconnu progresse. Les questions apportent davantage de nouvelles questions que de réponses définitives. Du reste, on l'a bien compris : les questions qui n'engendrent que des réponses simples, trop simples, sont de mauvaises questions, plutôt leurs réponses ne sont pas les bonnes – étant donné qu'il n'existe pas de mauvaise question, seule l'ignorance est à pourchasser. D'ailleurs, une question intéressante n'est-elle pas celle qui engendre plus de nouvelles questions qu'une toute simple réponse définitive ?

Tout se complique au fil du temps. Il suffit de se rendre compte du cumul de connaissances qu'il faut absolument ingurgiter pendant l'enfance, ne serait-ce que pour simplement continuer à vivre. Des notions de grammaire et d'orthographe depuis que l'homme communique en écrivant. Des rudiments de calcul depuis que l'économie régit le monde. Un peu d'économie, un soupçon d'histoire, quelques principes de géographie, de physique et de chimie. Mais surtout, un flot incalculable d'usages techniques, technologiques et dorénavant, informatiques. Comme un second langage. Connaître le fonctionnement de plus en plus d'objets, de plus en plus perfectionnés, compliqués.

Sans parler du savoir général... qui augmente plus vite qu'il ne peut être retenu.

Ainsi cette galéjade de l'écolier rentrant de l'école et soupirant à son grand-père : « tu as eu de la chance, toi, tu avais moins de choses à apprendre en histoire ».

 

17 Décembre - l'Apprenti sorcier

L'homme est un animal qui réfléchit... souvent après avoir agi. Cela se constate dans n'importe quel aspect de sa vie, et plus particulièrement quand il invente.

Porté par son enthousiasme débridé, l'apprenti sorcier ne peut s'empêcher de diffuser sa trouvaille sans se soucier des dommages collatéraux.

Quiconque cuisine un tant soit peu bénit comme un miracle les revêtements en Téflon des diverses poêles et casseroles permettant de réduire sensiblement les matières grasses sans que les précieux aliments n'attachent au cul des casseroles.

Seulement voilà, on a beau manger sainement, privilégier les fruits et légumes bio, aller jusqu'à les cultiver soi-même, on n'est pas à l'abri d'attraper un cancer de derrière les fagots. En cause : ces fameux revêtements en Téflon.


 



 

Au départ, peu avant la deuxième guerre, un chimiste a eu l'idée de manipuler pour les célèbres duPont de Nemours, une molécule de carbone et d'augmenter la chaîne en composées fluorés, rendant plus stable la fameuse molécule miracle.

Il a appelé ça un polytétrafluoroéthylène, plus connu par son surnom : Ptfe. On l'emploie partout où l'on veut une imperméabilisation maximale : bottes, vêtements anti pluie, jouets, ustensiles de cuisine. Seulement voilà : juste retour des choses, ce composant étant plus dur, plus résistant, il se désagrège moins rapidement (et c'est justement ce qu'on lui demande). Il a donc tendance à rester dans notre organisme lorsqu'il y pénètre et ne pas y faire que du bien. Et il peut le faire, car à haute température, le revêtement de nos poêles se désagrège et passe dans les aliments, tous autant bios et sains qu'ils soient. Et le fluor, s'il est bon pour les dents, est très mauvais pour notre santé globale.

DuPont, le géant américain de la chimie, qui a conçu ce fameux Téflon et toutes ses applications, est poursuivi en justice depuis plus de vingt ans. On comprend mieux pourquoi le géant de la chimie fait traîner les choses : le Téflon lui rapporte un milliard de dollars par an. Des bénéfices, madame, pas le chiffre d'affaire. Un milliard de dollars.

Suite à l'obstination de quelques avocats (dont le film Dark Waters relate très bien le chemin de croix), l'administration américaine a lancé une campagne de dépistage en 2007. Contre 400 dollars, une simple prise de sang. Les résultats dépassèrent les plus folles espérances : 70 000 personnes sont venues donner leur sang. Cinq ans après, près de 3000 d'entre elles développaient déjà un cancer. Car la molécule est rendue responsable de pas moins de six maladies graves. Au bout de 20 ans, DuPont a indemnisé au compte-goutte à hauteur de 650 millions de dollars. Une goutte d'eau dans leurs bénéfices. Un milliard de dollars par an.

Bref, je ne vais pas m'appesantir sur cet exemple. Car, ce qui fait froid dans le dos, donne le tournis et empêche de dormir... ou les trois à la fois, c'est de savoir que tout cela n'est que la partie visible du gigantesque iceberg qui nous menace.

Pollution de l'air, en particulier les particules fines provenant des moteurs diesel. C'est désespérément bien conçu : les pots d'échappements sont situés pile poil à hauteur des poussettes de bébés.

Les nitrates et les pesticides qu'on retrouve un peu partout, une fois disséminés dans la nature.

Les métaux lourds transformés dans la grosse industrie. Les Terres Rares et autres minerais dans toute la technologie qui a envahit nos vies.

Les déchets nucléaires dont on ne sait que faire, en les renvoyant à son son voisin telles de gigantesques patates chaudes.

Toutes les ondes qui nous environnent et dont aucun étude n'a eu vraiment le temps de donner de pertinentes et précises réponses.

Les perturbateurs endocriniens, très discrets et agissant même à très petites doses, mettant au final en péril notre propre reproduction.

Les exemples peuvent se multiplier à l'infini et la question du CO² dans l'atmosphère devient, dès lors, une goutte d'eau dans cette chape de catastrophes qui pèsent sur nos têtes et nos épaules et nous menacent insidieusement.

Pourtant la médecine a fait d'énormes progrès depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Mais, justement, comme le lièvre qui ne rattrapera jamais la tortue (lire comment à la fin du billet, pour celles et ceux qui n'ont lu que La Fontaine), les secours médicaux auront toujours un temps de retard sur le génie chimique productiviste, car armé de plus fortes motivations (l'appât du gain est le plus évident).

Un médicament, c'est simple : soit il ne fait rien et on l'appelle placebo – en réalité, ça peut marcher, car persuader le patient qu'il va guérir, il peut – je dis bien : il peut, tous les croyants qui se rendent à Lourdes n'en reviennent pas tous guéris, mais ça s'est vu – il peut déclencher un processus de guérison... Tout comme son cerveau a, dans toutes les maladies psychosomatiques, déclenché le problème.

Soit, la molécule est active. Mais si elle résout un dysfonctionnement, elle est capable, dans bien des cas, de détériorer un autre organe, ailleurs. Il n'a qu'à voir la liste d'effets indésirables au dos des modes d'emploi. Sans parler de l'accoutumance qui réduit les bénéfices du médicament miracle.

En résumé, je suis même étonné qu'on ne soit pas plus malades.

Et tout ça à cause de quoi ? La volonté farouche de jolis bénéfices sonnants et trébuchants en titillant la fibre du découvreur, le scientifique naïf et idéaliste qui ne recherche que son graal... sans penser que d'autres, plus commerciaux et à l'éthique plus fine, aux scrupules moins lourds, vont utiliser les belles trouvailles sans aucun principe de précaution (ou simplement pour la forme) : combien de médicaments retirés du marché après un scandale, alors que les laboratoires sont les premiers à avancer l'argument de l'innombrable batterie de tests qui prennent un temps fou pour justifier les prix démesurés de simples molécules. S'ils prenaient réellement tout le temps voulu, les médicaments seraient moins nocifs.

L'homme est depuis toujours un apprenti sorcier qui n'hésite pas à brûler les étapes pour le confort de quelques-uns.

Mais revenons à notre problème d'imperméabilité. Bien sûr, une fibre Gore-Tex, c'est bien. Pourtant, prenez une feuille de chou : aucune pluie ne la traversera. Pourquoi ne pas synthétiser la molécule de la feuille du chou, alors ?

* La fable du lièvre : laissons à notre léporidé dix bons mètres d'avance sur la paresseuse tortue. Le temps qu'il va mettre à combler son retard, la tortue aura avancé d'un petit mètre (mettons qu'elle voyage dix fois moins vite). Pendant qu'il parcourra ce simple petit mètre (si tant est qu'il puisse exister de Grands et de Petits mètres), notre amie la tortue aura progressé de 10 centimètres. Ces dix centimètres, il faudra encore un soupçon de temps au lièvre pour les parcourir... Mathématiquement, le lièvre NE PEUT rattraper la tortue. C'est bien connu : avec les maths on peut TOUT expliquer.

10 décembre - le Pourquoi et le Comment 

Nous vivons dans des sociétés nord occidentales qui ont tout basé sur la résolution du « comment ? ».

La science ne vise rien d'autre que chercher à savoir comment fonctionne notre monde, le vivant, les astres, les appareils eux-mêmes issus de la technologie qui a pour principe la science.

En médecine, on a fait d'énormes progrès depuis cent ans pour réparer, soigner, réanimer. On sait quasiment tout faire. Mais, en prévention nous avons un joli zéro pointé. Tout ce que nous savons faire, c'est multiplier les tests, les contrôles, les dépistages, sans aller comprendre pourquoi nous tombons malades.

Sur ce point, les sociétés dites primaires sont en avance sur nous. Sans éviter toutes les dérives possibles, elles ont cependant compris que la machine humaine est un tout : l'esprit, l'âme et la chair sont intimement liés. L'un influe l'autre. Malades, affaiblis, notre moral en prend un coup. Mais bien plus encore, notre cerveau est capable de déclencher des pathologies pour combler un manque, afin de donner une réponse physiologique à un problème purement psychologique. Les deux tiers, voire davantage, des cancers proviennent d'un dysfonctionnement mental.

Néanmoins, le comment est palpable, mesurable : on peut facilement le traduire en équations. Le comment est étranger à notre être. C'est une pratique, non une essence.

Le pourquoi, en revanche, puise sa source au plus profond de nous. Au cœur même de ce que nous sommes. Si la manifestation tangible du comment est la science, le pourquoi pourrait se trouver dans la théologie. Mais attention : le domaine religieux ne devrait pas avoir le monopole des questions que l'on se pose. Ce n'est qu'une piste possible, une solution parmi d'autres.

Ainsi le pourquoi est-il moins facile à appréhender, impossible à cerner totalement. On se perd en conjonctures, on émet des hypothèses, on tâtonne, on avance dans le brouillard, on marche sur des sables mouvants.

Mais lorsqu'on parvient à connaître ses raisons, quel soulagement ! Le comment découle alors si facilement. Tout s'explique, tout s'éclaire. Une carte pour s'orienter. On comprend tout, car tout est lié.

En médecine, cela signifie soigner avant de tomber malade, une forme d'hygiène de vie. C'est le principe même de la médecine chinoise ancestrale.

Chaque année, on va voir son médecin. Il nous ausculte, il délivre des indications, il fait de la prévention. On le paie. Tout le reste de l'année, si l'on tombe quand même malade, il vient nous soigner et ne se fait pas payer. Parce qu'il s'est trompé lors de son diagnostique. Ainsi, les docteurs ayant le plus de clients sont les moins bons.

Parlons du monde du travail. On sait très bien résoudre le comment. Il n'y a qu'à voir la multiplication des stages de remise à niveau, les aides à élaborer un CV, une lettre de motivation, les cours pour savoir se vendre afin de trouver le job le mieux payé, le plus intéressant socialement.

En revanche, on ignore complètement le pourquoi. Donner un sens à son activité pour commencer à donner un sens à sa vie. Ou bien l'inverse : si l'on cherche un sens à son existence, alors l'activité doit suivre obligatoirement. Mais elle ne sera peut-être pas en adéquation avec les dures lois du commerce : gagner suffisamment d'argent pour parvenir à vivre.

Là encore, uniquement le comment. Comment consommer plus en dépensant moins. Comment faire tourner une machine mondiale qui ne profite qu'à une minorité en asservissant l'immense majorité. Par contre, personne (ou si peu) ne se soucie d'un commerce équitable – par définition, la notion même de commerce ne peut être loyale : il y a toujours un lésé dans toute « bonne » affaire.

S'intéresser au pourquoi, c'est ce que fait la justice, du moins ce vers quoi elle doit tendre. L'enquête policière détermine le comment : les circonstances du crime ou de la malversation. A la justice d'essayer de comprendre les motivations et le cheminement qui a poussé quelqu'un à franchir les barrières du droit. Enfin, c'est idéalement ce qu'elle devrait faire, ce qu'elle doit faire. D'où l'intérêt majeur des procès. Afin de comprendre pourquoi le mal a triomphé du bien. Car le bien et le mal sont en chacun de nous, comme les deux faces d'une même pièce. Même l'abbé Pierre ou Mère Thérésa avaient une part d'ombre tandis que ces images en couleurs où l'on voit Hitler jouer avec une petite fille ne sont-elles pas troublantes, dérangeantes ? Quand on voit le responsable de la déportation de six millions d'innocents se comporter comme vous et moi, cela donne le frisson. Dans des circonstances extrêmes, de quoi serais-je capable ? Du pire ou du meilleur ? Cela ne peut s'appréhender qu'en essayant de délimiter le pourquoi.

Le pourquoi serait donc la théorie, le comment la pratique. Mais, tout comme le corps et l'esprit ne peuvent se passer l'un de l'autre, sans comment il est impossible de comprendre le pourquoi... qui est l'essence du comment.

Bref, la poule et l'oeuf.

 

3 décembre - De la liberté vers le bonheur 

Etre libre, c'est être seul.

En revanche, l'inverse n'est pas juste. On peut être seul sans être libre. Tous les prisonniers du monde me comprendront à demi mot.

La liberté n'est rien d'autre que la possibilité de pouvoir choisir ses propres contraintes. A commencer par son emploi du temps. Premier paradoxe : à moins d'être clochard ou ermite, si l'on veut adapter cette définition à une vie professionnelle, on sera obligé de devenir son propre patron, cette libre entreprise privée si chère à tous nos dirigeants libéraux. Seulement, devenir un auto-entrepreneur ne va pas vous libérer pour autant. Choisir son temps de travail, ses clients et ses fournisseurs n'est déjà pas si évident. Quant aux paperasses inhérentes à toute administration, ce sont des chaînes tout aussi solides que celles des bagnards.

Dès que l'on vit en société, on dépend des autres. Amusez-vous à faire la liste de toutes les personnes, connues ou pas, qui vous permettent simplement de vivre. Les maçons qui ont bâtis votre demeure, les agriculteurs qui vous nourrissent. En y ajoutant les commerciaux, les intermédiaires, les administrateurs. Toute la horde de personnes nécessaire à vous habiller, vous distraire, vous transporter.

L'apogée de cette liberté entravée est atteinte quand on tombe amoureux. Je dis bien tomber amoureux et non pas aimer. Aimer, c'est agir. Donner de soi et de son temps, tendre la main pour secourir et non pour mendier. Etre amoureux, c'est se laisser dominer par ses propres passions. C'est très agréable. Peut-être même est-ce plus alléchant d'être séduit que séduire. La liberté et le bonheur font chambre à part.

Plus le lien est fort, plus il est enrichissant : on partage plus de choses avec son conjoint qu'avec le plombier qui vient vous dépanner d'une inondation imminente. Le prix à payer est parfois lourd, mais puisqu'on est amoureux, cela passe tout seul. Jusqu'au jour où les contraintes deviennent plus entraves que plaisir.

Toute notre technologie, ces multiples machines qui nous entourent pour nous faciliter apparemment la vie nous la rendent parfois invivable. La voiture tombe en panne, l'ordinateur buggue, sans parler de l'apprentissage de leur fonctionnement. Lire un mode d'emploi est un merveilleux moyen d'attraper une migraine en un rien de temps.

Retrouver sa liberté, de choix, de décision, commence par parvenir à se détacher des objets. Pas si facile. Mais possible. Commencer par moins et mieux consommer. Ne pas subir le diktat de l'achat impulsif, rester le maître de nos machines, comprendre d'abord comment elles fonctionnent pour ne pas se laisser submerger par leurs caprices. Et arrêter de se reposer constamment sur elles.

Plus ardu est d'arriver à la même chose avec les êtres humains qui nous entourent. A moins de passer pour un récalcitrant de la pire espèce, un misanthrope acariâtre, un vieux garçon routinier, il faudra faire des concessions, mettre de l'eau dans son Saint Emilion grand cru. habitude

Cependant, l'espèce humaine réagit parfois comme les électrons : il suffit de bien se comporter pour que l'on vous renvoie votre bonne humeur. C'est le syndrome de la caissière de supermarché qui fait la gueule : les clients n'ont pas envie de lui sourire ni de lui parler. Un cercle vicieux s'installe.

Commencer donc par faire bonne figure même et surtout si on a des problèmes.

Tout comme ce n'est pas en tapant dessus qu'on fera redémarrer la voiture qui ne bronche pas, ce n'est pas en élevant la voix qu'on se fera mieux entendre. Un peu d'humanité, que diable !

Mais, avant toute chose, considérer le verre comme à moitié plein et non à moitié vide. Quant aux verres presque vides, s'en contenter et profiter du peu qu'il reste.

Parvenir à être heureux sans le besoin des autres, ne les considérer, à commencer par ceux qui vous sont le plus proche, comme un bonus à l'existence. Imaginer ce que pourrait être votre vie sans eux et y trouver quand même encore du réconfort.

En un mot, toujours pouvoir tendre la main de haut en bas (comme aider quelqu'un à se relever) et pas de bas en haut (demander l'aumône, comme le besoin d'être relevé).

 

 

26 Novembre -  Devenir un homme

Pascal a dit qu'il valait mieux savoir un petit peu de chaque chose que tout d'une seule.

Idéalement, il faudrait allier les deux ; ne pas se cantonner à un seul domaine mais être un spécialiste d'un sujet en particulier, afin de se démarquer des autres.

Ca, on sait le faire : pousser les études jusqu'à leur paroxisme en y ajoutant même des stages de mise à niveau. Pas la peine d'y revenir. Mais ce fameux socle de connaissances dont on n'arrête pas de parler, quel est-il, que contient-il ?

D'abord savoir lire et écrire puisque l'humain étant un animal social, la communication est primordiale et qu'elle passe en priorité, dans nos sociétés évoluées, par la parole. Savoir exprimer sa pensée au plus juste pour bien se faire comprendre afin de ne pas devoir utiliser d'autres moyens. Quand la parole n'est pas, n'est plus suffisante, qu'elle soit trop pauvre ou bien qu'elle soit mal écoutée, mal perçue, on en vient à un langage plus basique, plus animal et cela débouche sur la violence.

Savoir donc s'exprimer avec précision mais aussi savoir écouter ce que l'autre a à dire. Si nous avons deux oreilles et une seule bouche, c'est qu'il est deux fois plus important d'écouter que de parler.

Cette prescription posée, on évite pas mal de problèmes.

Ensuite un peu de géographie et d'histoire pour savoir où l'on se trouve et d'où l'on vient.

L'histoire, ce n'est pas apprendre bêtement par cœur une liste exhaustive de dates et de batailles, égrener les règnes des rois et empereurs. C'est avant tout comprendre quels sont les événements qui ont abouti à façonner le monde tel qu'il est actuellement. Un des moyens les plus efficace, c'est d'essayer (je dis bien : essayer) de comprendre les conflits actuels : Palestine, Moyen Orient, Russie, Afrique.

La géographie, ce n'est pas apprendre bêtement tous les pays du monde avec leur capitale, leur superficie et leur population, les fleuves qui les arrosent et les montagnes qui les dominent. C'est comprendre comment tout s'est imbriqué au fil du temps, comment les hommes vivent ensemble, comment les forces telluriques modifient lentement mais durablement le paysage. C'est aussi et avant tout, savoir s'orienter et se repérer autour de chez soi. Le meilleur moyen d'apprendre est de voyager. Cela a un double effet. Non seulement on découvre d'autres lieux, on apprend d'autres langues, mais surtout on rencontre d'autres façons de vivre, d'autres personnes et de nouvelles idées.

Le voyage est certainement la meilleure éducation.

Au XIXème siècle, les apprentis compagnons faisaient leur « tour de France » pour améliorer la pratique de leur futur métier et voir d'autres cultures. Dans un monde globalisé, il faudrait, en place du service national à vocation militaire, exécuter un tour du monde.

Un peu de science ne fait pas de mal. Après avoir tenté de comprendre où l'on vit et comment se comporter avec les autres, il est bon, voire fondamental, de savoir le comment. Physique, chimie, cosmologie (car nous ne sommes pas seuls dans l'Univers, alors pourquoi s'arrêter uniquement à notre planète). De quoi est faite la matière et comment tout cela interagit. Ce n'est ni plus ni moins que la sociologie des éléments. Et, puisque le langage scientifique repose sur les mathématiques, savoir jongler avec les nombres et posséder quelques notions d'algèbre et de géométrie. Présenté d'une façon ludique, ça passe tout seul.

Les deux choses essentielles de notre vie sont le sommeil et la nourriture. Je ne parle pas des fonctions innées, telles que la respiration ou le flux sanguin qui fonctionnent sans l'aide de notre volonté.

Concernant la nourriture, il est essentiel d'avoir compris qu'elle ne provenait pas simplement du supermarché d'à côté. Sans devoir en faire son métier, il est fondamental de savoir jardiner, ne serait-ce que pour reconnaître les bons produits et comment ils arrivent dans nos assiettes. L'autre partie de ce savoir sera d'arriver à les accommoder. Oui, madame, des cours de cuisine, comme dans ces antiques pensions pour jeunes filles. Et pourquoi pas savoir repriser et coudre ? Suivre le précepte prôné par Gandhi lui-même, où chaque habitant devait avoir la possibilité de filer et tisser lui-même ses propres habits.

En un mot : être capable de se suffire à soi-même même si on n'en a pas besoin. Juste pour savoir comment tout cela fonctionne.

Et le sommeil ? On ne va quand même pas apprendre à dormir ? Et pourquoi pas ? Il existe des règles simples permettant de passer une bonne nuit mais surtout, notre sommeil nous parle. Au travers des rêves, c'est notre inconscient qui s'adresse à notre âme. Pourquoi ne pas parvenir à les décrypter, afin de mieux se connaître. La première connaissance devrait être celle de soi-même.

 

19 Novembre 2023 -  Le verre d'eau de Jésus 

Il fait chaud. On boirait bien une citronnade. Pour la préparer, quelques citrons pressés et un peu d'eau. Cette eau, d'où vient-elle ? Il y a fort à parier qu'elle contient des molécules qui étaient déjà présentes dans le calice que Jésus utilisait lors de la scène.

Impossible !

Soit. Raisonnons, alors.

Une molécule d'eau, la fameuses h²o, est très petite. Il y en a 10 puissance 26 dans un seul litre d'eau. 10 puissance 26, ça ne veut rien dire. C'est dix multiplié par dix 26 fois de suite. Un avec 26 zéros à sa queue leu leu. Un million, ce ne sont que six zéros... Bref, c'est plus que tous les grains de sable disponibles sur la Terre.

Cette eau, une fois bue par le Christ, elle va suivre son chemin. Bon, je ne vais pas entrer dans les détails, mais il y a fort à parier qu'elle va se retrouver au pied d'un buisson (ardent ou pas), ou dans les égouts de Jérusalem. Normalement, la molécule divine finit dans la mer. Elle se sera certainement évaporée et viendra, poussée par le vent, faire un joli périple. Elle sera vapeur, nuage, pluie, neige, glace, ruisseau, rivière, fleuve, à nouveau mer ou océan et ainsi de suite, voyageant un peu partout autour de la Terre. Elle sera aspirée par les plantes, rejetée par les animaux, elle se mélangera à d'autres molécules pour former les vins les plus fameux au monde ou croupir dans un marécage.

Deux mille ans plus tard, elle est toujours là, la fameuse molécule puisque, nous le savons tous depuis notre troisième : en physique, rien ne se crée, rien ne disparaît, tout se transforme.

Et voilà que cette molécule apparaît à la source qui nous désaltérera en pleine balade, surgie du robinet pour remplir notre verre, mélangée au verre de vin que nous dégustons entre amis (et avec modération cela va de soi) ou encore pour accompagner notre citronnade.

Mathématiquement parlant, il y a environ 10 puissance 21 litres d'eau sur Terre. Un suivi de 21 zéros, vous commencez à comprendre. C'est tout de même dix mille fois moins que le nombre de h²o dans un seul litre. Cela veut dire qu'un litre d'eau actuel, comporte 10 000 molécules christiques.

Bien sûr, on peut arguer qu'on ne boit pas l'eau des océans (sauf dans certains cas dont on n'aime pas à se souvenir) – qui représente tout de même 97% de toute l'eau disponible sur la planète. Mais bon, les chiffres parlent et ne mentent pas.

Je tiens à préciser que la démonstration marche aussi avec Jules César, Charlemagne, et dans une moindre mesure avec Louis XIV, Mozart et Victor Hugo : oui, il faut laisser du temps à cette pauvre molécule pour se diluer dans toute l'eau disponible sur la planète.

Maintenant, si cette molécule d'h²o traverse les siècles, pourquoi pas également les atomes qui formaient les cellules de n'importe quel personnage, connu ou pas.

Evidemment, on parle d'atomes, pas de cellules. Ces minuscules parties du vivant sont tout de même trop grosses pour rester en l'état pendant de si nombreuses années. Si pour autant vous utilisez quelques vis et écrous d'une voiture royale britannique, pouvez-vous prétendre à rouler dans la Rolls d'Elisabeth II ? Certes non. Il y a fort à parier que certains atomes divins composent ma personne. Mais cela n'est ni palingénésie ni métempsychose ou réincarnation. On parle de particules élémentaires, pas de pensée ou même d'âme. Du reste, ces atomes ayant formés à un moment donné le Christ, Attila ou De Vinci s'éparpillent assez rapidemment dans l'espace : comme le chantait si bien Alain Souchon, nous avons tous au maximum dix ans. C'est le temps que mettent les cellules les plus résistantes à mourir et être remplacées par de nouvelles, composées donc d'atomes différents. Et heureusement encore : imaginez que toutes vos infimes blessures laissent des cicatrices ou que vous sentiez encore ce café qui vous a brûlé la langue il y a trente ans.

Quoi qu'il en soit, les atomes, eux, sont éternels.

« Buvez car ceci est mon sang »... Le barbu ne croyait pas si bien dire !

 

12  Novembre  -  l'expansion de l'Univers

L'univers est en expansion.

Imaginez un ballon gonflable. Il a la taille d'une orange et vous y dessinez des points à un centimètre les uns des autres. Vous le gonflez à la taille d'un ballon de foot. Il y a toujours le même nombre de points, mais ils sont plus éloignés les uns des autres.

La démonstration se heurte à un problème : le ballon grossit dans l'espace tandis que l'univers, infini, ne peut se déborder de lui-même : il n'a, par définition, ni bords ni limites. Ni centre.

Comme il est quasiment impossible de se représenter les choses en trois dimensions, j'aime prendre l'exemple d'une sphère, plus exactement de sa périphérie. Notre planète, par exemple. Il n'y a pas de bords et donc, pas de centre. Autre paradoxe : en suivant une ligne parfaitement droite, on revient inexorablement à son point de départ (cela est pratique pour expliquer que les planètes suivent non pas une trajectoire en courbe, mais bien une ligne droite : c'est l'espace, à proximité d'un objet massif comme un soleil, qui est courbé – ceci n'est rien que la théorie de la relativité générale élaborée par le grand Albert).

Il y a une trentaine d'années, deux équipes de chercheurs ont cherché à savoir à quelle vitesse cette expansion diminuait. Propulsés dans toutes les directions suite à l'explosion du Big Bang (là encore le terme explosion est mal employé), il serait normal que la vitesse des divers objets (les galaxies par exemple) ralentissent : la simple application des forces de gravitation fait que des objets s'attirent entre eux. Au bout d'un certain temps, ils devraient même inverser le processus d'expansion. Un peu (je dis bien « un peu ») comme lorsqu'on jette une pierre en l'air : elle finit par stopper sa course puis par retomber. Sauf si on la lance avec une sacrée vigueur pour qu'elle s'arrache à l'attraction terrestre...

Les résultats des deux études prouvèrent la même chose : le ralentissement était négatif. C'est à dire, que la vitesse d'expansion augmentait ! Cela allait contre toutes les prévisions attendues et même déjouait une certaine logique.

Ainsi la théorie d'un Big Crunch partait directement à la poubelle : l'idée qu'après une période d'expansion, l'univers inverserait la tendance sous l'effet de sa propre masse et viendrait se recroqueviller sur lui-même en un seul point... générant ainsi un nouveau Big Bang et ainsi de suite.

Ce n'est pas très rassurant d'une certaine manière. Cela aurait voulu dire qu'il n'y a pas de début et pas de fin. Notre esprit n'est pas préparé à penser que quelque chose existe depuis toujours. Cela donne le vertige.

Mais bon, pas de Big Crunch. Juste une expansion éternelle et qui s'accélère en plus !

Il ne faut pas, non plus, imaginer que cette expansion est régulière : elle a connu des étapes d'accélération puis des périodes plus calmes, comme si elle devait reprendre son souffle. Nous serions donc dans une phase d'accélération.

Mais qu'est-ce que cela veut dire, une expansion définitive ? Que les galaxies s'éloignent de plus en plus (on parle de galaxies, il n'est pas sûr qu'à l'intérieur d'elles-mêmes le phénomène d'expansion existe). Or, ce qui provoque de la chaleur, c'est la proximité. Les électrons s'échauffent quand ils se bombardent, quand les noyaux atomiques se cassent, produisant de nouveaux atomes, etc. C'est ce qui se passe au cœur des étoiles. Des réactions nucléaires intenses pour fabriquer de la nouvelle matière, plus complexe, plus élaborée. Des atomes de plus en plus sophistiqués.

Si les galaxies s'éloignent indéfiniment, il y a fort à parier qu'à un moment, dans très très très longtemps (des milliards de milliards d'années – je rappelle que notre univers n'a « que » 13,8 milliards d'années), les réactions nucléaires se réduisent, approchant la température du fameux zéro absolu (273,15 degrés en dessous du zéro plus connu avec lequel on flirte parfois au cœur de l'hiver). On appelle cela le Big Freeze.

A cet instant, plus aucune réaction atomique. Un vide sidéral, noir et désespérément froid. Plus rien ne bougera. Ce sera la fin de l'aventure. On grelottera sur notre bout de caillou, déserté de toute vie, à la recherche d'étoiles devenues invisibles.

Matt Caplan, un chercheur américain a calculé que cette fin implacable aura lieu dans 10 puissance 1100 années (alors là, c'est un peu du délire : un suivi de plus de mille zéros – on a le temps de voir venir...)

Il y aura bien eu un commencement et... une fin.

Ce n'est pas plus réjouissant que d'apprendre que l'univers n'a pas de début. Peut-être même plus déprimant, même si nous ne nous en serons pas les témoins.

Oui, mais AVANT le Big Bang ? Comment ça, avant ? Quand je parle de début, j'y inclus le temps, bien entendu. Avant le Big Bang, il n'y a... RIEN. Ni matière, ni temps.

Alors, pourquoi cette Création soudaine ? Le doigt de Dieu ?

Quoi qu'il en soit, Big Freeze ou Big Crunch et un univers éternel, nous ne sommes qu'au début d'une telle aventure. Dans le meilleur des cas, nous serions seulement à la moitié d'un univers qui se rétracterait (ce qui n'est, visiblement, pas le cas). Donc au bas mot 14 milliards d'années.

Je l'ai dit : les étoiles produisent des « poussières » chères à Hubert Reeves, toujours de plus en plus sophistiquées, complexes. On retrouve cette évolution au sein même de la vie : de simples bactéries, nous sommes passés à des configurations plus compliquées pour aboutir à une certaine forme d'intelligence. Même l'histoire de l'humain procède de la même complexité. Tout se complexifie de plus en plus. Or, 13,8 milliards d'années, je le répète, c'est à l'Univers ce qu'était le temps des premières bactéries rapporté à notre Terre... Que de chemin à parcourir encore ! Avec des innovations inimaginables.

Bref, de quoi espérer.

 

 

5 Novembre 2023 -  Reprendre le contrôle

Le bonheur doit-il obligatoirement passer par le confort ? L’humain présente cette tendance du moindre effort. Autant physique que mental. On le constate tous les jours. Ca commence par des petits riens, des détails. Préférer un rasoir électrique au coupe-chou, une tondeuse à la faux, le gps aux cartes routières, le portique électrique au bon vieux portail…

La technologie n’est valable que si elle résout plus de problèmes qu’elle n’en pose.

Une voiture est préférable à un cheval pour parcourir de longues distances, à l’abri des éléments. Elle est moins pertinente s’il suffit juste d’aller chercher le pain à 500m de chez soi.

Une machine à laver la vaisselle sera utile dans une famille nombreuse, sûrement moins rentable pour une personne seule qui déjeune en ville chaque jour.

Une tondeuse à gazon est incontournable pour qui possède un vaste parc, peut-être évitable pour un carré de deux mètres de côté ; du reste, il existe des tondeuses mécaniques nettement plus écologiques.

On peut multiplier les exemples à l’infini. Tous ces gadgets ne sont là, en vérité, que pour maintenir un consumérisme débridé. Tous sont équipés de moteurs, assourdissant notre environnement et polluant l’air. Tous ont besoin de l’énergie qui ne provient plus de nos muscles.

L’utilisation du clavier pour écrire est symptomatique de cette dérive du tout technologique. Lorsqu’on écrit avec un stylo ou un crayon, notre main effectue des mouvements différents pour chaque lettre tandis qu’appuyer sur une touche ne requiert que le même geste basique. On perd en dextérité, notre savoir-faire se réduit à une peau de chagrin, bientôt on ne saura plus rien faire de nos dix doigts. Le coupe-chou pour la barbe ou la faux pour l’herbe nécessitent une technique, une gestuelle, une adresse, une habilité que leurs substituts gomment et empêchent. Très vite nous devenons des handicapés de gestes pourtant simples et basiques mais mettant en jeu une virtuosité qui, bientôt, nous sera étrangère. Nos mains deviennent stupides.

Si cela se cantonnait aux simples gestes musculaires, ce ne serait pas si grave. Mais cela atteint aussi notre cerveau.

Avant l’apparition des téléphones mobiles et des répertoires, chacun connaissait par cœur une bonne dizaine de numéros de téléphone. Bien sûr, cela n’a en soi aucun importance : il y a des choses plus importantes à retenir qu’une suite de numéros, facilement récupérables dans un répertoire. Mais cette gymnastique mentale est nécessaire au bon entretient de la mémoire.

La technique ne devrait être utilisée que pour les tâches ennuyeuses et répétitives. Elle ne devrait JAMAIS nous dicter notre conduite. Nous devrions toujours rester maîtres d’elle, ne pas se laisser enfermer dans des ornières qui finissent par nous scléroser, autant physiquement que mentalement.

On s’en remet à tout pour soutenir notre mémoire et bientôt, nos pensées. Des béquilles qui vont finir par devenir notre armure, nous protégeant mais aussi nous emprisonnant. L’intelligence artificielle n’est rien autre chose.

Déjà des articles de presse sont élaborés par des logiciels, des scenari de films conçus par l'A.I. Non content d’avoir empiété sur notre industrie (pour notre plus grand bien, il faut le reconnaître : qui aurait envie de coller des étiquettes sur des bouteilles à longueur de journée, visser, clouer, comme Chaplin dans les Temps Modernes, jusqu’à la caissière de supermarché coincée entre bips incessants et clients acariâtres aux réflexions vaines face à une employée qui n’y est pour rien si le prix du café a encore augmenté, de toute manière vouée à disparaître aux profit des caisses automatiques), les machines prennent le contrôle de nos pensées. C’est plus grave.

Le confort, un certain confort du moins est à bannir afin de faire travailler notre cerveau, non plus nos réflexes.

L’utilisation du Gps permet de ne plus s’égarer ou faire de laborieux demi-tours dans des coins perdus. Enfin, pas si sûr. Mais bientôt, on ne saura plus s’orienter dans l’espace, impossible de faire le lien entre d’où l’on vient et où l’on va. On perd nos racines. Bientôt, on aura perdu notre identité. Du reste, se perdre permet, quelquefois, de faire de jolies découvertes. Et puis, ne tombe-t-on pas amoureux toujours par hasard ?

L’exemple des tables de multiplication est troublant. Nous les avons tous eues en horreur, tout comme nos parents et nos enfants… Dans les années 50, on chantonnait les « sept fois cinq trente cinq, sept fois six quarante deux… » pour mieux faire entrer ces bases dans nos têtes, car il est bien connu que la musique permet d’encoder plus facilement des informations (on se souvient plus rapidement et longtemps des paroles d’une chanson que des vers d’un poème). On a appris par cœur des choses qui nous servent certes, mais il était plus intelligent de raisonner.

La mémoire est comme les gadgets électriques ou électroniques : c’est bien sauf quand ça tombe en panne. Si, un beau jour, on se réveille en ayant oublié combien font 6 fois 8, nous voilà bien embêtés. En revanche, si l’on a appris non pas dix déclinaisons de calculs, mais seulement 3 ou 4, on pourra aisément retrouver, par un autre chemin, le résultat. 6 fois 8, c’est 3 fois 16 ou 12 fois 4.

La table des zéros, n’en parlons pas. Par définition elle n’existe pas. Celle des 1 n’est qu’un comptage enfantin. 2, ça va encore. Commençons donc par apprendre la déclination des 3, qui demande un petit effort. Pour 4, multiplions 2 par 2 : c’est déjà fait. Pareil pour 6 si l’on maîtrise la table des 3.

8 n’est que le double du double de 2 et neuf le triple de 3.

10 revient à ajouter ce fameux zéro bien utile finalement (un grand merci aux arabes pour l’avoir mis à jour). Si l’on connaît 2 et 10, alors 5 n’a plus de secrets, puisqu’il faut simplement effectuer une division. Ne reste plus que le méchant 7, truffé de pièges. Je résume : les tables de multiplication se résument à apprendre par cœur 2, 3 et 7. Un jeu d’enfant.

Voilà un bel exemple de victoire du cerveau sur la matière, du génie sur la répétition, du raisonnement sur les octets et du bon sens sur le tout technologique gourmand d’énergie et outrancièrement polluant.

Ne nous laissons plus submerger par les machines.

Reprenons le contrôle.

 

29 Octobre - le hasard et la nécessité

 

Dieu ne joue pas aux dés. Cette phrase est signée Einstein, pour affirmer qu’il ne croit pas au hasard. Le père de la théorie de la relativité qui explique l’univers, l’infiniment grand, de la façon la plus précise et la plus juste est en contradiction avec les théories quantiques qui expliquent mieux que jamais l’infiniment petit.

C’est quoi la physique quantique ? Tout un tas de choses assez difficilement compréhensibles pour les béotiens que nous sommes. On pourrait résumer le propos en évoquant le hasard.

En physique classique, les électrons se comportent selon des lois bien précises. Ces lois sont connues depuis Newton. Il y a quatre forces qui régissent toutes les formes de matière, du plus petit ou plus vaste.

En physique quantique, on a démontré qu’une particule peut modifier son chemin selon qu’on la regarde ou pas. Pour résumer, il y a là un hasard, un imprévu qui ne cadre pas avec les certitudes scientifiques jusque là admises. Ainsi, le monde ne serait pas figé, pas prévisible. Juste probable. La probabilité remplace la prévision. Et ça change tout.

En admettant le hasard, on élimine définitivement l’idée de Dieu mais surtout on ouvre la voie au concept fondateur de nos démocraties : la liberté.

Si tout est prévu, si le hasard n’existe pas, la liberté ne peut s’exprimer : il n’y a pas de place pour l’imprévisible. C’est la différence fondamentale entre une société démocratique et un état totalitaire.

Prenons les sociétés d’insectes (fourmis, abeilles) : elles se comportent comme une entité globale, chaque fourmi ou chaque abeille n’existe qu’on fonction de la fourmilière ou de la ruche. Les cellules qui composent notre corps ne font pas autre chose et, pour l’instant, elles n’ont pas revendiqué une quelconque liberté. Enfin, il y a bien des cellules cancéreuses.

Chacun garde sa fonction bien précise. On est parfois en présence de castes, spécialisées dans un comportement, une activité particulière. Une soldate ne peut devenir une ouvrière. La liberté n’existe pas dans une telle communauté.

Cela ne veut pas dire que le bonheur n’y a pas sa place. On peut être heureux sans être libre. En URSS, chacun avait un toit, un métier, l’accès aux études, la possibilité de faire du sport, de se cultiver, d’aller à des spectacles. Mais la liberté d’expression était sévèrement contrôlée ainsi que certains déplacements. Cela ne concernait qu’une infime partie de la population, en majorité des intellectuels. Mais, même si je n’en profite pas, il est philosophiquement et humainement inconcevable que le principe même de liberté d’expression soit bafoué.

« Je ne partage pas vos idées mais je donnerais ma vie pour qu’elles s’expriment».

Bergson parlait d’évolution créatrice. L’évolution des espèce n’est rien d’autre qu’un coup de pouce du hasard qui, en modifiant l’ARN ou l’ADN crée une nouvelle espèce, différente des autres, qui pourra alors s’adapter à de nouvelles conditions de vie, dictées peut-être elles aussi par le hasard. Ainsi de nouveaux éléments en amènent d’autres en compliquant, en sophistiquant de plus en plus le monde. On en a la preuve : depuis les premières bactéries, le monde du vivant n’a cessé de se perfectionner, de s’améliorer, de se complexifier.

Hubert Reeves aime bien parler des cristaux de neige pour expliquer un hasard qui s’exprime dans des règles bien précises. Tout comme les théories quantiques s’accommodent de la physique générale, contrairement aux avancées d’Einstein qui remettent en cause le système Galiléen.

Un cristal de neige obéit aux lois physiques immuables : il lui faut de l’eau, du froid et, quoi qu’il arrive, il sera toujours formé de six branches. Mais, posé ces conditions incontournables, il n’existe pas deux cristaux semblables. Ca me fait penser à l’humain. Nous possédons tous la même anatomie, nous avons tous besoin d’air et le même sang circule dans nos artères, nous fonctionnons de la même façon et pourtant, nous sommes tous uniques ! Il n’y a pas deux ADN semblables.

Le hasard est seul responsable de la formation des cristaux de neige. Vraiment ? Pas si sûr. Les dessins que présente le cristal sont formés en fonction des conditions dans lesquelles il se fabrique. Et cela connu, on peut donc prévoir sa forme future. Il n’y a donc plus de hasard, juste des probabilités. En appliquant telle force sur telle goutte d’eau dans des conditions particulières, j’obtiens ce que je recherche. Un peu comme un docteur Frankenstein moderne qui, chromosome après chromosome, fabriquerait un être unique… mais pas par hasard.

D’accord, mais si je lance un dé, je ne pourrai pas, avec certitude, savoir sur quelle face il s’arrêtera. Effectivement et cela relève des probabilités. Une chance sur six, quoi qu’il arrive, même si je viens de tomber trois fois sur le même chiffre, il n’y a aucune raison de penser que cela ne va pas encore être le cas. C’est du pur hasard. Pas tout à fait. Car il existe une cause, après tout : que les dés soient lancés. Le hasard ne réside pas dans la causalité mais dans le résultat.

Ainsi, une particule qui bouge en suivant un chemin différent selon qu’on la regarde ou pas n’est pas le fait du hasard. Il y a une cause : le fait que je la regarde influe sur son parcours, mais cela peut être prévisible.

Le monde, l’univers ne serait donc pas le fruit du hasard puisqu’il faut certaines conditions pour qu’il évolue dans un sens ou dans un autre.

L’univers et l’évolution ne seraient que simples probabilités.

 

22 octobre - de l'Intelligence et de l'Amour

Voici deux concepts difficilement définissables. Certains, et pas des moindres, ont tenté d’éclaircir leurs contours sans jamais y parvenir vraiment.

Si l’intelligence était un simple cumul de savoir, alors n’importe quel ordinateur pourrait être qualifié de brillant. La sagesse populaire l’a encore une fois prouvé : mieux vaut avoir une tête bien faite que bien pleine. Il ne suffit pas de savoir, encore faut-il savoir appliquer ces connaissances.

Mais c’est quoi une tête bien faite ?

Peut-être prendre la bonne décision au bon moment.

Une étude a démontré que l’on prend en moyenne 35 000 décisions par jour. Bon, je suppose que décider de mettre un pied devant l’autre pour marcher ou encore commander à ses yeux de porter un regard ici ou là fait partie de ces nombreux choix. On rencontre là un autre concept fondateur : la liberté. Le pouvoir de faire des choix. Puis de les assumer.

En ouvrant le dictionnaire, on constate que l’intelligence serait la capacité à comprendre (son étymologie), à analyser. Point notion d’action. On pourrait donc faire preuve d’intelligence et être parfaitement incapable de décider.

Pour contourner la difficulté, on a longtemps divisé l’intelligence en plusieurs catégories. Il y a l’intelligence cognitive (être capable de manier concepts et théories, pouvoir penser selon certains schémas), l’intelligence des mains (être doué de ses dix doigts et parfois de tous ses muscles), l’intelligence du cœur… Cette dernière pourrait nous intéresser. C’est quoi, l’intelligence du cœur ? Faire preuve d’altruisme, d’empathie, de philanthropie. En un mot : de bonté.

Et là, on se rapproche assez près de cet autre concept insaisissable : l’Amour.

C’est quoi, ce sentiment dont tout le monde parle et que chacun recherche ?

En fait, il y a deux faces dans cette notion : offrande et attachement. A priori, cela semble antinomique. On ne peut rechercher la compagnie et, en même temps, offrir ce que l’on a. Justement, c’est bien là toute la difficulté de l’entreprise. L’attachement implique de devoir subir l’emprise de l’autre, même si celle-ci est pacifiste. Donner peut, en sens inverse, assujettir la personne aimée. L’équilibre est difficile à trouver. Donner le meilleur de soi-même (ne dit-on pas que l’amour nous rend meilleur ?) sans rien attendre en retour, faire preuve d’abnégation, savoir s’oublier. Mais savoir ne pas être submergé par la passion, afin de garder intacte toute son… intelligence. Il est remarquable qu’on parle d’intelligence avec quelqu’un pour signifier qu’on s’entend bien.

L’Amour, c’est le partage. Parvenir à ne faire plus qu’un avec l’autre… tout en gardant son moi indépendant.

L’intelligence, c’est savoir s’adapter à son milieu, aux circonstances et pour cela, effectivement, il faut posséder la capacité de remarquer, comprendre, analyser et décider.

L’amour n’est rien autre chose. Savoir observer l’autre, ses attentes, ses joies, ses doutes. Comprendre et analyser en respectant l’intégrité de l’autre sans se noyer soi-même dans le débordement des sentiments. Enfin, montrer notre attachement. Le partage. C’est, après tout, peut-être cela la vraie intelligence : vivre pour les autres.

15 octobre - le Permis d'Enfant

Une chose m’étonnera toujours : cette méticulosité qui frise l’obsession et la maniaquerie avec laquelle les services sociaux entendent encadrer l’adoption d’enfants.

Combien de couples, déjà ébranlés par la découverte d’une infertilité quelconque, sont déstabilisés, découragés, désenchantés, anéantis par toute cette paperasse et ce véritable parcours du combattant que représente le processus d’adoption.

Je suis bien conscient qu’un bébé n’est pas une vulgaire marchandise et qu’il ne suffit pas, à n’importe qui, de signer au bas de la page pour devenir parent. Qu’une vie ne s’achète pas au supermarché.

Seulement, que dire des milliers d’enfants nés tout naturellement et qui n’auront pas la chance de pouvoir grandir dans de bonnes conditions ?

N’importe qui, justement, peut devenir parent. Il suffit d’une biologie en bon état de marche. Personne n’ira vous demander quoi que ce soit. Jusqu’à un certain point, évidemment. Encore que, ce point justement, est parfois assez vague. Les traumatismes de maltraitance, d’inceste, d’embrigadement (dans les sectes, par exemple) sont légion. Combien de femmes battues, d’enfants maltraités continuent de vivre (mais est-ce vraiment vivre qu’avoir la peur au ventre chaque jour ?) sous la tyrannie d’un homme, parfois d’une famille toute entière en toute impunité ?

Il faudrait instaurer un permis de procréer.

Il existe bien un permis de conduire.

Là, on m’objectera en m’envoyant à la figure le grand mot qui fait taire toute discussion : Liberté.

Mais quelle liberté ? Celles de parents non préparés ou celle, pourquoi moins importante, d’un être en devenir et sans défense.

Elever, éduquer un enfant n’est pas si facile, si évident que cela. On me dira que c’est naturel, de l’ordre de l’instinct, que les animaux savent d’emblée quelle attitude adopter. Soit, mais justement, nos sociétés modernes, en fragilisant les liens de communauté, rendent plus difficiles les points de repères, les étapes à suivre.

Devenir le modèle pour un être qui découvre tout de la vie relève de la plus haute responsabilité.

On ne devient pas patron du jour au lendemain. Ici, c’est pire : un Pdg conduit des hommes et des femmes majeurs, capables de se débrouiller seuls. Il n’est qu’un guide. Un papa ou une maman sont tout à la fois : nourriciers en premier lieu – et ce n’est pas forcément inné : que mange un bébé, quand et comment ? Ensuite, ils doivent le protéger (doit-on appeler le médecin pour juste une toux ?). Enfin, ils sont le modèle, la référence pour l’enfant, le premier, parfois le seul, qui amènera un être à penser par lui-même, à se développer. Il ne faut ni le surprotéger, si l’abandonner. C’est ce juste équilibre qui est si difficile à obtenir. Ce n’est pas marqué dans les livres : chaque enfant est unique. Il réagira d’une façon différente aux événements, aux conditions, à son environnement, à commencer par les relations avec ses parents. Il faut savoir s’adapter. Je ne suis même pas sûr qu’un permis permettrait de réussir à tous les coups. Mais cela éviterait pas mal de problèmes.

8 Octobre - Peine de mort

A ma connaissance, il y a trois films majeurs sur (et donc, contre) la peine de mort :

Deux hommes dans la ville, projet porté par Delon avec Gabin, la superbe Ligne Verte, d’après Stephen King et flirtant avec le fantastique et la très épurée Dernière Marche (Dead Man Walking), sûrement le plus près de son sujet.

Œil pour œil, dent pour dent dit-on. Tuer quelqu’un parce qu’il a commis un crime. Cependant, si on pousse le raisonnement jusqu’au bout, le bourreau doit subir le même châtiment et ainsi de suite… jusqu’à extinction totale et définitive de l’espèce ! Mais, l’exécution n’est pas un meurtre me répliquera-t-on. Certes. Tout comme il est autorisé à tuer en temps de guerre. Il y a là une subtilité qui m’échappe. Décider de la vie de quelqu’un…

Au-delà des considérations purement philosophiques (« tu ne tueras point » est-il écrit dans la Bible et pourtant combien de victimes en son nom !), comment penser une seule seconde que la mise à mort d’un meurtrier puisse régler les deux problèmes :

effacer la douleur de la perte (supprimer l’assassin ne ressuscitera pas sa victime)

punir l’auteur du forfait (une fois mort, celui-ci ne souffrira plus et n’aura plus la possibilité de réfléchir à son acte, peut-être de le regretter, de compatir et, pourquoi pas, devenir meilleur)

Bref, la peine de mort ne résout rien, à part juste le besoin de vengeance, bien légitime lorsqu’il s’agit de la victime, mais déjà plus discutable lorsqu’on parle de droit et de société.

Qui peut se permettre de décréter le droit de vie et de mort ? La société réagit là contre le meurtrier comme lui-même l’a fait. Il y aura toujours une raison (jamais bonne) pour expliquer un assassinat.

La seule personne qui peut, et doit, avoir le droit de supprimer sa vie, c’est elle-même. Il est, du reste, assez étonnant de constater que les défenseurs de la peine de mort sont les mêmes qui s’opposent à l’euthanasie.

1er Octobre  -  Extraterrestres

Semiosis (Sue Burke) est un roman d’anticipation où une poignée de terriens entend créer un monde nouveau sur une planète lointaine… Habitable, mais hostile par ses plantes.

Le voyage, tout comme dans le film (Passengers) se fait en un clin d’œil puisque les passagers sont endormis.

Bernard Werber (dans le Papillon des Etoiles) avait déjà imaginé tel voyage, mais l’équipage (les colons) restaient éveillés. Le périple dure mille ans.

Admettons qu’au départ, les futurs colons soient choisis en fonction de leurs idées et de leurs capacités. Que tous partagent les mêmes vues sur la future société idéale à construire. Dès la seconde génération, cela serait déjà un poil différent. Les enfants développant leur propre vision des choses, malgré l’éducation (l’endoctrinement) que pourraient leur donner leurs parents. Mais à la quarantième génération, lorsque l’équipage arrive enfin à destination, comment être sûr que les objectifs originels soient encore d’actualité. Imaginez comment le monde a changé depuis le moyen-âge. Dans le cas de Semiosis, on retrouve le même biais, mais la colonie est déjà sur place et peut mettre en action d’emblée ses idées d’un monde meilleur. Pourtant cela ne suffit pas : dès la seconde génération, tout est remis en question.

Dans le livre de Sue Burke, les plantes tentent de communiquer avec les humains.

Que de chemin parcouru depuis les premières tentatives d’exploration intersidérale par notre espèce – je pense notamment à la série Cosmos 1999 où, à la suite d’un cataclysme, la Lune est projetée dans l’espace, devenant un magnifique et imposant vaisseau spatial à la découverte de nouvelles planètes. Ce n’étaient plus l’invasion terrestre par des « êtres venus d’ailleurs » mais bien l’homme qui devenait, à son tour, l’extra-terrestre d’autres systèmes. La série avait un avant goût d’écologie universelle.

Mais sommes-nous suffisamment évolués pour nous permettre de débarquer dans un autre monde ? Nous n’avons peut-être pas atteint la sagesse nécessaire pour nous imposer en « visiteurs ». Car nous sommes avant tout et sûrement pour bien longtemps encore, des conquérants et des prédateurs. N’allons pas chercher plus loin et dans d’autres systèmes solaires : la conquête des Amériques en est la preuve flagrante.

Du reste, cette obsession de vouloir coloniser l’espace est particulièrement Américaine. Cette civilisation, basée sur la conquête d’un territoire qu’elle pensait vierge, demeure persuadée que notre seul salut est de fuir cette Terre dévastée par notre propre orgueil.

Est-ce la seule solution ?

Tenter, ailleurs, de tout recommencer ?

Il est sûrement déjà trop tard pour changer le monde, ici et maintenant. Du moins le temps qu’il va nous falloir pour en accepter l’idée… et encore davantage pour sa réalisation – qui demandera de lourdes mesures coercitives incompatibles avec notre goût et notre besoin de démocratie.

Mais cet ailleurs, s’il est compatible avec nos exigences, doit ressembler d’assez près à notre berceau : offrir les mêmes proportions de gaz dans son air, en particulier l’oxygène (qui, par ailleurs, est un sacré poison pour la plupart de formes de vies différentes d’ici) ; avoir de l’eau en quantité adéquate, sûrement des formes de vie rudimentaires (plantes, animaux). Bref, tout recommencer sur une Terre bis avec un nouveau paradigme. Mais en sommes-nous réellement capables ? Ne sommes-nous pas contraints à reproduire les mêmes erreurs… ou en commettre de nouvelles en voulant bien faire ?

24 Sept - Lumière!

Que la lumière fut !

L’une des premières phrases de la Bible.

Le commencement de l’univers (enfin, quelques millions d’années après le Big Bang, quand les photons ont pu s’échapper de la gigantesque attraction de la matière condensée).

Enfin, la base de la photographie : sans lumière, pas de couleurs.

La photographie, le parent du septième Art.

Thierry Frémaux s’est amusé (car je pense vraiment que c’était un amusement) à compiler une bonne centaine de courts métrages des frères Lumière (quel nom prédestiné, encore mieux que le boucher Gérard Andouille ou le boulanger Michel Croissant).

Courts métrages est un euphémisme : aux débuts du cinéma, la caméra ne bougeait pas et la durée d’un film était, invariablement, de cinquante secondes (pour d’évidentes raisons techniques).

Restauré à la perfection, ce pseudo-documentaire (on regarde là les premières images qui bougent, tournées il y a plus de 120 ans !) devient très vite passionnant… grâce aux commentaires du « réalisateur » (bon, il n’a rien réalisé du tout, mais c’est en quelque sorte un travail de montage et on peut bien parler de « création » : après tout n’importe quel artiste travaille déjà avec du matériel existant, il n’invente rien finalement, il ne fait qu’apporter une âme aux choses).

Je me suis vite rendu compte que l’explication de texte, euh, d’images, permettait de mieux apprécier ce que l’on voit sur l’écran.

Comme une initiation.

Gainsbourg contrait Béart en lui affirmant que la chanson n’était pas un art majeur parce qu’il n’y a pas besoin d’ »initiation ». Entendez : connaître ce que l’on s’apprête à travailler.

Il en est de même ici. Le cinéma est un art et il devrait donc s’accompagner d’une explication. Cela donne de la profondeur.

On ne devient pas œnologue parce qu’on sait simplement reconnaître les saveurs d’un vin. Il en faut en connaître l’histoire, le terroir, apprendre et comprendre.

Lumière brothers filment l’entrée en gare de la célèbre locomotive. Que voit-on ? Des passagers qui attendent sur le quai, le chef de gare agitant son bâton, puis la machine, monstrueuse, tout empanachée de fumées et sûrement on imagine le déferlement de bruits, les pistons, la vapeur, le grincement des roues. On imagine, car, bien entendu, il n’y a pas de son chez les Lumière.

Voilà. C’est tout.

Maintenant, revoyons ces 50 secondes AVEC le commentaire, l’explication, les détails. Tout prend alors une autre profondeur, quasiment une nouvelle dimension. Comme si on avait colorié un livre d’esquisses. On comprend mieux ceci, on découvre cela, on remarque ce qu’une première et simple vision aurait occulté. On ne boit plus bêtement un verre de vin, on goûte la terre et le soleil…

On ne voit pas tout d’emblée, dans ces simples petits films. Parce que le cinéma était alors primaire mais pas primitif. Il y a quantité de choses là dedans. C’est comme une nouvelle : l’auteur n’ayant que peu de place, il condense, il réduit, il concentre. Il va à l’essentiel. Sans oublier la moindre chose. Pareil chez les Lumière.

Ca foisonne de partout. Les courts proposent une, deux, trois, parfois davantage de scènes réunies en une seule. Plusieurs visionnages sont obligatoires pour dénicher ce que l’œil ne peut englober à la première vue.

Enfin, ces petits films (Lumière en aura tourné plus d’un millier !) sont l’origine du cinéma. Pour qui aime le cinéma, ce sont ses fondations. Tout est déjà là, évident ou latent, bien visible ou encore à l’état embryonnaire, parfois juste sous-entendu. Des graines. Qui mettront des décennies à éclore entre les mains des plus grands : Chaplin, Ford, Welles, Kubrick, Spielberg…

Mais tout est déjà là. Tourné en caméra fixe il y a plus de 120 ans. Un musée. Mais un musée résolument vivant : ça bouge. Et cette petite fille qui avance vers la caméra en 1900 serait, aujourd’hui, la doyenne de l’humanité.

17 sept  - Faut il avoir peur de la mort ?

La peur résulte de l’ignorance. On a peur de ce que l’on ne connaît pas. Et, par définition, on ne peut pas avoir fait l’expérience de la mort tout en restant vivant. Si certains l'ont vécu (Near Death Experience), ce n'était pas la mort, juste un avant-goût, un « teaser » en quelque sorte.

De tous temps, l’Humain a tenté de répondre à cette question. Il a toujours repoussé les limites de sa connaissance dans tous les domaines : philosophie, science, exploration, incosncient…

On sait dorénavant comment fonctionne le monde et l’univers. Nous savons de quoi procède nos réactions, nos comportements. Nous pouvons quasiment expliquer tout. Y compris la mort elle-même. Une simple recombinaison de molécules, d’atomes.

Rien ne se crée, rien ne disparaît, tout se transforme.

Cet axiome de la physique est valable en toutes circonstances, y compris notre propre « être ».

Mais si nous parvenons à comprendre ce qu’il se passe physiquement de nos cellules, que penser de nos pensées ? Notre conscience, notre âme diront certains. Où va-t-elle ? (Quand la neige fond, où va le blanc?).

Quand une ampoule explose, la lumière disparaît. Mais le concept de lumière existe toujours quelque part. Ce n’est pas parce qu’un être vivant meurt que le vivant disparaît pour autant.

Ce n’est que déplacer le problème. Il n’est plus question de savoir ce qu’il se passe après notre mort, mais qu’est-ce que la conscience, l’âme ?

De simples impulsions électriques diront les plus pragmatiques, comme la lumière émise par une source quelconque.

Ces idées, ces pensées ne sont-elles que le rayonnement issu d’un cerveau ? Sont-elles palpables ? N'existent-elle que virtuellement ? Un texte existe même s'il n'est pas imprimé.

On meurt deux fois. Une première fois, physiquement : notre corps devient froid, nos cellules commencent à se recombiner. Et une seconde fois, lorsque plus personne n’a de pensées pour nous. Cela donne quelques immortels (César, De Vinci, Mozart, Mimie Mathy – non, je rigole).

La palingénésie désigne cette recombinaison de tous les atomes qui nous constituent. Ce n’est ni une réincarnation, ni une métampsychose : la croyance que l’esprit trouve une nouvelle enveloppe charnelle pour continuer à vivre. Il y a fort à parier qu’une telle mutation soit difficilement acceptable.

Cette page que je suis en train de composer sur un traitement de texte, une suite de O et de 1 numériques, justes alimentés par de l’électricité, c’est MA pensée propre. Mais si j’éteins l’ordinateur sans sauvegarder, tous les mots s’évanouissent comme si j’avais écris sur une feuille de papier ensuite jetée au feu. Les signes ne pourront jamais passer d’un ordinateur à un autre… sauf si on les aide. L’âme ou la conscience, c’est sans doute pareil : il sera certainement possible à l’avenir de « télécharger » ses propres pensées sur un disque dur externe et faire perdurer notre « moi » par delà les siècles. Reste deux problèmes de taille : ce disque-dur externe serait un autre cerveau, mais celui-ci devra être vierge. Or, s’il est possible de « formater » un ordinateur, il risque d’être tout à fait impossible de reprogrammer un cerveau, même celui tout simple d’un trilobite ou d’un ver de terre.

Autre écueil : ces pensées, cette âme, sont bien volatiles. Nous en avons la preuve chaque jour : quoi de plus fragile qu’une pensée. Si elle n’est pas confortée par une répétition ou étayée par une image, elle risque de disparaître assez vite, avant même que notre mémoire ait pu l’enregistrer. Et cet enregistrement, contrairement à une bibliothèque, n’est pas définitif : les souvenirs sont des sables mouvants en constante mutation. Notre mémoire nous trahit un peu plus chaque jour. Mais cela est un autre problème.

 

10 sept   -  Partager

C’est en regardant le superbe film documentaire réalisé par Jean Michel Bertrand sur les traces d’un jeune loup solitaire que j’ai conclu que Homo Sapiens avait réellement un problème avec le partage.

Puisqu’on est incapable de vivre ensemble parmi notre propre espèce (et le conflit Israelo-Palestinien en est une des nombreuses et malheureuses preuves), je ne vois pas comment on parviendrait à vivre en harmonie avec les autres espèces qui ont, forcément, d’autres objectifs, d’autres façons de vivre, d’autres mœurs.

Partager, cela revient à sacrifier un peu de soi. A commencer par la taille du gâteau. Plus on est nombreux, plus réduite sera la part de chacun. Partager, c’est donc réduire sa propre part mais aussi accepter que l’autre le mange d’une façon différente. Logiquement, cela est compensé par la force du groupe (dans le cas d’une seule espèce) ou du biotope (dans le cas de plusieurs). Car partager, c’est aussi renforcer des liens. Et plus les liens sont serrés, plus il sera difficile de les défaire. L’Humain n’a jamais réellement compris tous les avantages de la collaboration.

Mais avant de savoir partager, il faut avant tout parvenir à mieux connaître l’autre. Comme dans une relation amoureuse, moins on a de secrets, de zones d’ombres, mieux on arrive à vivre ensemble. Et connaître, c’est s’intéresser à l’autre.

L’Humain n’a cessé de se regarder le nombril depuis qu’il s’est imposé en espèce dominante, fièrement érigé au sommet de la pyramide. Il a assujetti tout le monde du vivant sans chercher à savoir, à comprendre.

Le savoir provient de la curiosité. On tombe amoureux parce qu’on est curieux de l’autre. On voudrait tout connaître de lui, d’elle. L’Amour permet le partage, il l’encourage. Pourquoi ne sommes-nous pas capable d’Amour envers TOUT le vivant ?

Savoir observer, aimer contempler, vouloir découvrir. Pouvoir s’arrêter dans nos ambitions démesurées (dominer la Nature ou son voisin) et, tout simplement, observer ce qui nous entoure et dont nous dépendons.

Il est quasiment impossible de vivre seul tout comme il est franchement inconcevable de vivre sans l’aide des plantes et des animaux. Tout est imbriqué depuis des centaines de millions d’années. Toujours ces liens dont la Nature a su tisser un réseau intriqué de la plus belle des façons car résultat heureux de millions de tentatives.

Mieux connaître son environnement permet de mieux le préserver. On se soucie de ce qu’on aime tandis que l’on combat l’inconnu. La peur n’existe que par ignorance. Elle se nourrit d’elle-même.

Faire un pas vers l’autre, de quelque espèce soit-il, permettra de partager cette planète dans des conditions avantageuses pour tous. On a tous à gagner de la coopération tandis que la compétition ruine les chances de chacun.

 

3  sept  2023 -  le besoin et l'envie

De quoi avons-nous réellement besoin ?

Cette question génère mille réponses, en fonction de nos envies, de nos modes de vie, en un mot : de notre culture, mais peut se résumer en trois points universels et communs à tous : boire, manger, dormir.

Ce sont nos exigences physiologiques. Se priver de l’une d’elles et nous mettons notre vie en danger.

Tout le reste n'est que futilité.

J’ai découvert récemment, à l’occasion du dernier film de Toledano & Nakache (une année difficile) qu’il existait des associations d’aide sociale qui, afin de lutter contre le surendettement, préconisent de faire par exemple ses courses après avoir mangé et non pas avant : la tentation de remplir son caddie est plus importante le ventre vide.

Depuis que nos sociétés se sont lancées à corps perdu dans la production de masse, générant au passage des hordes de travailleurs stressés et assujettis à un simple gagne-pain en supprimant la fierté du travail bien fait, conçu et réalisé de A à Z (paysan, artisan), depuis que le capitalisme se base sur la consommation à outrance de produits dont la nécessité est parfois discutable, nous sommes sollicités en permanence par toute forme d’encouragement à acheter. Cela frise l’agression : publicité qui se glisse dans le plus petit interstice de nos vies, spots télévisés clinquants et assourdissants (par une compression du son en « crêtes » qui donne l’impression que le volume sonore est plus élevé), colorés et faussement optimistes. Démarchages sans arrêt au téléphone ou par prospectus dans la boite aux lettres. Quand ce n'est pas plus insidieux...

Je consomme donc je suis.

Tout est bon dans nos sociétés du spectacle pour inciter le plus modeste d’entre nous à acquérir des objets, encore des objets, toujours des objets. Et, si possible, en changer le plus souvent possible : effets de mode, obsolescence programmée, incompatibilité chronique. Rien n’est laissé au hasard jusqu’à la disposition des rayonnages des grandes surfaces. Les bouteilles d’eau minérale seront toujours placées au point le plus éloigné, afin de nous faire faire le « tour du propriétaire ». Savez-vous que le volume sonore de la musique diffusée influe sur notre consommation. Un décibel de plus égale 10 euros de plus dans le caddie. Que le chariot lui-même a été étudié pour pouvoir être rempli à son maximum.

Revenons donc à nos besoins essentiels.

Boire, manger, dormir.

Cela est commun à tous les animaux.

Y ajouter se reproduire – cela est notre premier besoin non égoïste : on raisonne donc non plus en tant qu’individu mais en tant que simple maillon de l’espèce entière. Du reste, le cerveau n’intervient nullement dans ces besoins primaires : cela est inné, de l’ordre du réflexe, de l’instinct.

Ensuite, cela dépend de nos cultures puis de nos caractères.

Un tel aura besoin de marcher chaque jour, un autre de nager ou se prélasser.

Certains ne peuvent se passer de lire, de déguster plutôt que simplement manger. On aimera un certain confort ou, à l’inverse, se focaliser sur le mental (méditation, yoga, contemplation).

Se sentir utile en aidant son prochain. Se remplir les poches d'or ou de billets. Collectionner tout et n'importe quoi pour se rassurer. S'embellir pour les mêmes raisons. Séduire, aimer.

Et l’art.

Peut-être ce qui différencie l’humain de l’animal. L’art est la définition même de la futilité. Nous avons réussi le tour de force de changer cela en commerce, mais à la base, quand Cro Magnon peint sur les murs de Lascaux, il ne pense qu’à s’exprimer, laisser une trace, un morceau de sa vue du monde pour la postérité.

Encore cette volonté de perdurer au-delà de notre propre mort.

Il y a deux façons de devenir immortel : être un Mozart, Chaplin, Hemingway ou léonard De Vinci. Le talent, le génie. Marquer son temps au-delà de son époque : César, Napoléon, Gandhi.

Ou bien, tout simplement et à la portée de tous : avoir un enfant. Transmettre son ADN mais aussi ses valeurs, ses aspirations, un peu de soi au-delà des chromosomes.

Avant de faire sa liste de courses, pourquoi ne pas commencer par faire sa propre liste de besoins.

Qu’est-ce qui demeure l’essentiel dans votre vie ?

Qu’emporteriez-vous sur une ile déserte ?

Qu'avez-vous besoin, viscéralement ?

Certaines peuplades amérindiennes prétendaient que l’on ne devait posséder plus que ce que l’on peut porter sur son dos. Les plus musclés seraient donc les plus riches. Mais riches de quoi ? La vraie richesse n’est pas matérielle puisque celle-ci est périssable. La vraie richesse est dans la tête (le talent) et dans le cœur (la bonté).

27 Aout - De l’excellence

Dans le film Haute Couture, Nathalie Baye incarne une couturière de luxe, employée chez Dior. Une fille des banlieues fait irruption dans sa vie et dans son travail. Enfin, le mot travail est mal employé ; la couturière en fait du reste la remarque à sa jeune stagiaire : un métier, c’est mieux qu’un travail.

Je ne vais pas revenir sur l’étymologie du terme tant utilisé aujourd’hui – cet instrument de torture moyenâgeux qui convient parfaitement à l’activité rémunérée que l’on nomme travail, boulot, taf…

Un métier s’apprend. Pas en quelques stages et une formation de quelques mois.

Un métier allie savoir et savoir faire.

Un métier n’est jamais ennuyeux. Il peut être difficile, rude, fatiguant mais jamais répétitif.

On choisit son métier, on subit son travail.

Le film n’évite pas les clichés : la jeune femme venant de banlieue et découvrant un monde élitiste, comme si le désir de donner un sens à sa vie ne pouvait venir que d’un milieu socialement inférieur. Qu’y aurait-il eu de surprenant que ce soit une étudiante en droit, sociologie ou issue d'une grande école de commerce qui chercherait à faire quelque chose de ses mains. Une révélation en quelque sorte.

Autre cliché : toujours penser que l’excellence se niche dans les métiers les plus prestigieux. Haute couture, artisanat d’art, restaurants étoilés, vignerons de grands crus, restaurateurs du patrimoine, musiciens philarmoniques, sportifs de haut niveau, danseuses étoiles…

Cette fracture sociale ne résout en rien le clivage entre le travail et le métier. Il y aurait une élite qui s’épanouirait dans son métier et l’immense majorité de celles et ceux qui n’ont rien choisi (ou à peine) et doivent se lever le matin sans volonté, sans désir, sans joie.

L’ambitieux projet de société n’est pas de résoudre le problème du chômage (d’un côté quelques millions de personnes sans « travail », de l’autre des secteurs entiers cherchant désespérément du personnel qualifié) mais plutôt de transformer ces boulots en métiers, labeurs, besognes, ouvrages, exercices. Profession.

Car, là encore le personnage de Nathalie Baye met l’accent sur un autre point essentiel à la définition du métier : ce savoir, une fois acquis, est une richesse que l’on peut, que l’on doit, transmettre. L’épanouissement est double : non seulement savoir que l’on est utile à son prochain (définition de toute activité humaine  : être utile aux autres, leur rendre service) mais posséder quelque chose de précieux que l’on ne peut monnayer. Cette foncière différence entre le prix et la valeur.

Redonner de la valeur aux choses, à commencer par les activités. Et pas seulement dans les rares niches où se loge l’élitisme tant décrié. Pourtant désirer s’élever dans ses pratiques est une ambition toute légitime et certainement moralement plus acceptable que vouloir gagner de l’argent ou détenir du pouvoir. Donner le meilleur de soi-même, se dépasser... et pas seulement dans son « travail ». En toutes choses et en toutes circonstances. S'élever moralement.

L’excellence peut et doit se retrouver partout, à tous les échelons des activités humaines. Chercher à acquérir le geste parfait, la pensée juste, l’aide appropriée. Cela devrait pouvoir s’appliquer jusqu’aux laveurs de carreaux, aux scribouillards de bureau, aux simples vendeurs en magasin. Chercher à donner le meilleur de soi-même pour faire de chaque « travail » un vrai métier.

Cela ne résoudra peut-être pas le nombre de chômeurs, mais cela diminuera sensiblement le mal être au travail.

 

 

 

20 Août  - Question d'interprétation

Nous sommes trop intelligents.

Du moins, nous ne savons pas, nous ne pouvons pas stopper la marche incessante de notre cerveau. Il cogite en permanence, nous égarant souvent dans de mauvaises directions.

Je crois ce que je vois prétendait Saint Thomas. Le pauvre homme, comme il se trompait dans les grandes largeurs ! Je ne vais pas lister ici toutes les illusions d’optique dûment répertoriées dans quelques ouvrages sur la question. L’escalier qui n’en finit pas de monter, les mirages du désert, les logos offrant deux ou plusieurs lectures, les trucages au cinéma, sans parler de toutes les étoiles du ciel, la plupart étant mortes depuis longtemps et continuant à briller.

Nos sens ne sont pas en faute. Nos yeux perçoivent bien les couleurs et le relief, nos oreilles entendent bien les sons. Seul notre cerveau fait une mise au point, en fonction de notre éducation, de notre milieu, de nos convictions, de nos croyances. Il bouche les trous éventuels, il réorganise, il jette des ponts, il simplifie mais le plus souvent il complique démesurément les choses.

Nous ne pouvons pas nous empêcher d’interpréter les informations brutes que nos sens nous offrent. Comme si la seule information était trop fade pour constituer un intérêt.

Nous voyons un type courir dans la rue, aussitôt nous imaginons un individu louche, un voleur peut-être, auteur d’une rapine et essayant d’échapper à ses poursuivants. Justement, ils sont deux. Mais leur allure et leur dégaine nous font immédiatement croire que ce sont eux, les malfaiteurs qui coursent un honnête homme. Nouvelle interprétation, nouvelle mise au point. Puis suit une voiture sur laquelle on a disposé un dispositif de prise de vue : caméras, opérateurs, techniciens, même un projecteur… Tout cela n’était qu’une mise en scène, un tournage de cinéma. Nous avions tout faux.

Cette propension à toujours élaborer un scénario derrière de simples informations nous pourrit largement la vie. A commencer par la peur, les peurs que nous ressentons. Elles proviennent de l’inconnu, de ce qui nous est caché. Sans précision, nous projetons nous doutes dans d’improbables et terrifiantes possibilités. Dans un film d’horreur, l’angoisse est au maximum lorsque rien n’est montré, juste suggéré. Dès que l’on met une image, un nom sur nos peurs, celles-ci s’évanouissent : nous pouvons passer à l’action.

Le trac n’est qu’une manifestation de cet inconnu : comment vont réagir les gens, serai-je à la hauteur ?

Notre cerveau nous rend les rapports humains intolérables, à commencer par nos relations amoureuses, si compliquées. Ce n’est pas la vie moderne, avec toutes ses sollicitations, qui complique une simple histoire d’amour.  Ce sont nos cerveaux. Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander ce que l’autre pense, ce qu’il veut dire plutôt que ce qu’il dit. Les silences sont interprétés, les attitudes décortiquées. Nous cherchons en permanence midi à quatorze heures. Nous échafaudons quantité de possibilités, toutes plus incongrues les unes que les autres. Nous avons perdu la simplicité de rapports sains. Et plus nos vies deviennent compliquées, chargées, sophistiquées, plus elles sont susceptibles de nous induire vers ces penchants paranoïaques.

Cela réduit d’autant notre propre liberté individuelle. Toujours sous le prétexte de vouloir tout interpréter, lire entre les lignes du discours et chercher à découvrir ce qui se cache dans le regard de l’autre, nous sommes dépendants du jugement des autres. Les conventions ont la vie dure et l’autocensure de règle. Nous réagissons souvent en fonction de ce que pensent les autres. Pire : de ce que nous pensons que pensent les autres. Et nous avons faux quasiment à chaque fois.

De là, viennent les remords et les regrets, le sentiment de gâcher sa vie pour imiter ceux que nous admirons ou, au contraire, rejeter ceux que nous méprisons.

Nous sollicitions beaucoup trop notre cerveau. Et nous ne savons pas comment il fonctionne. En fait, nous ne maitrisons absolument rien, comme si nous étions aux commandes d’un vaisseau spatial.

Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Toutes ces activités qu’on impose aux enfants, en plus de leur journée à l’école. Il faut qu’ils fassent du sport, jouent d’un instrument de musique, participent à différentes activités pour les éveiller, mais surtout : il faut qu’ils voient du monde. Beaucoup de monde. Afin de faire fonctionner leur cerveau, justement. Qu’il ne reste pas en jachère comme avant. Avant, quand les gamins jouaient en solitaire, ou simplement ne faisaient rien. Enfin, rien est un grand mot : ils observaient, ils contemplaient, ils emmagasinaient, ils s’imprégnaient. Ils n’étaient pas simplement dans l’action, à réagir avec les autres, à brûler leur vie à peine commencée.

Nous ne prenons plus le temps de prendre notre temps. Le seul moment où notre cerveau lâche prise c’est pendant nos rêves. Il travaille, il fonctionne à 95% mais notre conscience est en berne, en roue libre. Enfin, il n’y a plus cette maudite interprétation qui gâche tout. Et si nous apprenions à décrypter nos rêves ? D’abord à nous en souvenir, au petit matin. Ce serait un grand pas vers la réappropriation de notre cerveau.

Ou bien s’accorder des pauses. Une heure, au moment du déjeuner. Pas une sieste. Ni une méditation. Juste ne rien faire. Pas même lire un bouquin. Juste s’imprégner. Ne plus réfléchir, juste ressentir. Se déconnecter des écrans pour se reconnecter à la nature, ce spectacle XXL sur écran géant.

Le silence prend tout son temps.

(lire Intuitio de Laurent Gounelle)

 

13 Août  -  l'effet balancier

L’humain aime les grands écarts.

Comme un pendule, lorsqu’il part trop loin dans une direction, il ne peut s’empêcher de rectifier le tir en allant trop loin dans la direction opposée.

N’ayez-vous jamais remarqué que c’est dans les villes, dans les endroits surpollués que la conscience écologique est la plus forte ? Et cela nuit forcément à la cause puisque il est facile à leurs opposants d’arguer le manque de connaissances que peuvent avoir des citadins sur la vie sauvage. Reste à savoir ce qu’on entend par écologie politique : la préservation stricte de la nature et de ses fonctions ou bien une réaction bien légitime face à une dérive technologique ?

De la même façon, les anciens fumeurs deviennent de véritables ayatollahs vis-à-vis de la cigarette qu’ils ne peuvent, la plupart du temps, plus supporter. Je ne mentionne même pas l’amour qui peut aisément se transformer en haine et plus on a aimé plus on détestera. L’effet balancier, toujours.

Ce mépris de la femme qu’approuvent les intégristes ne vient elle pas de leur peur viscérale du sexe opposé ?  Bernard Henry Levy relatait ce fou de Dieu, capable des pires attentats, de tutoyer la mort à chaque coin de rue, mais terrifié à l’idée de proposer à une fille de boire un verre.

Toutefois la meilleure image de cet effet balancier reste l’état d’Israël. Six millions de morts à cause d’un petit moustachu à mèche frustré. Cela aurait dû induire une certaine compassion, une plus grande humanité vis-à-vis du monde entier. Or l’armée Israélienne est sans doute l’une des plus virulentes. On l’a vu lors de la guerre des 6 Jours ainsi que dans ses affrontements constants avec leurs voisins les Palestiniens. Le Mossad est l’un des services secrets les plus puissants du monde.

Désir de vengeance ? Même pas. Juste et toujours cette fameuse réaction : plus on a souffert, plus on risque de devenir à son tour tortionnaire.

Cet effet balancier n’est, somme toute, qu’une simple loi de la physique. Plus on frappe fort, plus le rebond sera important. Finalement, il n’y a rien d’étonnant là de dans, ni même de foncièrement humain. Cette réaction n’est finalement qu’un assemblage d’atomes qui réagissent selon un plan bien précis. La solution pour éviter tout excès est peut-être bien de rester dans les limites de l’acceptable : ne pas tirer trop loin ce balancier de la vie. Se méfier de ses émotions, manier la passion avec parcimonie. Devenir tiède et modéré en toute chose.

Mais est-ce encore vivre ?

 

6  Août  -  Masculin féminin

On nait femme, on devient homme.

Cette assertion, je l’ai pêché dans un article d’Elisabeth Badinter sur les différences hommes/femmes.

Nous ne sommes pas faits pareils entends-je. Biologiquement. Oui, il existe quelques minces différences qui font, justement, toute la différence. Mais globalement nos corps sont assez proches, non ? Nous sommes tous constitués par le même agencement de cellules, une même disposition d’organes et nous fonctionnons à peu de choses près sur le même modèle.

Alors,  cela se situe au niveau mental, le résultat d’une éducation. Même si les poupées pour les petites filles et les soldats ou les bolides pour les garçons ont vécu, il reste quand même une profonde séparation entre les deux genres dans nos constructions mentales. Ne parlons même pas des religions qui prônent l’affrontement, du moins l’immense antinomie entre le masculin et le féminin.

Cela demeure dans nos gênes, au bout d’une poignée de millions d’années d’évolution. L’homme part à la chasse, la femme reste au foyer. Lui doit ramener la pitance, elle doit enfanter. Il en résulte que l’homme est actif, toujours en vadrouille, découvreur, ayant une vie bien remplie et tournée vers l’extérieur, conquérant, guerrier…

La femelle, à l’image de la poule couvant ses œufs, est forcément passive : lors de la grossesse, elle ne peut pas être pleinement active. Plus encore, lors du sevrage du petit. Elle l’a porté neuf mois, lui a donné la vie : il est juste que ce soit elle qui s’en occupe – bien que, dans le monde animal, on assiste à des pères plus présents. Il en découle la formation d’un esprit plus centré sur soi-même, plus rêveur, plus introspectif, plus à l’écoute, plus empathique.

L’homme se construit, doit faire ses preuves ; la femme reste, subit. Les antiques rituels  de passage à l’âge adulte ne concernent habituellement que les mâles. La femme est fille, puis devient femme à la puberté quoi qu’il arrive. Il y a une acceptation, une résignation. Le sacrifice est féminin, les conquêtes masculines. Cela modifie le cerveau de chacun des genres. Lui sera plus cartésien, plus volontaire ; elle sera plus empathique, plus communicative. Lui ordonnera, elle essaiera de convaincre.

Il faudra attendre le 20ème siècle pour voir ces différences fondamentales voler en éclats. C’est peut-être l’un des rares avantages du libéralisme. En mettant la femme sur le même plan que l’homme (en revanche moins l’homme sur le même plan que la femme – en l’occurrence son implication dans l’éducation des enfants ou les tâches ménagères), notre système global a effacé bon nombres de différences.

Le nouvel objectif serait d’allier les qualités de l’un  et l’autre pour former le nouvel humain. Egaux, mais différents… mais davantage différents entre chaque homme et femme que principalement différents d’un genre à l’autre.

 

30 Juillet - money money money

Sommes-nous à la veille de la disparition pure et simple de nos fameux tickets de caisse ?

Ces bouts de papier à cigarette sur lesquels apparaissent toute une foule de renseignements : le détail de vos achats, le total (bien pratique pour savoir où nous en sommes, particulièrement en fin de mois), le taux de tva, etc.

Bien sûr, cela utilise du papier et c’est mal, d’autant que, contrairement à un livre, on ne va pas garder précieusement ces preuves d’achat – juste le temps de pouvoir échanger un produit défectueux ou acheté en double par mégarde. Souvent, on les retrouve même sur les parkings des supermarchés, sitôt empochés, sitôt jetés sans scrupules. Plus grave : on en retrouve aussi aux stations essence où l’automate demande systématiquement si l’on désire le ticket. Cela implique donc que, tout comme le poisson rouge a une mémoire de cinq secondes, certains désirent le ticket puis n’en veulent plus une fraction de temps plus tard. Cela en dit long sur les intentions de vote, par exemple et, plus globalement, sur la conscience (ou l’absence de conscience plus exactement) citoyenne et écologique. Parfois je me demande si ces mêmes gens jettent tout et à travers chez eux : ça doit être un joli b…

Seulement, les kilos de prospectus ou les tonnes de papier toilette n’ont pas davantage d’utilité sur le long terme. Il y aurait peut-être des pistes à suivre avant de faire la chasse aux petits bouts de papier distribués en caisse.

Je sais parfaitement que l’idée, à terme, est de supprimer toute cette monnaie, vecteur de bactéries, convoitise des petits délinquants (les vrais voleurs se sont déjà mis au numérique) mais surtout : incontrôlable. Quand vous réglez un achat par carte bancaire ou via votre smartphone, il existe une preuve de cette transaction que l’on ne peut avoir avec des espèces anonymes. Les grandes enseignes l’ont bien compris en vous proposant d’alléchantes cartes de fidélité qui n’ont pour but que de pister vos achats. Pour quoi ? Très simple : vous vendre encore et encore.

Depuis que notre société capitaliste et libérale s’est mise en place avec la production à grande échelle, elle ne peut se maintenir à flot qu’avec cet allié incontournable du consumérisme : la publicité. Seulement la bonne vieille « réclame » dans les boites aux lettres ou sur les écrans de télévision a vécu. Il faut cibler. Rien ne sert de vanter les bienfaits d’un shampoing à un chauve.

Le pistage de vos achats n’a pas d’autre but que de savoir ce que vous consommez pour pouvoir vous proposer des produits semblables. On retrouve ce même principe dans les jeux concours. Plus besoin de savoir répondre à d’impossibles questions, il suffit simplement de taper un chiffre ou un mot sur son clavier de téléphone. L’intérêt est de vous inscrire avec, sésame moderne, vos coordonnées : adresse postale ou numérique, numéro de téléphone. Le principe étant de constituer un listing de personnes qui partagent les mêmes envies.

Vous êtes-vous déjà inscrits à une compétition sportive, une manifestation, un club… Même résultat : vos coordonnées peuvent être utilisées dans des fichiers grassement vendus à des sociétés qui vont proposer la dernière gamme de tenues de sport si vous avez participé au marathon du département, par exemple.

A priori, je ne suis pas contre les caméras de surveillance, la localisation Gps du téléphone mobile et le traçage des achats. Je n’ai rien à cacher. Seulement, c’est l’utilisation que l’on peut en faire qui me gêne. Je n’ai pas envie de subir les insistances publicitaires de marques qui ont noté mes habitudes d’achat, tout comme je n’ai pas envie qu’on sache (la police, par exemple) que j’ai une maitresse – via la localisation gps ou les caméras. Et encore nous avons échappés au pire : n’importe quelle voiture neuve comporte un Gps. Il est donc facile et en temps réel pour la gendarmerie de connaitre nos déplacements et donc notre vitesse instantanée.  Finis les coûteux radars souvent vandalisés : il suffit de se « brancher » sur votre Gps personnel tout comme la brigade pour mineur peut le faire sur votre disque dur et votre navigation internet afin de débusquer les éventuels pédophiles.

Bien sûr, cela est censé nous protéger, nous et nos enfants. Mais comment éviter les dérives ?

Revenons à cette monnaie qui vit peut-être ses derniers jours. Force est de constater que c’était une belle invention. Imaginez un peu à l’époque du troc : je veux bien t’acheter trois brebis et en échange je t’offre dix mètres cubes de bois. Et si le berger n’a pas besoin de bois ?

Trouver un moyen d’échange universel fut une avancée majeure, une sorte de dénominateur commun, respecté par tous. Là où ça a commencé à partir en vrille, c’est au moment où un gugusse un peu mieux loti que son voisin lui a proposé de lui… prêter de l’argent. Moyennant un petit taux d’intérêt. Oh, rien du tout. Mettons un pour cent. Déjà c’était trop. Car en faisant travailler l’argent, on ne travaille plus soi-même et, actuellement, nous en sommes arrivés au stade où seuls les riches s’enrichissent.

Alors, d’accord pour la dématérialisation de la monnaie mais pourquoi pas également la refonte en profondeur du système bancaire. Que l’argent ne serve que de monnaie d’échange et plus de base spéculative. Que le prêt se fasse sur la base de la confiance et de la motivation (je te prête de l’argent parce que je crois en ton projet, que j’ai confiance en toi, que je veux t’aider, qu’un jour peut-être l’inverse aura lieu) et non plus sur le seul appât du gain. 

 

23 Juillet 2023 - Le sens des mots

Oh le coquin !

Cette exclamation maternelle à l’encontre du rejeton qui vient d’en faire une belle m’interpelle à chaque fois. Au   XXIème siècle, un coquin est un espiègle, un malicieux. Chez Balzac et Flaubert, un coquin est le pire des  délinquants.

Il en va ainsi d’une quantité innombrable de mots. On connait tous le vrai sens du mot travail, un douloureux instrument de torture au moyen-âge. Du reste, il convient parfaitement à cet esclavage moderne d’une activité ennuyeuse la plupart du temps subie et harassante.

Le plus étonnant reste cependant l’évolution des deux vocables émotion et transport. Ils n’ont rien de commun en apparence. Une émotion étant un trouble, un bouleversement des sentiments tandis que   transport évoque un déplacement dans l’espace.

Au XIXème, on parlait de transport pour évoquer ces troubles de l’âme, les sensations que l’on éprouvait, l’exaltation, particulièrement en amour. Quant à l’émotion, du latin movere (se déplacer) avec l’ajout du préfixe ex, évoque nos fameux transports actuels. Comment deux mots ont-ils pu échanger leur place dans le vocabulaire commun ?

Il suffit d’ouvrir un dictionnaire d’étymologie pour comprendre que les mots ont leur vie propre. Ils évoluent, se parent d’habits changeant, deviennent bons ou mauvais, occupant le devant de la scène puis tombant dans l’oubli et je ne parle pas des hermaphrodites, capables de dire deux choses n’ayant aucun rapport apparent.    Cela s’appelle la polysémie, au contraire de l’homonymie quand deux mots s’orthographiant de la même manière ont une généalogie complètement différente. Ainsi l’opéra est à la fois un spectacle et un gâteau, une souris le petit rongeur et une jeune fille (désormais tombé en désuétude) sans parler de la petite molette servant à faire avancer le curseur sur votre écran d’ordinateur.

Formidable, avant Balzac qui lui donna son sens actuel, évoquait plutôt la force et la grandeur (on parlait d’un guerrier formidable). Quant à énervé, il a réussi la prouesse de faire un parfait demi-tour. Les latinistes en herbe auront bien noté cette incongruité : le préfixe é supprimant toute la suite (nerve = nerfs). Privé de nerfs, on se voit mal devenir rouge de colère. Chez Voltaire, un énervé était quelqu’un d’apathique, de mou.

Le hasard désigne les aléas de l’existence (le doigt de Dieu, prétendent certains). Pendant des siècles, il portait une connotation plutôt dangereuse, entre risque et péril alors que son origine arabe (az-zahr) désigne un jeu de dés, plus en adéquation avec son sens actuel.

Parfois un même mot désigne une chose et son contraire. Louer s’applique à la fois à celui qui offre son habitation et à celui qui en devient le locataire. On retrouve la même confusion dans hôte (désignant à la fois l’invitant et l’invité). Et je ne parle pas des règles grammaticales  qui terrorisent n’importe quel étranger face à notre langue de Molière chérie. Ainsi, on dit son ombrelle et son parapluie, alors que l’une est féminin et l’autre masculin. Il s’agit en l’occurrence de ne point heurter nos belles oreilles : sa ombrelle sonne mal, tout comme le C de seconde qui se prononce G ou cette liaison source de quantités de fautes dans les dictées : quand on arrive en ville se prononce quant on arrive en ville.

Les mots se travestissent également quand ils sont utilisés dans certains  domaines, en particulier les corporations de métiers.

Là, je vais rester sur mes terres connues et vous parler randonnée et vélo. Quand un alpiniste prévoit de faire une course, il ne va pas s’aligner sur une piste d’athlétisme ni même foncer à l’Intermarché du coin remplir son caddie. La course en question est une randonnée (parfois mixte – entendez roche et glace et non pas en couple) en haute montagne. Dans le peloton du Tour de France, lorsqu’on se dresse sur ses pédales, on se met « en danseuse » et pourtant on ne va pas constituer un ballet. Peut-être que, le corps bougeant en entier, cela donne l’impression de danser… Les cocotes n’évoquent en rien des poulettes ou des pignes de pin mais bien le dessus du guidon recourbé, auquel au reconnait le vrai vélo de course.

Partant de là, un petit jeu linguistique bien sympa consiste à passer d’un mot à son inverse en un minimum d’étapes. Selon leur contexte, les mots peuvent évoquer plusieurs idées. Ainsi, léger équivaut à frivole, inconséquent, donc pouvant devenir maladroit, gauche et par voie de conséquence… lourd.

On peut ainsi s’amuser de passer de vie à trépas, d’homme à femme, du blanc au noir par de belles joutes verbales.

L’amoureux des mots Raymond Queneau avait créé l’OuLiPo (pour  Ouvroir de littérature potentielle) en 1960. Ce groupe de recherche littéraire, sans se prendre au sérieux, est resté célèbre pour ses défis mathématiques imposés à la langue. Ses recherches étaient, selon ses auteurs, naïves, artisanales et amusantes. Son président actuel, Hervé Le Tellier, a reçu le prix Goncourt en 2020 pour l’anomalie.

16 Juillet 2023 - Nus et sans argent 

Pendant qu’une pelletée de jeunes garçons aux maillots colorés s’époumone sur les routes surchauffées de notre beau pays, France 5 diffuse d’autres exploits sur ces mêmes routes. Si l’aventure est moins sportive (ça, ce n’est même pas sûr), elle est autrement plus humaine.

Nus & culottés, tel est le nom de l’émission et elle résume bien la situation.

Deux gaillards débrouillards entendent voyager sans rien (pas d’argent, ni même de vêtements – je vous rassure, ceci est un gimmick et ils se confectionnent bien vite une garde robe à base de fougères ou de bouts de plastiques récupérés avant qu’on leur donne de vrais vêtements), juste l’aide qu’ils peuvent apporter, tant physique que morale, surtout.

Dans les premières saisons, l’objectif était de tracer la route. Bref, d’aller d’un point à un autre, pour bien montrer qu’il est possible, même en ce vingt et unième siècle encore très matérialiste et consumériste en diable, de vivre grâce à d’autres valeurs que celles de l’argent roi et des apparences qui vont de pair.

Depuis quelque temps, leurs intentions ont légèrement évoluées. Bien plus que le voyage en lui-même, ce sont les rencontres qui le motivent. Et l’on assiste, une fois par semaine chaque mois de Juillet, à une formidable leçon d’humanité. La vraie, celle de tous les jours, pas celle des salons où l’on se gausse d’éradiquer la faim dans le monde, on l’on fait de belles phrases sur d’hypothétiques solutions globales.

Nans et Mouts (les deux compères à poil et sans fausse timidité) font de l’humanitaire à taille humaine. A commencer par tailler la causette avec le premier bipède rencontré. Et ça marche ! On N’imagine pas le besoin qu’ont les gens de se confier, de parler, d’échanger autre chose qu’une poignée d’euros ou une transaction bancaire.

Je reste toujours stupéfait de constater qu’on leur ouvre si facilement les portes (tout en sachant fort bien que rien n’est tout rose dans notre monde de brutes et que le montage de l’émission élimine forcément tous les refus, les moqueries, les mépris). Dès que la confiance s’installe, tout devient possible. Cette confiance, devenue si rare dans nos vies individualistes, sésame de relations saines entre individus et porteuse de grandes espérances.

Dès lors, les confidences peuvent déborder. On ne se confie jamais autant à un inconnu, ça les psys le savent si bien. Il se trouve alors que la majorité des personnes qui croisent leur chemin ont des pathos assez lourds : deuils, déchirements, maladies, vies gâchées…

Les deux acolytes auraient-ils le don de tomber toujours sur les âmes les plus meurtries ? Ou peut-être que, justement, lorsqu’on a soi-même souffert, on devient plus réceptif aux autres. Les aspérités de la vie qui ne fait pas de cadeau, au lieu de nous renfermer sur nos problèmes, permettent  de mieux ouvrir à la fois  les yeux et le cœur. Ainsi, rien de bien étonnant de ne rencontrer que des gens fabuleux qui ont souffert… justement parce qu’ils étaient plus vulnérables que d’autres, ceux qui portent une carapace sur leurs épaules. Et encore : les plus forts ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Toujours se méfier des apparences, elles ne sont que trompeuses.

Reste à savoir si le duo a suscité des vocations. Parfois, au gré d’une émission, ils embarquent leurs rencontres dans une partie de leur périple. Vivre autrement a un effet bénéfique au-delà de toute mesure sur les sédentaires.

Alors, quand est-ce que vous partez, pour des vacances sans argent et à poil ?

 

9 Juillet - Sommes nous réellement propriétaires de notre corps?

Tout récemment, une de mes nombreuses tantes est décédée. A moitié paralysée depuis un accident vasculaire cérébral survenu il y a presque dix ans, elle végétait dans une maison de retraite proche de chez elle. Fortement diminuée, je suppose qu’elle n’est jamais parvenue à surmonter son handicap en femme énergique qu’elle a toujours été en tant qu’épouse d’agriculteur. Tout dernièrement, elle a décrété à ses enfants que « le moment était venu », qu’elle ne souhaitait plus continuer comme ça plus longtemps et… s’est laissée dépérir en ne s’alimentant plus.

Là, j’ouvre une parenthèse sur laquelle il sera possible de revenir dans un billet ultérieur : chapeau à l’Ephad en question pour avoir respecté la volonté d’une femme encore parfaitement consciente d’elle-même et ne pas l’avoir perfusée ou envoyée directement dans l’hôpital le plus proche. Parfois, on a l’impression que les institutions paramédicales s’obstinent  à maintenir un cœur en vie alors que l’esprit est déjà ailleurs…

Notre corps nous appartient.

C’était même l’une des principales revendications des mouvements féministes au début des années 70 qui ont permis la création de la loi Veil.

Mais, au fait, sommes-nous réellement propriétaires de nos cellules ?

A priori, cela semble être une évidence. Nous sommes seuls responsables de nos actes, maitres à bord de notre destinée, patron de notre volonté.

Pour la volonté, pas de doute. Ce que nous voulons, nous sommes les seuls à le vouloir. Encore que, conditionnés comme nous le sommes depuis notre plus tendre enfance, influencés par notre environnement proche, nos décisions ne relèvent pas uniquement d’un pur désir égoïste. Encore heureux. Mais nous avons la possibilité de choisir et ne pas trop se laisser dicter nos volontés par d’autres.

Quant à demeurer capitaine de notre vie, c’est déjà une toute autre histoire. Car nous sommes, tous sans exception, les enfants d’un couple qui nous a désiré, voulu, enfanté, élevé, nourri et protégé. Cela incite à la plus grande mansuétude vis-à-vis de nos aïeux. Nous leur devons la vie et une grande partie de ce que nous sommes, même si nous n’en sommes pas totalement satisfaits. Un renvoi d’ascenseur moral, un devoir en quelque sorte.

Lorsque nous devenons parents à notre tour, cette responsabilité est à nouveau en jeu, à un degré supérieur : notre progéniture n’ayant rien demandé à personne, nous nous devons de lui donner le meilleur, à commencer par notre amour : c'est-à-dire une grande partie de notre vie, de notre temps et notre énergie.

Mais sans aller jusqu’à ces liens si étroits, évoluant au sein d’une société humaine les interrelations sont constantes et à tous niveaux. Nous sommes emprisonnés par des liens, ces mêmes liens qui nous réunissent, nous protègent et nous aident.

Alors, peut-être seulement lorsque nous ne pouvons plus apporter quoi que ce soit aux autres, nous pouvons alors, sans plus aucun scrupule, tirer notre révérence. Mais qui peut déterminer ce que nous avons à apporter à autrui ? Ce n’est pas forcément une force de travail, un savoir, une aide, mais juste une présence.

Si nous ne sommes pas propriétaires de nous-mêmes, nous le sommes encore moins de la Terre. Qui a décrété, un beau jour, que le lopin sur lequel il était debout était à lui dorénavant ? Et, pire, que quiconque allait venir y poser ses pattes ne serait pas le bienvenu ? Cela n’est évidemment pas intrinsèquement humain : la majorité des animaux, voire des créatures vivantes, défendent becs et ongles leur petit territoire. Pourtant nous n’avons rien construit, rien créé : tout était là AVANT nous. Et tout sera là, après… Bon, parfois dans un piètre état, je l’admets.

Et la création pure, alors ? Un artiste possède forcément son œuvre, elle fait partie de lui-même, elle EST lui-même. Son âme, son cœur, sa volonté. Sûrement pour cette trilogie toute création appartient à son créateur, cependant dès qu’une œuvre est dévoilée, elle appartient à son public.

En définitive, nous ne sommes propriétaires de RIEN.

Ni de nous, puisque nous dépendons d’autres à tous points de vue (à moins de vivre en ermite et, là encore, nous sommes vivants grâce à nos parents – même s’ils se contentent de faire briller l’étincelle de vie originelle) et devenons, à notre tour, responsables d’autres – donc d’un lourd cahier des charges en matière de devoirs et d’obligations morales.

Ni de notre environnement, puisque la Terre existe avant nous : ses lieux, ses matières premières. Comme cadre de nos vies, elle nous nourrit et pourvoit à tous nos besoins.

Ni même de ce que l’on invente, à moins de le garder pour soi égoïstement.

Il n’est même pas si sûr que nous soyons maitres de nos pensées.

Je vous demande justement d’y réfléchir un instant.

 

2 Juillet (Tour de France) - Conseils d’un cycliste sur comment vivre  sa vie

Quand on fait du vélo, on doit lutter contre trois facteurs qui vous ralentissent : le frottement des roues avec le sol, la résistance de l’air et s’extirper de la force de  gravité.

En ce qui concerne la pente, nul besoin de grimper un col dans la vie de tous les jours.

Pour les frottements, choisir des pneus plus fins et mieux les gonfler réduiront sensiblement l’inconvénient.

Reste la difficulté principale à la pratique du vélo : faire face à cette masse d’air que l’on considère à tort comme un grand vide.

L’air qui nous entoure est constitué de molécules, d’atomes, tout comme de l’eau ou n’importe quelle surface dure. Tout n’est question que de densité.

D’après les lois physiques, lorsqu’on atteint une vitesse constante, sans vouloir accélérer, il n’est nul besoin de force supplémentaire. Dans le meilleur des mondes, c'est-à-dire en ce cas dans un monde « vide », une fois lancé à 25 km/h, nous n’aurions plus qu’à nous laisser glisser doucement sans même tourner les jambes.

Toute l’énergie développée pour simplement maintenir votre vitesse consiste à contrer cette résistance de l’air et, dans une moindre mesure, celle des frottements et de l’attraction terrestre.

La vie n’est rien d’autre qu’un parcours en vélo. Vous adoptez une allure qui vous est propre et devez ensuite cravacher pour vous maintenir à la même vitesse.  Autrement dit : devoir travailler pour gagner de quoi juste entretenir votre train de vie.

Calculez le nombre d’heures qui vous sont nécessaire pour payer les diverses traites, loyers, forfaits et abonnements, assurances, nourriture, transports.

On a coutume de dire que le mariage est la meilleure façon de régler à deux des problèmes que l’on n’aurait pas si on était seul.  Nos trains de vie répondent au même constat. Nous perdons nos vies à les gagner.

Il existe pourtant deux solutions pour améliorer cet état de choses peu reluisant.

D’abord et tout simplement, ralentir. Diminuer notre vitesse sur notre vélo de l’existence. On aura alors moins besoin d’énergie (de temps et d’argent) pour continuer le voyage, entendu qu’en allant moins vite la résistance de l’air diminue ainsi que les frottements.

Certains appellent cela la décroissance. Je parlerai de modestie, de simplicité, d’humilité.

Le bonheur n’est pas dépendant de la vitesse à laquelle on traverse la vie. C’est peut-être moins grisant, mais on gagne en attention, en contemplation, en échanges ce que l’on perd en grandiloquence. Gagner du temps plutôt que de l’argent pour pouvoir mieux en disposer et l’offrir aux autres.

La seconde façon de lutter contre les éléments est de rouler en groupe.

Regardez le peloton du Tour de France. Il donne l’impression que les coureurs ont froid et qu’ils se pelotonnent (d’où le nom) les autres contre les autres. En fait, seuls ceux qui se trouvent en tête prennent le vent, les autres, bien à l’abri, ne pédalent qu’une fois sur deux – observez les temps de roue libre (quand le coureur ne pédale plus) et vous serez surpris.

Bien sûr cette stratégie implique de sacrifier quelques « équipiers » en tête du groupe. Ce n’est guère démocratique et fait penser à la République de  Platon  : 60 000 esclaves s’éreintant pour que 10 000 citoyens puissent vivre peinards en se consacrant à l’étude, à l’art, à la culture.

Une solution plus équitable consiste à rouler en groupe, certes, mais en changeant constamment   celui ou celle qui se trouve en tête. Comme lors d’un contre-la-montre par équipes. Observez bien comment le groupe reste homogène, chacun prenant des «relais » et s’écartant au bout de quelques secondes – ou quelques minutes -, reprenant sa place à l’abri du groupe pour récupérer. La formation avance de fait plus vite tout en économisant les forces individuelles.

Reste la solution de l’union.

Sur un tandem, nul besoin que les deux cyclistes pédalent, un seul suffit. Si l’on pédale de concert, on avancera plus vite – puisqu’un seul prend le vent – tout en dépensant moins d’énergie. C’est le principe du mariage. Il y a d’autres avantages à rouler en tandem mais je ne m’étendrai pas sur ceux-ci pour l’heure.

Reste quand même un problème épineux dans ces cas de groupe, d’équipes ou même d’association : savoir gérer les conflits inhérents à toute réunion d’humains. Cela demande peut-être tout autant d’énergie que lutter contre les éléments.

 

25 juin 2023 - Pourquoi tant de violence ?

Prédateurs de Maxime Chattam n’est pas un roman policier comme les autres. On y enquête au sein même de l’armée, jusque sur le front du combat. Au-delà de la violence des propos et de mises en scènes inhérentes à ce genre particulier, Chattam propose une réelle réflexion sur comment nait la violence.

Pourquoi infligeons-nous de si mauvais traitements à nos prochains ? Car la violence peut être autre que simplement physique. Violence morale, intellectuelle.

Prétendre qu’on utilise ses poings (ou toute autre forme physique, ajoutant tant d’outils savamment mis au poing pour blesser, tuer) parce qu’on n’a pas les mots pour se faire comprendre est une évidence. Quand la communication verbale est impuissante, soit parce qu’on ne sait pas utiliser les mots, soit parce que l’incompréhension constatée ressemble à de l’indifférence, on a recours à un moyen séculaire, qui a fait ses preuves. Du moins, en apparence. On forcera toujours quelqu’un à son point de vue en le menaçant ; on ne le convaincra jamais. Même les moyens psychologiques mis en œuvre pour le rallier à nos idées ne sont que des leurres. Le conditionnement publicitaire en est un bon exemple : c’est une violence psychologique majeure sans qu’on s’en aperçoive.

L’humain demeure l’un des animaux les plus violents sur Terre. Cela lui a permis,  malgré un physique malingre par rapport à d’autres espèces, mieux profilées pour user de leur seule force physique, de dominer le monde. Nous sommes la seule espèce à pouvoir se détruire elle-même.

Nous avons donc cela en nous, profondément ancré. Cette violence innée contre laquelle on ne peut rien, de l’ordre du réflexe. C’est peut-être justement pour équilibrer ces dispositions belliqueuses que nous avons développé le langage parlé comme aucune autre espèce ne l’a fait. Mais quand celui-ci ne répond plus à sa fonction première (communiquer), on se résout à utiliser la manière forte.

Pourtant cette incommunicabilité n’explique en rien les violences sociétales majeures, celles qui ne se voient pas. Le chômage de masse, les inégalités sociales, les rejets de l’autre (xénophobie, nationalismes).

Nous sommes des êtres tellement complexes que nous nous y perdons. Nous ne pouvons vivre les uns sans les autres et c’est justement cette proximité qui crée les tensions, les frictions, les violences, tant  verbales que physiques.

Tout se joue avant six ans. Lorsque nous construisons notre personnalité. A chaque nouvelle expérience que nous faisons, toutes les interactions dont nous sommes les fruits sont primordiales. L’insociabilité future nait à se moment, elle ne fait que se renforcer ensuite. L’environnement immédiat est capital, l’inné n’est que le terrain sur lequel va pousser notre potager personnel.

Ce qui complique la tache des psychologues est que chaque cas est unique. Il résulte à la fois d’un inné biologique immuable et d’une infinie série de connexions avec l’extérieur.

Peut-être le but ultime de l’évolution humaine est de résoudre ces problèmes de sociabilité forcée. Savoir vivre ensemble sans dissensions tout en gardant sa propre personnalité. Ni le chaos total, ni la loi du plus fort, ni une société où chacun doit respecter son statut et sa place (à l’instar des communautés d’insectes  - abeilles, fourmis).

 

18 Juin : Savoir se connaitre – Gnothi seauton

Tout le monde connait cette pensée de Socrate, surement la plus fondamentale de notre condition humaine avec celle de Descartes : je pense donc je suis (cogito ergo sum).

La meilleure façon de se connaitre est, d’une part, d’établir des relations humaines – la sociabilité joue l’effet d’un miroir qui nous renvoie notre propre image, nos réactions face au commerce des autres. La seconde manière est de pratiquer l’humour en toutes circonstances, y compris et surtout les plus sérieuses et les plus tristes. Ce qui,  somme toute, revient à peu près au même,  puisque l’humour ne peut se concevoir lorsqu’on est seul. L’humour, ce second degré sans lequel la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue, permet de prendre de la distance avec soi-même. On ne peut voir la montagne sur  laquelle on est assis tout comme on ne peut entendre sa propre voix ni voir son visage (à part un bout de l’aile du nez en louchant ou ses lèvres et le bout de sa langue mais cela oblige à certaines grimaces équivoques. A ne pas tenter en société.

Savoir se moquer de soi-même avant d’aller piquer au vif les travers des autres. Cela n’est pas donné à tout le monde ni à tout âge. Ce recul nécessaire, cette ironie, doivent se cultiver. A commencer par ne rien prendre au sérieux, spécialement les choses graves. Dédramatiser pour mieux accepter et, combattre ou régler les problèmes.

L’humour est peut-être la chose la plus difficile à manier. On sait que l’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. Une susceptibilité empêche le décalage, la prise de distance. Il est plus facile de faire pleurer que de faire rire. La tristesse se partage plus facilement et l’on pleure des mêmes choses. On ne rit pas pour les mêmes raisons. Au théâtre, il est bien connu qu’un acteur qui sait faire rire pourra faire pleurer, évoquer une large gamme de sentiments.

Cette propension à faire rire commence donc par pouvoir rire de soi-même. Reconnaitre cette futilité de l’existence, notre condition humble et modeste face aux grandeurs cosmiques. Bien comprendre et savoir où est notre place. Cela n’implique pas un défaitisme, une abdication face aux aléas de la vie. Au contraire, cela permet d’y faire face sans se laisser dominer par la passion ou les sentiments. Cela ne veut pas dire non plus s’endurcir dans un détachement cynique. Se moquer des choses en commençant par soi-même permet d’en connaitre justement la valeur.

Tous les humoristes et les caricaturistes vous le diront : on ne persifle mieux que ceux que l’on aime, du moins pour qui on éprouve quelque chose. L’indifférence, l’ignorance excluent toute forme d’humour. Du reste, il n’est pas étonnant qu’en langue française les mots humour et amour soient phonétiquement si proches.

Aimez-vous et aimez les autres : riez et moquez-vous !

 

11 juin - La meilleure façon de marcher

Tout le monde s’accorde sur l’idée que marcher est un bienfait général. Cela va au-delà d’avantages démontrés pour la santé, spécialement au niveau cardiaque. Marcher aide à penser. Le rythme régulier de l’alternance des pas, tel un métronome, permet d’organiser ses pensées. Les philosophes grecs l’avaient bien compris : ils dispensaient leur savoir tout en arpentant les allées de leurs collèges et lycées. On les appelait les péripatéticiens, littéralement  La forme féminine du même mot évoque des pas dans la rue, mais en vue de dispenser d’autres savoirs.

La marche procède du même principe que   la lecture. La moitié du travail reste à faire, tout n’est pas mâché à l’avance. Ainsi, l’écrivain effectue sa part en imaginant une histoire qu’il traduit en mots pour faire naitre des images. Ces images, le lecteur doit se les approprier en les créant lui-même à partir des indices glanés au fil des pages de description, contrairement au cinéma où tout est déjà dévoilé. Le lecteur jouit d’une plus grande liberté que le spectateur, en contrepartie il doit faire l’effort de la mise en scène.  Entre ce que pense l’auteur et ce qu’interprète le lecteur, il existe tout un monde. Selon notre humeur du moment, nos dispositions, notre expérience, nous ne ressentirons pas l’histoire de la même manière. Se balader va dans le même sens. Tout est là, devant vos yeux et sous vos pas. Mais en fonction de votre état d’esprit, vous n’allez pas apprécier l’excursion de la même manière.

Savoir marcher, c’est surtout savoir s’imprégner  de l’environnement. Se l’approprier. Permettre à tous vos sens d’en extraire le jus. D’abord, la vue  - cela va de soit. Mais savoir observer doit se travailler. Repérer les détails demande de l’acuité mais aussi un état d’esprit.

Ce champ de blé qui ondule sous la brise, le lent ballet des épis. Ce dégradé de verts là-bas au loin qui annonce une belle forêt. Les nuages qui forment parfois d’étonnants dessins dans le ciel. Découvrir  la vie qui foisonne à chaque détour du sentier : un lapin qui bondit d’un fossé, une biche en alerte en lisière de bois, les rotations de la buse cherchant sa pitance, jusqu’au bourdonnement indistinct des insectes du sous-bois, les fourmis transportant leur fardeau ou ce scarabée stoppant net à votre approche.

Il faut avoir les yeux partout. Et ce n’est pas facile, car cela demande une attention de chaque instant, or le métronome de vos pas vous incite à vous plonger dans vos pensées. Le lapin évoque la ferme de vos grands parents quand vous nourrissiez vos rongeurs préférés avant de vous apercevoir que Jeannot trônait dans le plat de la table dominicale, dépecé et assaisonné d’une sauce au vin. La biche vous  rappelle la frayeur que vous aviez subie un soir de retour d’une soirée en débouchant à la sortie du virage où vous aviez fait un tête à queue avec votre petite Clio. La buse vous fait chantonner cette vieille chanson de Michel Fugain. Le bourdonnement des insectes vous alerte sur la disparition annoncée des abeilles et ses tristes conséquences. Enfin les fourmis font penser à ce documentaire visionné en plein milieu d’une nuit d’insomnie.

Pas simple donc de se concentrer sur l’instant présent. Et il n’y a pas que la vue. Tous les sens doivent être mis en alerte. La beauté et l’étonnant ne se nichent pas forcément dans des paysages grandioses au bout du monde. Vous pouvez rencontrer l’insolite à deux pas de chez vous, découvrir une scène extraordinaire en faisant simplement le tour du pâté de maisons. Il suffit d’être disponible.

Le second sens le plus important est l’ouïe. Nous ne savons plus écouter à trop entendre les bruits de la civilisation moderne et urbaine. Ces bruits ont par ailleurs depuis longtemps dépassé les limites de la cité et il vous sera surement difficile de profiter d’une seule minute sans un arrière son de moteur ronronnant quelque part. Même au creux des vallées ou sur les sommets des montagnes lointaines, il n’est pas rare de distinguer  le bourdonnement d’avions de ligne traçant leur rayure blanche dans l’azur dégagé. N’hésitez pas à stopper pour effectuer l’inventaire des bruits, des sons et des harmonies disponibles. Les bruits sont fatalement ceux des hommes, hormis peut-être le hennissement d’un âne ou les aboiements d’un chien. Les sons sont plus naturels, tandis que les harmonies sont agréables à l’oreille. Le vent jouant sa partition dans les feuilles du chêne ou de l’hêtre, le ruisseau roucoulant plus ou moins fortement cette symphonie de l’eau qui chante, le récital du pinson ou du rossignol. Pour vous aider, vous pouvez fermer les yeux.

Respirez ! D’une part, cela ventilera vos poumons et vous aidera à vous endormir le soir venu en détendant tous vos muscles, déjà fourbis d’un effort modeste. Ensuite, vous allez découvrir de nouvelles molécules. L’odeur de l’herbe fraichement coupée, de la résine qui cuit sous le soleil, cette senteur de terre mouillée, des relents plus organiques de chair en décomposition ou d’excréments puis le bonheur de respirer le doux parfum de fleurs sauvages, un goût de miel mêlé aux émanations de chèvrefeuille.

Pour le goût, il faudra consommer. Les baies sont légion en été, mais rien n’empêche de mâchonner des brins d’herbe, un bout d’écorce et pourquoi pas sucer un petit caillou bien rond en guise de bonbon. C’est autrement meilleur qu’un chewing-gum et tellement plus original.

Enfin, le toucher. On n’y pense pas, tellement nos gestes sont codifiés, de l’ordre du réflexe. Comme on dit bonjour sans en imaginer toute la portée (« quand on demande comment ça va à quelqu’un, on prend de gros risques »), on serre des mains sans y prendre guère attention.

Il existe des sentiers « pieds-nus » disséminés un peu partout en France. Pourquoi ne pas enlever vos chaussures de rando quelques minutes et parcourir de la plante de vos pieds le terrain. Vous verrez, c’est rafraichissant et encore meilleur pour la circulation sanguine. Un massage de pied gratuit et la délicieuse sensation d’appartenir au monde.

Il existe des sylviothérapeutes : profiter des bienfaits des arbres pour aller mieux. N’attendez pas d’en avoir réellement besoin et laissez vous aller à prendre les troncs dans vos bras, à grimper aux branches, à vous reposer le dos contre ces géants de la forêt. Ils ont tant de choses à vous dire… A commencer sur vous-même.

D’un point de vue plus général, n’hésitez pas à toucher ce qui vous entoure. N’avez-vous pas remarqué que les personnes souffrant d’un handicap mental communiquent davantage avec leur corps, leur toucher ?

Savoir s’imprégner de la nature autour de vous passe d’abord par ce rapport tactile aux choses. Passer les doigts dans l’herbe, jouer avec une poignée de cailloux comme avec des osselets, plonger la main dans l’eau, le sable, la terre.

S’immerger le temps d’une balade permet de se ressourcer, de retrouver ses bases, son équilibre. Et ne pas hésiter à rêver. Le monde n’est pas constitué que d’atomes savamment organisés entre eux. Il existe aussi l’idée du monde, et celle-ci n’appartient qu’à chacun. A la fin de votre sortie, vous n’aurez peut-être pas perdu quelques kilos superflus mais vous aurez assurément gagné des souvenirs, un trésor qui n’a pas de prix : une communion avec les éléments.

Bonne balade !

 

4 Juin - Survivre

Dans « l’ours », Andrew Krivak met en scène un père et sa fille, seuls au monde (quand et pourquoi ? le roman n’y répond pas), devant se débrouiller par leurs propres moyens.

Je me suis souvent demandé combien de jours pourrais-je tenir, abandonné en pleine nature. En saison d’été, il est toujours possible de récolter quelques baies, des fruits, des champignons. Pourtant, en Europe, sur les 6000 plantes disponibles, la moitié sont parfaitement comestible. Reste à savoir lesquels. Car un mauvais choix peut s’avérer définitif, du moins largement handicapant. Tomber malade oblige  à dénicher les plantes qui soulagent, qui guérissent. Elles existent. Mais où sont-elles ?

Parvenir à se nourrir redevient l’objectif numéro un, l’obsession quotidienne. Pas sûr que l’on puisse aligner trois repas par jour.

A un certain moment, il faudra apprendre à chasser, à pêcher. Donc façonner des outils.

Et, second gros problème : faire du feu. Quiconque a déjà tenté d’en créer un à partir de rien, du moins  quelques silex ou deux bouts de bois, aura bien vite compris qu’il vaut mieux ne pas laisser s’éteindre les précieuses braises patiemment obtenues.

Vient l’hiver. Même dans nos contrées tempérées (je ne parle ni du grand nord canadien ni de la Sibérie), il faudra apprendre à se vêtir. La simple blouse en feuilles de châtaignier, très élégante pour cacher des attributs (que personne ne verra du reste), sera bien insuffisante quand la bise soufflera. Et cela nous amène au troisième tracas majeur : construire un abri, une cabane. Heureusement, nul animal sauvage ne viendra vous chercher des noises… à part, peut-être, dévaliser votre réserve de nourriture mal dissimulée.

Le survivalisme a le vent en poupe, spécialement chez les riches américains. Se faire peur en imaginant l’effondrement de notre monde civilisé, mais façon Mad Max, où, en plus de se débrouiller pour se nourrir, il faudra affronter d’autres rescapés tout aussi avides de biens facilement obtenus.

Sans aller jusqu’à ces extrémités, il est bon de se poser la question du niveau de notre dépendance des autres. De combien de personnes votre existence confortable est-elle redevable ?

L’homme est un animal grégaire, mais surtout s’étant spécialisé à outrance depuis la naissance des civilisations. On pourrait même en donner la définition : une civilisation est d’autant plus évoluée que ses particules sont dépendantes les unes des autres. Comme les cellules d’un corps. Que l’une vienne à mourir, cela n’aura que peu d’incidence sur l’ensemble, surtout si celui-ci se compte par millions ou milliards d’unités. Qu’une bonne partie d’entre-elles vienne à succomber, cela risque fort de déséquilibrer l’ensemble.

Pour reprendre une maxime de Pascal : mieux vaut savoir un petit peu de tout que tout d’une seule chose.

 Je pense que nous sommes parvenus à ce léger déséquilibre. En érigeant notre monde basé sur l’inégalité entre ses parties, il y aura, il y a un moment où tout peut basculer.

Retrouver notre liberté perdue, c’est donc savoir et  pouvoir résoudre par soi même  les problèmes que l’on rencontre. Cela n’exclut pas, évidemment, de venir en aide à son prochain.

 

28 mai 2023 - Réussir sa vie
 

S’il y existe bien une occupation centrale dans nos vies et cela depuis que l’homme est homme, c’est bien le travail.

Avant même qu’il ne se pose quelque part, qu’il ne devienne sédentaire et invente les sociétés modernes, l’humain cueillait  et chassait : une activité à plein temps, comme n’importe quel animal dont la vie se résume à manger, dormir et se reproduire. Il n’y a pas de place pour les fainéants dans la nature. Euh, pas si sûr.

Cependant ces actions basiques ne donnent que peu de sens à la vie et révèlent bien son absurdité d’un point de vue moral. A quoi bon ? Comme l’écrivait la philosophe Simone Weil (dans « la condition ouvrière »), l’existence d’un travailleur  est de rester immuable, sa vie n’aura pas changé dans un mois, dans un an, peut-être même dans toute une vie. Il n’y a pas de progression, à peine matérielle : on fonde une famille et on finit par devenir propriétaire d’un petit pavillon acheté à crédit. Mais pour ce qui est d’une quelconque élévation morale, rares sont ceux qui peuvent s’enorgueillir d’avoir gravi quelque échelon que ce soit. Ils n’y accèdent le plus souvent  que par le biais de la réussite sociale de leurs enfants et cet ascenseur-là semble désormais bloqué lui aussi.

Que faut-il pour réussir sa vie ? Quels en sont les ingrédients ? Par réussir, j’entends s’élever moralement et spirituellement, pas simplement gonfler son compte en banque : cela s’appelle réussir DANS la vie.

Trouver et donner du sens à son existence, afin, au fil des années, à ne plus être tout à fait la même personne. Avoir gagné quelque chose. Un savoir (que l’on pourra alors partager), un savoir-faire (à dispenser aussi, mais surtout comme résultat et satisfaction de pouvoir réaliser quelque chose par soi-même), le gain d’une réflexion, d’une pensée qui va au-delà du quotidien. Peut-être aussi la joie d’avoir réalisé quelque chose en commun, d’être une partie indispensable d’un tout, un travail collectif – comme une équipe de football.

Cet épanouissement passe forcément par le travail, plus précisément  par une activité répétée, décidée et voulue.

Dès lors, on se heurte à un problème de sémantique. Le mot travail véhicule une connotation péjorative de par son étymologie même. Fils du latin tripaliare venant de tripalium, un engin de torture assez savoureux où l’on écartelait en trois parties les hérétiques. L’autre piste, que l’on retrouve encore de nos jours dans l’idée d’un bois qui « travaille » est de supporter un poids en se déformant.

Supporter en se déformant : quelle belle et si juste définition du travail contemporain où l’homme semble n’être qu’une machine qui commande à une autre machine (et parfois l’inverse – les chaines de montage). Ainsi, depuis la division du travail et son optimisation pour un meilleur rendement pensé par Taylor, le mot travail n’a jamais aussi bien convenu à une activité non choisie la plupart du temps, subie et dont la contrepartie ne se résume qu’à un chèque en fin de mois.

Dans ces conditions, il y a peu de chances pour qu’un individu y trouve son épanouissement moral et même physique. Il sera fourbu et abêti, même s’il ne se salit plus les mains et ne se casse le dos.

Regardez les anciens reportages sur la vie paysanne d’avant la seconde guerre mondiale : on y voit des hommes et des femmes aux champs, physiquement fourbus, mais semblant heureux, chantonnant même, souriant souvent. Même s’ils n’avaient pas le sentiment de leur importance (nourrir le monde, ce n’est pas rien, c’est même aussi important que de le soigner ou de l’instruire), ils avaient compris que leur labeur était digne.

Au XXIème siècle, les machines, les robots, l’informatique permettent de réduire la souffrance physique. Reste à combattre le supplice moral.

Pourquoi l’émission « Des Racines & Des Ailes » est-elle si passionnante ? Parce qu’elle nous montre des hommes et des femmes qui ne travaillent pas (au sens avilissant du terme) et pourtant ne comptent jamais leurs heures, n’ont pas de problème pour se lever le matin et n’imaginent même pas l’heure de leur retraite (64 ans est bien trop jeune quand on est passionné par ce que l’on fait).

Ils ont choisi une activité qui donne un sens à leur vie. Ils « travaillent » pour les autres tout en gagnant une fierté incomparable de par leur action.

Le geste visant à être parfait qu’effectue l’artisan, la recherche de l’excellence en toutes choses, le détail qui donne  toute sa valeur à un objet, un service rendu « pour » les autres. Payé autant en reconnaissance qu’en euros. L’orgueil et la fierté de servir à quelque chose, d’être « quelqu’un ». Un vrai sens à sa vie.

Non, la Révolution n’aura pas lieu. Est-elle seulement utile ? Celle, bourgeoise de 1789, n’a fait que remplacer les dirigeants (des seigneurs et aristocrates aux champions du capitalisme). Celle de 1917 n’a fait que substituer un capitalisme d’état, bureaucratique, au nom du peuple. 

Le changement doit venir de la base et par elle-même. Ne rien attendre de personne, du moins de ceux qui disposent du pouvoir économique et politique. Ce que le capitalisme a réussi : réduire les coûts pour fabriquer de l’à peu près à très grande échelle afin de baisser les coûts de production non pas seulement pour démocratiser le luxe et le confort mais aussi pour remplir les poches des actionnaires qui, eux, ne travaillent pas, il faut parvenir à l’inverser.

Minimaliser, mutualiser, rechercher l’excellence. Que chacun puisse d’abord avoir la possibilité de choisir son activité, qu’elle ne soit plus imposée par des multinationales en recherche de chair fraiche. Que le travailleur se réapproprie à la fois son outil de travail (en devenant le seul  actionnaire de son entreprise) autant que  les conditions de l’exercice de celui-ci. Savoir pourquoi et pour qui on travaille et avoir une vision globale de son activité. Bref, ne plus effectuer le même geste sept ou huit heures d’affilé ou prononcer les mêmes paroles ou écrire le même texte à longueur de journée.

Cela implique de supprimer les véritables parasites du monde du travail que sont les actionnaires qui ont le seul pouvoir de décider (un patron n’est après tout qu’un super employé) sans s’impliquer dans leur domaine : un actionnaire d’une entreprise de  métallurgie connait-il seulement ce qu’il produit, comment et par qui ?

Multiplier les petites structures afin de diversifier l’économie (ne pas mettre tous ses œufs dans un même panier), d’atomiser les concentrations en trusts ou multinationales (qu’une chose devienne trop grosse est dangereux pour la démocratie) et résorber un taux de chômage que le système libéral lui-même engendre.

Alors, il sera possible d’offrir un travail, euh pardon : une activité à chacun selon ses capacités, ses aspirations et ses envies pour le seul bien de la communauté.

 

21 mai - La bonne date

Un ami me demande d’une façon ingénue quand est mort le Christ.

D’emblée ça sent le piège. Du genre « quelle était la couleur du cheval blanc d’Henri IV » ?

Jésus est né avec le Christ puisqu’il a été assez influent pour « remettre les pendules à l’heure ».

Excepté que ces fameuses pendules n’ont été réglées que bien plus tard.

Il est largement admis actuellement que Jésus est né 3 ou 4 ans avant lui-même. Rien de bien extraordinaire dans ce prodige : n’a-t-il pas ressuscité  le troisième jour ? (on notera au passage avec quelle frivolité les médecins de l’époque signaient les actes de décès).

C’est pourtant simple. Il a été crucifié à 33 ans sous le mandat de Ponce-Pilate : il suffit de retrouver les dates où le célèbre gouverneur venu de Rome était en fonction. Pas si simple, puisque   toutes les dates sont en référence à notre propre calendrier, basé sur la naissance du Christ. Le moine Denys le Petit s’est chargé de déterminé la date de la naissance du Sauveur, au VIème siècle avec toutes les erreurs possibles. Le 25 Décembre a été choisi par pure convention (juste après le solstice d’hiver) : on a longtemps fêté la naissance du Christ le 6 Janvier.

Ensuite, rien n’indique que le Christ est bien mort à 33 ans. Là-dessus, les spécialistes sont unanimes : la trentaine certainement, mais pas plus de précision. Ensuite, bien que l’écriture exista depuis quelques siècles déjà, pas la moindre indication des faits et gestes des notables romains en Judée.

Bref, on nage dans l’à peu près.

Pour en revenir à notre calendrier, il ne faudrait tout de même pas oublier qu’il n’est nullement universel. Il existe des dizaines de calendriers de par le monde. En ce qui concerne le notre, le fameux Grégorien parce que établi en 1582, il remplaça le calendrier Julien afin de réajuster la course des astres, ce qui a entrainé les fameuses années bissextiles. Bien que peu de gens ne s’en soient rendu compte, le lendemain du Jeudi 4 Octobre 1582 fut donc le Vendredi… 15 Octobre.

Avant, le calendrier Julien avait déjà remplacé le calendrier romain républicain. Les mois n’avaient jamais 30 jours (soit 31, soit 29 et 28 pour le dernier mois de l’année, Février). Un mois intercalaire était placé entre les 23 et 24 février tous les deux ans.

Donc c’est bien celui-ci qui devrait nous préoccuper pour déterminer à quelle date est né le fils de Dieu.

Reste à obtenir l’équivalence entre les deux calendriers. Rien de plus difficile que d’appliquer une autre forme de mesure sur une déjà existante. Autant chercher à additionner des kilos à des mètres.

Il y aurait bien une façon plus scientifique, plus logique à défaut d’être aussi précise, de dater notre monde.

L’âge de l’univers est évalué à  13,77 milliards d’années à 40 millions d’années près – ce qui laisse une bonne marge de manœuvre à l’heure de l’horloge atomique, mieux : l’intrication quantique  (la précision est de l’ordre du millionième de milliardième de seconde). On ne va quand même pas chipoter : personne n’était là, pas la moindre  cellule primitive, pour parvenir à dissiper ce flou temporel.

Encore faut-il  s’accorder sur  le point de départ : le Big Bang ou la libération des photons, situé déjà quelque milliers d’années plus tard (380 000 ans). Admettons que cela entre dans la fameuse marge de 40 millions d’années. Ca pourrait donc donner l’an 13 771 232 023, chiffres aléatoires se terminant par le même millésime, histoire de ne pas trop être dépaysé.

Mais ça ne colle pas. Une année est le temps de révolution de la Terre autour de son astre, le soleil. Or, la Terre n’est qu’une adolescente de 4,54 milliards d’années, toujours à 1% près – notez au passage que la marge d’erreur a bondi de 0,3% à 1% sur un laps de temps un tiers inférieur !

Donc, ces fameuses années dont nous nous servons pour découper notre temps, n’ont de sens que depuis que notre planète a commencé son inlassable ronde (ellipse plus exactement) autour du soleil. Ca donne, à peu près, 4 540 002 023  ans, toujours en gardant le final 2023 pour ne pas trop nous déboussoler. Pour simplifier, notons 4,54/2023.

Là encore, ça ne va pas. La Terre n’a pas toujours effectué sa révolution en autant de jours. Je suppose que, sous l’effet des forces gravitationnelles auxquelles elle est soumise,  elle a dû ralentir. Se pose alors un nouveau problème qui remet en cause le mètre-étalon utilisé pour dater. On ne peut plus parler d’années au sens du nombre de rotations de la Terre autour de son étoile. La référence est une année telle que nous la vivons actuellement. Tout comme l’espace, le temps ne peut profiter d’un appui sur lequel se baser. Comment prendre appui lorsqu’on nage dans l’océan ?

Le problème reste entier et insoluble : on ne sait toujours pas quand est réellement né le Christ.

 

14 mai - une histoire de patates

"Le capitalisme, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme; le communisme,  tout le contraire".

Cet aphorisme est signé Henri Jeanson.

Soit. Alors, Henri Jeanson. Ouvrons ensemble le dictionnaire moderne qu’est Wikipedia. Cela donne :

Henri Jeanson est un écrivainjournalistescénariste et populiste français, né le 6 mars 1900 à Paris 13e et mort le 7 novembre 1970 à Équemauville (Calvados). Il a également été satrape du Collège de 'Pataphysique.

Un homme de lettres donc. Ca se complique un brin avec deux mots qui font leur entrée dans mon top50 du vocabulaire : satrape et pataphysique.

Commençons si vous le voulez bien par le premier.

Il faut remonter au vieux perse pour en trouver la signification : protecteur du pouvoir / du royaume. A cette époque lointaine, un satrape était le gouverneur d’une satrapie, une division administrative de l’empire ou du royaume. Bref, une sorte de préfet. Ce n’était pas si compliqué en somme.

Là où ça se corse un peu c’est au sujet de la pataphysique.

Putain, dans quoi je me suis fourré, moi? Je n'ose croire que la pomme de terre puisse faire l'objet d'études aussi sérieuses qu'une troupe d’intellectuels  y consacre tout son temps. Non, ce n'est pas ça. Donnons la parole aux spécialistes, Alfred Jarry en tête :

 La pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité.


Me voilà bien avancé... Allo Spinoza, y'a quelqu'un, là? Je vais plus loin, on ne sait jamais, j'ai sûrement dû laisser passer quelque chose : 


« La pataphysique sera surtout la science du particulier, quoiqu’on dise qu’il n’y a de science que du général. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions et expliquera l’univers supplémentaire à celui-ci… un univers que l’on peut voir et que peut-être on doit voir à la place du traditionnel » (Jarry, Faustroll, chap. VIII)


C'est celaaa, ouuui... C'est d'une clarté élémentaire. J’enchaine, dans la même veine : Dans la virtualité des possibles, l'imagination peut s'adouber de potentialités sous-jacentes, issues elles-mêmes d'un historique non gradué et parfaitement incompatible avec une providence générée institutionnellement par de sérieux exemples non dénués d’une acquisition positivement perturbée. 

Bon, je m’égare, Saint Lazare. Franchement, il ne faut pas y voir autre chose qu’une bonne blague de potaches qui s’emm… fortement sur les bancs de leur université. Quand les intellos tuent le temps, ça peut partir un peu dans toutes les directions. Ainsi un collège de la pataphysique est créé au lendemain de la seconde guerre mondiale afin d’y mener des recherches sérieuses et parfaitement inutiles.  On y retrouve Boris Vian ou Eugène Ionesco. De joyeux drilles en somme.

Pataphysique est un mot-valise hérité du grec (epi tà metà tà phusikà) qui signifie à la fois près et après la physique, une référence humoristique à la métaphysique (après, au-delà de la physique).

Décrire les phénomènes du monde sous un angle particulier. Bref, voir les choses d’un autre point de vue, comme dans la scène du « Cercle des Poètes Disparus » où Robin Williams, pardon, le professeur Keating, fait grimper ses élèves sur leurs tables. Pas si bête. C’est comme cela que l’on progresse. Souvent, c’est en se bidonnant qu’on parvient à inventer.

La pata s’intéresse davantage aux détails qu’au général. En cela, elle promeut la curiosité, attendu qu’il faut savoir observer pour détailler les fragments du grand tout. Il y a une dimension écologique en cela que l’on se place d’un point de vue particulier et non général.

En s’intéressant au particulier, en mettant tout sur le même plan, on supprime l’idée même de hiérarchie, c’est ce qu’on appelle le Principe d’Equivalence. Une chose n’est pas, à priori, plus importante qu’une autre. Le pataphysicien est en admiration constante devant chaque chose, de la plus humble et médiocre à la plus banale ou absurde.

Sous des dehors ironiques ou nihilistes, la pataphysique permet de percevoir l’harmonie parmi les choses et l’accord profond des esprits. Nous sommes au cœur de la pure pensée écologiste.

La pataphysique ne peut être récupérée ou se retourner contre elle-même : elle ne s’adresse qu’à une minorité. En cela elle ne peut et ne doit se prendre au sérieux. Pourtant, passé le rire il reste quelque chose de plus essentiel.

Le plus grave serait  de se prendre au sérieux et on y est presque lorsque je lis, quelques lignes plus loin : « la pataphysique a ouvert la voie à la phénoménologie » (Gilles Deleuze).

Allons bon. La phénoméno maintenant. Allons-y gaiement et ouvrons une nouvelle fenêtre dans la barre des tâches (on n’est plus à ça près).

Le terme phénoménologie appliqué à la science est utilisé pour décrire un corps de connaissance reliant de nombreuses observations empiriques entre elles, de façon cohérente avec la théorie fondamentale, mais n'en étant pas issu.

Encore du lourd. Décidément, j’ai pas de chance, semble-t-il. Il faut creuser. Il y a un côté matheux là dedans qui n’échappe à personne et la phénoménologie se situerait à mi distance de la théorie et de l’expérience. Mettre l’existence en équations tout simplement. A ce moment là, on est loin de la pataphysique qui fait preuve de plus d’imagination et d’originalité que de simples calculs de probabilité.

 

7 mai - Liberté chérie

Depuis 1789, nous n’avons que ce mot à la bouche, du moins toujours bien placé dans nos esprits si humanistes : Liberté.

Cependant, force est de reconnaitre que nous mettons rarement en pratique de si belles résolutions. Bien sûr, nous nous insurgeons face à la barbarie de tyrans, à la toute puissance de dictateurs. Nous sommes indignés que d’autres personnes puissent choisir à la place de certains. Offusqués par toutes les entraves.

Mais dans notre vie, celle qui se répète inlassablement  jour après jour, nous préférons de loin la rassurante tranquillité d’un troupeau de moutons bien gardé. Or, ces barreaux de nos prisons plus ou moins dorées, nous les érigeons nous même dans ces démocraties où tout est possible, justement.

Nous possédons le don le plus précieux au monde : pouvoir choisir, régner sans partage sur notre destinée et nous n’en profitons pas.

Ca commence au supermarché. Pas besoin d’une liste de courses : on achète toujours les mêmes produits. Ca nous rassure.

Ca continue au boulot. En recoupant toutes les études sur le bien être au travail, on s’aperçoit que près de 90% des gens n’y sont pas au mieux, ne se précipitent pas le matin le sourire aux lèvres et en chantonnant une ritournelle à la mode. Tout le monde veut changer de boulot, mais combien le font-ils ? Certes la conjoncture n’est pas favorable, mieux vaut tenir que courir… Etc, etc.

Pareil dans nos couples. Le plus souvent on reste ensemble pour les enfants, mais surtout parce qu’on crève de trouille de se retrouver seul.

Combien de couples se moquent de leur place dans le lit ? Combien changent-ils de place à table ? Tous ces petits gestes quotidiens, multipliés par 365 jours dans une année finissent par nous faire ressembler à de simples robots. Des robots que la publicité se charge de bien garder dans les limites acceptables d’une société si libérée qu’on n’en remarque plus les possibilités infinies.

Quelqu’un disparait. Ne rigolez pas, il y en a environ 40 000 par an rien qu’en France. S’il est majeur, aucun inspecteur de police ni même le commissaire qui fait partie de votre cercle d’amis ne pourra faire quoi que ce soit pour déclencher des recherches. C’est son choix, sa liberté.

Car être libre, c’est avoir le choix.

Une étude très sérieuse a montré que nos faisons 35 000 choix par jour. Je vous rassure, sur ces 35 000 décisions prises, l’immense majorité ne concerne que, par exemple, appuyer sur une touche du clavier qui est devant moi plus qu’une autre, de mettre un pied devant l’autre pour avancer ou tourner à gauche au carrefour pour aller récupérer les enfants à la sortie de l’école.

Mais nous sommes terrifiés à l’idée de devoir prendre notre vie en main. De devoir tout recommencer. Imaginez la débauche d’énergie qu’il faut pour s’investir dans n’importe quel parcours ?

Reprendre des études, se remettre en question, changer de travail, s’investir dans une nouvelle relation amoureuse, en trois mots : changer de vie. 

Etre libre c’est se mettre en danger, jouer sans filet. Avancer dans l’inconnu. Et l’inconnu nous fait peur. C’est radical.

La vraie liberté n’est faite que de responsabilités à tenir coûte que coûte. Il est tellement plus facile de se laisser diriger par d’autres volontés. Se laisser dériver sur le cours du fleuve plutôt que tenter d’aller à contre courant ou simplement le traverser.

Rien que faire la cuisine. Je ne parle pas de celles et ceux pour qui c’est un hobby, mais de toutes et tous qui doivent se plier à ce cérémonial deux fois par jour. On n’a pas le temps. Il est plus simple de déléguer. Plat préparé, surgelé, restaurant pour les plus nantis. Et là encore, nouvel écueil : que choisir sur la carte ? Tout a l’air si bon, si délicieux, si bien présenté.

L’autre jour, je voulais acheter un journal ou une revue pour passer le temps d’attente chez le médecin car, depuis l’épisode Covid, les salles d’attente ne proposent plus ces vieux numéros de Paris Match ou Voici. Et là, je me retrouve devant un mur de magazines en tous genres. Il y en a sûrement des milliers. Marrant ça. Tout comme la littérature : moins il y a de lecteurs, plus il y a de parutions. A creuser.

Depuis les années 2000 et la Tnt, nous avons à disposition un bouquet d’une vingtaine de chaines gratuites. Alors pourquoi ne zappe-t-on  que sur les 3 ou 4 mêmes canaux ? Certaines personnes nées avant la dernière guerre sont bloquées à vie sur Tf1 (qu’ils continuent d’appeler la Une) ou sur France 3 (même depuis l’arrêt de Questions pour un Champion ou Plus Belle la Vie). Vous allez me dire que toutes les chaines se ressemblent et vous aurez raison. Raison de plus d’en changer.

Tout comme la radio. Pourquoi se laisser dicter ce qui entre dans nos oreilles ? Depuis Internet, on peut écouter ce que l’on aime en matière de musique. Rien d’autre. Oui, mais avant de savoir ce que l’on aime, il faut choisir.

N’importe quel site de streaming propose au minimum un million de titres à l’écoute grâce à un simple abonnement. Un million. A raison de trois minutes la chanson, ça fait huit ans et demi d’airs différents en comptant 8 heures de sommeil par nuit. Vous voyez le problème ?

Ne parlons même pas d’internet. Des dizaines de millions de sites, de plus ou moins bonne qualité.

Le syndrome de l’aiguille dans la botte de foin, non, pardon, le grain de sable dans l’immensité de l’océan.

Avez-vous déjà ouvert la boite de Pandore que représente YouTube ? D’une vidéo à une autre, voilà que vous avez perdu bêtement une heure de votre vie. Et Dieu sait ce que l’on peut faire en une heure de plus intéressant que contempler les facéties de chatons ou les gamelles improbables et mal filmées de quidams dont on se moque complètement.

Cela participe encore à ce refus de notre sacro sainte Liberté. On choisit pour nous en nous faisant croire de nous laisser le choix. Subtil. Imparable. Plus besoin de censure, elle s’effectue d’elle-même. Par manque de temps. Par manque d’audace. Par peur du risque.

30 Avril - L’envie  du héros

Depuis que l’homme est l’homme, disons pour prendre un point de départ plus tangible, depuis que Homo Sapiens griffonne sur les murs de sa caverne, il se cherche un modèle.

Cela a dû commencer avec le rôle du père, que les enfants idolâtraient en tentant de copier ses qualités ou cherchant celles-ci quand elles n’étaient pas si visibles (chef de la tribu, brave combattant, esprit éveillé, puits de science…). Rien de bien méchant en soi. Freud pourrait expliquer sans souci ce besoin de se construire face à un modèle supérieur. Comme une frontière à désirer atteindre, puis dépasser.

Lorsque le bipède prit conscience de sa supposée  supériorité sur tout ce qui l’entourait, quand il s’est posé quelque part au néolithique, posant ainsi les fondations de nos sociétés modernes, il a voulu élever son idolâtrie d’un cran. 

Il lui fallait inventer un être supérieur qui aurait les réponses aux questions insolubles et, en même temps, se choisir un guide pour jalonner sa vie.

A ce stade, premier réel problème : une entité se pose donc en être supérieur, infaillible, omnipotent. En un mot : surhumain. Toutefois, héros mythologiques, esprits supérieurs, Dieux paganiques ou, plus tard, Dieu unique, cela reste en dehors de l’homme de chair et de sang. Ce déséquilibre, cette profonde inégalité, est acceptée par tous et ne porte pas à conséquence.

A partir du moment où l’on commence à diviniser un être de chair et de sang, semblable, en apparence seulement,   à tous les hommes – nommons le par exemple Jésus Christ – tout devient différent. A ce moment certains hommes sont adulés pour leurs qualités et deviennent alors les modèles à suivre pour tout le reste.

Valeureux officiers sur les champs de bataille, Grands de ce monde (rois, princes, comtes, ducs, marquis) puis savants, scientifiques, meneurs, artistes, sportifs : quelque chose d’inédit se produit. Mon semblable est foncièrement différent de moi, plus beau, plus intelligent, plus talentueux, plus charismatique.  Il se substitue à un Dieu en perte de vitesse, dont on n’est même plus si sûr de l’existence et de la puissance.

Cette représentation trouve son point d’orgue au XXème siècle, où l’image est devenue reine. L’invention de l’écran chamboule tout notre rapport aux autres. Il n’est plus simplement physique, il devient virtuel. Il se dématérialise et sort du temps. Des icônes disparues continuent à briller au firmament du septième art. Ces visages si parfaits, vus par le prisme de la télé, existent-ils vraiment dans la vraie vie ? Cette société du spectacle, si chère à Guy Debord, rend cette héroïsation insoutenable, un phénomène d’une ampleur impossible à stopper.

Nous vivons dans un monde où une minorité d’élus dictent leur façon de vivre aux plus faibles, parfois à leur insu.

J’entends parfois au café du commerce des propos aigris  sur les scandaleux salaires des stars du foot. Ces donneurs de leçons ne se rendent même pas compte que c’est eux, justement, qui engraissent celui qui se contente de pousser le ballon du pied, dut-il le faire avec talent et maestria, par leur achat de maillots et écharpes. D’aucuns jalousent la réussite et le confort matériel des stars du cinéma ou des vedettes de la chanson. Mais qui va voir leurs films et achètent leurs compositions ?

Pourquoi avons-nous besoin de maitres, de guides, de modèles ?

L’enfant se construit en rapport avec ses parents, rien de plus normal. Cela devient plus ardu à l’adolescence où chacun essaye avec plus ou moins de succès de trouver sa voie tout en s’émancipant de la tutelle parentale – ou adulte en général.

Comment expliquer la Beatlemania, le déferlement de foules, mais aussi le mimétisme et tout ce bazar autour des réseaux sociaux. Car, nouveau problème né avec la télévision et renforcé par l’utilisation sans limite du portable : ces stars, ces guides d’un jour ou de toujours ne le deviennent plus forcément par et pour leurs qualités intrinsèques. N’importe qui, au dire d’Andy Warhol, peut devenir célèbre en quelques minutes.

Pourquoi chercher ailleurs ce que l’on doit trouver en soi à un âge où l’on doit se construire notre personnalité ? Manque de confiance en soi ? Plus précisément manque de matériau hérité de l’éducation personnelle  et  aussi du mode d’emploi pour assembler ces briques qui vont former notre être à l’âge adulte. Certains ne parviendront jamais à cet aboutissement et  cette affirmation de ce  chacun porte en soi.  

Notre espèce est-elle donc foncièrement en attente, en besoin de guides dans lesquels nous devons poser nos pas ou bien sont-ce nos sociétés évoluées qui permettent (encouragent ?) une telle dévotion ?

Peut-être que tout l’art de grandir est de trouver, au plus profond de nous-mêmes, le guide et le héros qui sommeille, sans devoir s’accrocher à des  démiurges extérieurs qui nous rendent dépendant parfois du pire (on recense actuellement en France plus de 80 000 enfants embrigadés dans différentes sectes).  

 

23 Avril - seul au monde... dans l'espace

Un vaisseau spatial file à bonne allure vers une nouvelle planète, Eldorado pas encore saccagé par notre avidité insurmontable. A son bord 5000 colons de la nouvelle espèce qui entend bien recommencer quelque chose de neuf dans un monde vierge. Le voyage dure 120 ans mais à peine le temps d’un rêve pour ses voyageurs : ils sont en hibernation et ne doivent se réveiller qu’à destination.

Seulement, il y a un problème : l’un d’entre eux se réveille au bout de 30 ans. Seul dans le grand vaisseau et dans l’incapacité de pouvoir se rendormir.

Voilà le postulat de départ du film Passengers (Morten Tyldum, 2016).

Le voyageur est jeune, mais attendre 90 ans pour arriver à destination risque de poser un léger contre temps : même s’il est encore vivant, il risque de ne pas trop profiter de ce nouveau monde et devoir se résoudre à sucrer les fraises (bio, bien entendu, les fraises).

Bon, je passe sur les incohérences du scénario : grands espaces et même piscine à disposition à l’intérieur du cargo. Pour quoi faire ? Les pionniers ne vont pas vivre dans le vaisseau spatial, c’est juste un moyen de transport où chaque centimètre cube coûte une fortune en énergie.

Reste quelques questions d’ordre éthique et philosophique, à peine évoquées dans le film futuriste.

L’homme est un animal social, grégaire. Au bout d’un an, le rescapé commence à se sentir bien seul, d’autant qu’une belle blonde est là, encore endormie, à portée de main. La tentation est trop forte, il la réveille. Le syndrome de la Belle au Bois Dormant, peut-être…

Sur quel critère la choisit-il ?

Sur sa plastique parfaite, son métier (elle est romancière, donc pas vraiment conne à priori), mais que peut-il savoir de son caractère, de ses envies ?

Les sarcophages permettent de voir au travers. Ainsi, on peut faire son choix sur l’apparence, rien de plus.

Choisir de réveiller la plus belle revient à faire un pari audacieux.

Le gaillard n’est pas mal de sa personne, mais cela ne veut rien dire. Il est évident que s’il choisit la moins moche, c’est qu’il a une idée derrière la tête (ou quelque autre part ailleurs). Mais la fiche d’identité ne mentionne pas si elle est hétéro ou homo. Premier écueil.

Ensuite, il n’est pas sûr qu’elle tombe amoureuse en retour, surtout quand elle va savoir qu’elle a été réveillée pour combler l’ennui du héro.  Dans ce cas, pourquoi ne pas réveiller une dizaine de personnes ?

Pas sûr que ce soit plus simple à gérer : relire Jean Paul Sartre (Huis  Clos). Finalement, l’idéal est de prendre sur soi et rester seul avec sa conscience intacte et sans les problèmes qui vont forcément découler d’une vie à deux. Le couple, n’est-ce pas régler à deux des problèmes que l’on n’aurait pas en restant tout seul ? Ou encore, un brin machiste : une femme, c’est bien, tu l’as quand tu veux… et aussi quand tu veux pas ! Bien entendu, l’inverse est tout aussi approprié.

En ce cas, je choisirais la plus moche, du moins pas une qui me plait d’emblée. On se retrouve dans le cas de l’enfant désiré par ses parents mais à qui lui ne doit rien, juste la vie – dans notre cas, c’est tout l’inverse : elle lui doit la mort, du moins pas la vie espérée. Alors deux solutions : soit elle ne m’aime pas en retour et l’on s’achemine vers une collaboration amicale dans le meilleur des cas. Soit elle tombe amoureuse… ce qui risque, au pire, d’éveiller mon intérêt – on n’aime rien moins que son miroir. Je prête la parole à Billy Crystal qui explique très sérieusement à Meg Ryan que l’amitié entre hommes et femmes est impossible : lui aura toujours tendance à saupoudrer d’amour, de désir, la belle. Alors, avec une moche, c’est donc possible ? Non, pas plus. Les moches, on a aussi envie de les sauter. Cqfd.

Alors, que faire ? Je me souviens d’un sketch à l’esprit Bronzés, dans lequel Roland Giraud et Marie Anne Chazel, tous deux pilotes isolés d’un vaisseau spatial, s’engueulaient  comme des chiffonniers. Hollywood a dû voir ce court métrage des années 80.

Peut-être la solution est de se résigner. Mais, tout comme l’ivresse, la résolution peut être heureuse. Allez donc voir les bouddhistes : utilise toute ton énergie pour changer les choses que tu peux changer, pour toutes les autres, supporte les en faisant bonne figure. Mieux : en les accommodant. Dernière version du verre à moitié plein ou à moitié vide. C’est ainsi que se termine le film. Profiter de l’instant présent et admettre les choses à son profit. Peut-être une leçon pour les années à venir sur notre planète usée.

 

16 avril - Le désir d’enfant

Au moment où la moindre partie du globe a     été foulée par l’homme, où le plus petit centimètre carré a été exploré, où il ne reste aucun désert, aucune montagne, aucune jungle et même aucun océan et quasiment aucun fond marin qui ne soit photographié,  répertorié, cartographié ; à l’heure où l’on reparle de conquête – ou, plus humblement, de découverte – de notre système solaire, à une époque où la physique quantique parvient (presque) à tout expliquer, où la science apporte les démonstrations les plus pointues, où la psychologie et la psychanalyse parviennent à décrypter ce qui demeure caché de tous, y compris de son propriétaire : le cerveau, il ne reste qu’une seule grande aventure.

Pas besoin d’aller à l’autre bout du monde, de gravir de difficiles parois,  de marcher des jours dans l’aridité désertique, de plonger au-delà de la lumière, de s’enfoncer dans les milieux les plus hostiles, de tutoyer les volcans, d’affronter les tempêtes, de braver les éléments déchainés, de subir les températures les plus ou les moins élevées. Cette aventure est à la portée de chacun d’entre nous. Tout le monde peut la vivre. Pas besoin d’équipement important ni de grandes richesses. Pas de diplôme requis, ni de qualités précises.

Cette aventure est l’éducation d’un enfant.

Simple et universelle dont tous les humains ont été confrontés, à quelques exceptions près.

Nourrir et protéger, cela relève de l’instinct et ne pose pas de problème insurmontable. Mais accompagner un enfant jusqu’à l’âge adulte ne consiste pas simplement à le garder en vie et l’engraisser. Développer son corps mais surtout fortifier son âme. Lui donner les armes dont il aura besoin pour, à son tour, donner un sens à sa vie et à celles dont il sera, un jour, l’auteur. Lui inculquer les règles de la vie en société, tout en respectant son individualité. Et cela n’est pas si simple. C’est même un sacré challenge.

Il n’en a pas   toujours été ainsi.

Premier changement fondamental : la fin de la mortalité infantile. Autrefois et jusqu’aux travaux et découvertes de Pasteur, on ne s’attachait pas aux enfants de moins de sept ans, de peur de les perdre précocement par toutes ces maladies infantiles dont ils étaient les victimes. Du reste, un enfant demeurait une bouche à nourrir sans contrepartie jusqu’à ce qu’il puisse apporter le travail de ses bras à la famille,  à la communauté.

Le second changement dans nos rapports à nos héritiers se situe plus récemment, quand on a pu choisir d’avoir (ou pas) un enfant.  Le désir d’enfant modifie foncièrement la façon qu’on a de l’appréhender, de l’accueillir, de l’accompagner, de l’éduquer.

Cette volonté d’enfant s’accompagne forcément de sentiments, d’émotions jusque là inconnues des parents. Un enfant apparaissait sans qu’on y ajoute l’affect. Sans aller jusqu’à prétendre qu’on le subissait, on s’en accommodait… tout comme l’enfant s’habituait à ses parents. 

Je rapprocherais cette notion  de l’amour dans le couple.  C’est finalement un concept assez récent (et encore une fois, seulement partagé par les quelques mammifères les plus évolués).  Autrefois, les sentiments n’étaient pas la raison principale des unions. On « apprenait » à aimer son conjoint – ou pas. Dès lors qu’on ajoute une dimension sentimentale, on complique un peu les rapports humains.

On ne fait plus d’enfants pour perpétuer l’espèce, pour assurer la survie du clan, pour hériter du savoir et des biens lentement et difficilement accumulés. Ces enfants viennent au monde dans une famille qui les aime déjà. Il est donc plus difficile dans ces conditions d’accepter que l’amour ne soit pas rendu, ou mal rendu.

De même que dans le couple il n’est plus question que la femme ne s’épanouisse pas, on reconnait une singularité à l’enfant. Il n’est plus considéré comme une ébauche d’homme qui ne doit pas parler à table par exemple ou n’a aucun droit à la décision – les parents choisissent à sa place. Désormais, et c’est une bonne chose, une chose juste, tout comme l’équivalence dans le couple, l’enfant est un humain à part entière qui n’a besoin que de nourriture et de culture… Et d’amour pour qu’il grandisse dans les meilleures conditions.

Evidemment, tout cela n’est pas facile. Concilier les attentes et les envies de chacun frise parfois les plus belles acrobaties. Si éduquer un enfant tient du miracle, on n’en sort que grandi : lui, d’abord, car c’est son objectif avant tout et ses parents aussi. Il y a de la satisfaction à avoir réussi une œuvre aussi majestueuse.

 

9 Avril – mon Dieu, ma Foi

C’est en bouquinant Spinoza et en essayant sans succès de le comprendre  que j’ai eu la Révélation : Dieu existe bel et bien !

A 57 ans, il était temps !

A force de tenter de déchiffrer les pensées de Descartes ou d’autres philosophes convaincus de l’existence d’un être suprême, j’ai fini par succomber moi-même, libre penseur. Cela dit, je me suis toujours demandé comment des philosophes dont la raison de vivre est de douter, de se poser davantage de question que d’y chercher les réponses, pouvaient se ranger à cette basique croyance de « ce qui est, est, point final ». Comment leur toute puissante raison pouvait cautionner la plus basique des croyances. D’accord, j’ai bien un début d’explication rationnelle : à une époque où l’on ne rigolait pas trop avec les idées un peu trop novatrices, c’était une forme de survie… ou une lâcheté.

Mais revenons à ma conversion tardive. Comment est-ce possible ?

Je rassure mes proches, je n’ai pas eu d’illumination soudaine, le ciel ne s’est pas ouvert devant moi et la Vierge ne m’est pas apparue, pas plus qu’une voix grave venue des confins de l’Univers ne m’a dicté les nouvelles tables de la loi.

C’est beaucoup plus simple que ça.

Dieu est partout. Il est à l’origine de tout. Dieu est foncièrement bon et omnipotent.

Il y a un élément qui répond parfaitement à toutes ces définitions.

La Nature.

On peut aussi l’appeler la Vie, plus scientifiquement l’organisation des atomes.

Dieu est un atome, donc. Plus exactement l’organisation de toute chose, commençant par le niveau atomique et se poursuivant jusqu’à la dérive des galaxies.

C’est en ne respectant pas la Nature que l’Homme court à sa perte. En ne reconnaissant pas suffisamment  qu’elle est à la base de tout ce dont il a besoin qu’il fait fausse route et risque de s’y bruler les ailes.

La Nature est foncièrement bonne, plus précisément elle n’est ni bonne ni mauvaise. Ceci n’est qu’un concept humain, peut-être seulement partagé par quelques mammifères les plus évolués.

La Nature serait Dieu. Mieux que nos représentations divines du reste. Car nul besoin de « croire » en elle : elle est là, parfaitement palpable, d’une réalité face à tous nos sens et empiriquement tangible. Elle nous domine, nous entoure et on ne la « commande qu’en lui obéissant ».

Je sais bien que je n’ai rien inventé. Les peuplades primaires vénéraient déjà les éléments naturels, jusqu’aux Egyptiens qui célébraient le soleil, notre source première d’énergie. Cependant, le paganisme voue un Dieu à chaque chose (la forêt, l’océan, le ciel, etc). C’est déjà une représentation. Là, je parle de la Nature en tant que telle. Je ne la symbolise pas, ne la glorifie pas.

En s’établissant cultivateur,  l’Homme s’est éloigné de son milieu. Désirant à tout prix en être le maitre, il a lui-même inventé des Dieux purement spirituels, faits à son image : celle d’un être qui se pose en supérieur aux éléments, dominateur.

Les Dieux ressemblent étrangement à l’homme tandis que la Nature n’est rien d’autre que la matrice qui engendre n’importe quel être vivant, y compris l’eau et les pierres. Nous en faisons partie de la même manière que nos cellules appartiennent à notre corps. Elles peuvent disparaitre, l’ensemble ne mourra pas, juste subir un accès de fièvre, souffrir un abattement le temps de se régénérer. Avant de croire en moi, en mon intégrité physique et morale, je crois d’abord à tout ce qui m’entoure et qui a permis que j’existe : ce qui me nourrit, l’air que je respire, mes parents, leurs ancêtres, les espèces antérieures, la formation d’une planète, jusqu’au grand Début de Tout que l’on appelle Big Bang, mais qui n’est, peut-être, que le résultat d’autre chose…

2  Avril - Ecorévolution

Jusqu’à présent, tous les peuples de la Terre se sont levés, ont manifesté, ont combattu pour leur propre intérêt. Du pain pour des ventres vides,  la Liberté pour des êtres empêchés, de meilleures conditions pour les opprimés…

Ces revendications parfois musclées ne souffraient pas un report : c’était ici et maintenant !

Dorénavant, toute une génération risque de se rebeller pour la Planète. Suite à cette prise de conscience que l’Humanité risque de faire les frais de sa propre avidité, du moins de celle des quelques uns les plus nantis, quelques consciences éclairées entendent faire changer les choses. Avant qu’il ne soit trop tard. Pour la première fois dans ces combats de David contre Goliath, ces manifestants écologistes vont se battre non pour eux-mêmes, mais pour quelque chose qui les dépasse et dont ils ne jouiront probablement pas.

Changer de paradigme aura des applications sur le très long terme. Ces prises de conscience ne s’adressent donc qu’à nos enfants, nos petits enfants – et encore.

Ce désintéressement, cet altruisme serait-il l’indice d’une plus grande intelligence collective ? Dépasser l’égoïsme propre à notre espèce témoignerait-il d’une avancée dans l’évolution humaine ? A moins que cette révolte d’un nouveau genre ne soit dictée par une forme de culpabilité.

Quand le paysan se redresse face au seigneur, quand le prolétaire fait face au magnat, quand les opprimés luttent face à l’oligarchie du pouvoir, il est clair qu’eux ne sont en aucun cas responsables de leur sort. Ce qui est nouveau dans ces révoltes à venir, c’est qu’elles sont inspirées, dans une certaine mesure,  par une sorte de culpabilité. Nous avons érigé nos gratte-ciels en creusant nos propres tombes. Cette situation globale et passablement désastreuse est la conséquence de nos modes de vie à tous, y compris aux plus démunis – je parle de nos sociétés occidentales.

On parle dorénavant d’enfants (entre 8 et 15 ans pour la plupart) qui souffriraient d’un nouveau malaise : devant la situation catastrophique de la dégradation de notre environnement, ils développeraient des névroses et des traumatismes inédits dans l’histoire de l’humanité. « J’ai mal à ma planète ». Inquiets pour le moins face à un avenir des plus sombres, se sentant parfaitement impuissants à rectifier le tir, ils risquent de développer dépressions et neurasthénies en masse.

Cet abattement serait une nouvelle conséquence inédite du changement climatique et bien la preuve que tout est lié, que nos corps ne sont pas simplement un amas de cellules et d’atomes qui oeuvrent à la bonne conservation de l’ensemble. Ils évoluent dans un espace proche, qu’il convient de prendre soin comme de sa propre peau. Notre conscience de grand mammifère dépasse notre enveloppe charnelle. On prétend que les dauphins sont à ce point évolués qu’il font corps avec leur milieu – sans aller à prétendre que notre environnement n’est que le prolongement de nos cellules, force est de reconnaitre que notre habitat est l’annexe de notre maison. Mieux que l’annexe : le monde dans sa globalité est vital pour notre équilibre, physique et psychique. Tout ce que nous avons besoin, tout ce dont nous jouissons (à part l’art et la culture) provient de notre environnement. Que lui donnons-nous en échange, en remerciement ?

Savoir que la planète – que nous avons un peu trop tendance à présenter comme la « notre » -  est malade peut rendre malade à son tour les êtres les plus concernés, ceux qui possèdent la capacité d’éprouver leurs sens à leur meilleur niveau. Ressentir, au-delà même des cellules qui composent notre être, que nous faisons partie d’un tout : nos proches, l’humanité entière, notre environnement proche et la Terre dans sa globalité. Que l’un ou l’autre souffre, chacun doit en être affecté. Au sein de notre propre espèce ainsi que d’une manière plus large puisque nous nous situons au sommet de la pyramide. Nos droits imposent aussi les devoirs en conséquence. 

Pierre Ducrozet écrit dans son roman (le grand vertige) que des quatre blessures narcissiques qu’a dû éprouver l’Homme (Copernic «nous ne sommes pas le centre de l’univers », Darwin « nous sommes des animaux » et Freud « notre inconscient nous dirige »), celle d’avoir détruit le monde, le vivant et même notre propre espèce est la plus grave de toutes.

Une belle et bonne raison de se battre… pour l’Humanité dans son ensemble et non plus pour ses propres intérêts.

 

26 mars -  Des chiffres et des nombres

L’argument principal avancé pour justifier le recul de l’âge du départ en retraite est que nous vivons plus longtemps.

Observant cette courbe de l’espérance de vie dans les pays occidentaux, on s’aperçoit en effet qu’elle ne cesse de grimper. Derniers chiffres : un peu plus de 79 ans pour les hommes et 85 ans  et une paire de mois pour les femmes.

Et si tout cela était faux ? Pas faux intrinsèquement, mais pas tout à fait juste.

Vit-on réellement plus vieux aujourd’hui qu’il y a un siècle ?

Le premier élément de réponse se trouve  en ouvrant  un simple dictionnaire, catégorie noms propres. Regardez bien. Si l’on compare les personnalités qui bénéficiaient d’une vie à peu près analogue à la notre (les religieux, les scientifiques, les philosophes, les aristos), on se rend compte que la date de leur mort n’est pas très éloignée de la notre. Nombre d’entre eux s’éteignaient à plus de 80 ans. Dès qu’on était ni soldat, ni endurant de dures conditions d’hygiène, que l’on ne prenait pas la mouche pour un rien qui se terminait dans un sous bois à l’aube un pistolet à la main et que l’on gagnait à la loterie de la mortalité infantile, on pouvait espérez une belle durée de vie.

La durée de vie : l’âge auquel on trépasse. C’est tout simple.

Mais c’est quoi au juste, ce chiffre de l’espérance de vie ?

Une moyenne.

Prenez un groupe hétéroclite de personnes. Les convives d’un mariage conviennent parfaitement. Sinon un groupe choisi au hasard dans la foule. Surtout pas le personnel de votre entreprise, vos collègues de jeu dans n’importe quelle association sportive ou encore l’Assemblée Nationale. Non, un groupe de gens, comme ça, composé de toutes les différences de notre société mélangée.

Maintenant, faites la moyenne de leur âge. C’est simple. Si vous avez 50 personnes, vous additionnez tous les  âges et vous divisez le tout par 50. Vous obtenez la moyenne. Mettons 28.

Et vous pouvez être à peu près sûr qu’aucun des 50 personnes prises au hasard n’aura 28 ans.

Les moyennes, ça ne veut rien dire.

Télétransportez -vous dans les années 70 où on parlait de « moyenne » à tenir sur la route des vacances, concept responsable d’une majorité d’accidents mortels soit dit en passant. Vous pouviez rouler constamment à cent à l’heure, défiant cyclistes et piétons, véhicules arrivant en face ou charrettes de foin, il suffisait d’un bon embouteillage sur la nationale 7 au niveau de Montélimard ou d’une paire de feux rouges mal placés pour tout faire écrouler.

« 65 km/h, comment ça 65 ? j’ai pas arrêté d’appuyer sur le champignon ! »

L’espérance de vie, c’est la moyenne de tous les âges où l’on décède. Les nonagénaires, ce sont les pointes à plus de 150 sur l’autoroute ; la mortalité infantile ce sont autant de feux rouges placés sur la longue route de la vie. Or, depuis 100 ans, cette mortalité n’a cessé de baisser.

Tout comme n’importe quelle moyenne, l’espérance de vie c’est n’importe quoi. Mais c’est sur cet unique chiffre pernicieux qu’Emmanuel II justifie de devoir prendre notre  précieux repos, amplement mérité pour la plupart, une poignée d’années plus tard. Je n’invoque même pas le concept de durée de vie en bonne santé, c’est un autre débat que celui qui nous occupe ici. Des chiffres et des nombres.

D’abord, savez-vous  d’où vient notre système décimal ?

Tout simplement parce que nous avons dix doigts et que le premier homme qui s’en est servi pour autre chose que retourner la terre ou fabriquer un vase – certainement pour fixer le prix de l’agneau ou de l’amphore  qu’il allait vendre, bref compter – trouva l’idée intéressante. Cela posé, cinq doigts par main, c’est deux de trop. L’auriculaire ne sert à rien, hormis à se curer les oreilles et l’annulaire, en dehors du mariage, n’a pas de réelle utilité non plus, d’autant que les bagues peuvent s’enfiler au majeur, il suffit simplement d’agrandir le cercle de la monture. On peut largement vivre avec trois doigts par main. L’important c’est ce pouce opposable qui a permis à l’Homme d’inventer les outils et de s’en servir : la charrue, la roue, la bombe atomique… La preuve : ces menuisiers atteints de la maladie de Parkinson ou ces bûcherons un peu trop portés sur la chartreuse continuent à menuiser et bûcheronner avec quelques phalanges en moins.

Avec trois doigts par main, le 7 8 et 9 n’existeraient pas. Il faut pouvoir imaginer une société en base 6. Je vous laisse deux minutes pour comprendre les implications multiples d’un tel bouleversement.

Le zéro c’est autre chose. On ne l’a découvert que grâce aux arabes, bien après avoir inventé notre calendrier par exemple. Que ferions-nous sans ce fameux zéro ? Imaginez la détresse des banquiers et des stars de foot. Et il pose un autre problème qui a suscité nombre de débats et discussions à bâtons rompus autour de l’an 2000. Quand devait commencer le vingt et unième siècle, le troisième millénaire si vous préférez.

Quand vous avez soufflé les dix bougies sur le gros gâteau à la crème de votre anniversaire, vous veniez de boucler une décennie entière en vertu de ce fameux zéro. Vous entriez déjà dans votre seconde décennie, celle que les américains nomment les « teens ». Ben oui : en commençant votre vie par le zéro arabe, lorsque vous avez atteint le chiffre dix, vous aviez déjà votre compte. Si vous ne me croyez pas, faites comme le marchand de poteries au néolithique et comptez sur vos doigts : zéro, un, deux, trois, quatre (pour la main gauche), cinq, six, sept, huit et… neuf (et vous êtes déjà au bout du compte).

Alors, on a bien eu raison de se torcher la gueule le soir du réveillon du 31 Décembre 1999. C’était bien la veille du troisième millénaire.

Pas du tout, cher Monsieur.

Je rappelle que lorsqu’on a établi ce fameux calendrier (le 15 octobre 1582 au petit matin pour être précis), le zéro n’avait pas encore traversé la Méditerranée et au Vatican,  on commençait à compter par le  UN. Oui, vous avez bien entendu : l’an zéro n’existe pas. On passe ainsi de moins un avant JC à un après JC. A partir de là, tout est faussé. Le premier siècle devra attendre le premier janvier 101 pour voir le jour, le premier millénaire le premier janvier 1001 et ainsi de suite jusqu’au premier janvier 2001… Bref, on a encore eu raison de se bourrer la gueule lors du réveillon du 31 décembre 2000. Pour les années ultérieures, en revanche, plus aucune excuse – surtout s’il vous faut reprendre le volant juste après.

 

19 mars - Mouvement perpétuel

Le monde bouge tout le temps. Rien n’est immuable. Tout est en mouvement continuel. Aucune pause, sauf la mort – qui n’est finalement rien d’autre qu’un passage d’une frénésie à une autre.

Nos corps, d’abord. Nous vieillissons. A chaque seconde, des cellules meurent, d’autres les remplacent. Alain Souchon n’avait pas tout à fait  tort en chantant « j’ai dix ans » : toutes nos cellules sont remplacées au maximum tous les dix ans. Cela permet de cicatriser les blessures superficielles, de ne sentir la langue ou le palais brulé par un café trop chaud que deux ou trois jours. Nos os se ressoudent en quelques semaines.

Nos sociétés sont à l’image de nos enveloppes corporelles : elles se modifient sans cesse, ne serait-ce à cause du renouvellement des générations : personne n’est immortel et cela ajoute à cette transformation. En apportant de nouveaux corps, on fait naitre de nouvelles idées.

Même les pierres ne résistent pas à l’assaut du temps. Ce n’est simplement qu’une question d’échelle. Les montagnes s’érigent et s’érodent en quelques centaines de siècles, quelques millions d’années. A ce niveau, ce ne sont plus des entités physiques personnelles qui évoluent, mais des espèces entières : elles naissent puis elles meurent. L’inexorable temps lui-même est sujet à des changements : il peut être influencé par de fortes gravitations. Einstein l’a très bien démontré.

La course folle des astres, déviés de leur trajectoire rectiligne par ces mêmes forces gravitationnelles. L’Univers dans son ensemble qui s’étend, plutôt dont les distances augmentent sans cesse.

Rien n’est stable. Sauf en apparence. Autant que l’infiniment grand, au niveau de l’atome les électrons tournent et tournent sans fin autour de leur noyau. Les atomes se recombinent en une vaste métempsychose : ces briques infinitésimales peuvent former une plante, puis un objet fabriqué par la main de l’homme, puis cette même main, puis l’eau du vaste océan… Ces poussières d’étoiles forment la fantastique diversité de formes et de couleurs du monde, comme un jeu de construction  sans cesse renouvelé. Et toujours en mouvement.

C’est une chance. Il n’y a rien de plus ennuyeux que l’immobilité. La mort, la nôtre, celle de tout être vivant, permet de ne pas s’endormir sur ses lauriers, de provoquer le changement, supporter l’Evolution.

Si l’on regarde précisément le moment où Homo Sapiens s’est arrêté de marcher, cet instant unique il y a 12000 ans où l’Homme s’est enfin posé quelque part en Mésopotamie, délaissant son statut de chasseur/cueilleur pour endosser un habit plus confortable de sédentaire, on s’aperçoit que c’est à partir de là, de cette transformation fondamentale, que ça a commencé à aller de travers. En s’arrêtant, il a marqué son territoire, inventé la propriété privée et avec elle le début des inégalités. L’invention de la guerre pour le protéger lui et son domaine, ce foutu bout de terre qu’il s’est arrogé sans rien demander à personne, de toute intrusion étrangère. De là, la xénophobie et le racisme, cette méfiance (et le rejet) de tout ce qui ne lui ressemble pas : à commencer par ceux qui ont décidé de continuer à se déplacer, gitans, juifs, tsiganes, aujourd’hui migrants.

Il avait déjà inventé le feu, la plus impitoyable des armes de guerre. Il ne lui fallait plus que cette station immobile pour parachever sa domination sans partage sur le monde, devenu « son » monde.

Vous pensez profiter d’une belle sieste à l’ombre d’un tilleul. Somnoler sans aucun mouvement autre que votre cœur qui bat, inexorablement (c’est une chance) et vos poumons qui s’emplissent de l’air doux qui sent le romarin et la lavande.

Vous vous trompez dans les plus grandes largeurs.

La techtonique des plaques qui permet la dérive des continents, vous fait avancer d’un centimètre par an vers l’Est, tandis que l’Afrique fonce sur l’Europe dans une immigration inéluctable de deux centimètres annuels.

La Terre tourne sur elle-même en vingt quatre heures, je ne l’apprends à personne. Même si elle ralentit d’année en année (un peu comme une toupie), cela représente un bon 1700 kms à l’heure au niveau de l’équateur (où la distance à parcourir est la plus grande) et encore plus de 1000 km/h à Paris. Vous n’alliez guère plus vite en réservant un siège sur le Concorde.

Notre planète bleue tourne autour du soleil, c’est prouvé depuis quelques siècles et un fameux Copernic. Là, ça ne rigole plus : 108 000 km/h. De quoi affoler les radars de la gendarmerie nationale.

Pourtant notre système solaire ne tient pas en place : il tourne lui-même autour de la Voie Lactée dans un ballet étourdissant : 220 millions d’années pour en faire le tour (on appelle ça l’année cosmique). Une sacrée randonnée, exécutée pourtant tambour battant : 774 000 km/h.

Et ça continue. Car notre galaxie se déplace dans l’espace. Là, on change d’échelle. On passe la quatrième. 630 km par seconde, je n’ose effectuer la conversion : 2 millions de kms par heure.

Allongé tranquillement à  l’ombre de votre tilleul, vous avez déjà la tête qui tourne, un début de vertige, non ? Rassurez-vous, car si la vitesse est aristocratique, la lenteur est majestueuse.

 

12 Mars - s'Envoyer en l'Air

Il existe deux façons d’envisager les relations amoureuses que l’on peut  résumer par ce simple dilemme :

  1. Il faut être amoureux pour faire l’amour.
  2. Il faut faire l’amour pour tomber amoureux.

Désir et sentiments ne peuvent-ils pas s’accorder ?

Cela revient à pouvoir dissocier l’âme du corps, penser que le cerveau est indépendant de ses sensations. Cela semble un peu difficile à concevoir. Autant vouloir séparer les couleurs.

Pour celles et ceux qui, dans mon cas, ne parviennent pas à faire la part des choses – que l’âme n’est qu’un vague concept résumant quelque chose d’incertain et d’indéterminé ou qu’elle se niche au cœur même de toutes nos cellules – les deux propositions surgissent en même temps.

Si je l’aime, j’ai envie… Si j’ai envie, c’est que je l’aime.

Pour dénouer ce sac de nœuds, il faudrait d’abord commencer par observer ce qui se passe dans la nature. A priori, le sentiment amoureux y est absent. Si l’on détecte un certain attachement chez ces oiseaux qui sont fidèles toute leur vie, c’est tout simplement parce que c’est encore la meilleure solution, simple et efficace et surtout peu gourmande en énergie. Demandez à la majorité des espèces qui doivent se plier aux rituels de parades amoureuses : quelle perte d’énergie et de temps ! Finalement, l’amour est un sport de riches – du moins d’espèces ayant du temps à perdre et jouissant d’un certain confort. Lorsqu’on fait le beau ou la belle à des seules fins de séduction, on devient vulnérable et on ne se remplit pas l’estomac. Le monde naturel ne peut se permettre de relâcher la garde. Les prédateurs ne leur pardonneraient pas. Ainsi, rester avec le même partenaire toute une vie réduit ces instants précaires. Une collaboration, une association.

Pour en revenir à l’homme, force est de constater que le sentiment amoureux est survenu tout récemment dans l’évolution de l’espèce. S’il existait au temps des cavernes, on n’en a pas de preuves. Les fresques murales représentent du gibier, pas des dulcinées se pâmant devant leur compagnon. L’homme de Cro-Magnon était plus intéressé par son estomac que par son cœur. Dans l’antiquité, les rares qui parlaient d’amour étaient ceux qui avaient du temps à perdre en laissant les basses choses matérielles se résoudre à la force et la sueur de leurs esclaves. Enfin, passé le moyen-âge, le sentiment amoureux prenait ses aises dans les couches les plus élevées de la société. Poussé à l’extrême, le marivaudage fut hissé en sport national chez les nobles et les aristocrates : il fallait bien tuer le temps d’une façon ou d’une autre.

Enfin, le progrès technique, démocratisé au vingtième siècle, permit à toute la population de pouvoir enfin choisir son partenaire selon ses goûts et ses envies. Ainsi, quasiment pour la première fois dans son existence, l’Homme put allier sa tête et son cœur. Mais le corps ?

Pour résoudre le problème, il faut aborder  la question religieuse. Elle est au cœur de la question, je pense, du moins dans nos sociétés occidentales, largement marquées par deux mille ans de catholicisme.

Dissocier à ce point le spirituel du biologique induit forcément une séparation entre les sentiments (le cœur) et les désirs (le corps). Je ne répéterai jamais assez tout le mal qu’a pu faire le catholicisme concernant les rapports entre hommes et femmes dans nos sociétés occidentales en introduisant un concept de valeurs morales là où il ne devait y avoir qu’amusement et bonté, don de soi sans calcul. En introduisant une large culpabilité et une échelle de valeurs dans les relations amoureuses (l’esprit doit forcément commander au corps), ce dogme a pourrit durablement et en profondeur les rapports hommes/femmes et autres. L’acte sexuel renvoyait au sacré : il ne devait servir qu’à la procréation et ne pouvait demeurer un jeu que pour l’homme. La femme, accusée d’être la responsable de tous nos maux (c’est à cause d’elle qu’Adam a été chassé du paradis), doit se soumettre, accepter contre son gré et, surtout, enfanter dans la douleur. Croissez et multipliez vous : cette maxime a détruit la planète et une large part du vivant tout autant qu’elle a envenimé les relations amoureuses.

Tout comme la vie devrait rester un jeu, les relations sexuelles ne devraient jamais prendre ce tour grave et définitif qu’ont leur a largement accordé. Même si c’est l’acte le plus fondamental de toute la vie humaine,  puisque voué, à l’origine, à la reproduction de l’espèce, il ne doit en aucune façon être sacralisé. De plus, à notre époque de la conception in vitro ou assistée et du contrôle des naissances, le sexe doit retrouver son côté jubilatoire.  Les bonobos ont quelque chose à nous apprendre. Oui : faites l’amour, pas la guerre. Ce n’est pas si ridicule. Parvenir à fusionner à la fois l’esprit, le cœur et le corps. Sans la moindre pudibonderie, j’ajouterai cependant que le sexe sans amour n’est qu’un sport, rien de plus, tout comme déguster un repas gastronomique sans profiter du goût ou visiter le Louvre les yeux fermés.

Le sexe est la récréation de l’amour. Les fou-rires sont  les orgasmes de l’humour.

5 Mars – la chance du hasard

Comment vous êtes-vous rencontrés ? Cette question posée aux personnes en couple obtient neuf fois sur dix la même réponse : par hasard.

Vous rencontrez un inconnu dans la rue, c’est le coup de foudre, du moins il ou elle  attire votre attention par n’importe quel détail : sa silhouette, son visage, son regard, sa façon de se mouvoir ou bien son allure générale. Ayant fait sa connaissance, il ou elle va vous charmer par ce qu’il ou qu’elle dit, sa façon de voir le monde, de l’appréhender et surtout sa considération pour vous. On tombe majoritairement amoureux de quelqu’un qui vous aime en retour.

Maintenant, posez la question à un mathématicien et il vous répondra à coup sûr que le hasard, la chance, le destin ça n’existe pas davantage que deux et deux font cinq. Tout n’est qu’une histoire de probabilité. Ainsi votre tendre et exceptionnelle rencontre peut aisément être mise en équations. Vous lui trouvez un charme fou : normal, inconsciemment il vous rappelle votre père, elle vous rappelle votre mère dans leur façon de vous rassurer, petit enfant. Vous l’avez rencontré au boulot, en boite, lors d’un séjour, d’un mariage… Combien de probabilités cet événement apparemment improbable avait de se produire ? Plus que vous ne pensez. Un simple exemple de la force des nombres : dans un groupe de quarante personnes, vous avez quasiment cent pour cent de chances de trouver deux personnes nées le même jour.

Le hasard n’est qu’un dérangement d’un ordre, d’une suite logique, dont on ne connait pas la cause. Les mathématiques tentent d’y voir plus clair en rationalisant à l’extrême, en mettant à plat toutes les possibilités imaginables, même les plus farfelues.

S’il existe un moment où le hasard prend bien les commandes, c’est le Loto. Vous avez une chance sur 1 983  816 de cocher les six bons numéros. Pour chacun d’entre nous, cela relève de l’impossible. Appelons au secours les maths et voyons ce qu’il en est. Réellement. Quasiment 2 millions de chance d’obtenir le bulletin gagnant, ça veut dire remplir 953 grilles hebdomadaires sur quarante ans. 136 par jour. Faisable. Encore faut-il pouvoir les valider et avoir l’argent pour miser. On ne prête qu’aux riches et la meilleure façon de devenir milliardaire c’est encore d’être millionnaire au départ. Ah, juste un détail cependant. Quand je dis 2 millions de chances de gagner, je parle d’un seul tirage – il va donc vous falloir tout miser et tout valider sur un seul tirage…

Pourtant, il existe des chanceux qui décrochent le gros lot. C’est le contraire qui serait surprenant. Un  bulletin gagnant sur 2 millions, c’est beaucoup pour un seul homme, mais peu pour une société. Il est à parier qu’au moins 5 millions de personnes d’adonnent à ce sport national tous les weekends. Cela donne deux vainqueurs potentiels en moyenne. Sûrement un poil moins car, dissonance cognitive oblige, il y a un biais : une majorité de gens vont jouer inconsciemment  les mêmes numéros.

D’après l’implacable  loi des probabilités, le hasard n’existe pas. La chance, le miracle n’est acceptable que d’un point de vue individuel. A l’échelle d’une société toute entière, il se noie dans des calculs rationaux. Tout peut s’expliquer par les chiffres. Tout n’est que probabilité – le moindre événement est forcément prévu, ne serait-ce que par les infinies possibilités. L’univers peut se résumer à un simple choix entre 1 et 0, il y a ou il n’y a pas, positif ou négatif…

Le hasard n’existe donc que d’un point de vue  individuel. Il disparait au niveau collectif en se transformant en possibilités. 

La rencontre entre notre planète et une météorite il y a 65 millions d’années, la possibilité qu’en jouant à pile ou face la pièce retombe sur la tranche,  l’union des gamètes mâles et femelles pour donner un être unique : vous. Car les gênes qui se mêlent lors de l’accouplement ont une chance sur deux d’être tirés au sort. Comme il y en a des milliers, cela donne un résultat plus rare que dénicher 6 bons numéros sur 49. Le hasard reprend donc ses droits ? Même pas sûr. Il y a quand même de fortes chances que deux blonds engendrent un blond et que deux paires d’yeux noisette lèguent leur particularité à leur descendance.  Du reste, nous ne sommes pas si sûrs que ce ballet de gênes ne soit en quelque sorte voué au hasard complet. J’avais lu quelque part que c’est l’ovule qui choisit le spermatozoïde – le premier arrivé n’est pas forcément le gagnant.  Pour éviter au maximum le risque de consanguinité, l’ovule choisit le spermatozoïde ayant le code génétique le plus éloigné du sien.  C’est ce que je me suis toujours évertué à dire aux sublimes filles : choisissez plutôt un moche !

Parlons du battement d’ailes du papillon quelque part dans votre jardin qui finira par déclencher un tsunami à l’autre bout du monde. Incroyable hasard, non ? Pas du tout. Simple suite logique d’enchainements aléatoires mais parfaitement calculables. Comment sortir d’un labyrinthe : soit en suivant toujours le côté droit (ou gauche) du mur ou bien essayer toutes les possibilités à chaque croisement – ce qui revient un peu au même. Il n’y a donc pas de hasard, mais juste de la patience.

Hasard dérive d’un mot arabe qui désigne un jeu de dés. Or Einstein n’a-t-il pas affirmé que même Dieu ne jouait  pas aux dés ?

Alors qu’en est-il de l’univers ? Ce vaste champ des possibles est régi par des lois. Il ne fait pas ce qu’il veut. Ce déterminisme permet aux scientifiques, friands de tout prévoir, de prévoir la course des planètes, la dérive des galaxies dans cette extension de l’univers. Il y a une logique qui ne laisse que peu de place aux événements incongrus.

Peut-être au moment même du Big Bang s’est-il produit un vrai hasard qui a déterminé tout le reste ainsi que les des règles du jeu. Au départ, quelque chose a tranché : ce sera comme ceci et pas comme cela. En physique quantique,  on affirme que la position et la vitesse d’un électron ne peuvent être connues en même temps. Une vraie partie de cache-cache. Alors, si au cœur de l’atome qui compose exactement TOUT ce qui existe dans l’univers (à l’exception de la matière noire peut-être – quant à l’antimatière, ce n’est que des charges inversées d’un même phénomène) il existe cette incertitude, alors et alors peut-être, le monde entier n’est qu’un vaste jeu de hasard. De pur et fondamental hasard.

 

26 Février – Virtuel

Nous sommes tous distincts au monde. Nous ne partageons notre ADN avec personne. Nos empreintes digitales sont uniques. Nos pensées n’appartiennent qu’à nous. Tant d’un point de vue biologique que psychologique, nous sommes tous différents, même si la société humaine tend à nous faire se ressembler au mieux, histoire de pouvoir contenir 7 milliards d’individualités propres.

Nous sommes le résultat d’une rencontre entre deux gamètes, l’une féminine (chromosome xx), l’autre masculine (chromosome xy). On s’est longtemps demandé – et on se le demande encore – pourquoi l’évolution n’a rien trouvé de mieux que ce système assez compliqué somme toute (et parfois aléatoire – trouver un partenaire et le séduire d’une façon ou l’autre) pour envisager la reproduction. Le plus simple étant une simple division cellulaire : une cellule en fabrique une autre qui a son tour se divise en deux et ainsi de suite. Les organismes les plus élémentaires fonctionnent de cette manière. Justement parce qu’ils ne sont pas si complexes.

Bref, nous sommes l’exemplaire original de notre personne et cela continuera jusqu’à ce que l’éthique se moque du clonage humain. A ce moment là, il sera possible de partager notre existence avec nos doubles. On envisage déjà le clonage thérapeutique – s’entend : cultiver un double pour y prélever des organes sains afin de remplacer ceux qui sont usés dans la personne originale.

En 2019, Hervé le Tellier reçoit le prix Goncourt.  Hervé le Tellier étant écrivain, rien de bien étonnant jusqu’ici. Sauf que son roman  (l’anomalie) relève plus du roman d’anticipation aux forts relents de science-fiction que le portrait-robot du roman à prix : introspection philosophale.

L’intrigue met en jeu les passagers d’un vol transatlantique qui atterrit deux fois sur l’aéroport de New-York.  Les plus malins me répliqueront que cela arrive tous les jours pour les vols réguliers. Oui, le même avion. Mais rarement avec exactement les mêmes passagers…

Passé les différentes hypothèses scientifiques pour expliquer – notre grand sport mondial : toujours tout vouloir expliquer, trouver la raison de, la cause, l’origine – l’inexplicable (courbure du temps avec retour dans le passé, télescopage de deux multivers aux réalités différentes, dislocation de l’espace-temps sur un secteur précis, division moléculaire, atomique, ne répondant à aucune loi physique encore connue et, enfin, simple programme de simulation imaginé par une civilisation plus avancée – la notre, future, par exemple  - où nous serions tous sans exception des programmes), on se retrouve en pleine philosophie quantique. Pas Kantienne, non, quantique.

Descartes n’a pas attendu le Tellier pour remettre en question la réalité de notre monde, de l’univers tout entier. Comment savoir si tout cela n’est  pas finalement que du vent ? Comment trouver la preuve irréfutable que nous existions bel et bien ?

Ce dédoublage de personnalité, bien réel, physique et palpable, renvoie aussitôt à l’essence même de ce que nous sommes fondamentalement. Qu’est-ce qui nous définit le mieux ? Imaginez que vous avez devant vous votre propre double, comment réagiriez-vous ?

Comme le tueur à gages qui ne se pose pas de question métaphysique et supprime aussi sec son double.

Comme un enfant unique, trop heureux de trouver un compagnon de jeu qui le comprenne parfaitement puisqu’il est lui-même.

Comme la possibilité de souffler un peu en travaillant à mi-temps : un jour vous, le lendemain votre double. Tout le monde n’y verra que du feu.

En vous posant de multiples questions : qui est l’original, l’état acceptera-t-il de verser une pension, une retraite à un deuxième exemplaire de  la même personne ? Et si vous êtes en couple ? Comment gérer ce dédoublement qui ne concerne que vous ?

En essayant, grâce à cette externalisation de vous connaitre mieux.

En devenant fou, peut-être.

19 février - Ensemble ou contre

Si l’on aborde la théorie de l’évolution d’après Darwin sans aller chercher plus loin, on est certain de faire fausse route. La lutte pour la vie est une compétition. Pas si sûr.

Dans le monde animal et plus encore chez les plantes, la collaboration, la coopération, l’entre-aide, l’échange est monnaie courante. C’est même la base de cet équilibre attendu et  désiré afin que chacun ait sa chance.

Tout commence à l’école. Ces contrôles dûment chiffrés, notés, classés. Le principe même de l’examen individuel est une aberration  d’un point de vue développement personnel. Il fut même un temps où l’on avait imaginé de regrouper les gamins par classes de niveaux. Les bons avec les bons, les nuls entre eux et le troupeau sera bien gardé. Ben voyons. Il n’y a pas si longtemps, on imaginait bien que le sang qui coulait dans les veines des aristocrates n’était pas si rouge.

D’un autre côté, poursuivre dans notre même voie (l’école publique et pour tous) s’apparente à ce que répétait Gainsbourg sur l’amour : il y en a toujours un qui souffre et un qui s’ennuie.

Fort du postulat qui affirme qu’on apprend mieux en enseignant, pourquoi ne pas impliquer les plus forts dans l’aide aux plus faibles ? Et ces plus faibles peuvent, à leur tour, aider leurs cadets. Une mutualisation salvatrice puisqu’on trouvera toujours plus doué que soi mais aussi moins chevronné.

L’idée serait d’appliquer ce fonctionnement fédératif à l’ensemble de la société. Remplacer la concurrence par l’association, les affrontements par la contribution, les rivalités par l’émulation. Que tous s’unissent pour inventer un monde meilleur… pour tous. Sans interdire de vouloir se dépasser, mais au cœur d’un processus collectif allant dans la même direction : l’idéal.

Dans le sport, il y a deux façons de lutter : soit le combat frontal (quand les deux adversaires se font face, comme en boxe, au tennis et dans l’ensemble des sports collectifs), soit la compétition (tout le monde avance dans la même direction, mais il n’y a qu’un seul vainqueur à l’arrivée).

Il y a cependant une troisième voie (il y a TOUJOURS une troisième voie, suffit de bien chercher) : par exemple, ces anciennes expéditions Himalayiennes  où un projet était porté par tous ses participants. On retrouve aussi cette idée participative dirigées vers un seul but dans ces fameuses pyramides humaines.

L’espèce  homo sapiens reste, comme toutes les autres, trop imprégnée de cette lutte pour la vie qui passe par l’élection du meilleur, cet écrémage visant à désigner un leader et toute la hiérarchie qui en découle (vestiges de la vie en meute). Notre cerveau, l’un des plus gros de l’évolution, et son fonctionnement optimal devrait permettre de dépasser cette lutte primitive. Il est peut-être assuré que les mammifères marins sont en avance sur nous dans ce domaine. Aide et collaboration au menu. Baser notre économie et, par extension, nos politiques, sur cette collaboration à tous les niveaux. Construire une société tous ensemble et pour tous, sans exception. Notre corps, merveille de technologie héritée de millions d’années d’évolution, c'est-à-dire de tâtonnements, d’hypothèses validées puis d’essais réussis, n’est pas autre chose qu’une coopération entre des millions, des milliards de cellules qui oeuvrent dans un seul et même but.

Pour rester optimiste, je constate une évolution dans le domaine des jeux de société, grand révélateur de l’état d’esprit d’une communauté.

Depuis ce millénaire, certains jeux ne se résument plus à élire un champion ou encore à opposer deux  candidats ou deux équipes. Ce sont des jeux de défi plus que de lutte. Je pense notamment  à Pandémie où tous les concurrents doivent s’entraider pour éradiquer un dangereux virus. Victoire coopérative où chacun doit se surpasser pour la réussite de  l’alliance collective.  Sans parler de ces « escape game » où tout le groupe doit s’unir pour trouver la solution.

Le temps est peut-être venu d’appliquer  ces nouvelles règles à la société toute entière.

12 février - L’art du bricolage

Il y a deux façons de faire les choses. A la manière d’un ingénieur, en concevant puis planifiant les choses. En mettant tout à plat et effectuant  de précieux calculs puis de sérieuses études. Tout prévoir pour ne rien laisser au hasard.

Et puis la façon bricoleur. En improvisant, à l’instinct, en rafistolant, en avançant à tâtons parfois.

Doté de son gros cerveau, l’humain a, depuis longtemps, opté pour la première solution. Son esprit scientifique aime à tout rationaliser, sa volonté de maitriser le temps lui permet de programmer le futur. Ca le rassure. Ca gomme les impondérables  qui ne tardent jamais à se mettre au travers de  sa route.

Pourtant, les plus grandes avancées, pour ne parler que de science, ont été déclenchées par la chance ou le hasard. C’est souvent en cherchant dans un domaine que l’on trouve dans un autre. Newton faisant une sieste sous un pommier, Archimède prenant son bain… Et cela s’applique aussi aux relations amoureuses : c’est toujours quand on ne cherche pas que l’on trouve.

Quant à la nature – autrement dit la vie -, elle ne s’embarrasse rarement de calendrier. L’évolution n’est qu’une suite chaotique  qui répond à une logique voulant que rien ne soit laissé vide. Dès qu’une place se libère, elle est automatiquement occupée.

Les dinosaures disparaissent il y a 65 millions d’années ? Aussi sec, les mammifères prennent leurs aises. Sommes-nous tous, maintenant, en voie de disparition avant que d’autres espèces prennent  le relais. Les insectes, peut-être ?

La nature est une vaste loterie où, à priori, chacun a sa chance, mais au final il n’y a que peu d’élus. Comptez le nombre de graines que génère un sapin, calculez les jeunes pousses qu’il peut engendrer et évaluez  les nouveaux arbres qui auront la chance de se développer. Même constat en ce qui concerne les êtres les plus rudimentaires. Moins un système est organisé, plus il doit se disperser, miser sur un grand nombre au départ afin d’avoir une chance de survivre. Quel gâchis ! pensons-nous. Pourtant, ce nombre de graines perdues ne le sont pas pour tout le monde. Des animaux en profitent. Toutes ces larves, ces œufs, ces rejetons, s’ils ne deviennent pas ce pour quoi ils sont destinés au départ ne sont pas inutiles. Ils nourrissent. Si ce n’est pas un être vivant, c’est autant d’ajout à l’humus, à la terre… qui d’une certaine façon sert d’aliment aux plantes. Alors le hasard et le chaos apparent commencent à s’arranger en un système cohérent.

Ces cycles, nés des vicissitudes du monde et de l’existence, s’épaulent les uns aux autres. Un équilibre peut se mettre en place. Pourtant cet intrication, cette complexité existent sans plan prédéfini – du moins nous ne l’avons pas encore découvert.

Tout planifier permet de se rassurer, de ne pas avancer dans le brouillard de l’existence, d’avoir des points de repère, des béquilles pour se tenir droit. Mais le moindre grain de sable risque de tout mettre par terre. Plus un système est sophistiqué, plus il devient fragile. Trop de prévisions empêchent l’originalité et, à terme, interdisent toute évolution.

Si nous possédons un gêne qui déclenche, à un moment donné, la dégénérescence de nos cellules, c’est parce qu’il serait antinaturel d’être immortels. Même les montagnes finissent par disparaitre. Tout tournerait en rond, il n’y aurait jamais plus d’innovation. Aucun renouvellement. Tout pareil pour les siècles des siècles. On camperait sur nos positions.

Il n’y a que les atomes qui ne meurent jamais. Ils se recombinent dans de nouvelles dispositions. Notre monde, l’univers en entier  est en perpétuel déséquilibre. L’équilibre, c’est la mort. Lorsque les électrons auront terminés leur course autour des noyaux atomiques, quand la température atteindra le zéro absolu qui interdit tout mouvement,  alors, peut-être, aurons-nous atteint ce point d’équilibre  parfait : l’immobilisme total.

La mort définitive et sans espoir de renaissance.

5 février 2023 - Une histoire de neurones.

Le cerveau commande, le corps exécute.

Cela semble répondre à une logique évidente. Le patron, c’est lui.

Est-ce aussi évident ? Et, d’abord, pourquoi y aurait-il un patron despote et omnipotent ? Il faut revoir notre conception de toute organisation, qu’elle soit sociale ou biologique. A bien y regarder, tous les organes de notre corps ont leur importance. L’évolution s’est chargée, en quelques millions d’années (ce qui correspond grosso modo à 40 000 générations), à ôter tout ce qui n’est pas nécessaire à notre fonctionnement physiologique.

Notre cerveau ne fonctionne que par les stimuli qu’il reçoit de nos capteurs : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, le goût, parfois même une sorte de sixième sens qui flirte avec notre inconscient. Nos perceptions peuvent tromper notre ordinateur central, n’en déplaise à Saint Thomas. Les illusions diverses sont là pour le prouver. Mais, c’est avant tout notre cerveau qui ajuste à son gré. Ainsi, nous ne voyons pas 25 images fixes à la seconde, mais, après correction, l’illusion d’un mouvement fluide. Notre oreille n’enregistre pas TOUS les sons, à la manière d’un micro. Elle sélectionne, plutôt notre cerveau fait le ménage dans toutes les informations qu’il reçoit. Il ne garde que l’essentiel, le pertinent et ce qui lui plait, ce qu’il comprend. Et cela change d’une personne à l’autre. Il compare en permanence toutes les nouvelles infos rencontrées à son immense  base de données, réajustant constamment les renseignements inédits, les examinant  avec ce que contient notre mémoire, notre expérience.

Parfois nos sensations font disjoncter un instant notre centre de contrôle (cas de grande joie ou de gros chagrin, plus évident : moments tendres, sexe en tête et tous les produits psychotropes possibles, ces molécules mettant en roue libre notre raison). 

On a perdu 10% de notre capacité cérébrale en 3000 ans. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes plus bêtes que ne l’étaient les Egyptiens, qu’on se rassure. Cela coïncide à peu près avec l’invention et la pratique de l’écriture qui, externalisant notre savoir et notre mémoire, a permis à notre cerveau de perdre en capacité et se reposer sur des béquilles culturelles. A quoi bon se remémorer   les numéros de téléphone de ses amis quand il existe un répertoire, mieux : que le numéro soit déjà enregistré dans une autre mémoire que la notre, celle du téléphone lui-même.

A cela s’ajoute la mutualisation qui s’ensuit d’une vie grégaire. Un individu solitaire ne peut compter que sur lui-même ; il doit donc faire preuve de plus de jugeote, de finesse, en un mot de plus d’intelligence. En partageant nos savoirs avec nos semblables, nous avons, bien avant l’invention de la division du travail,  délégué certains savoirs. Peut-être sommes nous allés un peu trop loin dans cette externalisation. Il conviendrait de développer davantage son savoir-faire que l’utilisation sans limite d’outils et d’instruments qui finissent par n’être que des gadgets nous rendant aussi habile qu’une carotte (attention : je n’ai rien contre les carottes).

A la naissance ce petit bijou logé dans notre boite crânienne comporte pas moins de 14 milliards de neurones. Ensuite, c’est un vrai toit percé : nous perdons notre patrimoine, cela même dans notre vie intra-utérine ! Qu’on se rassure : il nous en reste quelque 11 milliards en fin de vie, sauf accident ou grave maladie. Et chaque neurone peut générer des milliers de connexions. Ibm n’a qu’à se recoucher.

Cependant, le cerveau, comme n’importe quel muscle, ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. La saine curiosité des choses et des gens est le carburant idéal pour alimenter son centre de contrôle. Remplir des cases de mots croisés, c’est bien ; observer le monde et tous ceux qui le peuplent d’une manière originale, un peu décalée est beaucoup plus efficace. Eliminer les à priori, s’amuser d’un rien, s’étonner de tout, savoir profiter de ses sens au maximum et surtout n’utiliser toute cette technologie comme un outil sans jamais se laisser dominer par elle.

Etre un homme (ou une femme) libre.

29 janvier - De la démocratie en littérature

Les livres et, dans une plus large mesure, la culture ou l’art, est foncièrement démocratique. S’il existe un jugement de valeur entre un roman de Balzac et le dernier des nanars, le prix du livre se moque du talent ou du génie. Le coût d’un livre est avant tout déterminé par l’objet lui-même (luxe de la reliure, nombre de pages, leur grain, la présence ou pas de photos) : on achète un objet, pas son contenu. Comme si on payait la bouteille de vin et non le vin lui-même.

Ainsi, on peut devenir un grand amateur de littérature sans pour autant se ruiner. C’est déjà plus difficile en ce qui concerne la gastronomie : si la nourriture est au même prix pour tous, tout le monde n’a pas le même talent pour la cuisiner et  l’accommoder  comme un grand chef. Quant à l’œnologie,  c’est assurément un sport de riches.

On retrouve cette même égalité des chances en ce qui concerne les films, même si le prix de la place de cinéma commence à défier toute volonté de parfaire sa culture cinématographique. Si l’on peut acheter un livre pour moins du prix d’un repas au restaurant, celui du cinéma équivaut à un petit établissement gastronomique. Du reste, il est possible dans la plupart des cas de lire gratuitement. Les bibliothèques sont là pour ça (quelle merveilleuse invention, tout de même !), qui n’ont jamais réellement concurrencé le marché du livre. Cela tient certainement au rapport que nous avons avec le livre. Nous entretenons un lien qui a toutes les apparences d’une passion amoureuse (un livre est parfois plus personnel qu’un amant ou une maitresse) : on prête rarement un livre, on l’offrira plutôt. Cela devient presque charnel : comment expliquer sinon ces éditions luxueuses, réservées à un public restreint certes, mais qui existe. Qu’on lise Madame Bovary dans son édition reliée de velours ou sa version toute cornée en livre de poche reste quand même Madame Bovary.

En revanche, si vous voulez acquérir un tableau de maitre, il faudra posséder un joli compte en banque. L’œuvre est unique. C’est sa rareté qui en fait son prix, pas son image. Tout comme ces grands crus, dont le nombre limité de bouteilles en fait bondir le prix.

Un film coûte de l’argent, parfois plusieurs millions d’euros. Il engage toute une équipe de techniciens. Par contre, la peinture et la littérature se produisent en solitaire (quelque fois à quatre mains dans le cas des livres et parfois elle est l’œuvre d’une équipe entière). S’il faut des pinceaux et des couleurs pour griffonner une toile, nul besoin d’un outil autre qu’un simple stylo et une rame de papier, juste un clavier et un traitement de texte pour écrire un roman.  Les mots appartiennent à tout le monde. L’art de les accommoder est, en revanche, réservé aux plus talentueux.

On achète le talent, le génie, pas les pages ni l’encre – pourtant on ne paye que celles-ci.

Une fois monté, un film devient intemporel et virtuel : nul besoin de support pour qu’il puisse vivre et être diffusé. Même chose pour le livre – bien que le numérique n’ait pas bénéficié de l’engouement que certains lui prêtaient.

L’art et la culture, ces nourritures essentielles puisqu’elles s’adressent à l’esprit, au cœur et à l’âme, sont, du moins le peuvent-elles, être quasiment gratuites. C’est une chance.

Cela me fait penser à une autre occupation, cette fois entièrement gratuite. Elle n’est réservée à personne, tout le monde peut en jouir à volonté. Elle est universelle et intemporelle. Elle existe partout dans le monde, y compris dans les contrées les plus reculées ou les territoires soumis à la faim, à la misère, à la guerre. Elle est de tous les siècles. Nos ancêtres la pratiquaient déjà.

On n’a besoin que d’un cœur pour en profiter, et cela, jusqu’à preuve du contraire, tout le monde en est pourvu. Il convient juste de l’entrainer, comme n’importe quel muscle.

Vous ne voyez pas ?

Cette seule et unique chose qui ne s’achète pas (le pouvoir de l’argent ne s’arrête qu’aux apparences, pas à l’essentiel), cette occupation qui peut prendre toute la place, remplir les journées et durer une vie entière, cette chose impalpable et difficile à cerner, à définir, c’est l’Amour.

Il n’y a pas d’autre occupation plus démocratique, universelle et gratuite que ce sentiment qui a tant fait noircir de pages de livres.

Ce dont nous avons besoin, après l’eau, la nourriture et le sommeil, n’est qu’un peu d’amour et quelques lignes… à lire.

22 janvier 2023 - Ecologie

A ceux qui connaissent   David Thoreau et qui ont eu le plaisir de lire Walden, à ceux qui apprécient John Muir, à ceux qui se délectent de la poésie d’un Elisé Reclus, je ne saurais recommander la lecture enthousiasmante  d’Aldo Leopold.

Son Almanach d’un comté des sables vaut le détour à plus d’un titre.

D’abord, le style. Avant tout, le style. C’est une poésie écrite en prose. La plume semble glisser sur les pages comme un vol d’hirondelle dans un ciel d’Avril. Cela se laisse déguster comme un repas gastronomique : des saveurs subtiles, mais jamais le risque d’une overdose.

Ecrit à la fin de la seconde guerre mondiale, il est assez ancien pour nous faire revivre une époque désormais rangée définitivement sur les poussiéreux rayonnages de l’Histoire mais encore assez proche pour que ses constatations et considérations nous parlent.

Ce livre est un vrai livre écologiste.

Revenons sur la définition du mot tant galvaudé depuis que certains se sont mis en tête d’en faire leur gagne-pain en se faisant élire du petit peuple.

La science qui étudie les rapports d’une espèce avec le milieu dans lequel elle vit.

Cet almanach n’est rien d’autre que l’exact témoignage de cet axiome.

Chez Leopold, tout comme chez Thoreau ou Muir, l’homme idéal se doit de s’insérer parfaitement dans son milieu. D’y faire corps. Cette relation au monde doit être la plus proche possible. Par relation au monde,  j’entends non seulement nos rapports sociaux, suffisamment serrés pour établir cette solidarité qui unit les maille d’un pullover, restreintes pour ne pas s’éparpiller (pouvoir rendre service à ses voisins sans  devoir y passer toute son existence) et assez lâche pour permettre de respirer. Cela est également une assez bonne définition des rapports amoureux : être présent, être disponible, à l’écoute de l’autre, mais aussi savoir se préserver un petit jardin secret.

Bien entendu, cela s’applique à notre environnement, c'est-à-dire la géographie qui nous entoure directement. Nous ne vivons pas seulement dans une maison, un appartement ou un lieu de travail.

Savoir être en concordance avec son milieu est la clé d’une vie équilibré, à la fois pour soi et aussi pour les autres, toutes espèces confondues. Vivre en harmonie avec ce qui nous entoure. Ainsi, un citadin sachant se déplacer dans la ville, capable de s’y retrouver, de composer avec la pollution liée à toute présence humain trop dense, connaissant les codes qui régissent la vie en communauté sera plus écologiste qu’un campagnard qui ne respecte en rien la nature.

Savoir vivre avec son environnement exige bien entendu de respecter toute vie qui s’épanoui aux alentours. Si l’équilibre est respecté, c'est-à-dire si une espèce ne domine pas outrancièrement les autres, chacune d’entre elles doit avoir sa fonction, tout comme nos cellules travaillent dans le même but : pouvoir conserver l’entité optimale de notre corps. Il faut alors comprendre son environnement et, à plus grande échelle, la Terre elle-même comme un supra organisme où chaque composant travaille à conserver le bien-être de l’ensemble… simplement pour pouvoir en jouir à son tour.

Cela commence donc par savoir ne prélever que le strict nécessaire et se contenter d’admirer les fleurs lors d’une balade plutôt qu’en faire des bouquets. Penser durablement : éviter le gaspillage lié à un consumérisme sauvage. Préférer récolter le lait de la vache et l’œuf de la poule que leurs muscles en guise de pavé de viande.

Connaitre la provenance de ce que l’on mange, des outils que l’on utilise, des objets qui nous entourent. Je me délecte du passage où Leopold  parle du feu de bois qui le réchauffe : il sait parfaitement d’où viennent les bûches, qu’il a lui-même débité à la hache et fait sécher un an durant. Evidemment, connaitre le parcours de nos objets quotidiens dans un monde globalisé est sacrément ardu. Raison de plus pour préférer les circuits courts, la simplicité maximale dans toute chose. Et la discrétion. Eviter de se répandre à tout va, se prendre pour le centre du monde.

Nous possédons  tous une aire vitale : l’espace dont nous avons besoin pour satisfaire nos besoins en énergie, nourriture, loisirs. Elle doit tendre à devenir la plus réduite possible dans un monde qui se compte en milliards d’individus où, bien entendu, tous n’ont pas la même superficie à leur disposition. Restreinte au maximum, elle doit être la plus prolifique possible, à l’image de ces jardins en permaculture  qui offrent le meilleur ratio possible.

Pour commencer, lire Leopold (et bien entendu Muir et Thoreau, comme piqûre de rappel) : il y a une philosophie de la vie en y extraire. Mieux : des commandements. L’écologie serait ainsi la nouvelle religion pour laquelle il serait inutile de se battre entre soi. La Terre, le nouveau Dieu, largement aussi généreux que nos images inventées et cette fois bien palpable.

15 janvier - Faites de beaux rêves

Tout le monde rêve. Toutes les nuits. Pauvres ou riches, en prison ou libres comme l’air. Le domaine onirique est peut-être la dernière part d’égalité qui règne encore entre les hommes.

Pourtant le rêve intrigue depuis la nuit des temps. Je suppose que nos ancêtres devaient croire mordicus que les Dieux leur parlaient par le biais de ces images nocturnes. Bien avant le cinéma, même avant que l’homme ne raconte des histoires à d’autres hommes – il est même probable que le premier conte soit le simple récit  d’un rêve  -, homo sapiens rêvait. Il y a fort à parier qu’il faut remonter loin dans l’évolution pour découvrir les origines du rêve. Certains spécialistes affirment que seuls les animaux à sang chaud possèdent cette faculté. Il est de notoriété publique que les chats sont les champions du rêve.

Normal : plus on dort, plus on rêve.

Le rêve se plie à une arithmétique très précise. Nos nuits se découpent  en plusieurs portions ou phases pour reprendre un terme plus médical, répétant quatre ou cinq fois le même processus. L’intervalle dédié au rêve arrive en dernier, ou presque, et sa durée augmente au fur et à mesure de la nuit  (une moyenne de vingt minutes, répétées le temps d’un match de foot tout au long de la nuit). Voilà pourquoi on a l’impression de rêver davantage en fin de nuit. Mais pas toujours se rappeler nos songes. Pour avoir le plus de chance d’en garder une trace, il faut de préférence se réveiller au milieu d’une phase de sommeil paradoxal, appelé ainsi car, tandis que notre cerveau cogite à plein régime, notre tonus musculaire est à zéro. Simple précaution : imaginez que votre corps se plaise à imiter vos rêves, il y aurait de jolis dégâts.

En général, on ne peut se souvenir que du dernier rêve vécu. S’en souvenir est une chose, pouvoir l’interpréter en est une autre.  L’école freudienne a bien essayé d’en tirer quelques conclusions psychanalytiques. En vain. Même aujourd’hui, les chercheurs n’en savent pas beaucoup plus long. Du coup, ils se divisent encore sur l’utilité ou pas des rêves.

Le célèbre Michel Jouvet a fait progresser la recherche dans la seconde partie du vingtième siècle. Il ressort de ses travaux que le rêve agirait comme une mise à jour de programmes informatiques, nettoyant et réorganisant ce fabuleux ordinateur qu’est notre cerveau. Surtout : mettre à la poubelle tous les fichiers redondants, les dossiers encombrants, réactualiser les données afin de ne pas ralentir l’efficacité de la machine. Qu’elle puisse fonctionner d’une façon optimale.

Dans les années 60, le Pentagone a tenté une expérience sur quelques militaires volontaires. On les a empêchés de rêver. Pas de dormir. On les réveillait juste avant la phase de sommeil paradoxal. Résultat : ils étaient en pleine forme physique, mais auraient tous finis par devenir fous. Leur santé mentale était déplorable, sinon on court à la catastrophe.

Depuis quelques années, on avance même que les périodes de rêve permettent également de réparer les mauvaises duplications dans notre ADN. On comprend alors mieux pourquoi le rêve s’est généralisé chez tous les mammifères. A partir d’un volume cérébral important, il est vital d’avoir cette entreprise de nettoyage et rénovation.

Malgré toutes les avancées de la recherche, on tâtonne toujours.

Un auteur du XIXème (Hervé de Saint Denys) avait annoncé qu’il était possible de diriger ses rêves. S’étant entrainé (il notait scrupuleusement chaque matin TOUS ses rêves depuis son adolescence), il était capable non seulement de reprendre un rêve en cours d’une nuit sur l’autre, mais de posséder la capacité d’influer sur celui-ci. Or, chacun de nous sait qu’il est parfaitement acteur de son rêve et qu’il est difficile, voire impossible d’avoir prise sur les événements nocturnes. Les anglais l’ont bien compris, ils disent « avoir un rêve » tandis que nous, si orgueilleux franchouillards, claironnons haut et fort « faire un rêve ».

Pourtant, ne vous  est-il pas arrivé d’avoir conscience de rêver dans votre propre rêve ? D’être en danger de mort, par exemple, et de hausser les épaules  et vous dire, désabusé : « je n’en ai rien à faire, puisque ce n’est qu’un rêve ».

Connais-toi toi-même affirme Aristote. Le très cher philosophe a bien raison. Et l’une des manières les plus efficaces de bien savoir qui l’on est au fond serait de décrypter nos images oniriques. C’est notre inconscient qui nous parle, chaque nuit. Notre âme, notre ange gardien. Et nous ne savons pas l’écouter.

Rêver demande autant d’énergie que courir un marathon au sprint. Chaque nuit, votre cerveau seul déroule quatre ou cinq courts métrages. Il déclenche les images, improvise les dialogues, dessine les décors, imagine une intrigue qui semble sans queue ni tête, mais si nous savions comprendre ces récits désarticulés nous y trouverions peut-être une logique. Peut-être ne sommes-nous pas suffisamment intelligents pour comprendre notre inconscient. La face obscure de notre cerveau a encore une longueur d’avance.

Toute cette énergie ne servirait donc à rien ? Je ne peux y croire une seconde. Nous avons juste beaucoup à apprendre. 

J’avais imaginé une histoire futuriste où les réalisateurs d’Hollywood téléchargeaient directement les rêves des gens afin de  les monter et les projeter comme un film grandeur nature. Même privés de télévision ou de Netflix,  nous possédons chaque nuit une formidable salle de cinéma, entièrement gratuite (ça demande tout de même pas mal d’énergie – il serait intéressant de faire des recherches sur l’influence d’une malnutrition sur les  rêves) et parfaitement personnalisé. A nous de tout mettre en œuvre pour en profiter le plus possible.

Commencer par noter ces bribes de rêves qui   vous filent au réveil comme de l’eau entre les doigts. Au début, ce ne sera que quelques phrases nébuleuses. Puis, au fil des semaines et des mois, vous vous apercevrez que les détails apparaissent, que la trame est plus nette. C’est elle, toujours d’après les spécialistes du genre, qui serait primordiale dans l’interprétation des rêves : comment et pourquoi le cerveau passe d’une image à l’autre, comme un mot peut en évoquer instantanément un autre. Vous pouvez vous entrainer rien qu’en racontant vos rêves lors du petit déjeuner, comme une famille raconte sa journée lors du diner. Une bonne occasion de développer ce repas essentiel – mais cela est une autre histoire.

Et, pourquoi pas, arriverez-vous à devenir un peu plus réalisateur qu’acteur de vos songes nocturnes. Et même si cela ne vous en apprend pas davantage sur votre moi profond, vous aurez le plaisir et la joie intense de pouvoir vous faire votre propre cinéma, chaque nuit. Marcher sur Mars, combattre et terrasser Voldemort, prendre dans vos bras et embrasser à pleine bouche votre top model préféré…

Joli programme. En v.o. et en rediffusion  immédiate.

8 janvier - Les règles du jeu

Je viens de parcourir un article qui pourrait résumer la situation en affirmant haut et fort que la vie n’est qu’un jeu.

Tout commence dès la petite enfance. Le bébé laisse tomber sa peluche ou son doudou au grand énervement de ses parents. Ce n’est pas la répétition du geste qui le font babiller de joie, mais juste la satisfaction de constater qu’il peut faire disparaitre à volonté un objet cher, réduisant son angoisse lié à la disparition de sa maman. Il commence à maitriser la situation, à pouvoir intervenir sur son monde proche.

Plus tard, devenu grand patron, il s’amusera encore et toujours à régir son monde, devenu LE monde.

C’est à partir de là que les choses deviennent moins drôles. Car le petit manège du bébé jetant son nounours pour que maman lui rapporte comme le chien la baballe prend de plus amples proportions. Et surtout, il met en jeu quantité de personnes qui n’ont pas, mais alors vraiment pas envie de jouer. Du moins, pas avec ces règles là.

Le jeu est une formidable  école de sociabilité, à tel point que je n’ai jamais réellement compris pourquoi l’éducation nationale ne l’intégrait pas autant dans les processus d’apprentissage. On n’apprend jamais mieux qu’en jouant, en ajoutant de l’émotion à chaque nouvelle connaissance, l’imprimant de manière durable dans l’argile tendre de notre mémoire. Une partie de n’importe quel jeu (même le Monopoly) permet à un groupe de mieux se connaitre, de s’évaluer, tout en riant à gorge déployée. Son formidable pouvoir déstressant  cimente les relations.

L’enfant se projette dans le monde adulte en « faisant comme si ». La force du jeu, comme les contes et les légendes, c’est que tout le monde sait que c’est « pour de faux », il n’empêche qu’on y croit dur comme fer.

Ca se complique une fois devenus grands : certains continuent à jouer en imposant les règles, souvent leurs règles, aux autres.

Les jeux de pouvoir ne sont rien d’autre qu’une extension de la cour de récréation. Toutes les guerres d’avant le vingtième siècle étaient déclenchées pour ces simples raisons : lutte d’influence, volonté de propriété, désir de pouvoir, c'est-à-dire imposer ses propres règles à tout le monde. Eprouver la satisfaction d’agir sur ses semblables ou sur la nature elle-même. Comme le bébé essaye d’influer sur son environnement.

Le jeu met en œuvre notre capacité d’imagination (là où l’on juge notre aptitude à l’intelligence, bien plus que dans l’apprentissage de connaissances, dixit Einstein). Certains osent même défier le plus redoutable des adversaires : le hasard. Combien d’accros se perdent définitivement dans cette spirale d’où ils ne peuvent sortir ?

On retrouve les stratagèmes du jeu à tous les échelons  de la vie sociale, à commencer par les relations amoureuses. Le philosophe prétend que l’amour n’existe pas, que ce n’est qu’une chimère après laquelle on court sans jamais lui mettre la main dessus (un peu comme le bonheur, cet horizon tentant qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en approche). Je te séduis =  je joue en testant mon charme.

Dans la vie quotidienne, chacun joue un jeu de rôle sur l’immense scène de la vie. En effet, il serait inconcevable d’être totalement franc et sincère avec le premier ou la première venue. Le rôle que nous endossons une fois hors de chez nous nous protège. Combien de fois avez-vous répondu par l’affirmative quand on vous demandait comment alliez vous, alors que ce n’était pas le top ? Parfois même, ce jeu de rôle se poursuit jusqu’au cœur même du foyer. Là, c’est plus grave. Car devoir constamment jouer un rôle est usant. Cela demande de l’intelligence, élaborer une tactique, mettre en œuvre une stratégie. En un mot : jouer.

Dans la vie professionnelle, on rencontre de vrais cadors du jeu : tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir et en abusent pour se rassurer eux mêmes.  A ce moment là, le jeu peut se transformer en enfer.

Dès lors que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous, il y a déséquilibre. Ce rapport de force est intolérable. Quand certains confortent leur moi, d’autres subissent l’humiliation. Cela peut aller très loin dans les cas de harcèlement. Malheureusement ce schéma est foncièrement humain, nous le trainons dans nos plus anciens gènes.

Prenez un groupe de personnes au hasard : vous obtiendrez toujours un ou deux meneurs et une meute  d’obéissants à des degrés divers. Maintenant, réunissez tous les meneurs dans un groupe : il y aura certainement un peu d’éclat, de frictions, peut-être même une bagarre, mais très vite la même combinaison se reproduira. Pareil avec les obéissants. L’humain a besoin du jeu pour se construire, pour se rassurer. Il faudrait juste que les règles soient édictées clairement et que chacun  soit volontaire au grand jeu de la vie.

1er janvier 2023 - Va y avoir du sport : le mythe du héro

J’avoue être un peu imperméable aux subtilités inhérentes au football : ses joies, son  engouement, la passion qu’il déchaine. Peut-être n’ai-je pas le culte du héros ?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit depuis les Dieux du stade : on ne s’enflamme que pour un surhomme, pas pour la beauté du sport ou du jeu. Pierre de Coubertin avait tout faux : il ne suffit pas de participer, il faut « faire rêver ».

La récente coupe du monde, organisée en plein hiver une fois n’est pas coutume, a stoppé tout net le déroulement du championnat national. Pourtant  20 joueurs nationaux réquisitionnés ne représente qu’un joueur par équipe du championnat – du reste, cela prive davantage les grosses équipes, rééquilibrant la donne et relançant l’incertitude d’une conclusion trop souvent jouée d’avance.

Souvent j’entends ces gens qui n’ont que peu se plaindre des salaires astronomiques accordés aux joueurs. Or, ceux-ci n’ont rien demandé : puisqu’on leur octroie des ponts d’or sur leur éventuel mérite ou talent, pourquoi refuseraient-ils ? D’autant que la majeure partie du salaire provient des produits dérivés : maillots, écharpes du club… Il se trouve que ceux qui ont peu sont les premiers à porter les maillots distinctifs… Ce n’est pas scier la branche sur laquelle on est assis mais bien engraisser le loup qui va finir par nous croquer.

Le même biais se retrouve  à la télévision où la starification est de mise.  Je rêve d’un monde audiovisuel  où un animateur ne pourrait présenter qu’une seule saison d’une émission et rempiler pour deux autres, aux concepts différents. Ensuite : terminé. On ne verrait plus sa bobine dans le petit écran (qui s’élargit de plus en plus, tout comme le ciboulot de certains recevant trop la lumière des projecteurs, ces « faux amis du cœur » comme le chantait Cloclo). Un peu comme l’interdiction d’un troisième mandat présidentiel aux Etats-Unis.

Je me souviens d’un temps où les candidats aux jeux télévisés (qui demandaient alors un brin  de jugeote ou d’un minimum de  connaissances) ne pouvaient gagner qu’une seule fois.

Transposé au sport, en particulier au football, cela réduirait la carrière des joueurs à cinq ans maxi par exemple. Le temps de « bien jouer » et quand même d’amasser un joli petit matelas puis de faire autre chose, offrant leur chance à d’autres.

Ce qui me fait vibrer dans un match, en particulier le Rugby, plus physique et harmonieux que le foot, c’est ce développement des joueurs, l’occupation du terrain, une certaine stratégie semblable à une partie d’échecs, un déploiement pensé puis  construit avec, pour point d’orgue, la recherche du but. On peut alors assister à  une chorégraphie digne des meilleurs ballets. Cela doit être fluide, cohérent, construit : les dix joueurs doivent jouer une partition à l’unisson à la manière de ces étourneaux qui virevoltent dans les ciels d’automne (le « murmure » des oiseaux).

En ce qui concerne le tennis (et tous les sports mettant en exergue des personnalités), instaurer qu’une fois un tournoi remporté, le vainqueur ne pourrait plus s’aligner.

Et le Tour de France ? Tout pareil. Il y a plein de talents. Et ce qui passionne ce n’est pas de voir, plutôt d’entrevoir à peine, des machines grimper les cols à vingt à l’heure mais bien le suspens de la victoire finale qui se joue à la seconde près.

La diversité dans le sport ressemble à ces prés que l’on fauche pour éviter aux espèces envahissantes de proliférer : cela n’enlève rien à la beauté du jeu et conserve le suspens de l’issue du  résultat.

Et puis, il n’y a pas que le foot, le rugby, le vélo et le tennis… Pourquoi les 30 pages quotidiennes de l’Equipe se répartissent –elles pour la moitié  le ballon rond, un gros tiers pour 4 ou 5 sports et rien pour tout le reste ?

Qui a déjà entendu parler du rugby subaquatique, du kinball (joué avec une balle de plus d’un mètre de diamètre), du gouren (une sorte de lutte bretonne), du sepak takraw (du volley joué avec les pieds), du slam ball (basket sur des trampolines), de la pelota mexicaine (dont JK Rowling s’est largement inspirée pour créer le Quidditch), du kabaddi (sport de combat en Inde), du bo-taoshi (où les équipes comptent rien moins que 75 joueurs), du pacu jawi (où les concurrents s’accrochent à la queue de deux vaches et traversent des mares de boue)…

Faut-il croire au père Noël ?

La question du jour mais qui peut et qui doit se poser tout le reste de l’année.

Je ne parle pas de croire aux miracles – une certaine religion en a fait son fond de commerce depuis bientôt deux mille ans.

Il s’agit plus précisément de garder une certaine naïveté, cette  candeur innée que possèdent les enfants et qui s’effiloche au fil des ans, à mesure qu’ils grandissent. Le développement des os n’a rien à voir là dedans cependant : c’est en accumulant du savoir que l’on cesse de faire briller cette petite flamme d’innocence tout au fond de soi. 

Je parle du savoir, pas de l’intelligence – deux notions parfois associées mais qui n’ont rien en commun : on peut ainsi apprendre un dictionnaire en entier par cœur sans rien y comprendre, comme ces bigotes qui ânonnent leurs prières sans pouvoir expliquer ce qu’elles racontent. Des singes savants, rien de plus.

Etre naïf est considéré comme une faiblesse dans notre monde. On doit faire preuve, au contraire, d’une force d’esprit, d’un sens du raisonnement face aux situations qui nous échappent. Ne plus rien croire sur parole et même se méfier de ce que l’on croit voir (Saint Thomas est dépassé depuis longtemps – depuis que la télévision existe). Le cynisme et l’ironie sont de confortables carapaces.

Mais est-on si sûr d’avoir jeté toutes nos croyances aux oubliettes ? Bien sûr, il ne reste plus personne pour croire aux fées, aux sorcières, aux lutins et autres manifestations magiques. On en fait des livres et des films, c’est tout. Pourtant, malgré les Avancées scientifiques qui, je le rappelle, ne doivent s’étayer que sur des preuves bien sonnantes, les religions ne se portent pas si mal, globalement. Il reste au fond de la plupart d’entre nous des superstitions d’un autre âge et, pire que tout, la publicité a remplacé le monde magique et/ou mystique. Ces conseils, souvent mal avisés, nous conditionnent mieux qu’un sermon dominical.

L’humain a besoin de croire, tout comme il a besoin d’air pour respirer. Le froid raisonnement n’a qu’un temps. Les expérimentations, les preuves, les démonstrations ne se rencontrent finalement que dans les laboratoires.

On peut croire à une quantité de choses, à commencer par le fonctionnement de nos sociétés libérales, démocratiques, une certaine idée du travail, à la famille – un peu moins à la patrie.

La croyance est l’ennemie du doute. Et le doute est le terreau sur lequel s’exerce l’intelligence, des fondations mouvantes qui ne demandent qu’à être vérifiées pour assurer un semblant de stabilité. Il faut donc une sacrée force de caractère pour pouvoir vivre dans un monde  instable en permanence. Simplement croire, faire confiance, permet de se rassurer. Comme les histoires que l’on raconte aux enfants le soir avant de s’endormir et que nous ne nous racontons plus comme lors des veillées d’autrefois, puisque nous sommes des adultes. Nous avons trop grandi, trop vite. Et si la vraie intelligence était de savoir garder une part de naïveté face aux événements ? Savoir être faible parfois, l’assumer du moins.

Un homme ne pleure pas. Mais qu’y a-t-il de si touchant qu’un capitaine, rompu à toutes les outrances maritimes, capable d’enchainer plusieurs tours du monde, braver les plus rudes tempêtes et garder toujours le cap, qu’y a-t-il donc de si touchant de voir un homme si valeureux fondre en larmes quand on détruit son bateau ?

Cette portion de candeur est à conserver précieusement dans un coin de son cœur (le cerveau n’a rien à voir là-dedans – du moins j’entends cette petite pièce du cerveau qui tient lieu de cœur, appelons-là l’âme), comme tant d’autres valeurs moins intrépides mais, ô combien, indispensables : le pardon, la générosité, l’empathie, la mansuétude, la compassion, l’indulgence, la douceur, la délicatesse, la patience…

De l’amour

C’est en refermant l’essai signé Stendhal (de l’amour, 1822)  que m’est venue l’idée de parler d’amour. Bon, en principe, ce genre de discours ne s’adresse qu’à une seule personne et d’une façon plus discrète que clamée haut et fort sur la place publique.

Mais, c’est quoi l’amour, pour commencer ? On serait tenté de répondre : le plus grand sentiment humain. Et c’est vrai. Pour preuve, aimer est le seul verbe qui perd en intensité si on lui octroie un qualificatif (je t’aime beaucoup, je t’aime bien a bien moins de puissance qu’un simple – et pourtant invincible – je t’aime).

A lire Stendhal – qui nous a prouvé par ses romans qu’il en connait un peu plus que la majorité des bipèdes sur la question -, on s’aperçoit que ce sentiment ne peut naitre qu’au sein de sociétés évoluées, dites « civilisées ».

Les peuplades primitives (tout comme le monde animal dans son ensemble avec lequel elles partagent une certaine façon d’être et de vivre) seraient trop obnubilés par les aléas qu’elles éprouvent au quotidien pour avoir l’esprit à badiner. Il y a deux sortes d’êtres vivants sur cette planète : ceux qui passent leur temps à dénicher leur nourriture et ceux qui se contentent d’aller faire leurs courses au supermarché du coin, bio ou pas.

Quand on est n’est pas sûr de pouvoir se remplir l’estomac le lendemain et que l’on ne peut dormir que d’un œil, le cœur deviendrait alors sec comme un rameau de la Toussaint? C’est aller un peu vite en besogne, non ?

Ce qu’appelle Stendhal l’amour, ce n’est que badinerie et séduction. En résumé, une lutte d’influence pour asseoir sa propre importance. Il y a beaucoup d’affection pour sa propre personne dans l’amour que l’on porte à autrui ou que l’on croit apporter. Les rapports amoureux se réduiraient  alors à un formidable miroir où se rassurer non pas sur son apparence, mais sur son intérieur. Laclos l’a très bien traité dans ses liaisons dangereuses : ne plus rien avoir à faire devient si ennuyeux que, pour simplement passer le temps, on s’amuser à aimer. Mais ceci n’est pas l’Amour.

On en vient à prétendre qu’il n’y a pas d’amour, juste des preuves d’amour.

Et cela n’est pas si faux. Ce sentiment le plus élevé d’entre tous ne peut finalement se prouver que par des actes et, comme le mensonge est la seconde nature de l’être humain, il est bien difficile d’y faire la part de sincérité et d’honnêteté.

Est-ce que tu m’aimes ? Est-ce qu’elle m’aime ?

On ne m’enlèvera pas de l’idée que tout être humain et certains autres mammifères sont capables d’Amour. Oui, le grand, celui qui mérite une majuscule. Ce don de soi sans contrepartie voulue ou désirée, juste espérée.

Mère Théresa ou l’abbé Pierre ont été de si grands amoureux. Ils aimaient l’humanité. Rien que ça. On a l’air un brin mesquin avec nos grands discours, nos diners aux chandelles et nos poèmes déclamés un soir de pleine lune sur les rives d’un lac scintillant tandis que le doux parfum du chèvrefeuille embaume le… Stop ! Ca, ce sont les preuves d’amour, pas l’Amour.

Alors, l’Amour ne serait donc qu’entièrement cérébral, spirituel ? Certes non. Redescendons sur Terre, que diable. Le vrai amour partagé s’établit grâce à deux vecteurs essentiels : le cœur et la chair. Oui, le cerveau, l’esprit, seuls responsables des égarements de notre égocentrisme en sont totalement absents. C’est, au contraire, eux qui échafaudent et soutiennent les mensonges, les faux semblants, les délicieuses mais ô combien cruelles armes de la séduction. C’est lui aussi, ce tout puissant cerveau, qui conditionne la jalousie, terrible poison pour une si belle vertu qu’est l’amour.

Alors, même un crétin des Alpes (ou d’ailleurs, ne soyons pas chauvins !) pourrait aimer ? Bien sûr ! Et peut-être se peut-il que moins on réfléchit, mieux on aime.

Entendons-nous bien, quand je parle du cœur, je ne parle pas que du muscle qui nous tient en vie, à raison d’une moyenne de soixante pulsations par minute (31 millions par an tout de même !), mais de cette partie de notre cerveau qui est capable d’offrir sans calcul. Ce qui est, je pense, la plus belle définition de l’Amour.

De la bonne répartition des richesses

Au moment où l’on évoque la possible réduction de la période de prise en charge par l’assurance chômage et du recul de l’âge de départ à la retraite, j’apprends que le déménagement des députés européens coûte, chaque mois, pas moins de 114 millions d’euros.

J’ignore pourquoi, quatre jours par mois, l’ensemble de l’assemblée européenne s’exile de Bruxelles en Alsace – sûrement une question d’orgueil mal placé. 114 millions d’euros, ça rend le transfert nettement  plus cher que chez Demeco. Ca fait 161 000 euros par député. Un peu excessif pour un ou deux billets de TGV. L’allocation mensuelle d’un euro député étant de 9000 euros, je doute qu’ils puissent se payer plus d’un assistant, deux à la rigueur. Un assistant parlementaire reçoit 3000 euros mensuels (lu dans le bouquin d’Alice Zeniter « comme un empire dans un empire », éditions Flammarion). Doublez la somme pour les prélèvements sociaux et autres taxes et vous arriverez à la conclusion qu’un député, qu’il soit le représentant des français ou des européens, ne peut voyager qu’avec un ou deux collaborateurs. Les dossiers ? A l’ère du tout numérique, je suppose que tout tient dans un portable. Mieux : que les dossiers soient automatiquement téléchargés d’un poste à un autre (j’imagine que les 900 députés jouissent à la fois d’un ordinateur à Bruxelles et d’un autre à Strasbourg). Enfin, après deux ans de Covid, nous avons appris à visioconférencer à gogo. Alors ?

D’un côté on rogne sur les minima sociaux, de l’autre on est plutôt généreux pour les représentants du peuple.

Loin de moi de tomber dans des propos démagogiques et populistes. Il est normal que les démocraties prennent en charge leurs institutions. C’est le prix à payer pour éviter un retour aux oligarchies, dictatures ou empires.

Peu payer ou mal défrayer les représentants du peuple risque de les inciter à frauder davantage.

Même raisonnement pour les aides financières aux entreprises, souvent disproportionnées face aux aides individuelles. Du reste, un rapport indique que sur l’enveloppe allouée aux plus démunis, seule une partie (le tiers, la moitié ?) est réellement attribuée. Devant l’insurmontable déluge de formulaires à remplir, les moins dégourdis renoncent, sans parler de toutes celles et ceux qui ne connaissent même pas l’existence des aides qui leur sont proposées.

Nos pays européens, tout comme le Japon ou les Etats Unis sont suffisamment riches pour qu’il soit tout à fait intolérable de constater une misère récurrente. Les ressources sont là, l’argent existe, simplement il est mal réparti et mal redistribué.

Commencer par rétribuer réellement le travail et non la spéculation boursière (ou autre). Ensuite s’interroger sur le parcours de nos impôts et divers prélèvements. Comment sont utilisées ces ressources ? Quel est leur chemin emprunté ? Quel est leur coût de fonctionnement ?

Il faudrait abolir l’argent, du moins l’envisager que comme simple monnaie d’échange, sa fonction primordiale. Plus de spéculation (jouer sur et avec l’argent) mais également supprimer le principe du prêt avec intérêt (l’argent qui travaille finit par générer plus de ressources que le travail lui-même).   Ne l’utiliser que pour les échanges.

Là apparait une nouvelle question : sur quelle base détermine-t-on la valeur d’un labeur ? Est-on rétribué  pour la difficulté de ce que l’on exécute ? Pour la pénibilité, les risques ou les dangers de telle ou telle profession ? Pour notre niveau de responsabilités ? Pour notre influence ? Ou simplement notre capacité à générer encore plus de richesses ?

Le plus juste serait de rétribuer chacun selon ce qu’il apporte aux autres, à la communauté.

Il faudrait se mettre d’abord d’accord sur les valeurs que l’on porte. Il est évident qu’un pompier, un médecin,  un enseignant sont indispensables : ils apportent du bien être à la population.

Certaines professions sont plus délicates à trancher. Un paysan bio nourrit le monde, un chef d’exploitation utilisant pesticides et ogm risque fort d’attenter à la santé des concitoyens. Un banquier aide par le prêt mais il peut se révéler également nocif dans bien d’autres occasions.

Pourquoi ne pas établir une échelle des valeurs vers lesquelles on désire tendre et rétribuer ainsi les gens selon leur degré de contribution au bon fonctionnement de la société ?

Entrerait en compte une sorte de bonus (ou malus)  en fonction de ce que chacun pourrait apporter (ou enlever) au bien être général : soutient, information, éducation, guérison, divertissement – d’un autre côté, prise en compte de la pollution et la spoliation sociale  engendrée.

Nous serions surpris. Certaines professions seraient largement discréditées tandis que d’autres se verraient plus largement récompensées.

Le bon choix

Dans le film « le choix de Sophie », un officier nazi, largement réputés pour leur si grande compassion,  demande à Meryl Streep, fraichement débarquée dans un de ces camps de la mort,  de choisir entre sa fille et son fils. Choix cornélien. Choix impossible. Limites du libre-arbitre.

Autre circonstance particulièrement prise de tête : seriez-vous prêt à mourir si cela pouvait épargner la vie de dix personnes ? Cent ? Mille ? Un million ? Imaginez que vous êtes en 1936 et que vous avez la possibilité de tuer Hitler. Bien sûr, ceci n’est pas sans conséquence : vous serez automatiquement condamné à mort. Il y a un biais puisque nous savons à postériori les atrocités commises par le moustachu le plus antipathique du XXème siècle (Staline aussi portait la moustache, bref bon ne se méfie jamais assez des moustachus).

Lee Harvey Oswald passe pour un dangereux terroriste, manipulé ou pas. Mais imaginons maintenant que Jfk, tout clinquant président qu’il fut, déclenche la troisième guerre mondiale, nucléaire de surcroit, pour éviter celle du Vietnam. Cela est parfaitement possible dans l’absolu. Oswald change aussi sec de statut. Toutefois, comme l’Histoire n’offre pas plusieurs possibilités mais une seule et que nous ne saurons jamais ce qui aurait pu se passer, il faut se contenter de ne vivre qu’une seule fois le cours des choses.

Parmi tous les choix possibles qui s’offrent à sept milliards d’habitants, combien influencent-ils vraiment l’avenir ? A quelles Histoires avons-nous échappé ? Quels sont les champs des possibles ?

Amusez-vous à lister toutes les décisions que vous avez prises dans votre vie et qui ont eu une influence sur votre entourage, votre ville, votre pays, le monde peut-être ?

Un autre Monde (du travail)

Régulièrement l’épineuse  question du chômage hante les médias, empêche les politiques de (bien) dormir et semble être la menace la plus sérieuse qui pèse sur la tête des citoyens.

En France, les « sans emploi » représentent moins de 9% de la population. Or, selon une étude anglaise datant d’il y a quinze ans, seulement 12% des « chanceux » ayant un emploi se disent satisfaits de celui-ci. Quasiment 90% des travailleurs sont donc mal dans leur travail, n’ont pas envie de se lever le matin pour aller au turbin qu’ils n’ont, la plupart du temps, pas choisis et qu’ils subissent entre remontrances, engueulades, stress et course effrénée au profit.

Il serait donc plus logique de s’attaquer à ce problème,  quotidien de 25 millions de français avant d’y envoyer, à grand renfort de stages et formations, ceux qui n’ont pas encore la « chance » d’être mal dans leur travail.

Je ne reviens pas sur l’étymologie du mot travail (instrument de torture au moyen-âge) que j’ai déjà développé dans un billet antérieur. Je souhaiterais simplement que l’on s’inspire de la situation d’avant la division du travail. Mais comment faire pour épanouir les travailleurs dans leur entreprise ?

L’obsession des syndicalistes porte essentiellement sur les salaires. Augmentons, augmentons ! Pourquoi pas. Seulement, les entreprises, qui ne sont pas nées d’hier, répercuterons une hausse obligatoire sur leur prix de revient. Résultat : les prix s’envoleront. Un cercle vicieux. D’autant qu’une inflation n’est jamais bonne pour l’économie en général et ce sont les moins chanceux qui   en subissent  les conséquences.

Dans le film « en guerre », Vincent Lindon incarne un syndicaliste qui se bat pour que son entreprise, largement bénéficiaire, revienne sur son plan de licenciement. Il y a cette scène, surréaliste, de la confrontation entre le représentant du syndicat et le grand patron (qui a enfin daigné s’asseoir à la table des négociations). Chacun propose un discours cohérent. Lindon parlant de vies humaines brisées, de respect, de dignité. Et le big boss, suivant une logique d’entreprise, parle de rentabilité, de marchés, de concurrence.

Ils ont tous les deux raison. D’où l’impossibilité de se comprendre. Cela tourne en rond. Inutilité de la négociation, du combat.

Parlons des salaires.

Demandez-vous en premier lieu non pas ce que vous coûtez à votre entreprise (votre bulletin de paie), mais ce que vous lui rapportez (la richesse que vous générez).

En général, le rapport est de un à quinze, souvent un à vingt, parfois de un à trente. Ainsi, pour un salaire mensuel de mille euros, vous générez 20 000 euros de revenus à votre entreprise.

Parlons maintenant du prix coutant. Avant de m’intéresser à ce concept, je pensais naïvement qu’un objet acheté par un magasin 10 euros était revendu 10 euros au client. Prix coutant. Non. En réalité, le prix coutant est le prix qui prend en compte tous les frais : salaires, loyers, assurances, énergie, vol et casse, entretient des machines, retour sur investissement, parfois même on inclut l’investissement à venir. Le prix coutant exclut simplement les bénéfices.

Mais dans quelle poche tombent-ils, ces fameux bénéfices, puisque TOUT est déjà compris dans le prix ?

Dans celle, bien large, des actionnaires.

Revenons à notre productivité, le fameux salaire que nous générons. Prenons l’exemple médian de 20 fois le salaire perçu. Je le divise en quatre.

Un quart pour l’employé (cela augmente tout de même cinq fois son salaire : bien mieux qu’aucune revendication syndicale !).

Un quart d’imposition (sans qu’il s’en aperçoive – puisque prélevé à la source - le salarié paiera au minimum deux à trois fois plus d’impôts qu’il ne le fait dans le système actuel : cela devrait ravire l’état qui se plaint souvent de caisses vides, on pourrait même envisager la suppression de l’impôt le plus inégal : la tva).

Un quart automatiquement réinvesti dans la propre entreprise du salarié et un dernier quart laissé libre à lui de l’investir soit dans son entreprise (soit la moitié généré par son travail) ou dans une autre structure à laquelle il veut donner un coup de pouce. La vraie participation.

Tout le monde est gagnant, au final.

Tout le monde, sauf les actionnaires.

Comment supporter qu’une entreprise rendue viable par le travail de ses employés appartienne à d’autres ? Le paysan cultive-t-il les terres qui ne lui appartiennent pas ? (cela dit, c’est déjà le cas, en particulier dans le domaine viticole). Il est donc normal qu’une entreprise, un magasin, un système de services, appartienne à ceux qui le font vivre (par le biais du réinvestissement de chacun).

De là, des méthodes de travail plus humaines découlent. En premier lieu, revenir à des structures plus petites. Préférer, par exemple,  mille parcelles d’un hectare, appartenant à mille paysans, ayant leur propre manière de cultiver qu’une méga ferme de mille hectares appartenant à un seul propriétaire (qui risque bien de ne pas être celui qui la cultive). Cela réduit la mécanisation et augmente la diversité ainsi que la productivité (moins de gaspillage).

Impliquer le producteur/le travailleur  dans ce qu’il fait.

Il a plusieurs manières de construire des tables.

La façon artisanale : le menuisier découpe les pièces de bois, les façonne, les imbrique, les vernit. Aucun geste n’est trop répété, les journées défilent sans se ressembler. Ce n’est pas ennuyeux. Au final, il peut être fier de que qu’il a réalisé. L’amour du travail bien fait est porté à son maximum : la table terminée sera sa propre publicité. Il lui faudra peut-être plus d’une journée pour réaliser une table.

La façon industrielle : une centaine de travailleurs vont exécuter une partie, toujours la même, monotone et ennuyeuse, générant souvent des pathologies en fin de carrière (à toujours effectuer le même mouvement, à être en contact avec des produits chimiques) et ne voyant jamais le produit fini. Chacun étant responsable d’une partie de la table et non de son entièreté. Soit dit en passant, c’est exactement le même principe que la déresponsabilisation de la machine d’extermination nazie : la hiérarchie interdit toute prise de conscience personnelle. Chacun exécute ce qu’il a faire, dûment planifié,  et ne se pose pas de question. Nous ne sommes plus que des rouages, des pièces interchangeables. Et cela génère le chômage de masse. Trouver quelqu’un capable de poncer un barreau de chaise, de découper un pan de merisier ou raboter une planche est facile. Trouver un bon ébéniste, plus ardu. Sans parler de la valeur ajoutée pour l’employé : il est plus noble de maitriser de beaux gestes que de se contenter de répéter machinalement des mouvements  basiques.

Du coup, le problème du départ en retraite ne se pose même plus. Lorsqu’on aime son travail, pourquoi vouloir arrêter ? La retraite ne concernerait alors que les tâches et les labeurs éprouvants physiquement.

Parce que, bien sûr, ce monde idyllique  où chaque employé aimerait son travail ne supprimerait pas les métiers salissants ou dégradants.

Personne ne veut ramasser les poubelles ? D’abord, plutôt que voir cela comme ramasser les déchets des autres -comme de nettoyer les chiottes - il vaudrait mieux envisager cela comme la possibilité offerte d’une seconde vie aux ordures.  Enfin, si personne ne veut faire la tournée des poubelles, pourquoi chacun ne le ferait-il pas, en laissant son sac d’immondices non pas sur son trottoir mais dans le centre de retraitement ? Nous ne faisons déjà.

Oui, un autre monde (du travail) est possible. Il suffit de s’en donner les moyens et surtout les idées.

Après l’humanité

Tous les indicateurs semblent aller dans la même direction : nous sommes en train de vivre le début d’une nouvelle extinction majeure. Et nous en sommes pleinement responsables. Par nos actions sur l’environnement depuis un quart de millénaire, nous saccageons notre propre maison.

Nous avons réduit le nombre d’espèces vivantes ainsi que leur volume. Nous avons pillé les sols en les bombardant de pesticides et nitrates. Nous avons également  dépouillé le sous-sol pour nous gaver de cette énergie indispensable à notre confort. Nous avons déforesté au-delà de toute mesure, pollué plus que de raison, jusqu’à modifier durablement le climat lui-même.

Jusqu’à présent, les modes de vie concernant un milliard de personnes, ont profondément modifié la planète. Et nous sommes sept milliards. Ce crucial, mais si sensible, problème démographique ajoute à nos comportements prédateurs.

Il y a fort à parier que, même sans la collision avec un astéroïde dans un proche avenir, la vie risque d’être sérieusement remise en question à la surface de la Grande Bleue.

Il n’y pas de quoi rire. Les mammifères, dont nous faisons partie je le rappelle, sont en première ligne dans le cas où les ressources viendraient à manquer.

Notre adaptabilité (par exemple, nous sommes omnivores, ce qui devrait, à priori, nous éviter les pires famines) ne pourra pas grand-chose quand les éléments vont se déchainer : climat instable, montée du niveau des océans, appauvrissement des sols, perte de la biodiversité, restriction de sources d’énergie, disparition de l’eau potable…

Le chaos nous guette. Pourrons-nous y faire face ? Moins que sûr. Et dans un avenir proche. Il ne se passera pas deux mille ans avant que la remise en cause de la vie humaine ne soit posée.

Sauver la planète ? Cette question n’a pas de sens. La planète n’est nullement à sauver. Notre environnement doit être protégé pour nous-même, notre confort, notre existence. La Terre se moque bien des désordres à sa surface. A moins d’une collision avec un astre au moins aussi massif qu’elle, elle est là pour environ quatre milliards d’années. Rien n’y changera.

Gaïa a connu cinq extinctions massives. Toujours la vie a reprit le dessus. Car la vie a horreur du vide. Elle s’immisce dans la moindre niche disponible, conquérante des lieux les plus inhospitaliers.

Ce qui est en jeu est notre propre survie. Il y a peu de chances que nous passions ce cap.

Alors, après nous, le déluge ?

Listons les espèces susceptibles de nous survivre.

Toutes les espèces situées en haut de la pyramide du vivant, celles qui se nourrissent des autres, plus nombreuses, moins évoluées en termes de prédation, vont par conséquent disparaitre. Tous les mammifères, une bonne partie des oiseaux et des poissons, victimes de la pollution de l’air et de l’eau.

La disparition de ressources de base (la végétation, le plancton) risquent d’impacter d’autres espèces moins nobles.

Personnellement, je serais tenté de croire au règne futur des insectes, même s’ils sont victimes également des divers dérèglements occasionnés par l’homme. Adeptes de la stratégie R (beaucoup de naissances, très tôt dans leur existence, grande mortalité), ils sont mieux armés face à des conditions difficiles et instables, tandis qu’une stratégie K (peu de naissances, longue éducation) permet de gagner en qualité lorsque les conditions sont plus tempérées.

Pourtant, si c’était à refaire (et ça le sera, forcément), j’aimerais que d’autres valeurs soient à l’honneur. Car, il faut bien le reconnaitre, avant même le grand virage qu’a pris l’Homme en se sédentarisant, inventant l’agriculture et la propriété privée et ainsi les inégalités, cette course folle au feu, à la technologie et à la science (qui n’a pas que des mauvais côtés, reconnaissons-le), Sapiens, encore simple chasseur cueilleur, avait grandement décimé le gibier et les ressources autour de lui : c’est pour cette raison qu’il devait se déplacer sans cesse.

Le constat est donc bien plus amer que simplement reconnaitre que nous allons dans le mur à cause de nos comportements issus du XXème siècle. Il faudrait   remonter à l’ère industrielle, plus loin encore, à cet instant où Sapiens se pose et au-delà, revenir sur l’essence même qui fait de nous ce que nous sommes.

Nous sommes, qu’on le veuille ou non, d’impitoyables prédateurs. C’est inscrit dans nos gênes. La quasi-totalité des autres espèces nous fuit d’instinct.

C’était écrit. Depuis le début. Et même un peu avant.

Que l’on donne la possibilité aux primates (chimpanzés, gorilles et même les si gentils bonobos « faites l’amour, pas la guerre ») de se développer technologiquement et c’est le désastre.

Nous sommes le cancer de notre planète.

Peut-être que les dinos auraient fini par bouffer tout autour d’eux si un caillou n’avait mis fin à leur prolifération. Donc, nous allons assez certainement vers une domination insectivore.

J’avais pourtant un faible pour le dauphin ou l’éléphant, qui semblent prôner des valeurs plus « humanistes » que les plus altruistes de nos compatriotes. Une entraide, une compassion, une coopération, une mutualisation où l’individu est respecté et la communauté préservée. Tandis que chez les insectes, prenez l’abeille ou la fourmi comme exemple, nous avons là un exemple de communisme réussi (à chacun selon ses besoins, à chacun selon ses capacités) : à ce point même où la reine pond des individus spécialisés en fonction des besoins de la ruche ou de la fourmilière. Ainsi, la communauté n’est plus un assemblage d’individualités mais réagit comme un ensemble uniforme. Un peu comme nos cellules formant notre corps. A part quelques cancéreuses, elles ne se posent pas la moindre question et fonctionnent selon un schéma, un plan. Elles abdiquent leur libre-arbitre, se comportent militairement pour le bien et l’efficacité de l’ensemble.

L’avenir risque donc d’être peuplé de communautés d’insectes jusqu’à la prochaine extinction.

Reste une espèce qui ne vit pas en colonie, mais semble bien placée pour surnager dans des conditions difficiles.

Le scorpion apparait comme étant l’espèce la mieux placée pour rebondir et conquérir la surface de la Terre. Fort de 2000 espèces différentes (on ne les connait pas encore toutes !), il peut subir de fortes pertes tout en gardant de la réserve. Du reste, le scorpion se balade à la surface de la Terre, sur quasiment tous les terrains, depuis plus de 400 millions d’années (nous sommes là depuis à peine 3 millions d’années), ce qui prouve sa résistance aux décimations diverses.  Son venin le place du côté des prédateurs, sa carapace le protège efficacement contre les aléas divers qu’il peut rencontrer. Il est même capable de résister à un rayonnement radioactif intense.

Alors, ni dauphin ni éléphant, en première ligne des dommages collatéraux de notre soif du toujours  plus, mais un animal muni de pinces de crabe et d’une queue en forme d’aiguillon. Dommage.

Mieux consommer

Dans le film « je vais craquer » (avec Christian Clavier en vedette), le personnage incarné par Martin Lamotte, sorte de post hippie vivant dans une communauté proche du Larzac, héritage de mai 68, lui confie les raisons de son ascétisme :

« Avant d’acheter quoique ce soit, je me posais la question : en as-tu vraiment besoin ? Et je renonçais à l’acheter ».

Passé ce trait d’humour, nous devrions, tous, nous poser la même question avant de porter la main à notre porte-monnaie.

En ai-je réellement l’utilité ?

Cela va-t-il me simplifier la vie ou, au contraire, ajouter des contraintes ? En quoi cette acquisition constitue-t-elle un progrès, un bien-être ?

Dans un monde basé sur la consommation, le vrai pouvoir n’est pas entre les mains des politiques, qui se contentent de voter des lois pour encadrer le processus libéral, ni même aux multinationales, bien qu’elles fassent tout leur possible pour guider, d’une autre façon, les goûts des citoyens. La publicité est censée orienter nos choix, nous conditionner. Car, au final, c’est bien le consommateur qui a le dernier mot. Tout le système est basé sur le fait de ne pas trop lui accorder de liberté dans ses  préférences. Mieux : lui faire penser qu’il a le choix. Mais un choix dirigé, sous-entendu.

Notre ultime pouvoir, le plus radical, mieux qu’un bulletin de vote car agissant aussitôt et bien réellement (« il faudrait qu’on arrête d’en acheter pour ça ne se vende plus », remarquait Coluche), réside dans ce sacro-saint caddie.

En le remplissant d’une certaine façon, on influe directement sur la production.

En boycottant certaines marques ou certaines enseignes, nous avons autant, sinon davantage d’influence que les propres actionnaires, ceux qui font la pluie et le beau temps dans le monde du travail.

Afin de faire mentir le mot même de consommateur (con, sot et mateur), devenons de véritables citoyens responsables. Responsables de nos vies. Responsables de la vie des autres, également.

Vous êtes-vous déjà demandé de combien de personnes vous dépendiez ?

Le chauffeur du bus ou le conducteur du train qui vous permet de vous déplacer. Tous les ouvriers qui oeuvrent sur les chaines de montage de votre voiture. Le garagiste pour son entretient. Tous les travailleurs qui ont érigé votre maison, fabriqué tous ces objets dont vous ne pouvez plus vous passer.

Le personnel médical qui vous soigne dans les pires moments. Le corps enseignant qui vous a inculqué, malgré vous, tout le savoir que vous possédez.

Les journalistes qui vous tiennent au courant de la marche du monde, pour le pire et le meilleur.  Les artistes qui vous font rire ou pleurer.

Tous vos amis, votre famille, les voisins proches qui vous soutiennent ou qui sont tout simplement là dans les bons comme dans les mauvais moments.

A l’inverse, à combien de personnes êtes-vous utile, indispensable ?

Amusez-vous à faire deux colonnes. Ce dont vous dépendez. Ce que vous offrez. Comme un bilan comptable. Crédit et débit. Et voyez dans quel sens penche la balance.

Une fausse idée du progrès

Tout le monde parle de progrès. Encore faut-il s’entendre sur la notion de ce concept résolument moderne.

Je ne sais pas pour vous, mais quand j’ai un doute sur un mot, je consulte Madame Larousse et Monsieur Robert puis m’enquiers de leur origine (étymologie).

Le terme renvoie à quatre notions :

- Changement d’état qui consiste à un degré supérieur.

- Amélioration, développement du bien.

- Evolution de l’humanité vers un terme idéal.

- Enfin, le fait de se répandre, de gagner du terrain (surtout en termes militaires, ou de crue d’un fleuve).

Quand on évoque les progrès de la civilisation, il est clair que la quatrième notion est pleinement justifiée. Homo sapiens a parfaitement gagné du terrain, s’est répandu partout au détriment de ce qui était là, avant. Bref, l’humanité a conquis la planète comme un gigantesque cancer.

Du reste, si l’on se tourne vers les origines du mot, on note qu’il est essentiellement militaire, dans ce sens même de se répandre, gagner du terrain, avancer. Le qualitatif n’entre pas en ligne de compte. En cela, c’est vrai, nous vivons le plus grand des progrès jamais réalisés.

En revanche, je serais plus modéré et circonspect pour les trois autres particularités.  

Il convient dès lors de définir notre objectif lorsqu’il n’est plus question que de quantitatif. Vers quoi désirons-nous aller ?

Plus de biens ? Davantage de bonheur ? Une meilleure aide, entente entre nous ? Une évolution mentale, cérébrale ?

Voulons-nous devenir plus riches, plus intelligents, plus altruistes ?

Désirons-nous plus de biens ou plus de bien ?

Prenons pour exemple trois objets qui étaient censés, à l’origine, nous faciliter la vie : l’automobile, le réfrigérateur, le téléphone.

Pouvoir se déplacer plus vite, pouvoir conserver les aliments et communiquer partout n’importe quand.

La voiture permet de gagner du temps, mais surtout de pouvoir se répandre. En dehors des villes,  point de salut sans auto. Les conséquences sont lamentables : pollution, engorgements, gâchis (rouler solitaire dans une berline cinq places) sans parler du temps perdu à gagner l’argent nécessaire au simple entretient du véhicule. D’un point de vue moral, je ne reviendrai pas sur cette propension que l’automobile a de nous rendre irascibles dès que nous nous trouvons avec un volant entre les mains.

Le cas du réfrigérateur  (du congélateur ou de tout autre moyen de conserver les aliments) est plus complexe. Au-delà du simple fait de ne plus se demander comment dénicher notre pitance quotidienne (car le monde se divise à mes yeux en deux catégories d’animaux : ceux qui passent les trois quarts de leur existence à trouver à bouffer et les autres dont l’escalope tombe directement dans l’assiette), il est question du concept fondateur de notre civilisation sédentaire basée sur l’agriculture et l’élevage. Ne pas dépendre de demain. Pouvoir  penser  l’avenir, faire des projets. Débarrassés du simple souci de savoir si l’on pourra manger demain en cette question hautement philosophique qui hante nos esprits d’hommes modernes : que vais-je donc pouvoir manger demain ? La question de savoir si j’aurai à manger s’est transformée en simple choix entre une multitude de menus.

Ca, c’est un progrès au sens supérieur du terme. Amélioration, bien être, tendre vers un idéal.

Mais, là encore, le revers de la médaille nous guette dans l’ombre. Je ne mentionne pas le coût énergétique de cette technologie, mais je vais plus loin. Qu’allons-nous mettre dans notre réfrigérateur ? La quatrième notion du  progrès s’applique parfaitement à notre nourriture du XXIème siècle. Se répandre, telle une pieuvre à la surface de la Terre. Quant au bien-être, à l’idéal, à l’amélioration…

Nous avons, à tous les niveaux et dans chaque aliment, perdu le vrai goût des choses. Il ne nous reste plus que la texture. Une poignée d’irréductibles se battent encore pour conserver des variétés anciennes de fruits et légumes, pour produire local et biologique (je veux dire : vraiment biologique et pas seulement sur l’étiquette), pour retrouver le « vrai goût des bonnes choses » sans que cela devienne un slogan publicitaire. 

Mais pour combien de temps ? Il serait grand temps d’arrêter ce progrès en termes de dissémination, d’éparpillement et se concentrer sur le seul, le vrai progrès d’une vie meilleure, idéale.

Une nourriture produite à taille humaine pour nourrir l’humanité toute entière (et pas seulement les plus nantis) et d’une manière plus naturelle. Moins certes, mais mieux.

Enfin, le téléphone.

Merveille de la technologie, ce minuscule objet que l’on peut emporter partout avec soi, tout comme le fut en son temps le transistor quand il a pu s’échapper du salon où trônait l’antique poste à galène familial, remplacé aussitôt par la sacro-sainte télévision.

Aujourd’hui, la radio et la télé, ajouté à la presse sont tous disponibles en version personnelle dans un objet pas plus grand qu’un étui à cigarettes (pour les chasseurs de cancers des poumons ou de l’œsophage) ou d’une calculatrice, elle-même intégrée dans le mobile (pour les matheux… si, si, il en reste encore !). A tel point que lorsqu’on se renseigne sur les différents modèles proposés, le vendeur s’empresse de nous demander ce que l’on veut faire avec notre portable.

Téléphoner, non ?  On passe aussi sec pour le ringard de la pire espèce. Passer un coup de fil n’est qu’une option dorénavant.

Ce couteau Suisse moderne permet tout : payer, lire un article, prendre, stocker et visionner des photos, boussole, sésame…

Que de liberté, de libre-arbitre dans un objet qui tient dans la main !

Mais à l’intérieur, combien de destins brisés, de vies meurtries : extraction des minerais rares dans des conditions inhumaines, fabrication à la chaine dans des ateliers se moquant bien du confort des employés, commercialisation musclée tant la concurrence fait rage. Et, bien sûr, pollution extrême à tous les niveaux, appauvrissement des ressources naturelles…

Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. Un autre slogan publicitaire, mais tellement vrai.

Pour assouvir notre confort, nous ruinons la vie de millions de personnes à l’autre bout de la Terre (et même tout près de chez nous).

Avant le XXème siècle,  il n’était pas rare de voir des manoirs ou châteaux où une armée de cinquante domestiques était au service d’une seule famille, parfois même d’un aristocrate solitaire. Rien n’a vraiment changé. Esclavage moderne.

Alors, quel progrès ? Pour qui ? Dans quelles conditions ?

A LA UNE

Pourquoi sommes-nous si friands d’actualité ? Pourquoi cherchons-nous à ce point à savoir ?

La messe matinale  a laissé place à la grand messe du vingt heures. Une institution  que les différents remaniements des programmes n’ont jamais effleurée. Mieux : on a même inventé des chaines d’information en continu, qui ne parlent, qui ne vivent que de l’actualité.

Chaque soir, on nous raconte le monde. Car il est bien fini le temps de la place du village, où l’on échangeait les nouvelles locales. D’ailleurs, il est mal perçu de s’intéresser de trop près à ce qui nous touche. La presse régionale est moquée, ridiculisée pour ses articles trop terre à terre. Pourtant ces histoires de chiens écrasés devraient davantage nous passionner qu’un soulèvement au bout du monde, une instabilité politique dans un pays lointain, un conflit à des milliers de kilomètres. Un souci de voisinage devrait même avoir plus d’importance qu’une catastrophe à cinq mille kilomètres de chez soi. Tout simplement parce que nous ne pouvons être en aide d’aucune façon au malheur survenu dans un pays lointain (du moins très modérément), tandis que nous pouvons intervenir plus facilement et promptement dans un désordre voisin. Venir en aide, chercher à changer les choses.

L’homme est un animal social. C’est ce qui en fait sa force. Pas très costaud, peu rapide, fragile face à la fureur des éléments et disposant certes du plus gros cerveau relatif à sa taille, mais somme toute assez limité, il a su contourner tous ces défauts par la mutualisation des intelligences. Plutôt que chercher à résoudre les problèmes en solitaire (et augmenter démesurément la taille de son cerveau, déjà suffisamment énergivore), il a réussi à découpler sa propre science et son propre savoir  en  milliers, en millions de petites unités distinctes, permettant une spécialisation de chacun pour, tous ensemble, devenir plus fort.

Cette curiosité qui a poussé l’homme à prendre la mer, explorer les contrées les plus inhospitalières, gravir les montagnes les plus pentues, jusqu’à remonter le temps jusqu’au Big Bang  en examinant précautionneusement  l’univers ; cette envie de savoir a toujours permis à l’homme de s’élever, de faire fonctionner son intelligence au mieux.

Mais cette avidité de nouvelles quotidiennes a-t-elle un éventuel rapport avec cette volonté de connaissance ? Pas si sûr.

En réalité, les infos se répètent constamment. Les mêmes conflits, les mêmes atrocités, les mêmes dérèglements climatiques ou sociaux, les mêmes intrigues politiques, les mêmes promotions culturelles ou artistiques. Les journaux, télévisés ou non, ne sont que de gigantesques marronniers (articles récurrents) destinés à assouvir cette soif de nouveautés.

On se rassure de nos piètres existences par ce voyeurisme bien mal placé : savoir que, quelque part, quelqu’un souffre plus que nous. On trouvera toujours quelqu’un de plus misérable que soi, de plus désespéré. A l’inverse, les reportages sur les nantis font vibrer la corde de l’envie : il existera toujours aussi quelqu’un de plus riche que soi, unn privilégié de la vie.

Entre pitié et l’envie, notre quotidien est rythmé par ce flot interrompu d’informations qui vont et qui viennent, qui occupent l’affiche un temps, plus ou moins long,  puis laisse place à de nouvelles nouvelles.

En prenant du recul face à cette furie du scoop, on devine assez vite le ridicule de la situation. On brasse du vent. Pourquoi ? Pour influencer, pour conditionner la foule.

Michael Moore, le célèbre journaliste américain qui n’hésite pas à parler de ce qui gène, avait fait le lien entre ces infos anxiogènes et les coupures publicitaires qui suivaient. Ainsi, en maniant la peur et l’assouvissement de l’envie comme la carotte et le bâton, on force la population à consommer, encore et encore. A se réfugier dans l’acte d’achat pour conjurer le (mauvais) sort. Et plus les nouvelles sont alarmantes, plus on est tenté de se jeter dans un consumérisme sans limite.

Ainsi ces infos ne sont pas anodines tout en étant parfaitement  interchangeables. Peu importe le sujet (il ne doit quand même pas être trop positif), l’important est d’abreuver jusqu’à plus soif des millions d’êtres humains. Créer le besoin. Elles permettent la continuité d’un système né de l’industrialisation, de la production de masse qu’il faut bien écouler à un moment. Pour faire tourner la grande machine du capitalisme, aidé par un libéralisme dévorant, permettant tous les excès au nom du développement, de cette fameuse croissance qu’on nous vend comme bienfaitrice, un passeport pour le paradis, ici et maintenant.

La façon de présenter les choses n’est, également, pas innocente. Les faiseurs d’opinions s’en donnent à cœur joie. Poussé par des intérêts sociaux, économiques ou, de moins en moins il est vrai, idéologiques, le système de l’information parvient à modeler les consciences. Les coupures publicitaires agissent sur notre volonté et nos choix de consommation ; la manière de présenter les informations selon l’angle désiré joue sur nos propres opinions. Ainsi, ce système en circuit clos de l’information toute puissante, s’immisçant dans la moindre niche inoccupée, permet de diriger nos choix  - ce qui est regrettable au nom de la perte de notre libre-arbitre - et,  plus grave et plus dangereux, modeler nos idées selon un schéma préconçu,  désiré, voulu. Nous devenons des machines à consommer non seulement des produits fabriqués en masse par nous-mêmes ou nos congénères et emplissant les poches d’une poignée d’actionnaires, mais aussi des machines à penser politiquement correctes.

Celui qui contrôle la presse dirige le monde avait-on pour habitude de dire au XXème siècle.

Celui qui dirige nos cerveaux possède un tout autre pouvoir, n’est-ce pas monsieur Orwell ?

Le monde selon Jésus.

Imaginez une seconde que Jésus Christ n’ait pas été crucifié.

Qu’il ait été pendu, par exemple – une affaire bien à la mode dans le Far West du XIXème. Toutes nos croix auraient été remplacées par des bouts de corde. L’usage des colliers tressés aurait éclipsé les crucifix portés autour du cou.

Il aurait pu tout aussi bien être noyé. Nous porterions alors certainement des gobelets remplis d’un liquide forcément béni en guise de bijou. Il serait même probable que nos saluts ne se s’expriment ni par une bise ni par une poignée de main, mais par le trempage d’un doigt dans un récipient que chacun porterait au poignet.

Les romains qui, à mon humble avis, manquaient sérieusement d’imagination en matière de torture, auraient pu le faire mourir de soif – ainsi nous jeûnerions régulièrement, façon ramadan.

Heureusement, il y a deux mille ans, l’utilisation d’armes à feu (fusillade encore bien souvent d’actualité dans les conflits pour régler les différents d’insubordination ou de traîtrise) ou encore d’électricité (la fameuse chaise si prisée outre-atlantique) n’avait pas encore été imaginée.

Mais l’injection de poison était courante. Quel rapport aurions-nous alors avec les substances chimiques mortelles si le Sauveur avait reçu une dose létale pour trouble de l’ordre public ?

Il aurait pu être jeté en pâture aux bêtes sauvages, style jeux du cirque.

Que sais-je encore ? Broyé, écrasé, comprimé, étouffé…

Ou bien écartelé, démembré, écorché, je n’ose pas imaginer ce que les fidèles à sa mémoire auraient pu inventer pour commémorer cette fin tragique.

Et si le Christ n’avait pas été un homme ?

Une femme, par exemple ?

Sûr que ces deux mille dernières années auraient été bien différentes. Les valeurs fondamentales qui sont la base de la plus influente religion du monde moderne auraient été complètement chamboulées. Par exemple, notre rapport à la sexualité aurait été bien différent. Sûrement moins de culpabilité, d’hypocrisie, de sentiments refoulés, d’actes manqués, de trahisons, de mensonges.

Sans compter toutes les guerres qui auraient pu être évitées. Tous ces rapports de force l’auraient été d’une autre manière, basés davantage sur le mental que sur la force physique, peut-être plus diplomatiques. Il est aussi possible qu’une certaine ironie, du cynisme, du mépris aient pris plus d’ampleur. Mais notre monde masculin n’en est pas exempt pour autant.

Seulement si le Christ avait été une femme,  Marie Madeleine au hasard, il est quasiment certain que personne, ou bien peu, l’eussent écoutée. En fait, le Fils de Dieu est arrivé bien trop tard dans notre monde déjà bien posé sur ses rails du progrès, du moins un certain progrès. La révolution agricole, la sédentarisation et avec elle l’idée de propriété induisant  celle de richesse amenant l’inévitable inégalité entre hommes, avait déjà placé ce paternalisme, père de toutes nos sociétés, de nos civilisations bien en place. Il n’était déjà plus possible, même au temps de l’Egypte ancienne, de la Grèce et même pendant le  fabuleux essor autour de la Mésopotamie, qu’une femme puisse être entendue. Du moins à ce niveau là. Avec cette résonance, cet impact.

Ce déterminisme est désolant, je le sais.

Et si la Révolution de 89 n’avait pas été celle des bourgeois se servant du petit peuple pour asseoir politiquement leur récent pouvoir économique ?

Et si celle de 1917,  née quelque part à l’est d’une Europe trop vieille pour qu’y émerge quelque chose de vraiment nouveau, n’avait pas été frelatée par trop de bureaucratie ?

Si Hitler avait préféré persister dans la peinture que se lancer dans la politique avec les désastres que l’on sait (car, après tout, une mauvaise croûte n’a jamais tué personne, tout comme un roman raté ou une symphonie inaudible) ?

Si Jfk avait survécu à son attentat ?

Il est fort probable que le monde serait quasiment ce qu’il est, à peu de choses près. J’avance cette hypothèse un brin défaitiste. Oui, le monde féodal aurait périclité avec ou sans Révolution Française. Staline aurait eu son alter ego même sans les Bolcheviques et Hitler son sosie dans une Allemagne bafouée et revancharde. Même Jfk n’aurait pas évité cet enlisement des Etats Unis, même en évitant le Vietnam.

Plus fort encore : si notre bonne vieille planète n’avait pas été formée à cette distance précise du soleil ? Tous les spécialistes l’admettent : la présence de vie cellulaire n’est possible que dans une étroite fourchette : ni trop chaud, ni trop froid. Mais il y a de la marge.

Si une météorite ne l’avait pas percuté lui offrant un satellite permettant à nos régions tempérées de bénéficier de saisons ? Et alors ? On cultive bien autour de l’Equateur.

Si une autre météorite n’avait pas éradiqué ces gros lézards ? Soyons réalistes : aucune forme de vie sur Terre n’est éternelle, surtout pas la notre au passage. Les dinosaures auraient certainement fini par succomber, ne serait-ce que par leur appétit démesuré, dévorant tout ce que la Terre ne pourrait alors plus leur offrir (ça ne vous   rappelle pas quelque chose ça ?).

Allons au bout : si les lois physiques qui régissent l’Univers depuis le commencement étaient juste un poil différentes ?

Alors là, c’est une toute autre Histoire…

 

L’Organisation du travail (l’exemple du  café de la Gare)

 En art comme en humour, il n’y a pas de bornes. Il ne doit pas y en avoir.  Pose-t-on des limites à ses rêves ?

Ainsi, peut-on rire de tout ? Et cette réponse : Oui, mais pas avec n’importe qui, implique que la restriction n’est jamais du côté de l’artiste.

Un artiste peut tout se permettre. Jusqu’au meurtre ? Non,  tout de même pas.  Cette pureté frisant l’intégrisme s’applique aussi à l’Amour, ce qui pose le problème de la vie commune, forcément banale, routinière. L’absence de concessions que demandent de tels sentiments si élevés oblige à un numéro de funambulisme difficile à concilier avec nos vies médiocres.

On parle souvent d’utopies. En voici une, peut-être l’une des plus belles.

Les années 70. L’insouciance d’une société prospère qui ne connaît pas (encore) les effets de la crise à venir, des restrictions et, finalement, de la misère. Tout est alors possible.

Une bande de jeunes décide que, oui, tout est possible. Ils ont envie de jouer la comédie, mais pas comme dans les théâtres conventionnels (où l’on ne veut sûrement pas d’eux de toute manière). D’inventer autre chose. Autrement.

« Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour votre pays » disait Kennedy. Eux l’ont fait.

Mettant en pratique ces idées qui trottaient dans les têtes en ce joli mois de Mai, qui se télescopaient lors de joutes jusqu’au bout  de nuits entières pendant que le quartier latin s’enflammait dans des discutions sans terme.

Le café de la gare : Coluche, Dewaere, Miou Miou  (pour les plus connus) et son instigateur, Romain Bouteille.

Son patron ? Non ! Au café de la gare, il n’y avait pas de patron. Du reste, quand Coluche s’est aperçu que la scène était trop étroite pour son talent hors norme, il est parti – en précisant au passage qu’on l’avait viré.

Une seule règle : avoir des idées. Et aussi une sacrée dose de talent – ce que ne précise pas Bouteille. C’est bien sûr le seul écueil à ce genre de projet (voir les radios libres  et leur mort programmée par manque de talent).

Pas de hiérarchie, pas de chef. Certains économistes l’ont même reconnu : le manque de hiérarchie ne nuit pas, bien au contraire, à la santé de l’entreprise. Il est bien connu que les étagères les plus hautes ne servent à rien. Sans évoquer le Principe de Peter, cette loi qui veut que, plus on s’élève dans la hiérarchie, plus on devient incompétent.

Car cette organisation peut s’appliquer à tout projet, toute association, jusqu’à toute société humaine. Je vous encourage à revoir les reportages sur l’usine Lip, autogérée par ses propres ouvriers, justement à la même époque.

Plus généralement, il  me semble normal, sain et parfaitement évident que ce soient les producteurs qui possèdent leur outil de travail.

Un bon menuisier, un plombier, un peintre n’utilise jamais les affaires des autres. Les employés d’une usine doivent posséder leurs murs, leurs machines tout comme les terres sont à ceux qui les cultivent, j’entends les paysans et en aucune façon ces « exploitants agricoles » ou encore « directeurs d’exploitation » dont une poignée de dirigeants (Nestlé par exemple) se sert pour remplir les estomacs (et en aucune façon nourrir) des citoyens et le portefeuille des actionnaires.

Un théâtre doit être aux mains des comédiens, une boutique être la propriété des vendeurs, les hôpitaux gérés par le personnel soignant.

Et nos cerveaux nous appartenir en propre et jamais au grand jamais aux annonceurs publicitaires, aux influenceurs de tout poil, religieux, politiques ou économiques.  Eviter ce conditionnement moderne qui rend chacun et chacun identique à la foule impersonnelle.

Peut-être alors que le monde du travail redeviendrait attractif et non plus repoussant. Que les rapports de force n’existeraient plus. Plus besoin de faire grève puisque les producteurs seraient les propriétaires. Et ainsi ne plus prendre les citoyens en otage dans des conflits qui ne les concernent en rien (grèves dans les transports, les hôpitaux, les écoles). 

Avoir la bougeotte

Les voyages forment la jeunesse prétend le proverbe. Possible. Ils la conservent certainement en entretenant  un certain état d’esprit. En gommant le risque de la banalité quotidienne, d’une routine qui englue le cerveau dans des croyances séculaires, ils permettent de toujours se remettre en question.

Découvrir de nouveaux paysages permet d’affuter ses connaissances. Il y a deux façons d’apprendre : dans les livres, sous l’égide d’un professeur ou d’aller sur place voir le monde par ses propres yeux. Dans le premier cas, il nous est demandé de croire sur paroles, dans le second la démarche est toute scientifique : j’ai une hypothèse et je fais l’expérience permettant de l’affirmer ou pas.

Voyager, c’est penser. Rester, c’est croire.

Rester, c’est bénéficier du confort de vivre en terrain connu, de connaitre chaque mètre carré de son environnement, de savoir comment vont réagir les personnes que l’on croise, toujours les mêmes. C’est tisser des liens plus forts, plus profonds. Gagner sur les rapports humains. Etre plus empathique, plus impliqué. Parfois, cela se traduit malheureusement par une curiosité malsaine. On tend à s’immiscer dans la vie des autres, si proches qu’on pense qu’ils font partie de notre famille. On dépasse les limites, les bornes, on entre dans un périmètre intime où l’on ne devrait jamais pénétrer.

Partir, c’est exercer cette curiosité d’une manière toute différente. Les paysages traversés sont si vite dépassés qu’on n’a pas le temps de s’attacher. Pareil pour les gens rencontrés. Superficiel sans doute, mais pas blasé.

Les villes portuaires ont toujours été plus tolérantes que les cités coincées entre de hautes montagnes ou isolées du monde. Les ports, les grands carrefours de routes commerciales, ont l’avantage d’offrir ce que le voyage permet : être en contact avec le monde entier. L’esprit est plus ouvert, plus tolérant. Mais le point essentiel est de parcourir les routes et les chemins soi-même. Mettre de la distance avec les habitudes trop vite enracinées profondément dans un esprit casanier.

Il existe trois niveaux dans un voyage, même une simple balade :

Imaginer, rêver, penser son voyage, se projeter, préparer.

Ensuite l’exécuter, profiter de chaque instant, graver en soi la moindre impression, la plus infime sensation.

Enfin le revivre, non par une  nostalgie  complaisante, mais pour le partager. Faire envie aux autres,  mieux : les guider.

Le premier stade est crucial. Il permet d’idéaliser le voyage, d’affuter son envie. J’appelle cela le syndrome du cadeau de Noël.

Offrez un cadeau à un enfant sans qu’il en ait réellement besoin. Il sera ravi sur le moment, il s’amusera toute la journée, puis il passera à autre chose, déjà blasé.

Maintenant, imaginez que le même enfant passe plusieurs fois devant la vitrine du marchand de jouets et qu’il rêve de posséder un jour ce superbe jouet. Il s’imagine déjà en train de jouer avec, il échafaude des scénaris. Si le jouet n’est qu’une passade, il sortira de son intérêt en quelques jours. Si, au contraire, il se renforce, sa joie sera décuplée le jour où il l’obtiendra. Il en prendra davantage soin et le jouet l’accompagnera pendant de longues années.

Même chose pour atteindre un sommet en montagne : soit par un moyen mécanique (voiture, train, télésiège), soit en donnant de sa personne : du glucose et de la sueur. La balade est gratuite mais pas sans valeur. Elle est de ce qui n’a pas de prix. La vue au sommet reste la même à la fois pour le touriste qui sort de la benne du téléphérique et celui ou celle qui a soufflé pendant plusieurs heures dans la poussière et sous l’ardent soleil. Mais ils ne verront pas du tout la même chose.

Le second point est l’âme même du voyage : profiter sans restriction de chaque instant. Une bonne préparation (stade un) permet de se décharger de tout inconvénient logistique et offre de jouir de tous ses sens lors de la balade. La mémoire fonctionne à plein, emmagasinant quantité de souvenirs, d’images, d’impressions partagées, de sensations éprouvées. Lors d’une balade ou d’un voyage, on doit faire preuve d’une totale abnégation, s’oublier le plus possible afin de profiter de l’inconnu que l’on rencontre : paysages,  sensations mais aussi personnes, façons de vivre.

Enfin, de retour chez soi, être capable de partager son expérience pour qu’elle soit profitable au plus grand nombre. Ne pas garder tout ce trésor pour soi, ce qui reviendrait à s’enfermer dans de nouvelles habitudes, tourner sans fin dans un cercle vicieux focalisé sur soi-même. Mieux : devenir le guide, l’accompagnateur d’un novice en matière de voyage.

Exercice de contemplation

Vincent Munier est un photographe animalier mondialement connu. La particularité de ce métier hors normes exige de  faire preuve de patience et d’endurance envers les éléments parfois hostiles de la Nature sauvage.

L’écrivain et marcheur Sylvain Tesson l’a suivi lors d’une expédition sur les hauts plateaux tibétains. Il relate cette extraordinaire expérience dans un livre (la panthère des neiges, Gallimard, 2019). Au-delà de l’aventure proprement dite et des paysages immenses, c’est une large réflexion sur la contemplation.

Une occupation qui a quasiment disparue de nos sociétés modernes où la frénésie du mouvement empêche de se poser, ne serait-ce qu’une minute, pour « regarder le monde ».

Or, ne pas bouger, juste contempler, ce n’est pas ne rien faire.

Tesson explique très bien que, même si l’objet de l’attente (en l’occurrence l’apparition hypothétique d’un animal sauvage) est déçue, on n’a pas perdu son temps car en observant attentivement le monde autour de soi, notre propre environnement, nous avons gagné en acuité, aiguisé tous nos sens (la vue, mais aussi l’odorat et spécialement l’ouïe). Nous sommes allés vers le détail, la particularité, la précision. Nous avons vécu plus intensément.

Nos ancêtres, qu’ils soient paysans ou artisans, prenaient toujours le temps de contempler leur œuvre. L’ébéniste observait ce qu’il venait de raboter pour déceler l’erreur possible mais aussi pour se satisfaire du travail bien fait. Le laboureur stoppait bœufs et chevaux pour faire une pause dans l’effort mais surtout pour admirer une ligne de labour bien droite, bien tracée. On n’hésitait pas à s’arrêter pour jouir du geste parfait. Cela était la récompense d’un labeur dur, d’un  effort intense.

Nous avons perdu cette précieuse qualité de prendre son temps depuis que la frénésie du travail optimisé ne prenne ses aises à tous les niveaux de la société, même insoupçonnables.

Prendre le temps de regarder plus intensément, d’observer le moindre détail dans toute chose, le temps d’écouter le son le plus infime, le temps de déguster un repas, le temps d’être avec les autres et pas seulement communiquer dans un flot de paroles trop vite prononcées et trop vite oubliées. Engloutir des repas rendus à leur seule fonction alimentaire, entendre mais ne plus écouter et voir sans regarder.

Englués depuis notre enfance dans cette frénésie du toujours plus, toujours plus vite, il n’est pas facile de déconnecter. Les coups de frein de l’existence (hospitalisation, confinement) sont vécus comme des emprisonnements. Alors que nous devrions pouvoir accorder à nos sens plus de latitude. Développer une forme de méditation dans l’observation de notre environnement. Nous sentir (enfin) en adéquation avec notre milieu, s’y sentir comme un poisson dans l’eau.

Il y a une plénitude des sens à mieux appréhender son environnement. Les africains l’ont bien compris : « vous les Européens vous avez les montres, nous les Africains nous avons le temps ».

Une autre parabole est celle du pêcheur clairvoyant. Au bord de la jetée se trouve un pauvre pêcheur dont les filets sont tout déchirés et la barque ne peut aller bien loin au large. Passe un homme d’affaires qui fait remarquer à l’homme avachi qu’il pourrait aisément réparer son filet, colmater sa barque et aller pêcher au large où le poisson est plus gros et plus copieux. Pourquoi faire ? répond l’homme contemplant l’horizon. De cette façon, vous pourriez gagner plus d’argent, vous offrir d’autres barques, engager du personnel.

Et pourquoi faire ? répète l’observateur.

Vous pourriez alors faire travailler vos employés et jouir du spectacle de la vie.

N’est-ce pas ce que je fais déjà ? rétorque le pauvre pêcheur.

Quand devient-on vieux ?

Commençons par oublier l’âge qui ne veut rien dire. Il existe des parapentistes de 80 ans, des esprits encore bien alertes à 90 ans.  Robert Marchand faisait du vélo à plus de cent ans, Roger Frison-Roche n’a cessé de marcher jusqu’à la fin de sa vie…

Si l’on n’a pas l’âge de ses artères, cela se joue-t-il dans la tête ? Et dans la vie sociale. Assurément.

Nous passons peut-être ce parfois douloureux cap de l’existence lorsque nous devenons grands-parents. Mais que fait-on de ceux qui n’ont pas eu d’enfants ? Et, cette garde des petits-enfants accorde une cure de jouvence qui, souvent, rajeunit largement l’esprit des sexagénaires. Une seconde jeunesse au contact de la seconde génération.

On devient vieux lorsqu’on tutoie tout le monde et que tout le monde vous vouvoie. Mais on vouvoie un ministre ou un patron, même si celui-ci n’a que trente ans… ceci dit, un ministre ou un patron est peut-être déjà vieux dans sa tête. La respectabilité n’est pas un gage de vieillesse ou de sagesse.

On est vieux quand on est plus âgé que le Président de la République. Triste constatation depuis 2017…

Quand on écoute André Rieu et Michel Sardou. Quand on regarde les films de Clavier (ou ceux en noir & blanc).

Quand on remplit inlassablement des grilles de mots croisés (ou de Sudoku), que l’on part pêcher à la ligne ou que l’on participe à ces déprimantes soirées Loto.

Quand on fait répéter une phrase que l’on a mal entendue. Pire : que l’on n’a pas comprise. 

Quand on a des cheveux blancs. Mais que fait-on des chauves précoces ?

Quand, il y a trente ans, on parlait encore en anciens francs – il est à noter que le passage à l’Euro, avec un coefficient multiplicateur moins simple (6,65) a empêché de garder d’anciennes habitudes et que, très vite, tout le monde s’est mis au nouveau cours sans plus faire de conversions trop ardues.

Quand la routine s’installe et rythme le quotidien.

Quand on ne supporte plus aucun retard.

Quand les enterrements dépassent les mariages dans son agenda.

Quand on vous cède la place dans les transports en commun. Pire : quand on vous propose de porter vos commissions.

Quand on ne passe plus un repas sans prendre une de ces satanées pilules médicamenteuse.

Quand on ne dit plus jamais « je t’aime ». Pire : quand on n’a plus quiconque à qui le dire.

Quand on va acheter le journal (c’est bête, mais plus personne à l’heure d’internet ne lit le journal – du  reste, la presbytie n’aide pas cet archaïque exercice).

Enfin, et ce sera ma définition retenue : quand la nostalgie remplace les projets (c’était mieux avant).

 

18 sept - Entropie

Avez-vous remarqué que les guerres se terminent toujours bien. Si temps est qu’une guerre puisse avoir une issue heureuse.

J’ai beau chercher, je ne vois pas de conflit qui se termine par la victoire des méchants. Il existe une certaine moralité. Comme dans les histoires de superhéros, les méchants finissent toujours par perdre la face. Nos deux dernières guerres mondiales en sont la preuve. L’Algérie ou le Viet Nam, même si cela est plus nuancé. Bien sûr, tout n’est jamais ni tout noir ni tout blanc. Surtout tout blanc. La société idéale n’existe pas, du moins pour le moment.

Les dictateurs absolus et  les conquérants intrépides n’ont jamais le dernier mot.

Or, d’après les lois des probabilités, il devrait y avoir quasiment autant de cas où le mal l’emporte sur le bien que l’inverse. Quelque chose cloche.

J’ai d’abord pensé  à un problème de grandeur. Plus une chose est étendue, plus elle risque de se fissurer. Les constructeurs de ponts et autres structures défiant l’apesanteur me comprendront.  Je continue de penser, conformément à la théorie exposée par e.f.  Schumacher (small is beautiful, éditions du seuil 1973), que plus une chose est grande, moins elle fonctionne de façon optimale. 

Seulement, je dois prendre en compte une autre cause probable. Une loi physique. Contre laquelle on ne peut rien. C’est comme ça et pas autrement. Pas de débat. En y réfléchissant un brin, cela revient un peu au même – toute  grandeur demande de l’ordre.

Rudolf Clausius a défini le second principe de la thermodynamique : dans un système clos, l’énergie se conserve mais se dilue. En résumé, tout système tend à se désordonner. J’imagine les échanges de Rudolf avec sa mère qui le sommait sans arrêt de mieux ranger sa chambre.

- Mais, c’est une loi physique, maman. Je n’y peux rien.

Ainsi depuis que le monde est monde, depuis les balbutiements de l’Univers, tout tendrait à se désagréger. On appelle ça l’entropie.

Plus un système est ordonné, plus il est fragile, comme un château de cartes. La sophistication extrême de nos sociétés les rend dangereusement  aléatoires, contingentes.

L’ordre, qu’il soit physique (les atomes se liant d’une certaine façon afin  d’être stables) ou économique ou encore social,  est inévitablement voué à l’échec. Tout se décompose en gardant la matière mais d’une façon plus aléatoire, comme les pièces d’un puzzle que l’on aurait jetés au hasard : il y a peu de chance que l’image soit ainsi formée correctement.

Quelqu’un a dit un jour que les chances d’apparition de la vie sur Terre sont identiques à un chimpanzé à qui l’on donnerait une machine à écrire pour composer Hamlet, à la virgule près. Inutile de s’embêter à calculer les probabilités, on imagine bien que c’est hautement incertain.

Ainsi l’action de l’homme sur la nature qui est, dans la meilleure intention du monde, d’ordonner les choses, est inutile, vouée à l’échec. Autant donner des coups d’épée dans l’eau, des coups de poing dans l’air.

D’un autre côté, force est de remarquer que la nature (ou le cosmos dans son ensemble) semble s’arranger pour trouver un équilibre. Cette soupe de grumeaux qu’est l’Univers s’accorde en galaxies sous l’effet de la gravitation et de la courbure de son espace-temps. On ne peut pas parler de chaos total même si tout n’est pas rangé comme à une parade militaire.

La nature, la Vie sur Terre, trouve automatiquement son équilibre. Qu’une météorite ou qu’une espèce (nous en l’occurrence) vienne tout déranger, il suffit de quelques milliers (ou millions) d’années pour qu’une nouvelle stabilité soit retrouvée. Où est l’entropie, alors ?

Dorénavant, vous aurez une sérieuse excuse pour ne plus ranger votre chambre.

11 Sept - Trouver la bonne distance, une question d’équilibre.

On entend souvent de la bouche de philosophes, de penseurs ou même simplement du premier quidam ayant un peu de jugeote qu’être libre, ce n’est pas faire tout ce qui nous passe par la tête mais savoir poser ses propres limites. Etre responsable, assumer ses actes.

Mais il y a une autre liberté à définir, à acquérir.

Nous sommes prisonniers d’un ennemi bien plus cruel, car invisible, du moins à première vue. Depuis que l’homme s’est sédentarisé, il s’est entouré d’une foule d’objets censés lui rendre la vie plus facile… et qui lui sont attachés aux chevilles et aux poignets, nous transformant en de vulgaires bagnards, entravant notre marge de manœuvre, nous rendant la vie plus compliquée qu’elle ne devrait être.

Les amérindiens prétendent que l’on ne doit posséder pas plus que ce que l’on peut porter. Malgré la dématérialisation numérique, nous aurions beaucoup de mal à satisfaire cette recommandation pleine de bon sens.

Sans même évoquer le fait que les objets qui nous accompagnent au quotidien deviennent, bien souvent, une source d’embarras (la voiture qui tombe en panne, l’ordinateur qui bugue, sans compter tous ces gadgets que nous ne maitrisons pas, ou mal). Ils nous ramollissent le cerveau.

Combien de numéros de téléphone connaissez-vous par cœur ? A part le votre, bien peu, avouez-le sont inscrits dans votre mémoire ; celle de votre smartphone la remplace avantageusement.

Depuis plusieurs générations déjà, les calculettes ont remplacés les fastidieuses opérations de division (combien d’entre nous sommes encore capable, une fois quitté le collège, de poser cette opération ?), de multiplication, voire de simple addition ou soustraction. Moi qui vous parle et qui vous écris, je me repose plus que de raison sur le correcteur automatique d’orthographe et le volet des synonymes par paresse de dénicher dans ma mémoire le mot exact que je recherche. Mon cerveau n’effectue plus que des opérations simples et répétitives.

La division du travail, imaginée dans ces immenses fabriques lors de la révolution industrielle, a fait perdre les gestes ancestraux aux hommes et ruiné la valeur du travail. Le métier a disparu au profit du même geste effectué huit heures par jour. L’homme est devenu une machine à produire… avant d’être lui-même évincé par de vrais robots sans âme ni pensée.

Dans notre vie quotidienne nous avons réduit notre capacité à nous servir de nos mains. Se raser à l’aide d’un appareil électrique ne demande plus les mêmes gestes élégants. Ecrire sur un clavier nécessité simplement  le même geste aux dix doigts (la plupart d’entre nous n’en utilisent même que deux) tandis que former des lettres manuscrites exige vingt six façons différentes de mouvoir nos doigts.

Nous ne maitrisons plus ce que nous faisons. Nous nous reposons sur la toute puissante technologie. Bien sûr, personne ne nie l’avantage de beaucoup de machines, d’objets (le progrès en somme). Se déplacer est devenu, en moins d’un siècle, une évidence. Effectuer des calculs longs et fastidieux, une broutille. Transformer la nature, un jeu d’enfant. Justement, nous avons sûrement dépassé les bornes car cela était si facile.

Sans nous poser les deux questions essentielles : quelle énergie demandent toutes ces machines et que deviennent-elles en fin de vie ? En résumé : ce qu’elles nous obligent à prélever comme ressources à la Terre et ce qu’elles vont polluer ensuite.

Alors, comment retrouver notre liberté tout en prélevant moins sur notre environnement sans pour autant vouloir (peut-être même devoir lorsqu’il sera trop tard pour changer) revenir en arrière ?

Commencer par se détacher des objets futiles, inutiles, retrouver la prédominance de notre cerveau pour penser, imaginer, rêver.

Retrouver le bon, le juste, le beau geste. Même si cela est plus fatiguant. Cette passion du jardinage (ou du bricolage) n’est rien d’autre que la réappropriation de notre liberté. Le jardinier amateur, le bricoleur du Dimanche choisit son emploi du temps, la manière dont il va s’occuper et retrouve les gestes perdus, oubliés.

Kant proférait que l’homme devait se détacher du matériel, pas de l’humain.

Les seules chaines qui devraient nous entraver ne doivent être que relationnelles. Retrouver du lien. Le lien qui attache, mais qui soutient aussi. Les entraves matérielles ne supportent absolument rien, du moins le font elles seulement en apparence.

Mais en cultivant de vrais rapports humains, nous risquons de nous brûler à d’autres feux. Ceux de la passion.  Nouvel écueil. Avec des attaches bien plus fortes, car plus profondes, que ne peut entraver cette technologie nos mouvements puisque nous parlons, là, de liens psychologiques.

Il faut trouver l’équilibre parfait entre le détachement total, l’ascétisme du Jaïnisme et une vie sociale riche et complète. Savoir se tenir sur le fil qui empêche de souffrir et de faire souffrir. Pouvoir ressentir pour profiter de nos sens sans que ceux-ci se transforment en dangereux tortionnaires pour notre âme ou des armes pernicieuses envers les autres.

Trouver la bonne distance, l’équilibre parfait.

4 Septembre - Big Bang !

Qui, mieux qu’Aurélien Barrau pourrait nous parler du Big Bang ? Laissons Hubert Reeves se reposer d’une vie entière consacrée à l’astrophysique et tournons nous vers ce cosmologiste, militant écologiste, poète et docteur en philosophie au look de hippie nous raconter d’une voix posée et sans bafouilles avec les justes mots, mais sans l’impénétrable glose universitaire ce qui nous est probablement arrivé.

Je ne reviens pas sur notre Histoire des débuts, l’explosion initiale, la libération de photons (« que la lumière fut ! ») 380 000 ans après l’étincelle initiale quand même (380 000 ans : le temps qu’il nous a fallu pour devenir des hommes).  Avant la chaleur ne permet pas la constitution de noyaux d’atomes et la gravité  interdit aux photons de pouvoir s’échapper librement. Suit alors une période d’expansion très rapide, suivie d’un ralentissement. Aujourd’hui, on assiste à une nouvelle accélération, tendant à penser que l’univers est en expansion infinie.

Voilà pour l’avenir. Un cosmos de plus en plus vaste, autrement dit plus de « vide » entre les galaxies et les étoiles. Nos descendants (sur d’autres planètes, la notre n’en a que pour 5 milliard d’années avant d’être avalée par la dilatation finale de notre  propre étoile) ne devraient plus voir autant d’étoiles que nous dans le ciel.

Mais, avant ?  Quoi, avant ? Ben, avant le Big Bang.

Cette question n’a pas de sens, sourit Aurélien Barrau. Et il propose, en guise de non réponse, cette métaphore : qu’y a-t-il au nord du pôle nord ?

Bien sûr.

Donc il y aurait eu un début ?

Qu’y a-t-il de plus singulier, de plus curieux, de plus étonnant : qu’il y ait un début ou pas ? Personnellement, ça me choque un peu, n’est-ce pas ? Il n’y a RIEN et, par un miracle du Saint Esprit, voilà que de la matière apparait.

De la matière ? A ce stade, les chiffres sont impuissants à nous faire comprendre qu’avec nos 70kg, nous ne sommes rien (tout comme nos 90 ans d’espérance de vie face aux 13,5 milliards d’années déjà écoulées).

La masse du soleil est d’environ 1,9884 x 10 puissance 30 kg (cela veut dire multiplier 10 trente fois par lui-même, laissez tomber). Une estimation de la masse totale de l’univers dans son entier propose 10 puissance 23 (un 10 avec 23 zéros derrière) masses solaires. Ne cherchez même pas à tenter de vous rendre compte. De toute manière, cela ne représente que ce que l’on peut voir, ce qui est mesurable. L’invisible, la matière noire, représente entre 80 et 95% de la totalité de l’univers. Peine perdue.

Donc, tout ça, excusez du peu, serait arrivé comme ça, comme un cheveu dans la soupe ?

Ne serait-il pas moins farfelu de penser que tout existe depuis toujours (penser à définir le mot toujours) ?

Mais si tout existe de toute éternité, cela veut dire qu’avant le Big Bang, il existe quelque chose. Alors ? Que fait-on ?

Il y aurait bien une explication.

Celle du rebond (big bounce) où notre Big Bang résulterait d’une concentration extrême d’un univers primitif (le fameux Big Crunch que l’on pensait être notre avenir  : les galaxies,  attirées entre elles par la gravité, se concentreraient en un seul et unique point, une singularité – cela est désormais contredit  par les observations d’un  univers en constante expansion). Moi, j’aimais bien cette idée d’expansion suivie d’une concentration suivie d’un nouveau Big Bang, à l’infini et depuis toujours.

(En aparté : rien n’est moins sûr, car cette matière noire, que l’on ne peut mesurer, ne pourrait elle pas influencer sur la masse totale de l’univers et faire que, celui-ci, à un moment se contracte à nouveau ?).

Bref, il n’y aurait eu qu’un seul big crunch, un seul big bounce et nous serions dans la seconde partie d’un univers éternel qui aurait subi un goulet d’étranglement  à un instant de sa vie.

Oui, mais voilà : l’existence  des trous noirs. Ces entités encore bien mystérieuses, même pour des sommités telles que Barrau (qui passe son temps à les étudier, comme le regretté Stephen Hawkins). Or, il serait probable, du moins possible, que ces machines à avaler de la matière pourraient être de vraies pouponnières d’univers, des machines à fabriquer de nouveaux Big Bang. Ainsi, nous serions, peut-être, nés d’un trou noir issu d’un univers préalable. Et chaque nouvel univers engendrerait des milliards de trous noirs, capables à leur tour de générer de nouveaux mondes.

Les multivers.

Mais cela est une autre histoire. A suivre…

La théorie de l’effondrement

Connaissez-vous Arthur Keller ? Sous un look d’adolescent prépubère, ce spécialiste des risques systémiques et de la prospective parvient en deux ou trois phrases à plomber l’ambiance. Invité à un barbecue ou un mariage, il fera souffler aussitôt un vent glacial qui   refroidit jusqu’aux os. Les dépressifs et autres personnes mal dans leur peau ne doivent surtout pas l’approcher au risque de passer à l’acte dans la minute.

Sauf que Arthur Keller ne dit que la Vérité. Celle qui dérange. Celle qui empêche de dormir la nuit ou vous donne d’épuisants cauchemars.  Celle qui résonne longtemps encore dans un coin de votre cerveau.

Il représente ce que, depuis ce vingt et unième siècle annoncé comme celui de tous les dangers  met en avant : la théorie de l’effondrement.

Climatique en premier, avec des hausses de températures moyennes à une vitesse défiant l’accélérateur de particules (ce dispositif un temps annoncé comme responsable du possible inversement des pôles magnétiques, voire d’une pure et simple désintégration des atomes), d’un dérèglement météorologique, rendant nos contrées tempérées enclines à se comporter comme ces zones tropicales soumises à la fois à la sécheresse et aux moussons, toutes deux dévastatrices et  ces fameuses zones bordant l’équateur (où se concentrent mine de rien l’essentiel de la population mondiale) inhabitables.  Je ne reviendrai pas sur ces dégradations inéluctables  - là, on ne peut rien faire, comme tenter de stopper une locomotive lancée à fond sur des rails en pente avec quelques dizaines de wagons de 500 tonnes chacun. Il est trop tard.

L’autre pan de cette théorie du chaos concerne l’économie et, par là, la politique. Bref, notre quotidien. Là, nous pouvons agir.

Arthur Keller suit les pas de Pablo Servigne que je vous encourage à lire. Je sais, ce n’est pas très fun, ni réjouissant, comme de prendre un médicament.

Arthur Keller explique très bien comment notre société fonctionne. Nous dévastons la nature, nous la pillons sans aucune vergogne, nous l’épuisons pour tout transformer en déchets : la pollution. Au passage, nous aurons tout autant détruit le bien être de millions de personnes pour satisfaire le confort et le luxe d’une poignée d’entre nous – dont, ne nous leurrons pas, nous faisons un peu partie.

Seulement, cet effondrement économique, comment va-t-il se traduire ? Quels en seront les conséquences pour chacun ?

Va-t-on vers une nouvelle famine ? Vers une pénurie d’eau ? Ce qui serait pire. On peut tenir plusieurs jours sans manger, guère plus de trois jours sans boire.   Après avoir pillé les stocks,  assisterait-on à des batailles autour des champs, des vergers, des jardinets ? Mais l’eau ?

La finance mondiale pourrait péricliter. Comment vivre dans un monde en pénurie et sans argent ? L’idée rassurante que cela permettrait une nouvelle donne, une égalité enfin retrouvée semble fausse. Devant l’adversité, rares sont les hommes capables de solidarité, d’entraide. Il y aurait encore et toujours une inégalité, simplement les nouveaux riches ne seraient plus les géants de la finance, mais les exploitants de matières premières (nourriture, énergie). Je crains même que les puissants d’aujourd’hui seraient encore les puissants de demain, ayant troqué leurs billets verts contre le nouveau trésor avant qu’il ne soit trop tard.

Va-t-on vers un monde où les déplacements les plus courants ne seront plus possibles ? Yves Cochet prédit même le retour des carrioles pour 2050.

Ce chaos, cet effondrement toucherait bien entendu les plus faibles, les plus pauvres.

Il existe une carte du monde représentant le seuil de température létale, j’entends une température alliée à un taux d’hygrométrie tel que la peau ne peut plus respirer : on meurt. Cette bande s’étale de part et d’autre de l’équateur. Bien évidemment, les populations ne vont pas rester là les bras croisés en attendant le trépas. Ils vont migrer. De préférence vers le nord, l’El Dorado. Comment gérer des millions, peut-être des milliards de réfugiés climatiques ? Nous ne sommes déjà pas capables de tendre la main à ceux qui souffrent. Aurélien Barrau assure que le déplacement d’un demi-milliard de réfugiés climatiques ne se fera pas dans une ambiance de club med. Le spectre d’une nouvelle guerre mondiale n’est pas exclu.

Notre mode de vie énergivore ne peut demeurer en l’état. Mais quand sonnera le glas de notre civilisation goinfre ? 2100 ? 2050 ? Peut-être avant ? Et comment cet effondrement prendra-t-il forme ? Mais surtout, seront nous capables d’y trouver des raisons d’espérer ?

Continuer de penser, non : de croire, car on ne peut penser raisonnablement une telle aberration : pouvoir croitre indéfiniment  (la sacro-sainte croissance économique) dans un monde à l’espace et aux ressources forcément limités.

Face à ce gigantesque défi d’adaptation, il y a deux solutions majeures. Soit on s’y prépare en essayant de nouvelles pistes, à commencer par remettre en cause notre mode de fonctionnement du « toujours plus ». Remettre en cause que l’idée de progrès est forcément liée à une évolution technologique. Je pense que vous vous êtes déjà rendu compte que tous ces objets, gadgets, machines, applications ne nous facilitent pas toujours la vie. Enfin, mieux redistribuer les richesses actuelles qui vont aller en diminuant de plus en plus. Revoir notre copie de fond en comble.

Vivre plus modestement ne signifie pas subir la récession. Décroitre, ralentir, changer de cap n’est pas forcément une mauvaise chose. Il suffit de s’y préparer.

Nous n’avons, de toute façon, pas le choix. D’une manière ou d’une autre nos modes de vie changeront.

Oui, un autre monde est possible. Mais surement pas celui que nous avons souhaité si nous continuons ainsi. La fameuse transition énergétique aura lieu, peut-être même plus tôt que prévu. Il serait plus sage de la mettre en place volontairement, même si cela demande quelques sacrifices, que de la prendre en pleine face. Là serait le véritable chaos.

Comment le lièvre ne pourra jamais rattraper la tortue

Un isotope est un nucléide qui a le même nombre de protons mais un nombre de neutrons différent. Il se désintègre. La demi-vie est le temps qu’il va mettre pour perdre la moitié de ses noyaux. C’est grâce à cette horloge que l’on peut dater des roches ou des trouvailles archéologiques par exemple.

Si l’on parle de demi-vie, c’est justement parce que l’isotope ne se désintégrera jamais tout à fait. Il restera toujours quelque chose au bout du compte. La moitié de la moitié de la moitié de la moitié : c’est encore quelque chose, sinon on ne pourrait pas le diviser à l’infini (zéro ne se divise pas).

Jean de la Fontaine avait parfaitement compris ce concept pourtant découvert bien après sa mort.

Dans la fable du lièvre et de la tortue, il l’explique précisément.

Mettons que, grand seigneur et sûr de son fait,  le lièvre accorde à la tortue dix mètres d’avance. Cette dernière avance dix fois moins vite que le rongeur. Pendant le temps qu’il   faudra au champion de la course pour rejoindre le point de départ de l’animal à la carapace, celle-ci aura avancé d’un dixième de longueur en plus : elle sera toujours devant. Durant le temps qu’il faudra au lièvre pour combler cet infime retard, la tortue aura encore progressé d’un dixième. Et ainsi de suite. La distance entre les deux animaux diminuera toujours de plus en plus, mais ne pourra jamais être nulle. Non seulement le Usain Bolt des garrigues ne doublera jamais madame lenteur, mais il ne la rattrapera même pas !

Une histoire de confiance (nus & culottés)

Tous les étés, sur France 5, réapparaissent deux gus qui commencent systématiquement leur périple (leur voyage de vacances, si l’on veut) à poil. Ils voyagent sans argent, demandant l’hébergement  (et leurs premiers vêtements) et le repas aux gens qu’ils rencontrent. Une relation qui démarre en dehors des clous bien plantés que représente l’argent dans nos sociétés modernes permet de retrouver une égalité dans la différence. Je suis différent de vous (moi voyageur, vous sédentaire) mais égal (vous m’hébergez, je vous rends service en effectuant quelques menus travaux ou simplement en vous apportant quelque chose de neuf, comme le simple regard différent sur les choses, un échange d’expériences).

Cette émission est à contre-courant des actualités télévisées, fortement anxiogènes. A la fin de chaque épisode, je reprends confiance en l’humanité et me dit que l’espoir domine. Je n’arrive même pas à comprendre comment le monde tourne si mal avec autant de bonnes volontés.

Un début de  réponse vient en observant comment les gens réagissent. Il y a une minorité qui fait confiance aux deux inconnus d’emblée. Mais la grande majorité est d’abord réticente face à deux jeunes trentenaires qui ne leur ressemblent pas forcément (ce point est crucial : la plupart de ceux qui s‘ouvrent facilement sont d’anciens globetrotteurs, du moins des vagabonds dans l’âme). J’aimerais voir la même émission avec un noir et un arabe en vadrouille. Pas sûr que l’humanité se montre sous son meilleur jour.

Bref, ces gens si frileux au départ se révèlent des perles par la suite. Une fois la barrière de l’inconnu (de la différence) franchie. Ils ne vont plus les lâcher, devenant de vraies mères poules.

Ce sentiment de confiance que l’on accorde est l’ingrédient principal dans la relation qui s’instaure entre des gens qui ne se connaissent pas. La réduction de la différence, qui semble immense au départ et qui s’amenuise au fil de la discussion, permet cette confiance.

Mais où nait ce sentiment ? Dans quelle partie de nous-mêmes se trouve-t-il ? Quels sont les ressorts qui déclenchent nos comportements face à la différence, à l’inconnu ? D’où nous viennent nos peurs ? Je pense que tout est une question d’éducation et/ou d’expériences (ce qui revient un peu au même). Altruisme, ce sentiment de pouvoir se mettre à la place de l’autre : ça pourrait m’arriver à moi, comment je réagirais si j’étais dans cette situation ?

Combien de vocations Nans et Mouts (les prénoms des deux voyageurs) ont-elles déclenchées ?

Je repense au projet de Benjamin Lesage (sans un sou en poche, éditions Arthaud - 2015) de voyager (Pays-Bas – Brésil) non seulement sans débourser un centimes mais avec cette réflexion qu’en faisant de l’auto-stop par exemple,  il dépense de l’argent par le biais du carburant qu’un autre (le conducteur) paiera pour lui. Son empreinte carbone n’est pas nulle. En poussant cette réflexion à son extrémité, on entre dans une autre dimension, comme ces moines bouddhistes  qui n’osent pas marcher de peur d’écraser un insecte, ni même de lui faire de l’ombre. Nos habits ont demandé du travail et ont donc détruit une partie de la planète, notre nourriture également. On en vient très vite à ne plus vivre que comme les tribus primaires.

Les mots pour le dire

Marie Cardinal était une prof de philo, publicitaire qui s’est découvert des talents de  romancière. Elle s’est racontée dans le livre qui l’a rendue célèbre au milieu des années 70. Elle parlait de sa psychanalyse.

L’humain est un animal social : il ne peut vivre sans la présence des autres. Parmi ces détails qui nous différencient de nos cousins les mammifères, le langage parlé est certainement l’un des plus   forts. Les mots permettent de désigner des choses non visibles, en somme nos sentiments, ce que nous ressentons, nos désirs, nos rejets, nos rêves. Ils sont les cartes routières qui permettent de mieux se connaitre dans un premier temps, ensuite de pouvoir communiquer avec l’autre. Ils servent à extérioriser ce que nous possédons au plus profond de notre cerveau.

L’auteure décrit parfaitement le cheminement de la connaissance de soi, de son intérieur le plus intime, jusqu’à l’inconscient, véritable centre de recyclage de tout ce que notre raison ne veut pas entendre. Toutes nos peurs, toutes nos angoisses s’y retrouvent dans un maelström inextricable. Et ça fermente, ça gonfle, ça prend une importance radicale. Si on ne déclenche pas une soupape de sécurité, ça peut exploser. L’explosion c’est la violence, autrement dit les mots qui n’ont pas pu être correctement exprimés, ceux qui n’ont pas pu sortir. La soupape c’est parvenir à dire l’indicible. Les amis permettent cet épanchement et pourquoi pas un journal intime. Ce besoin de se confier, pour se trouver, mieux se connaitre.

Dans la plupart des cas, les névroses légères se règlent  de cette façon, par les liens qui nous unissent à nos semblables, cette intercommunication (dans les deux sens, donc) salutaire. Parfois, le mal est plus lourd, plus enfoui, mieux caché. Il faudra l’aide d’un professionnel pour parvenir à découvrir où prennent racines les maux, par les mots. Et réparer ce qui fonctionne mal en y mettant les mots appropriés. Savoir désigner correctement ce qui nous empêche de vivre en équilibre.

Le psychanalyste est cette personne. Mais avant Freud, le prêtre pouvait rendre le même service lors de la confession. Une autorité qui sache écouter. Car l’un ne fonctionne pas sans l’autre : pouvoir parler, utiliser les bons mots et savoir écouter, c'est-à-dire tenter de décrypter les mots que l’on reçoit, être attentif. Cela ne peut fonctionner que si les deux parties sont honnêtes avec elles-mêmes avant de l’être avec les autres. Car dans nos sociétés basées sur la communication, les relations humaines, le regard des autres est primordial. Savoir parfois s’en détacher  est crucial. Pour cela, il faut parvenir à bien se connaitre, devenir plus fort intérieurement afin de démarrer une relation saine avec l’autre, sur un pied d’égalité. La hiérarchie ne doit pas exister ou bien elle doit être contrebalancée (je suis fort dans un domaine et moins dans un autre : la relation avec mon contraire va m’apporter quelque chose autant que je lui apporterai). Là encore, il est important  de trouver un équilibre : pouvoir se détacher des autres, ne leur donner pas une telle importance dans notre vie tout en restant sociable. Cultiver une indépendance sans toutefois virer misanthrope.

Dans « les mots pour le dire », reconnu comme étant largement autobiographique, Marie Cardinal nous parle essentiellement de sa mère ainsi que l’absence de son père. Statistiquement, les névroses proviennent de notre relation à nos parents. La cause en revient à notre espèce qui demande une période beaucoup trop longue liée à l’éducation – entre quinze et vingt ans parfois, soit un cinquième voire un quart de notre vie où nous dépendons essentiellement de nos géniteurs. Cette relation trop proche, fusionnelle, peut causer des troubles irrémédiables. Ajouté à cela, nos sociétés modernes où l’intellect prédomine, où le cognitif devient la règle.

Cependant, y avait-il moins de troubles psychologiques à l’époque (ou dans des civilisations) où l’on n’avait pas le temps de cogiter ? Il fallait faire travailler ses muscles et moins son cerveau. On se posait moins de questions, mais dès que l’on vit ensemble, dans une communauté, au sein d’une famille qui nous éduque en s’érigeant en modèles, il est inéluctable que peuvent apparaitre des désordres inconscients.

Le choix des mots n’est pas anodin. L’importance du monde onirique.

J’invite tous ceux et toutes celles qui doutent du bien fondé de la psychanalyse à lire ce livre de Marie Cardinale qui n’a pas pris une ride en presque cinquante ans.

Réduction de l’incertitude (15 aout)

Parmi les quelques dizaines de personnes que nous connaissons  (amis, famille, voisins ou simples connaissances), nous sommes parfaitement capable de les distinguer à la seule vue de leur visage, parfois même à l’allure générale de leur silhouette. Un ensemble de détails qui nous permettent de faire la différence sans jamais nous tromper. Mieux : cela marche même pour des inconnus, des personnes que l’on croise pour la première fois. Nous saurons faire le tri.

Cela commence déjà à se compliquer quand il s’agit d’autres types de morphologie. Un blanc aura plus de mal à particulariser un noir ou un asiatique.

Avez-vous remarqué qu’il vous est plus facile de différencier les gens d’autres races qui vivent près de chez vous que, par exemple, une foule d’Ethiopiens ou des habitants d’un village perdu du Laos ?

L’influence culturelle est prédominante, sans doute. On particularise ce qui nous est proche, ce qui nous ressemble, car on possède des points de repère tangibles. Nous avons des éléments de comparaison en masse. L’inconnu nous apparait sans distinction de traits et pourtant il y a tout autant de signes particuliers entre deux aborigènes australiens qu’entre deux banquiers new-yorkais.

Placez-vous devant un troupeau de vaches ou de brebis. N’avez-vous pas l’impression que ce sont des clones ? Même en cherchant le détail qui pourrait nous les faire reconnaitre, il nous est impossible  de retrouver un animal en particulier si l’on revient voir le troupeau le lendemain. Or, le berger ou l’éleveur connait personnellement chaque bête de son troupeau. Enfin, il me semble que passé un certain nombre, il doit, lui aussi, s‘embrouiller.

Et, autre loi immuable liée à la perception humaine des choses et des êtres vivants, on ne peut faire preuve de compassion que devant ce qui nous touche, ce qui nous est proche, ce que l’on reconnait.

L’éleveur d’un troupeau de cinquante bêtes aura plus à cœur leur bien être que le propriétaire d’un cheptel de plusieurs milliers de têtes.

Nous sommes davantage affectés par ce qui peut survenir à nos proches, y compris des personnes inconnues pour peu qu’elles partagent avec nous quelque chose : géographiquement, socialement, culturellement. Ainsi la mort d’un seul individu dans un accident, parce que ça s’est passé près de chez nous (ça aurait pu nous arriver à nous) sera vécu plus intensément, avec davantage d’émotion que la fin brutale d’un village entier noyé sous un éboulement à l’autre bout du monde. Ces gens nous sont inconnus, ils ne nous ressemblent pas, ne vivent pas de la même façon et se ressemblent comme un seul homme.

Le racisme n’est rien d’autre que la peur de l’inconnu, cette indifférenciation (qui se transforme très vite en indifférence) des particularités que nous sommes incapables de préciser.

Pourtant, d’un point de vue génétique, il y a plus de différence entre deux personnes partageant la même couleur de peau, le même passé historique et baignant dans la même culture qu’entre un noir et un blanc.  Si l’on prend pour objet de classification le groupe sanguin, par exemple.

Il se trouve que, d’après des recherches scientifiques, l’espèce humaine dans son ensemble a subi une sorte de goulet d’étranglement il y a environ 70 000 ans. Une sorte d’extinction qui aurait pu être fatale à l’espèce tout entière. N’en sont ressorti qu’une minorité d’individus (on évoque pas plus de 15 000 âmes) dont nous descendons tous, l’entière espèce humaine vivant actuellement sur Terre, du pygmée à l’islandais, du russe au péruvien, de la star du football au paysan birman.

Même sans ce goulet, force est de reconnaitre que la génération spontanée a fait long feu et qu’il n’existe qu’un couple (appelez comme vous voulez, Adam & Eve) dont le génome avait été modifié pour créer une nouvelle espèce et qui est à l’origine de l’humanité entière.

Nous sommes tous cousins. Tous, sans exception aucune.

Nos comportements vis-à-vis d’un autre représentant de notre propre espèce n’est donc affaire uniquement de culture, d’éducation, d’immersion.

Entre en jeu maintenant le concept de réduction de l’incertitude.

Par exemple, si je vous dis que Dominique est un homme, cela enlève le doute inhérent au prénom androgyne pouvant désigner aussi bien une fille qu’un garçon.

Si j’évoque ma petite amie qui s‘appelle Chong, vous allez forcément l’imaginer sous certains traits, alors que je vous dis qu’elle s’appelle Sophie, son image changera du tout au tout, alors que cela pourrait bien être la même personne.

Une grande partie de notre vie sociale repose sur cette réduction, en tâchant de trouver des détails pour mieux connaitre la personne que nous avons en face de nous. Nous désirons qu’elle nous ressemble, qu’elle partage un peu de nos intérêts. A travers toute nouvelle relation, nous cherchons en fait à nous rencontrer (à nous comprendre ?) nous-mêmes ?

Chercher quelqu’un qui nous ressemble nous permet de réduire la peur de l’inconnu, cela nous rassure.

Faire preuve d’intelligence serait peut-être de ne plus chercher les points communs mais admettre (voire rechercher) les divergences. Car c’est de l’inconnu, de la découverte d’autres manières de faire, d’autres manières de vivre, de penser que peut se développer notre propre intelligence. Notre compassion aussi.

  1. juillet – nos cousins les animaux

D’après Darwin et sa théorie fondatrice de l’évolution des espèces, nous descendons tous d’un ancêtre unique (et en cela, la Bible ne ment pas – simplement le premier Adam n’était pas humain). On ne reviendra pas là-dessus. 150 ans de découvertes en paléontologie, en recoupements moléculaires jusqu’à cette arme dissuasive qu’est la génétique ont prouvé l’exactitude de ce qui, en son temps et bien des années après (aujourd’hui encore pour certains illuminés), se révèle  être Notre Histoire. A tous. Pas simplement aux humains.

Oui, cette bactérie qui remuait sauvagement il y a… ben, on ne sait pas trop finalement. Moins de 4,5 milliards d’années, c’est certain, date à laquelle s’est formé le système solaire, plus de 550 millions, où débute le Cambrien par la première grande extinction de masse et probablement quelque part dans le Paléoprotérozoïque (reprenez votre souffle), une période qui s’étend sur un bon milliard d’années. Cette bactérie est le point de départ de cette Histoire insensée qui aboutit à notre vingt et unième siècle et qui a de beaux jours devant elle. Avec ou sans nous. Statistiquement sans,  mais ce n’est pas une raison pour tout saccager.

Certes, mais une question me vient à l’esprit : quand est-ce qu’une nouvelle espèce apparaît ?

Il n’y a aucune raison pour laquelle mes enfants soient tellement différents de moi pour qu’ils forment une nouvelle espèce,  n’est-ce pas ? Pourtant, force est de reconnaître que, génération après génération, il se passe quelque chose dans cette modification qui permet de s’adapter à l’environnement. Mais comment repérer cet infime changement à chaque génération ? Lorsque vous faites chauffer une casserole d’eau, à quel moment pouvez-vous dire qu’elle est chaude ? 30 degrés ? 40 degrés ? 50, 60, lorsqu’elle bout ? De la même façon, dans les couleurs de l’arc-en-ciel, il est facile de comparer le rouge du jaune et le vert du bleu, mais regardez attentivement et en détail cette suite chromatique : le changement est imperceptible entre chaque nuance. On retrouve ce paradoxe dans la marche du temps. Les saisons. Tout le monde sera d’accord pour dire que Janvier est en hiver, Juillet en été, Octobre en automne et Avril au printemps. Mais, au-delà de la date inscrite sur le calendrier et qui n’a qu’une valeur subjective, comment savoir si, un jour au hasard de Mars se situe encore en hiver ou déjà au printemps ? Un dix mars ensoleillé aux fleurs épanouies évoquera davantage le printemps qu’un deux Avril froid et brumeux.

Laissez-moi maintenant vous présenter deux oiseaux du grand nord : le goéland argenté et le goéland brun. Les deux espèces vivent au large de l’Ecosse et, plus généralement, dans toute l’Europe du nord, des iles britanniques à la Scandinavie en passant par l’Islande. Pourtant, on retrouve l’une des espèces, mettons l’argenté, avec quelques différences morphologiques. Plus on va vers l’ouest, Groenland, nord du Canada (goéland hudsonien) puis la vaste Sibérie (goéland de la Vega), le goéland argenté l’est un peu moins, argenté, pour finir, en Scandinavie, par ressembler au goéland brun.  Il va sans dire que les deux espèces, puisque différentes, ne peuvent pas se reproduire.

En fait, la discontinuité n’existe pas. Le cas du goéland est exemplaire car son évolution est visible, non pas dans le temps, mais dans l’espace. Chaque millier de kilomètres correspond à une tranche de cent mille ans dans l’évolution générale. Il se trouve par un hasard miraculeux que toutes les petites différences qui ont mené d’une espèce à l’autre sont visibles à un instant t.

Maintenant, imaginez que les primates que nous sommes aient évolués dans l’espace et pas dans le temps (enfin, dans les deux en vérité). Nous aurions toutes les déclinaisons qui ont mené notre ancêtre commun à tous les grands singes (chimpanzés, gorilles, orang-outang) disponibles au même moment. A chaque région traversée, une version légèrement différente de la précédente, pour aboutir à deux espèces franchement distinctes… mais apparentés !

Imaginez ce que cela aurait comme conséquence sur notre rapport aux autres espèces. Pouvant faire le lien direct qui nous unit aux autres espèces, peut-être ne nous érigerions pas en maitres de la nature ? Peut-être leur accorderions-nous des droits, les mêmes que ceux partagés par tous les ressortissants de notre espèce ? Depuis quelques années, la Nouvelle Zélande accorde un statut juridique aux rivières par exemple.

Il suffirait d’un rien pour que tout soit si différent. Si le Christ avait été une femme, s’il avait eu des descendants.

26  Juin – de la langue de bois

L’art de vouloir dire quelque chose sans rien dire. Parler pour s’écouter parler. Parler pour ne rien dire. Artifice suprême de la pensée vide. La langue de bois. Très prisée des politiques mais aussi dans ces nombreux discours d’annonce à tous les niveaux de notre société dite moderne.

Or, cette langue de bois n’est ni sans cause ni sans conséquences. On ne la pratique pas impunément. Tel un prospectus publicitaire, elle permet d’enrober le vide d’une pensée et faire oublier son inconsistance. Elle permet de parader, de noyer le poisson, d’emberlificoter l’esprit de tous ceux et toutes celles qui n’ont pas les bons codes pour décrypter ce langage vide de sens.

Ses conséquences sont multiples et profondes.

Les mots ont un pouvoir sur la pensée. Puisque   nous sommes des animaux sociaux, toute pensée doit être structurée par le langage, la parole. En retour, ce que l’on entend nous influence.

N’avez-vous jamais remarqué la différence de vocabulaire entre la droite et la gauche ? On dit de quelqu’un d’habile qu’il est adroit, que lorsque vous êtes dans votre bon droit vous avez raison, d’un caractère droit qu’il est sans tâche… A l’inverse, un geste gauche risque de vous coûter cher.

On retrouve cette dichotomie dans les rapports hommes/femmes. Un homme public est bien souvent un politicien, quelqu’un en vue, respectable. Une femme publique… Jean Louis Fournier résume bien le propos dans son livre « les mots des riches les mots des pauvres ».

Ce vocabulaire n’est pas employé par hasard. Il permet de formater  des cerveaux moins aguerris. Ainsi s’ajoute à une domination de classe celle de la parole du pouvoir politique et économique.

Franck Lepage décrypte ces excès dans des ateliers de désintoxication  à la langue de bois. Savoir la reconnaitre pour ne plus être dupe. Il s’attaque au politiquement correct qui régit le monde moderne depuis cinquante ans et nous transforme en de gentils moutons bien dociles.

Pour bien montrer la vacuité du discours ambiant, Lepage propose un sketch désopilant que vous pouvez reproduire chez vous entre amis pour passer une bonne soirée. Cela vaut le meilleur des jeux de société.

Prenez quinze ou vingt mots dans l’air du temps. Pour les reconnaitre, il suffit de dénombrer ceux qui reviennent le plus souvent dans ces fameux discours formatés. Ca marche en politique lors de discours de campagne ou d’annonces ministérielles. Ca fonctionne même à tous les niveaux, dès que l’on vous bombarde d’un joli discours qui sonne si bien qu’il ne veut rien dire.

Mélangez bien les mots sous la forme d’un jeu de cartes… et lancez-vous ! A chaque nouveau mot, vous pouvez improviser un discours comme les pros.

Au-delà du côté humoristique de l’affaire qui pourrait faire rire s’il n’était question de nos vies en somme, on prend conscience que nous sommes tous, à un degré plus ou moins sérieux, victimes de notre environnement langagier.

Etre un balayeur ou un technicien de surface change le métier que vous faites, du moins son appréciation. Chômeur n’a pas la même portée que demandeur d’emploi ou, mieux, personne en disponibilité.

Cet excès de langage peut faire mal lorsqu’on enrobe les mots bien sales en de plus jolis termes. Bombardement devient frappe chirurgicale - partant du principe que toute chirurgie tend à soigner, on comprend mieux ce que l’on veut vous dire. Que penser des minorités visibles, de tous ces termes qui tendent à adoucir le moral mais qui peuvent également amollir toute revendication. Lepage n’a certes pas oublié son Mai 68 : en nous caressant dans le sens du poil, on nous domestique, on nous assagit, on nous berne.

La prochaine Révolution n’aura pas lieu.

19 juin – l’art de séduire les filles

Il n’y a pas si longtemps, j’évoquais les proportions de notre cerveau et cette légende (ou rumeur) selon laquelle nous n’en utilisions que dix pour cent. Compte tenu de toutes prouesses possibles chez certains, liées au calcul ou à la mémoire, on serait tenté de croire que nous possédons un moteur de Ferrari pour n’avancer  qu’au ralenti. 

D’un autre côté, à quoi sert d’avoir un si gros cerveau, si gourmand en énergie,  pour ne pas s’en servir ?  Les lois de l’évolution montrent bien que tout ce qui ne sert pas disparait un jour ou l’autre.

J’ai peut-être trouvé la réponse.

C’est le paon qui m’a mis sur la voie.

Tout le monde connait cet oiseau à l’habit franchement éclatant et disproportionné. Se balader avec une telle garde robe en permanence ne doit pas avoir que des avantages. Imaginez-vous affublé d’une telle enseigne publicitaire pour votre propre personne. Les marquises et duchesses de l’ancien régime devaient comprendre,  pourtant dans une moindre mesure,   ce que peut endurer le bel oiseau au quotidien : un corset qui comprimait la poitrine au risque de subir un évanouissement à la moindre émotion ou contrariété et ces robes qui demandaient, trois siècles avant les normes d’ouvertures dans les hôpitaux, des portes aussi larges que des écluses. Je ne parle pas des coiffures alambiquées, pesant parfois plusieurs kilos lorsqu’il s’agissait d’y rajouter une couronne. On ne plaindra jamais assez ces hautes dames de la monarchie. 1789 a fait beaucoup pour la condition de la femme.

Pourtant, c’est du côté du mâle qu’il faut chercher. Depuis que le monde est monde, plus précisément depuis que les êtres vivants ont compris qu’il était plus avantageux et performant de se reproduire sexuellement plutôt qu’en divisant simplement ses propres cellules, on n’a cessé d’imaginer des stratagèmes pour conquérir sa belle… ou attirer son beau.

Partout dans la nature, on assiste à des exhibitions parfaitement extraordinaires, mettant parfois en jeu la sécurité des protagonistes.  Les combats de mâles dominants ne sont pas sans danger. Ces séances séductrices relâchent la vigilance dont doivent faire preuve quantité de proies. Enfin, ce jeu de la séduction est parfois en porte à faux avec son propre bien être. On sait que l’on est amoureux dès que l’on commence à agir contre son propre intérêt.

Mais c’est plus fort que nous. Dès que l’on aperçoit une belle paire de fesses, un joli cul pour parler crûment,  on ne peut s’empêcher de faire le zouave.

Et toutes ces prouesses, parfois bien crétines il faut l’avouer, demandent de l’énergie et un brin d’esprit.

Faire preuve d’humour, exécuter de magnifiques pas de danse, se confronter avec ces compagnons devenus adversaires pour l’occasion,  montrer sa force, son agilité, enfin savoir tourner de belles phrases en vers, peindre ou sculpter le monde pour épater sa belle demande un tant soit peu d’intelligence. 

Séduire nécessite de nombreuses aptitudes intellectuelles. Ainsi l’homme, porté par cette envie de plaire à une potentielle conquête, a délibérément augmenté le volume de sa boite crânienne. Du moins c’est une théorie possible, portée par de respectables archéologues et spécialistes de l’évolution. Cette idée me plait assez. Que notre queue nous ait poussés à nous dépasser pour assouvir ses pulsions reproductrices en augmentant notre cerveau.

Cela expliquerait que nous soyons affublés d’un trop gros cerveau pour ce que nous en faisons.

Cette théorie, bien entendu, ne vaut plus rien dès qu’on s’aperçoit de la bêtise dans laquelle nous plonge parfois l’état amoureux. Comme si le même levier était capable de tout et son contraire.

Il reste encore une question à résoudre, un problème à étudier.

 

12 juin – harmonie du paysage

Il n’existe pas un mètre carré sur le territoire français qui n’ait été découvert, parcouru et finalement modifié par l’homme. Il n’existe plus de forêts primaires en Europe, mis à part celle de Pologne. Même les rochers des pics montagneux ont été équipés pour faciliter leur ascension, même si, depuis quelques années, la tendance est à l’épuration.

Les glaciers eux-mêmes charrient les carcasses des avions échoués ou un matériel oublié ou délibérément laissé sur place.

L’homme s’est approprié son environnement jusqu’à le transformer en profondeur quand ce n’est pas pour le spolier ou le polluer durablement. Tous ces paysages  campagnards d’apparence si naturels ont été, à un moment ou à un autre, façonné par la main de l’homme.

Pourtant, l’influence de notre environnement sur notre bien être (ou mal être, dans certains cas) est établi depuis longtemps.

Un bébé considère le monde comme le simple prolongement de ses membres. Cette sensation demeure tout au long de la vie. Nous sommes en interaction constante avec le milieu dans lequel nous vivons. Nous l’avons intensément bouleversé, métamorphosé en profondeur mais c’est lui,  avant tout, qui agit sur notre psychisme. 

Nait alors le concept de paysage. Nous y sommes tous sensibles à un degré plus ou moins fort. Certains ressentiront davantage ce qu’ils auront devant les yeux. Consciemment ou pas, ce que nous voyons agit sur notre psychisme durablement. 

Un flamboyant coucher de soleil rendra l’instant plus romantique pour peu que l’on soit en charmante compagnie.

Des champs à perte de vue, blés ondulants sous la brise estivale jusqu’à horizon, prés infinis ne provoqueront pas le même sentiment que ces bocages aux haies hésitantes, où la ligne droite n’existe pas.

Le paysage urbain n’échappe pas à cette influence. On n’est manifestement pas tout à fait  la même personne en plein New York que dans le bourg médiéval d’une petite commune d’Occitanie ; on ne ressent pas les mêmes choses en longeant des rues désertes ornées de maisons aux volets clos que dans une artère vivante et bruyante.

La position que l’on occupe dans ce paysage joue énormément.  Vivre dans un appartement situé au vingtième étage d’une tour ne donne pas les mêmes sensations qu’au rez-de-chaussée d’un petit pavillon de banlieue ou entre les murs centenaires d’une vieille maison de campagne.

Une yourte, une cabane, un chalet, une tente ou ces cubes préfabriqués ne nous renvoient pas la même image de nous-mêmes.

Il existe une âme des lieux, héritée de présence humaine depuis des dizaines de siècles. On ne peut faire abstraction du passé, comme si des atomes avaient laissé une empreinte de leur action à un endroit précis. Sans même le savoir, on ressentira les endroits maléfiques ou apaisants grâce à une nuée d’indices plus ou moins révélés.

Marcher sur les rives d’un cours d’eau paisible où une rangée de peupliers offrant une ombre sédative peut faire baisser votre tension tandis que suivre le cours d’un impétueux torrent de montagne, charriant de gros blocs de pierre, hurlant sa force dans des échos formidables tend à vous dynamiser l’âme.

Le paysage qui nous entoure, et que l’on s’approprie d’une certaine façon, est essentiel à notre équilibre mental et physique. Nos capteurs sont en alerte à chaque instant. Si la vue reste primordiale, il ne faut pas négliger les autres sens.

Ainsi l’ouïe. Essentielle comme l’a prouvé le compositeur R. Murray Schafer en inventant le concept de paysage sonore, d’écologie sonore.

Faites ce simple test : essayez de déterminer chacun des bruits (ou des sons) que vous percevez à un instant précis.  Vous serez surpris de n’entendre la plupart du temps que des sonorités de moteurs, y compris à la campagne.

Les moteurs ont envahi notre paysage sonore et malmenés nos oreilles qui ne parviennent même plus à distinguer les sons naturels. La musique que l’on écoute sur nos appareils modernes est encodée et compressée en format mp3 qui permet de réduire la taille du fichier mais aussi de compresser l’étendue du spectre sonore. Si vous lisez un morceau en utilisant un vumètre, vous constaterez que l’aiguille ne bouge quasiment pas : le volume reste toujours au même niveau. Il n’y a plus de respiration musicale. Plusieurs études ont démontré que cela était néfaste pour nos oreilles.

Ce paysage sonore ajoute à notre équilibre psychique, se mêlant au visible. Peuvent également s’y ajouter les odeurs. Nous ne sommes que le résultat de nos capteurs sensoriels.

Non seulement le paysage en lui-même est primordial à notre équilibre mais sa nature même est essentielle. De quoi est fait ce paysage ? Ainsi les lignes droites des grands ensembles jusqu’aux champs tirés au cordeau n’auront pas la même portée sur notre mental que des courbes naturelles, une dissymétrie spontanée.  Les matériaux ont également leur importance. On ne sera pas tout à fait dans les mêmes dispositions face à de la pierre et du bois, substances naturelles que notre espèce côtoie depuis ses origines, que face au béton, verre, plastique, matières travaillées, issues de cette volonté typiquement humaine de vouloir tout transformer. Voilà pourquoi il est bon et salutaire d’étreindre les arbres, de marcher pieds nus, de caresser l’herbe ou de s’ébrouer dans l’eau.

L’homme est un animal social. Il ne pourrait pas vivre sans ses congénères même si parfois ils l’agacent fortement. Mais l’homme est avant tout un animal : il a besoin de la présence d’autres animaux. Les animaux domestiques peuvent  palier à ce manque de contact, mais il est encore plus indispensable de pouvoir côtoyer des animaux sauvages, du moins bénéficiant d’une certaine liberté – par définition, un animal ne peut rester réellement sauvage que dans un environnement sauvage, chose désormais impossible en Europe.

Cette proximité renvoie à l’homme sa condition d’espèce vivante s’insérant dans un environnement naturel. Depuis que nous avons développé notre cerveau au-delà de toute limite raisonnable, nous n’avons cessé de nous élever au-dessus de notre condition, jusqu’à vouloir dominer la nature en l’asservissant à nos volontés de progrès. Ce que nous appelons le progrès.

Mais, d’un point de vue biologique, nous ne sommes guère différents de nos ancêtres vivants il y a cent mille ans. Nous avons besoin de points de repère.

Cette immersion dans le paysage tend à rechercher l’harmonie. Tout ce qui nous entoure est en quelque sorte notre maison. Une étude a démontré que 99% des gens n’arrivent pas à bien dormir lorsqu’ils arrivent dans un endroit nouveau. D’archaïques mécanismes se mettent en route pour assurer notre sécurité. Nous ne pouvons atteindre  cette plénitude qu’en nous sentant en sécurité dans notre environnement. Une sécurité de conservation (ne pas craindre pour sa vie) mais aussi une sécurité pour notre santé physique et mentale. Se sentir bien, rassuré, en harmonie. L’air que nous respirons, la nourriture que nous ingurgitons jusqu’au paysage que nous avons en permanence sous nos yeux.

Notre environnement est une grande œuvre d’art, nous permettant de nous sentir en sécurité, flattant notre besoin viscéral de beauté et d’harmonie.

La protéger, c’est nous protéger.

 

5 juin - Du bon usage de la mémoire

Vous rappelez-vous ce que vous avez fait il y a un mois, jour pour jour ?  Probablement pas. A moins qu’un événement marquant ne surgisse, toutes vos journées se ressemblent tant, même si vous avez la chance de faire un métier passionnant qui ne se répète pas. Si vous sauvez des gens (pompier, médecin, assistant social) si vos journées sont différentes en apparence, il arrive un moment où même cette diversité devient une routine.

Maintenant, dites-moi ce que vous faisiez le 11 septembre 2001. Il y a fort à parier que chaque détail de cette funeste journée vous revienne en mémoire comme un déclic. Vous serez capable de me dire dans quelles circonstances vous avez appris la nouvelle : en écoutant la radio ou en regardant un des flashs spéciaux télévisés. Peut-être votre compagnon ou votre compagne vous a téléphoné  (en 2001, l’usage des téléphones mobiles était déjà bien ancré). Plus surement, c’est un de vos collègues qui vous a annoncé l’impensable si bien que vous vous êtes demandé s’il ne vous faisait pas marcher, les tours jumelles ayant été percutées en plein après midi, heure française.

Par ricochet, votre cerveau a gardé en mémoire quelques détails insignifiants liés à cette nouvelle hors du commun, détails qui auraient disparu depuis longtemps si rien de tout ça n’était arrivé.

Tout le monde se souvient de cette petite dizaine de journées qui marquent une vie : la rencontre avec l’être aimé, un mariage, un enterrement, une naissance, une promotion inespérée, un examen difficile réussi, un exploit humain ou sportif accompli.

Même si on ne connait pas exactement les limites de notre mémoire (certains sont capables de se souvenir du texte d’un livre en entier, les comédiens connaissent par cœur plusieurs pièces, sans parler de toutes ces connaissances utiles à la vie quotidienne : comment cuisiner, conduire une voiture, remplir des paperasses), un système évite de l’encombrer de détails insignifiants pour la bonne marche de l’ensemble.

Une passion assouvie peut déployer des quantités d’information que la mémoire garde bien au chaud. Je reste interloqué par ces spécialistes sportifs capables de régurgiter n’importe quel exploit et les conditions qui ont permis cette réalisation. Ces champions de Scrabble qui connaissent chacun des 80 000 mots du Robert. Ces férus d’Histoire qui ne s’emmêlent jamais les neurones dans les dates des grandes batailles,  connaissant le nom des généraux, les lieux des conflits, les causes et les conséquences des guerres qui ont émaillé la vie des humains. Ces entomologistes sachant sur le bout des doigts la vie de la moindre bestiole et ses particularités physiques. Sans évoquer cette première année de médecine où l’on doit apprendre par cœur des livres entiers. Tout le jargon lié à n’importe quelle activité, n’importe quel métier.

La meilleure arme pour imprimer notre mémoire est l’émotion. Plus efficace que la répétition dont des générations de maitres d’école ont pourtant établi leur base pédagogique.  Utiliser l’émotion pour mieux apprendre mais aussi et surtout pour remplir ses journées.

Nous vivons 80 à 100 ans pour les plus valeureux d’entre nous. Mais combien de journées sont vécues de la même manière ? A l’automne de votre vie, de combien de journées vous souvenez-vous réellement, avec précision ? Avez-vous bien rempli votre existence ?

Je ne parle pas d’avoir fait de grandes choses ni même beaucoup de choses. Mais celles qui comptent, à commencer par vous réaliser vous-même et répandre le meilleur de vous  mêmes tout autour.

Vivre chaque journée en se levant comme si c’était la première et en profiter comme si c’était la dernière.

Pourquoi on se rappelle longtemps après nos souvenirs d’enfance ? Parce que c’étaient des premières fois. Un peu comme si vous écriviez à la craie sur un tableau parfaitement noir ou, mieux, sur du sable. Au fur et à mesure que vous l’utilisez, les écrits sont moins visibles, ils impriment moins bien, ils se mêlent les uns aux autres, se confondent.

Pour éviter cette routine du quotidien qui détruit à la fois notre mémoire, du moins la noie, gomme nos sensations jusqu’à mettre en danger notre couple, il faut essayer de recréer ces premières fois. En regardant le monde sous un autre angle, par exemple. Diversifier au maximum les activités, y ajouter de l’émotion afin de vivre plus intensément, à la fois pour vous et aussi pour les autres.  Il n’est pas besoin de partir tous les quatre matins au bout du monde, mais parvenir à regarder autour de soi avec cette curiosité de celui qui voit pour la première fois. Pas utile non plus de découvrir quelque chose qui va révolutionner le monde ou inscrire son nom au panthéon des gloires réservées à une poignée d’élus. Juste, au quotidien, faire de chaque jour un jour unique.

Contingence

L’homme,  j’entends l’humain au sens de son espèce - n’y allez pas voir un machisme déguisé ou un féminisme revendicateur qui n’ont pas leur place ici - l’homme possède donc cet immense défaut de se croire le centre du monde. Littéralement.

On a d’abord cru que tout tournait autour de la Terre, du moins que notre planète était le centre de tout (pour les rotations, il a fallut attendre quelques siècles et de bonnes observations pourtant toutes simples et à la portée de chacun).

Sur cette planète même, l’homme occidental doué d’une ambition hors normes, a représenté « son » monde comme ça l’arrangeait bien. Le nord est en haut, le sud en bas.

L’homme se pense le centre de l’univers tout autant qu’il se croyait de toute éternité. Longtemps il était admis que l’âge de la Terre coïncidait avec notre existence, 8000 ans tout au plus.

Premier coup porté à cette douce et réconfortante conviction : la découverte de l’âge réel   de l’univers. Les conceptions créationnistes chancelèrent  devant ces millions puis ces milliards d’années d’existence.

Second coup, tout aussi fatal : la confirmation que notre système solaire n’est pas au centre de la galaxie, mais situé dans une lointaine banlieue et que notre Voie Lactée ne se distingue pas par une position privilégiée dans le grand tout qu’est l’univers.

Raconter l’Histoire de la Vie en commençant par ses débuts jusqu’à notre très cher vingt et unième siècle rend à l’Humain ses lettres de noblesse. Instinctivement, on pense que TOUT ce qui est arrivé l’a été pour que l’Homme apparaisse, qu’il y avait,  dès le départ, un objectif, un but, une conclusion. La conscience devait forcément émerger de la vie, elle-même le résultat de conditions favorables (planète tempérée, présence de l’eau, de quantités de minéraux).

Dans cette façon de voir les choses et de raconter l’Histoire, la complexité du vivant aboutit forcément  à l’Homme puisque c’est notre point de référence ultime, une ligne d’arrivée.

On pourrait prendre en exemple la vie extraordinaire d’un homme qui échappe à une épidémie, puis traverse une guerre terrible, sort indemne d’un accident de voiture puis d’un crash d’avion et d’un déraillement ferroviaire. Vu de sa vieillesse, il serait tenté de croire que quelque chose ou quelqu’un veille sur lui, que tout cela a forcément un but, sinon à quoi bon ? Pourtant ce n’est qu’une suite de hasards et de coïncidences. On appelle ça la contingence. Et, malgré tout, tout cela n’est en rien si extraordinaire. La loi des grands nombres. Comme gagner au Loto. Personnellement, vous avez peu de chance de décrocher la timbale. Mais multipliez par un million, par un milliard le nombre d’essais : vous trouverez au moins un gagnant à chaque tirage. L’histoire de notre homme tellement chanceux est quasiment improbable d’un point de vue mathématique des probabilités, mais en multipliant cette singularité par  des milliards d’existences, cela peut, cela doit arriver.

En conservant ce principe d’un dessein de mère Nature (ou d’un Dieu quelconque), on pourrait tout aussi bien asséner que le but ultime était ces gros lézards si l’on se place à un point situé il y a 65 millions d’années. Et pourtant, une simple météorite a réduit à néant ce bel objectif. Croire que l’Humain est LE stade ultime de la création, c’est tout à fait la même chose. Nous ne sommes qu’une minuscule brindille accrochée à une petite branche, elle-même issue d’une branche plus grosse rattachée à un tronc qui forme l’arbre de l’évolution.

En lisant Richard Dawkins, qui raconte notre Histoire en partant d’aujourd’hui et en remontant le temps, on s’aperçoit de la futilité de nos prétentions. On constate toutes ces tentatives vouées à l’échec, ces millions d’espèces disparues avec ou sans grande extinction. Une espèce est mal adaptée ? Elle disparait. L’intelligence n’a rien à voir là dedans. Elle n’est ni plus ni moins influente que la force musculaire ou la capacité immunitaire à faire face à son environnement.

Cet arbre de la Vie foisonne de partout. Comme si la Nature  aimait à ce point jouer au grand jeu de la Vie. Elle tente sa chance à chaque instant.

La contingence.

A ne pas confondre avec le hasard.

Dans le déroulement de toute histoire, des faits minuscules peuvent faire prendre une tout autre direction à l’intrigue. Un film illustre parfaitement  le propos : Retour vers le futur. Spécialement le deuxième épisode où l’histoire a été modifiée à cause d’un changement dans le passé. On assiste ainsi à deux mondes parallèles, tout aussi plausible l’un que l’autre. Ces circonstances, ces choix vont déterminer un avenir un poil différent et pouvant aboutir à un futur complètement différent.

C’est la théorie évoquée par le géologue Stephen Jay Gould dans son livre « la Vie est belle » (en référence à un autre film culte, réalisé par Frank Capra à la veille de la seconde guerre mondiale). Selon ce spécialiste, et en se basant sur la découverte d’une multitude de fossiles (le schiste de Burgess) prouvant que l’arbre évolutif n’est pas un cône qui s’épanouit en de plus en plus de diversité et, où l’homme apparait tout en haut de la meilleure branche, trônant sur le monde ; selon lui donc si l’on déroulait à nouveau le film de l’Histoire de la vie sur Terre, il n’y aurait que peu de chances que l’intelligence, la conscience apparaisse.

Pourquoi pas ?

Faites un petit test. Prenez votre propre vie. Un sujet que, normalement, vous connaissez parfaitement. Imaginez un détail qui n’aurait pas été le même dans votre passé. Qu’on vous ait échangé par erreur à la maternité avec un autre bébé, comme le relate Patrick Dewaere dans le film Coup de tête : une bataille de bébés en nurserie qui auraient arrachés tous leurs bracelets. Ou bien un choix différent dans vos études, sur le choix de votre partenaire, votre boulot. Est-ce que votre vie aurait vraiment été différente dans d’autres circonstances ? Ou, en revanche, est-ce que les circonstances extérieures (le lieu où vous vivez, la personne dont vous partagez l’existence) ne changent globalement pas grand-chose à ce que vous êtes devenus. 

Y  a-t-il réellement un but à toute cette évolution ? Au cœur des étoiles, la réaction chimique crée de nouveaux éléments, plus lourds, plus complexes. La vie sur Terre va dans le même sens de toujours plus de complexité. Nous sommes passés de la bactérie à des organismes plus complexes.  Mais rien n’indique que la conscience soit une avancée majeure dans cette complexité. Dans un million d’années, la Terre risque d’être le royaume des mousses, lichens et d’une armée d’insectes.  Toujours plus complexes, mais où l’intelligence telle que nous la définissons serait absente. Les insectes. Dans le cas d’une probable prochaine extinction massive, ils sont mieux armés car leur cycle de vie étant plus court, ils sont capables de s’adapter plus rapidement à des conditions qui changeront trop vite pour que les grands animaux,  mammifères en tête, puissent évoluer de concert.

J’avancerais même une autre idée. Celle d’aller vers toujours plus de choix possibles,  peut-être  la marque du temps, j’oserais dire du progrès. Se diversifier au maximum.  Essayer quantités de possibilités – ce qui s’est passé après chaque extinction massive : une explosion de formes de vie comme un feu d’artifice suivie d’une décimation : les moins adaptés disparaissent.

Stephen Gould avance cette idée qu’une forme de vie qui a réussi n’est pas forcément la plus intelligente, les grands prédateurs, les opportunistes de tout poil mais là où l’on rencontre le plus d’espèces différentes, à l’image d’un magasin réputé qui offre le meilleur choix possible. A ce jeu-là, l’espèce humaine végète dans le peloton de queue puisqu’après la disparition de Néandertal, nous sommes bien seuls dans notre niche (on a recensé une bonne douzaine d’espèces humaines différentes par le passé).

 Le progrès ne serait donc pas l’unification mais  la diversification extrême. La complexité et l’unicité ne sont pas antinomiques : elles vont même de paire. Même si on a besoin d’une unicité de cellules pour former un corps et un cerveau complexe.

 

Qu’apprend-on à l’école ?

Satish Kumar, écologiste, pacifiste et pédagogue, prône cette maxime : éduquer l’esprit, mais aussi les mains et le cœur.

Nos sociétés, devenues si technologiques, se focalisent essentiellement  sur l’esprit. L’instruction a prit une place considérable dans nos vies. Celle-ci dispense le savoir théorique,   venant  de l’extérieur tandis que l’éducation qui permet de vivre ensemble et, avant tout, avec soi-même, ne fait  (ne devrait) que révéler ce que l’on possède en nous.

Reste à déterminer dans quel but sont distillés toutes ces informations, ces conseils, ces règles. On peut former des personnes pour un projet de société, où chacun doit avoir sa place et œuvrer pour le bien de la communauté, ou bien s’évertuer à développer le potentiel de chacun, en respectant son identité, ses goûts, ses envies.

L’esprit.

Chacun connait l’aphorisme « mieux vaut une tête bien faite que bien pleine »   et ce mot de Pascal qu’il est préférable de savoir un peu de chaque chose que tout d’une seule. Mieux que d’apprendre le monde par cœur, il est plus judicieux de faire fonctionner son cerveau en mettant en pratique logique et déduction.

Ce fameux socle de connaissances indispensables à la vie en communauté doit rester une base et non un objectif. Savoir exprimer sa pensée (encore faut-il être capable d’une pensée) le plus précisément possible en maitrisant un vocabulaire aussi étendu que possible, tout en restant concis. L’orthographe ne doit pas devenir un intégrisme de la langue, mais permettre d’utiliser les mots et la syntaxe de manière optimale afin de comprendre et d’être compris.

Le calcul ne doit pas se résumer à ces  radotages  de tables de multiplication redondantes (lorsqu’on sait la table des 2, on connait celle des 4 et des 8, même chose pour 6 et 9 alors que 5 n’est que la moitié de dix). Encore une fois, mieux vaut utiliser son cerveau que rabâcher bêtement ce que l’on ne parvient même pas à comprendre.

Savoir où l’on se trouve et d’où l’on vient. Une Géographie centrée sur la personne (apprend-on à l’école comment s’orienter, par exemple ?) et une Histoire directement connectée à la vie quotidienne : quels ont été les événements qui ont permis que je vive ici, dans cette ville, ce pays, parmi ces gens ?

Les mains.

Ne pas savoir quoi faire de ses dix doigts devrait être une honte maudite. Le cerveau dicte aussi bien les pensées que les gestes et il n’y rien d’avilissant à savoir jardiner, fabriquer, réparer. Cela demande une coordination, une précision,   détails tout aussi honorables que de savoir présenter une thèse ou un mémoire. Mais cette éducation manuelle ne doit pas s’arrêter aux seules mains. Le corps dans son ensemble doit être formé, d’abord dans un souci de santé à préserver, ensuite afin de pouvoir se sentir bien dans ce monde. L’agilité et la souplesse dont bénéficie le tout jeune enfant ne devraient pas pouvoir se raidir avec les années. Un nourrisson peut se mordre les doigts de pied : combien d’adultes sont capables encore de le faire ?

Il ne faut pas tarder à éduquer le corps  et l’esprit : celui de l’enfant est plus souple, plus malléable, comme une pâte à modeler. L’apprentissage d’une ou deux langues étrangères (par immersion  si possible) est plus facile dans l’enfance. Tout comme s’adonner à un instrument de musique. Toutes les sciences plus spirituelles, cognitives, ne doivent être abordées  que plus tard,  lorsque l’adolescent possède une base solide sur laquelle peuvent se greffer des choses moins pragmatiques.

Puisque le jeu est l’essence de l’enfance, pourquoi ne pas l’utiliser comme agent essentiel de l’enseignement. Tous les animaux apprennent la vie par ce biais-là. Le jeu doit être présent à la fois dans l’éducation corporelle mais aussi dans l’acquisition de savoirs plus théoriques, il doit demeurer le vecteur de toute motivation, sans laquelle aucun apprentissage n’est possible.

L’école ne doit pas être une prison mais un parc d’attraction.

Le cœur.

Peut-être la partie la plus cruciale de l’éducation. On ne devient pas un Homme sans grandir son cœur. Les grands sentiments naissent de situations uniques et fortes, mais éduquer son cœur c’est découvrir et mettre en œuvre la compassion, l’altruisme, le sens du don. Savoir comprendre l’autre, y compris les autres espèces animales. Cette grandeur d’âme dont est capable l’être humain (peut-être en est il  la seule de toutes les créatures) est le privilège de sa position élevée : s’il doit être supérieur à quelque chose, c’est bien par et dans ce sentiment de compréhension et d’empathie.

Un corps, un cœur et un esprit bien formés non pour s’insérer dans un monde inhumain, mais pour y vivre en pleine possession de ses facultés et ses capacités et, peut-être, permettre de le modifier, d’en faire un monde meilleur.

Accompagner la perspicacité et les aptitudes de l’enfant sans le freiner ni le contraindre, mais en le poussant  à perfection, l’excellence. L’élite n’est condamnable davantage  par son mépris envers les inférieurs que par son réel savoir.

Eviter toute échelle de valeurs hiérarchiques, une activité jugée moins noble, moins importante qu’une autre. Tout se vaut dans ce monde lorsqu’une même volonté de bonté et de progrès est engagée.   Il n’existe pas d’activité inférieure à une autre lorsqu’elle est vouée au bien collectif.

Enfin, ne laisser personne sur le bord du chemin. C’est à l’instructeur de s’accorder à l’élève et non l’inverse. Chaque talent doit être révélé. C’est le devoir de toute société dite humaine. En contrepartie, le devoir de l’élève sera de la servir de son mieux.

22 Mai – la société du paraitre

Je viens de relire « la Société du Spectacle » de Guy Debord. Publié un an avant les événements de Mai 68, il semble être le résumé des revendications du quartier Latin.

Bon, j’avoue que sa lecture n’est pas toujours aisée. Debord est avant tout un universitaire rompu à une glose toute intellectuelle, mais il faut lire Debord, quitte à devoir le relire… et le relire encore. Parce que son chef d’œuvre n’a jamais cessé  d’être d’actualité  et plus spécialement aujourd’hui, où les écrans se multiplient. Pas à la façon du 1984 d’Orwell et d’un Big Brother nous espionnant (ce n’est qu’une partie du problème), mais exactement dans cette déshumanisation programmée que prévoyait Debord,  il y a 55 ans. On pourrait penser que l’avenir lui ayant donné raison au-delà de toute imagination, Debord serait accablé par la réalité des choses. Il le fut, sans doute. En 1994, il a décidé qu’il avait trop vu ce monde qui marchait déjà sur la tête.

Ce qu’il faut retenir de ce « Spectacle », c’est que l’homme ne vit plus sa vie, il la joue, il la représente.

Les réseaux sociaux symbolisent parfaitement cet aspect crucial d’un monde individualisé et représenté.

Jusqu’ici, seule la télévision avait réussi à éloigner les hommes les uns des autres en dressant entre eux un écran déformant. Média totalitaire et dangereux en puissance puisqu’à sens unique : un, ou quelques uns, s’adressant à la multitude.

Debord évoque d’abord ce glissement étymologique de la domination de l’économie sur la vie sociale. De l’être, nous sommes passés à l’avoir, marchandisant les rapports humains. La différence s’est muée en inégalités dès lors que nous étions riches de posséder et non plus riches d’être. Avec les écrans et la représentation, nous sommes passés de l’avoir au paraitre. Posséder n’est rien si on ne le montre pas. Cela crée une distance sociale, renforcée par l’établissement de la division du travail : l’homme devient un produit. En répétant les mêmes gestes, il se sépare de l’objet de son travail, n’en est même plus le réel producteur. L’activité répétée devient alors un travail au sens premier du terme (instrument de torture, déformant à la fois le physique – combien de maladies professionnelles, sans compter les 2 millions de morts annuels selon une étude de l’Oms – et le mental) et non plus un labeur,  un métier qui épanouit, dont on peut être fier. L’homme devient une machine, impersonnelle, quand il n’est pas tout simplement remplacé par elle : il n’a plus qu’un choix, celui de n’être qu’un consommateur (con, sot  et mateur).

La société moderne et ses deux piliers que sont la télévision et la voiture isolent davantage l’homme    au cœur même des mégapoles (foules solitaires). La publicité érige le consommateur en être unique, le persuadant qu’il est un surhomme, mais cela l’isole encore plus sans pour autant le rendre maitre de la politique de la cité.

Le spectateur se sent chez lui nulle part puisque le spectacle est partout. Il est dépossédé de son univers, de son environnement. Le suffrage universel est un leurre : les vraies décisions lui échappent totalement, il ne maitrise même plus sa vie tant on le déresponsabilise en lui vendant quantité d’assurances censées le protéger mais qui, au final, l’emprisonnent. Sa liberté est ainsi grignoté sans qu’il ne s’en aperçoive.

Tout est pensé en vue de cette dépersonnalisation. Les héros modernes (du sport, du cinéma, de la chanson) et ses représentations dans la publicité ne sont que des modèles non atteignables. De la même façon, les modes imposées par ces mêmes idoles : mêmes codes vestimentaires, mêmes habitudes, mêmes prénoms.

Debord ne peut s’empêcher d’inclure une lutte des classes dans son pamphlet. Toute nouvelle révolution prolétaire est vouée à l’échec : la seule réellement réussie, celle de 1789, est la révolution bourgeoise.  Si elle a perduré en imposant le capitalisme puis le libéralisme, c’est parce que la classe bourgeoise détenait déjà le pouvoir économique dès la fin du moyen-âge. Il ne lui manquait plus que le pouvoir politique. Mais Debord ne poursuit pas le raisonnement : actuellement, ce pouvoir économique, c’est bien le prolétariat qui le détient en étant le consommateur d’une société marchande. Il suffit simplement de s’unir. Vaste programme… Peut-être en est-il question dans la note numéro 117 où Debord évoque le pouvoir des Conseils (soviets ?) où le prolétariat est à la fois son propre produit et le producteur même. Il est à lui-même son propre but.

Flirtant avec la métaphysique, Debord évoque le temps, introduit arbitrairement lors de la révolution agraire. En se sédentarisant, l’homme non seulement invente le travail (un labeur réalisé par certains pour d’autres), mais aussi le temps en se projetant dans l’avenir (le temps de la germination puis celui de la récolte et de la conservation). C’est la fin de la liberté, de l’ici et maintenant et la mise en place d’objectifs qui atteindra son point ultime lorsque l’argent travaillera à la place des hommes, en se multipliant par le biais des intérêts (comment créer de la monnaie par l’emprunt).

Enfin, ce qui nous touche plus précisément aujourd’hui, cette frontière entre le vrai et le faux qui semble vouloir disparaitre  après toutes ces décennies de spectacle assénées. La virtualisation du monde (que Debord n’a pas eu le temps d’approfondir) risque de détruire totalement l’être humain. Ne restera que son avatar. C’est, du reste, le projet démentiel de Marck Zuckerberg, chantre de l’économie 2.0, qui entend mettre en place le Métavers. Un univers débarrassé des contingences écologiques, un monde virtuel à la Matrix, parfaitement viable. Nous aurons alors atteint l’objectif ultime de cette fuite en avant : la dématérialisation finale des cellules au profit des bits. Orwell n’avait pas prévu ça. Debord doit s’en retourner dans sa tombe.

15 Mai : le même côté du lit (juste une question de point de vue)

Une exoplanète est une planète semblable à la Terre qui tourne autour d’une étoile plus ou moins lointaine. La recherche spatiale développe sérieusement ces domaines de recherche actuellement, dans l’espoir de découvrir, peut-être, une planète où une forme de vie s’est développé, voire une forme d’intelligence.

Pour déterminer si des planètes gravitent autour d’une étoile, il n’y a qu’un seul moyen : repérer la petite différence de luminosité de l’étoile lorsque son satellite passe devant lors de sa rotation. A ce petit jeu,  l’immense majorité des planètes que l’on découvre ont une orbite très proche de leur soleil. Comme celui-ci est moins puissant que notre astre (on appelle ces faibles étoiles des naines rouges), les conditions sur une planète évoluant à une très faible orbite sont sensiblement les mêmes que sur notre bonne vieille Terre. Mais plus proche est un satellite, plus il subit la gravitation engendré par l’étoile. Ainsi, ces planètes trop proches ne peuvent plus tourner sur elles-mêmes. Comme notre Lune, elles offrent toujours la même face à leur soleil. Il en résulte des conditions extrêmes à sa surface. Un hémisphère brûlant avec des températures de plusieurs centaines de degrés, une sécheresse totale et un autre,  constamment plongé dans l’obscurité, un univers entièrement glacé et tout aussi hostile à toute forme de vie. Et, entre les deux, une bande faisant tout le tour de la planète, présentant des conditions tempérées.

Quelle serait notre vie si d’aventure nous habitions de tels lieux ? Transposons la Terre sous ces conditions. Un hémisphère nord couvert de glaces où règne une nuit éternelle. Un hémisphère sud désertique et incandescent. Entre les deux, une ceinture, au niveau de notre Equateur, favorable à l’installation de la vie. Mais quelle vie ? La différence de température entre les deux faces provoquerait forcément des vents assez violents. Les habitués au mistral ne seraient pas dépaysés. Ensuite, si l’on suit cette fameuse ligne courant à l’équateur, on s’aperçoit qu’elle n’est pas uniforme : il y a des océans (atlantique, pacifique, indien). Il reste tout de même quelques lieux habitables : Amérique centrale, Afrique et une poignée d’iles du pacifique.  Imaginez vivre sur une planète condamnée à 80% par des conditions inhumaines. Connaissant notre envie, notre besoin de découvertes, nul doute que l’Homme se serait adapté à de telles conditions. Peut-être que nous aurions développé une technologie nous permettant de partir en vacances dans la nuit de l’hémisphère nord ou se griller doucement les doigts de pied au sud. Cependant, toute notre existence en serait profondément modifiée. Peut-être notre aspect ne serait pas tout à fait le même.

Plus proche de chez nous, il existe la tribu des Pirahas. Ils vivent en Amazonie. Apprendre à les connaitre, c’est comprendre que notre système de valeurs, nos repères ne sont aucunement universels et qu’il existe d’autres façon de vire et voir les choses.

On ne trouvera pas un champion des maths chez les Pirahas. Ils ne comptent que jusqu’à trois. Au-delà, un seul mot : plusieurs. On aura vite compris que l’accumulation qui est la base de notre civilisation depuis la révolution industrielle leur est totalement inconnue. Je doute que l’on rencontre quelque collectionneur en leur sein.

Le rythme de leurs journées n’a rien de comparable au notre. Bien entendu, les Pirahas sont un peuple de chasseurs-cueilleurs, pas d’usine ni de bureau et surement des relations personnelles totalement différentes des nôtres, chacun devant davantage compter sur lui-même. Le découpage du temps est particulier. En effet, ce millier de personnes vivant au fin fond de l’Amazonie, ne scindent pas leurs journées entre la veille et le sommeil : ils dorment entre cinq minutes et deux heures, mais jamais plus. Si d’aventure, notre Terre devait ralentir (ou, moins probable, accélérer) sa rotation, ils seraient les seuls à pouvoir s’adapter. Par là, ils ne subissent aucun effet néfaste du jet-lag : de toute façon, on n’a jamais encore vu un Piraha prendre l’avion.

L’art est très peu présent chez eux, mais c’est bien leur langue qui a fait l’objet de plusieurs études ? notamment l’anthropologue américain Daniel Leonard Everett, seul blanc à savoir parler Piraha. Parler, je devrais plutôt dire siffler. Car cette tribu module les sons, sifflant et chantant. Finalement, c’est ce nous faisons dans une moindre mesure avec nos accents chantants – ou pas. Tous les écoliers du monde seraient ravis de grandir là-bas : leur langue ne possède que sept consonnes et trois voyelles. Apprendre l’alphabet ne prend guère plus d’une journée.

Les Pirahas utilisent leur langue essentiellement pour communiquer : nul mythe fondateur, pas d’Histoire, probablement pas de trace écrite. Ils sont littéralement dans « l’ici et maintenant ». Se projettent-ils dans un improbable avenir ?

Leur identité même est parfaitement différente de la notre : ils changent constamment de noms, de peur que les esprits ne les accaparent. Peu de liens avec les choses, jusqu’à leur propre nom.

Je me rappelle un pote de classe qui n’aimait pas son prénom (ce fut mon cas pendant mes premières années du reste) et qui aurait préféré choisir lui-même. Cet arbitraire est le plus injuste qui soit, à tel point que certains chercheurs pensent que l’attribution d’un prénom particulier influe sur notre caractère. Sans aller jusque là, il serait plus judicieux de ne nommer l’enfant que lorsque celui-ci se différencie d’une autre manière que simplement physique. Les anciens et certaines professions ou villages sont de mon avis : il n’a qu’à voir tous ces surnoms que l’on donne pour mieux cerner une personne. Ces surnoms sont devenus, pour la plupart, nos noms de famille. Bon  sens et logique.

Bref, mieux connaitre les Pirahas, c’est surtout tenter de changer nos points de vue, souvent trop conventionnels.  Pourquoi manger toujours la même chose quand on peut diversifier. Même si on a nos préférences, pourquoi ne pas changer du lieu de ses vacances, sa boulangerie, un trajet quotidien ?

Je n’ai jamais compris pourquoi les couples dormaient chacun toujours du même côté de leur lit. Même chose pour les places à table. Certains permutent de temps en temps l’agencement de leur appartement : voilà un bon début. Et pourquoi ne pas remettre régulièrement ses propres idées, les soumettre à de nouvelles expériences, les confronter à celles des autres ?

8 Mai :  plus c’est petit, plus c’est joli

Dans les années 70, Joel Schumacher publiait un petit essai intitulé « small is beautiful ». L’idée générale démontrait que, globalement, tout ce qui dépasse la mesure tend à s’effondrer, comme un pont mal soutenu ou une galerie minière mal étayée.

La meilleure preuve en est l’effondrement des grands empires. L’un après l’autre, ils périclitent parce que gérer la démesure est impossible. J’avais, du reste,  lu quelque part une théorie assez troublante à ce sujet. L’auteur prétendait que la domination du monde suivait un tracé géographique. Tout commence par l’hégémonie de la Mézopotamie, le berceau des civilisations,  dès que l’homme s’est posé quelque part, à la sortie du Néolithique, environ dix mille ans avant qu’un bébé ne vagisse dans une étable de Bethléem. Ensuite ce fut le règne des pharaons d’Egypte, un peu plus à l’ouest, puis la Grèce antique domina le monde,  encore davantage à l’ouest, du moins la partie la plus civilisée. L’empire Romain, une nouvelle fois un peu plus à l’ouest, prit le relais. Les pays colonisateurs (Espagne, France, Pays Bas et Angleterre) poussèrent la domination du monde avant que celle-ci ne traverse d’un bond l’océan pour attribuer le rôle de leader mondial aux Etats-Unis. Cet empire américain, actuellement sur le point de s’écrouler, est remplacé par la puissance économique du Japon dans la seconde partie du vingtième siècle. C’est maintenant au tour de la Chine de dominer l’économie mondiale  et on annonce la probable prédominance indienne pour le reste du siècle. La boucle sera bouclée. Selon cette hypothèse, nous reviendrions à une prépondérance du moyen orient ensuite. La dictature de l’islam ?

Ce qu’il y a de rassurant, c’est que l’on constate quasiment toujours le succès du bien sur le mal.  Il n’est pas une dictature qui ne s’écroule. Les grands empires, qui ne peuvent tenir en place que par une autorité monstrueuse et une confiscation des libertés élémentaires, ne résistent pas au temps. Napoléon et ses visées Européennes ne s’est pas brisé dans les glaces de la Russie, mais bien par la démesure de son ambition. On ne peut pas imposer le même modèle à des peuples si différents. Une fédération, une mutualisation, oui. Une assimilation, non.

Le nazisme fut battu non par l’ouverture d’un front à l’Est en 1941 ni parce que les Etats Unis, jusque là assez accommodants avec cet état fort et stable (face au modèle communiste), du moins ses principales multinationales qui préféraient, de loin, un régime dictatorial qui ne remettait pas fondamentalement en cause le système capitaliste. Cet empire fut lézardé de l’intérieur, par une multitude de petites individualités. On retrouve la même logique dans le conflit Vietnamien, ce que l’état major américain a mis dix ans à comprendre.

Ceci posé, ce qui ne fonctionne pas au niveau politique ne marche pas davantage en économie. Les grands ensembles sont voués, tôt ou tard, à un effondrement.

Les mégapoles suivent le même chemin. On le constate chaque jour : l’humain est un animal grégaire : il ne peut que vivre ensemble, mais dans une certaine mesure. Dès que la concentration humaine dépasse certaines limites, cela ne tourne plus rond. Je suis convaincu qu’un homme ou une femme ne peut vivre en communauté que jusqu’à un nombre limité, que l’on peut déterminer par la possibilité à chacun de ses membres de se connaitre entre eux. Connaitre pas simplement le nom et le visage, mais un minimum de leur vie, de leurs envies, de leur activité, de leurs rêves et de leurs espoirs. Passé ce nombre, l’indifférence est obligée. Notre cerveau n’est pas capable de nouer plus de relations. Il sature, tout comme la mémoire qui efface au fur et à mesure ce qui n’a pas d’importance.  Il ne viendrait à personne l’idée de saluer chaque personne croisée en ville. On passerait toutes nos journées à ça. En revanche, lors d’une balade au milieu de nulle part, si vous rencontrer quelqu’un, non seulement vous lui souhaiterez le bonjour, mais vous entamerez sûrement un début de conversation. Mieux : si vos trajectoires ne doivent se croiser qu’au loin, instinctivement, vous vous rapprocherez l’un de l’autre. L’isolement rend la solidarité plus active.

Partant de cet axiome, il vaut mieux mille entreprises composée d’une dizaine de personnes qu’une seule multinationale de dix mille employés qui ne se connaissent pas entre eux. J’appelle ça l’éco-diversité, tout comme on parle de biodiversité : plus il y a d’espèce différentes, plus la résilience est possible. Tous les accros aux tables de casinos sauront de quoi je parle. Tout miser sur un seul numéro peut rapporter le pactole, mais surtout peut engraisser les caisses de l’établissement de jeux. La Française des Jeux l’a bien comprit, tout comme la majorité des grands trusts. Diviser pour mieux régner, soit, mais surtout accumuler pour mieux engranger.

Il est encore possible de revenir à ces petites structures, plus humaines, forcément plus proches, plus accessibles, plus souples. Et cela ne dépend que de nous tous. Pas besoin d’un appui politique (bien que fortement souhaité) ni de quelque autorisation  de ces trop grandes entreprises (bien qu’elles feront tout pour tuer dans l’œuf n’importe quelle volonté de grignoter, torpiller de l’intérieur leur sacro-saint gagne-pain).

Ce minimalisme est également souhaitable dans nos vies quotidiennes, afin de ne plus sacrifier les ressources limitées d’une Terre à bout de souffle. Moins de déplacements en avion, des voitures plus petites ou l’utilisation de transports en commun, un caddie moins mais mieux rempli, une avidité moins gourmande, un ralentissement.

Sans aller jusqu’à réduire l’espèce humaine comme l’avait si bien imaginé l’écrivain visionnaire Bernard Werber dans sa « Troisième Humanité », revenir à une certaine mesure des choses permettra à tous/tes de vivre mieux.

1er mai,  Une brève contraction du temps

Notre rapport au temps n’est ni constant ni linéaire. Une seconde n’en vaut pas une autre, certaines minutes valent des heures et d’autres journées se contractent en quelques heures.

Tout comme le ressenti de la température dépend de notre activité (on a moins froid lorsque nos muscles travaillent, apportant de la chaleur dans nos cellules) ou de notre état (une fièvre nous rend plus sensibles au froid), le temps ne semble pas s’égrener pas de la même façon selon ce que l’on fait, selon notre état, les circonstances.

Une journée d’hôpital, prisonnier d’un lit et limité dans nos actions, n’aura pas la même durée qu’un jour de vacances, occupés à des activités choisies et joyeuses.

Cependant, si l’on part deux semaines, rompant avec son quotidien et ses habitudes, la seconde semaine apparaîtra plus courte que la première.

Il devrait en être tout le contraire : l’enjouement de mener sa vie comme on l’entend devrait nous la réduire d’autant. 

Ce paradoxe s’explique par le fait que ce n’est pas la complexité et l’abondance d’activité qui raccourci notre rapport au temps, mais bien la répétition banale des mêmes faits, des mêmes gestes.

Or, quand nous partons en vacances, que se passe-t-il ? Les premiers jours, nous rompons avec notre quotidien, nous balayons nos habitudes. Mais, au bout de quelque temps, une sorte de lassitude s’empare même du plus exalté, nous reproduisons les mêmes gestes, les mêmes habitudes, même si celles-ci sont de nature différente. Chaque nouvelle journée n’est plus si foncièrement distincte de la précédente : ne possédant rien en propre, elle se fond dans toutes les autres. Cette monotonie   rend identique le lendemain de la veille et cela ne nous offre plus aucun point de repère.

Il n’est de constater que, enfant, le temps nous semble s’étirer démesurément sur des siècles tandis que les années défilent comme un Tgv passé un certain âge. La même explication convient : dans l’enfance, nous découvrons le monde à chaque instant, chaque journée est différente de la précédente en cela que nous ressentons des sentiments toujours nouveaux, nous apprenons, nous percevons des choses inédites, nous  éprouvons un nombre infini de « premières fois ». Le monde et notre vie sont constamment changeants, ils ne se répètent presque jamais. Chaque journée, bien distincte de la précédente, est unique. Le temps que l’on ressent prend toute l’ampleur que ces nouveautés demandent. Plus âgés, nous ne répétons que le même état. Ces jours semblables se confondent et le temps s’accélère inexorablement.

D’autre part, le temps ne s’écoule pas de la même manière en fonction du lieu, des habitudes et des coutumes.

Ryszard Kapuscinski, journaliste polonais, raconte ses années  d’Afrique : voulant savoir quand partirait le bus qu’il devait prendre, le chauffeur lui répond tout naturellement « quand il sera plein ». Tout le monde a déjà entendu cette maxime, issue de la bouche d’un ressortissant d’une tribu primaire : vous avez des montres, nous avons le temps.

L’homme occidental est victime  des horloges et des montres : le vrai bracelet anti liberté, nous le portons à notre poignet. Notre plus grande liberté est de s’affranchir du diktat du temps, maitriser son emploi du temps est un luxe devenu rare dans nos sociétés régies par les minutes et les secondes.

Apparemment, le temps a été inventé, plus précisément découpé, au moment où l’Homme s’est sédentarisé. Une tribu de chasseurs-cueilleurs n’a besoin de se situer dans un temps révélé : chaque journée est quasiment la même que la précédente. Dès lors que l’on met en place l’agriculture, on se projette automatiquement dans l’avenir. Entre les semis et la récolte, il s’écoule du temps. Lorsqu’on prévoit l’avenir, en faisant des réserves de nourriture par exemple ou en projetant des actions futures, le temps se met forcément en place. L’Homme occidental a la passion de prévoir, d’une certaine façon il vit dans l’avenir. L’Histoire en découle, indissociable du temps.

Temps et espace sont liés. Nous devons cette constatation au grand Albert et sa théorie de la relativité restreinte. Je ne vais pas gloser sur cette avancée majeure de la physique du XXème siècle. Pour faire court, il suffit de comprendre que plus on se déplace vite, moins on vieillit. Et cela, James Dean l’a bien compris : fendant l’air avec son bolide, il restera à jamais l’éternel adolescent de la Fureur de Vivre, ne vieillissant jamais.

Plus précisément, celui ou celle qui voyage à grande vitesse continue de vieillir de la même façon dans son élément, ses repères. En revanche, ceux qui seront restés sur le trottoir à le contempler auront pris un sacré coup de vieux.

Le temps est élastique, cela est prouvé scientifiquement. Mais l’avènement du cinéma, propulsé par l’invention de la photographie, brouille encore plus nos repères.

Regardez un album de famille. Vos grands-parents sont plus jeunes que vous sur cette photo sépia de leur mariage. Troublant, n’est-ce pas ? Marilyn et James Dean seront toujours plus jeunes que vous.

Mais revenons à ce constat du temps qui ne s’écoule pas à la même vitesse selon ce que nous faisons. Une heure dans une salle d’attente,  attendant un verdict (un résultat d’examen, par exemple) n’aura pas la même durée qu’une nuit entière d’amour…

Tout dépend de ce que nous mettons dans notre temps. Comme nous venons de le préciser, bannir les habitudes et les répétitions est le meilleur gage de ralentir le cours affolant de nos vies trépidantes. Commencer par changer régulièrement d’activité, de métier si possible. Etre curieux des choses, des gens.  Multiplier les rencontres,  venir en aide au plus grand nombre, donner de sa personne : le temps donné à autrui n’est jamais du temps perdu. Cultiver une façon originale de voir, d’appréhender la vie. Toujours se remettre en question. Enrichir sa vie non par le biais de son compte en banque mais par une richesse bien supérieure, celle qui ne s’achète pas, celle qui se mérite.

Bref, remplir sa vie en se levant chaque matin en pensant que c’est le premier jour de notre vie et  l’envisager comme si c’était le dernier.

24 avril,  compétition & coopération

La philosophie et la politiques sont indispensables. La première pour comprendre l’homme, la seconde pour lui permettre de vivre ensemble.

Si la philosophie est l’art de se poser des questions, érigeant le doute  en science, la politique est la science de fournir des réponses, donc supprimer le doute.

Philosopher, c’est expérimenter chaque sentier rencontré au détour d’un croisement, pour savoir où il mène et de quelle façon. Politiquer, c’est connaitre à l’avance le chemin à parcourir, puis le défricher et l’entretenir.

Même si la philosophie peut avoir des accointances avec le réel (c’est du reste souhaitable afin qu’elle ne reste pas cette élitiste théorie qui rebute tant), la politique est plus pragmatique. Elle doit rassurer et guider comme le ferait un Gps.

La philosophie c’est la réflexion, la politique l’action.

La philosophie permet à l’homme d’exercer sa pensée, puis de faire des choix en connaissance de cause. La politique règle la vie en société. Plus nous vivons au contact les uns des autres, imbriqués dans toutes sortes de liens (hiérarchiques, dépendance), celle-ci devient irremplaçable. Les règles appliquées doivent être universelles, concernant chacun et chacune, tout comme les questions philosophiques sont générales. Immuables telles les lois physiques ou naturelles. Elles doivent s’appliquer sans distinction, sans exception.

Les lois naturelles, à l’image des lois physiques ou mathématiques, ne sont ni bonnes ni mauvaises. La nature ne connait pas de morale. Celle-ci est spécifique à l’homme, même s’il est possible que certains animaux en soient capables.

On ne peut donc pas juger un ouragan, une tempête, une éruption. En revanche, l’action de l’homme sur son environnement et le climat en général peut être condamnée d’un point de vue moraliste.

Les courants philosophiques sont bien connus, depuis l’antiquité jusqu’ à l’époque moderne. Ils épousent les problématiques humaines contemporaines tout en restant universels et intemporels. En politique, l’évolution est plus tangible. Elle dépend des circonstances, de l’aspiration des peuples à un idéal de vie, de l’influence des religions, du  progrès de la science, de la recomposition géopolitique du monde. Ainsi est-on passé d’un système patriarcal, hérité de nos ancêtres primates, par la communauté de tribus, puis la féodalité et la royauté, l’empire et la dictature, enfin la république et sa petite sœur, la démocratie, jusqu’aux essais, pas toujours très heureux, d’un socialisme balbutiant.

En ce début de XXIème siècle, le concept de droite et gauche ne semble plus d’actualité, ne reflétant plus cette opposition entre conservateurs et progressistes. J’y vois plutôt une nouvelle bipolarité entre un libéralisme débridé se résumant à « que le meilleur gagne » et son opposition qui fluctue entre un respect des valeurs sociales (les moins favorisés ont tout de même le droit d’exister) et un repli nationaliste, voire communautariste (le « moi d’abord »).

Cela peut se résumer dans cette dichotomie basique qui régit le monde du vivant depuis que la première cellule s’est brillamment reproduite sur cette planète : la compétition ou la coopération.

Notre grand malheur, c’est que lorsque Darwin pose sa théorie de l’évolution comme moteur au vivant, il ne prend en compte que le côté compétition de l’affaire. Les plus adaptés survivent. Ceux qui se battent, qui luttent becs et ongles pour se faire une petite place au soleil. Tout notre système capitaliste et libéral repose sur, à la fois la technologie offerte par la science des XVIIIème et XIXème siècles qui permet la production à grande échelle, formant le socle des démocraties modernes afin que tous puissent jouir de biens de consommation et un confort qui s’affranchit de rugosité de la nature et cette théorie Darwinienne de la compétitivité. Depuis deux cents ans, nous avons mis la nature en cage en s’affranchissant de ses pouvoirs tout en élevant cette conviction que le meilleur gagne au rang d’axiome.

« Le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme » dit un proverbe avant d’ajouter, non sans humour, « le communisme, c’est exactement le contraire ».

Car le système soviétique, souvent annoncé comme l’alternative au libéralisme, reposait sur les mêmes postulats : saccage de la nature, glorification de la croissance à tout prix, travail abrutissant les masses populaires. Une autre forme de compétition.

En réalité, cette voie de la coopération n’a jamais été réellement testée à grande échelle sur cette planète. Il serait peut-être temps ?

17 Avril,  Se souvenir des belles choses

Connaissez-vous Rebecca Sharrock, cette américaine qui se souvient de tout ? Le moindre détail de sa vie imprimant sa mémoire irrémédiablement, chaque détail imprimé à jamais sur son disque dur interne.  Son sort est-il vraiment enviable ?

A tout prendre, est-il souhaitable de se rappeler absolument tout ou encore subir le syndrome d’Alzheimer ?

Dans le lot d’informations que notre cerveau absorbe et traite chaque jour, à chaque seconde, il y a beaucoup de déchets, redondance ou futilité et pas que des bonnes nouvelles.

Il a été prouvé que les enfants surdoués, jouissant d’une capacité de mémoire supérieure à la normale, ne sont pas les plus heureux. Plus lucides, plus ingénieux que la moyenne, ils perçoivent le monde avec des yeux d’adultes. Ce qu’ils voient ne les enchantent guère. Sans compter l’ennui qu’ils éprouvent à la manière d’une Ferrari bridée à 50 km/h sur une autoroute déserte.

En savoir le moins possible nous rend à cet état végétatif, l’une des composantes du bien être.

Bien être, pas bonheur. Le premier est un état, le second une conséquence.

L’intelligence humaine et son troublant désir d’apprendre encore et encore, ce que l’on nomme la curiosité, le rend impitoyablement malheureux.

On ne constate pas de suicide chez les animaux. Enfin, presque. On a noté d’étranges comportements chez les dauphins, s’échouant volontairement sans que l’on en comprenne la raison.  Ou les éléphants qui semblent décider parfois de leur mort. Et ces oiseaux capables de se laisser mourir suite à la disparition de leur conjoint.

Cela ne devrait  cependant pas être une surprise, puisque ces animaux font partie de cette dizaine d’espèces qui ont conscience d’eux-mêmes (le fameux test du miroir).

L’intelligence nuit au bien-être, mais elle est nécessaire pour atteindre le bonheur.

Soit belle et tais-toi. On pourrait aisément détourner cette maxime misogyne en soit con et profite.

De la même façon que ces présumées avancées technologiques  qui devraient  nous rendre la vie plus facile nous la complique à l’extrême,  pourquoi le savoir, toutes ces informations censées nous éclairer, nous rendent indubitablement d’une tristesse insondable ? Se rendre compte avec une belle acuité de la justesse de la vie, s’approcher de la vérité éclatante (oui, la vérité est toujours éclatante, ne vous en déplaise), nous rend morose. Peut-être parce qu’en en sachant davantage, on se rend compte que l’on ne sait quasiment rien. Du vide de l’existence, de sa futilité, de sa vanité. Outre que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire,   elles sont souvent désagréables à entendre.

La politique de l’autruche a du bon : enfouir sa tête et son esprit dans le sable et attendre que ça passe.

Mais quel est le but de la vie ? En existe-t-il seulement  un ?

11 Avril,  Premier tour

Une fois de plus, les français ont voté. Mal et peu (un tiers des bulletins dévolus à des partis anti-démocratiques et un quart qui ont préféré s’échapper de l’isoloir pour profiter, il est vrai, d’une splendide journée de printemps).

Je ne vais pas tenter une analyse de ce scrutin. Je n’en ai ni l’envie, ni les compétences. Juste jeter quelques réflexions à la lecture de cette nouvelle carte de France qui vont conduire à de plus amples questionnements.

Tout d’abord, le principe même de la Vème république qui induit un exécutif fort, montre bien que ces échéances Elyséennes portent sur des personnalités fortes. Le scrutin présidentiel a toujours mis en avant un homme (plus rarement une femme) qui en impose. Mitterrand, Chirac, Marchais, Sarkozy. Des gueules, des tempéraments. Pas étonnant qu’un polémiste comme Zemmour se soit présenté.

Le clivage gauche/droite, épaulé par les deux partis implantés de longue date dans ce pays (et on les retrouvera certainement lors des législatives, moins axées sur un individu), avait déjà connu une alerte lors du séisme de 2002, puis avait volé en éclats il y a cinq ans (pour la première fois, aucun des deux camps n’était au second tour). En 2022, le cumul des points ne leur accorde qu’à peine 7%. Une modification radicale pour ce scrutin en particulier qui devrait alerter sur le fondement même de cette échéance. Régime parlementaire et démocratique, oui. Course au culte de la personnalité charismatique qui rappelle trop ces monarques passés, non.

Les analystes politiques ont, de tout temps, tenté d’expliquer les clivages (ou les atomisations) du paysage géopolitique par une opposition jeunes/vieux, pauvres/riches, élite/base. Aux chiffres de Dimanche dernier, j’en tire une tout autre conclusion.

Electorat des villes, électorat des champs

Les villes importantes (Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Grenoble, Nancy, Rennes, Strasbourg…) n’accordent au parti d’extrême droite à peine dix pour cent.

Le vote le Pen est un vote raciste mais surtout un vote d’opposition, franchement contestataire. Des électeurs qui votent non pas pour un projet (en l’occurrence un individu), mais contre, pour marquer leur refus, afficher leur colère.

Pour tenter d’interpréter  ce phénomène, il faut reprendre les trois principales motivations du vote.

Pour quoi  les électeurs ont voté pour comprendre pour qui ils l’ont fait.

D’abord, le pouvoir d’achat, thème récurrent de ce rendez-vous électoral, comme si le pouvoir politique (Elysée, Matignon, chambre des députés) avait (encore) une influence sur le pouvoir économique (les entreprises et multinationales). Force est de constater qu’en ville la vie est plus chère, donc raisonnablement le vote contestataire d’extrême droite aurait dû y être plus fort. Ce n’est pas cela. 

Prenons maintenant le thème de l’insécurité, autre grand vecteur de bulletins où, cette fois, le pouvoir politique peut agir. Le pourcentage de délinquance  étant, de loin, plus fort en ville, on aurait dû, là encore, constater un vote de rejet dans les grandes métropoles, spécialement vers un parti qui se targue de résoudre cet épineux problème de sécurité. Ce n’est pas ça.

Le chômage ? Les chiffres sont plus élevés en ville qu’ailleurs. Encore chou blanc.

La France a peur

Reste une quatrième piste : la question de l’immigration. Fausse question, puisqu’on parle souvent de personnes bien françaises, mais qui n’ont pas, malheureusement pour elles, ni la bonne couleur de peau, ni la bonne religion, ni les bonnes pratiques culturelles selon le mètre étalon du péquenot français moyen.

Or, cette peur de l’étranger devrait être exacerbée dans les grandes concentrations urbaines. Mais ce paradoxe n’en est pas un. La France a peur déclamait le célèbre Roger Gicquel. Mais peur de qui, de quoi ?

 De ce que l’on ne connait pas, pardi. Or, en ville, les gens peuvent mettre un visage sur la différence, la côtoyer au quotidien au lieu de la fantasmer. Cette France multi raciale et multi culturelle, qui a, de tout temps, été sa force, est une réalité au quotidien dans les grandes agglomérations.

Dernier point : la carte de France du premier tour 2022 montre une adéquation quasi parfaite entre les bons scores des partis fascistes et le taux élevé d’abstention. Surement une piste à creuser ?

Mais revenons à cette peur qui nous dévore l’esprit et capte notre énergie en pure perte.

D’où vient cette peur, codée au plus profond de nos gênes ?

Vous avez peur de perdre  votre boulot ? Avouez que vous n’y tenez pas tant que ça à votre turbin et que vous devez faire des efforts d’athlètes olympiques  pour vous lever le matin, non ? Quant aux dix pour cent qui, statistiquement, sont parfaitement heureux dans leur activité, il est quasiment certain qu’ils sont en général assurés de le conserver.

Mais ne plus avoir de travail implique une baisse de revenus, une modification de votre vie, un basculement vers l’inconnu. Comment faire avec moins d’argent : devoir changer de voiture, vendre l’appartement peut-être ? Perdre une considération sociale que vous avez mit du temps à obtenir. Abandonner votre place dans la société. Vous avez peur de perdre votre confort, vos repères.

Peur que votre conjoint vous trompe, vous quitte ? Au-delà du cruel coup de couteau à votre amour propre, c’est encore une question de changement dans votre vie : de quoi sera fait demain sans lui, sans elle ? Comment se débrouiller avec les enfants ? Comment se partager les biens matériels ? Autant d’angoisse liée à un saut dans ce que l’on ne connait pas.

Les peurs qui relèvent de la phobie relèvent, là encore, du même schéma. Peur des chiens ? Si l’un vous mord, vous allez devoir soigner votre blessure, peut-être aller à l’hôpital. Encore un changement dans votre confort quotidien. Reste la peur du Vendredi 13. Mais est-ce encore une crainte ? On touche là, plus à la superstition.

Toutes ces peurs liées à l’inconnu peuvent être maitrisées. Il suffit d’en faire l’expérience pour pouvoir affronter cet inconnu qui nous terrifie.

Pourquoi ces aventuriers burinés donnent-ils cette impression de sérénité ? Justement parce qu’ils ont vécu tant et tant d’expériences qu’ils parviennent à maitriser leur peur. A chaque nouvelle situation compliquée, ils ont un schéma adapté, issu de leur foisonnante expérience.

Mais il y a une peur impossible à maitriser, quoi que l’on fasse. 

La peur de la mort. Par définition, on ne peut en faire l’expérience et continuer à vivre comme si de rien n’était.

Cela explique le succès phénoménal de toutes les religions du monde. En rassurant leurs ouailles sur cet inconnu ultime, en balisant ce mystère fatal, elles leur ont fait (leur font encore) faire n’importe quoi.

Mais là encore, ce sentiment terriblement humain (bien que les animaux éprouvent eux aussi, et surement dans de plus grandes mesures, l’effroi pour leur vie) est parfaitement improductif. Peur ou pas de la mort, elle finira par croiser votre route. La solution ? Parvenir à se débarrasser de cette émotion énergivore et devenir tel le cowboy de western dont rien ne peut entamer sa confiance en lui ?

Surement pas. Car la peur est un garde-fou face au danger, tout comme la douleur alerte face à la maladie. Nos capteurs nous renseignent sur ce qui nous attend.

Reste à trouver ce bon équilibre entre témérité et pleutrerie. Et aller voter, sans peur de son voisin, pour et non contre.

 

3 Avril - People have the power

Il est désormais généralement admis que pour pouvoir conduire une voiture il faut un permis, obtenu après avoir réussi un examen sur nos capacités à maitriser l’engin.

Il ne viendrait à nulle personne de confier l’enseignement de ses enfants à des précepteurs sans qualification, de même que tout ce parcours du combattant que connaissent bien ceux et celles qui sont à la recherche d’un emploi, même peu qualifié, est censé trier sur le volet les candidats et n’en retenir que les plus adaptés, les plus motivés, les meilleurs.

Lorsque notre propre responsabilité est seule engagée, cela ne porte pas à conséquence et les démocraties dans lesquelles nous vivons tolèrent cette liberté individuelle lorsqu’elle n’empiète pas sur celle du voisin.

Dans ce cas, l’obligation du port de la ceinture de sécurité est une aberration, une atteinte à la liberté individuelle. Qu’on la boucle ou pas, cela ne changera rien à la vie des autres. Autant interdire le suicide.

En revanche, il y a deux domaines dans lesquels aucune qualification, aucun diplôme n’est demandé. Le vote et devenir parent.

Pourtant, si l’on réfléchit une seconde, être responsable d’une vie, de sa conception même jusqu’à sa majorité légale, ce n’est pas rien. Cela demande de sérieuses qualifications. C’est même plus bien plus difficile que de gérer une Pme.   Diriger une entreprise n’est, au final, qu’une affaire de décisions judicieuses, répondant à une certaine logique et la conduite de personnes toutes majeures. Alors qu’éduquer un être relève de toutes autres aptitudes et dispositions. On touche à la plus haute responsabilité qui puisse exister dans ce monde. D’autant qu’un enfant est toute naïveté, toute innocence, il est autant fragile que désarmé.

Et personne n’interdit à quiconque le droit d’avoir des enfants.

Prolétaire. Etymologiquement : celui qui n’a d’autre richesse que ses propres enfants. Comment, et sous quel prétexte interdire un tel droit ? On demande donc certificats, diplômes, un sérieux savoir faire, une conscience professionnelle, de la motivation, un esprit d’entreprise pour la moindre tache subalterne et lorsqu’il s’agit d’éduquer un être vivant, dont on est le seul responsable, nulle garantie n’est exigée.

Voyons maintenant l’autre cas où il n’est pas nécessaire de justifier quoi que ce soit, mais juste de ne pas faire l’objet de poursuites judiciaires. Bref, être un simple et honnête citoyen.

Ce bulletin de vote que beaucoup pensent inutile est accordé à tout le monde. Tout le monde, cela veut bien sûr dire une quantité non négligeable  de personnes qui n’y connaissent rien et n’ont pas même envie de s’y intéresser.

Laisseriez-vous réparer votre voiture à un cardiologue ? Confieriez-vous votre santé à un maçon ? Accepteriez-vous qu’un boulanger apprenne la philosophie à vos enfants ?

Au risque de paraitre peu démocratique, la république grecque était plus raisonnable : seuls 20% de ses habitants étaient de dignes citoyens, ayant le droit de vote et le devoir de s’intéresser et participer à la vie politique. Le reste, femmes, enfants et esclaves (correspondant à nos machines d’aujourd’hui)  n’ayant que le droit de se taire. Mais finalement, l’éducation de la femme et de l’esclave ne leur permettait pas d’entendre la chose publique dans toutes ces particularités.

A bien y regarder, notre démocratie fonctionne un peu de la même façon puisque les 577 députés sont censés représenter 65 millions de personnes en France. Mais, au moins, on peut espérer que ces 577 là sont au courant de la chose publique. C’est leur métier, après tout.

Que cinq ou dix pour cent de la population vote soit au hasard soit pour de mauvaises raisons, cela ne changera pas grand-chose, après tout.

Avant de poursuivre, je souhaite faire un aparté sur ces fameuses mauvaises raisons. En principe, on vote selon ces convictions fondamentales, inscrites  au plus profond de nous même. Résultant de notre manière de penser et notre expérience de la vie, elles sont, comme notre caractère,  quasiment inébranlables. En  principe, on ne les renie pas, on ne change pas de camp au moindre coup de vent ou du sort, on ne retourne pas sa veste pour un oui ou pour un non. Sauf si on vote pour de mauvaises raisons. Penser que le locataire de l’Elysée va augmenter votre salaire, faire taire le chien de votre voisin qui s’égosille au milieu de la nuit, vous permette enfin de trouver un boulot, recoller les morceaux dans votre couple qui bat de l’aile et faire comprendre à l’ado bougon qui vous sert de fiston qu’il pourrait un jour ranger sa chambre… C’est un peu croire au père Noël, n’est-ce pas ? Voter pour un projet de société, pour que la communauté (et pas seulement votre propre existence) vive mieux sont des raisons qualifiables. Toujours aller au général, pas au particulier lors d'échéances qui concernent toute la population.

Donc, cette minorité qui vote mal ne peut avoir un si grand pouvoir. Sûr ? La bipolarité en cours dans une démocratie (même si cette dualité évolue ou change d’orientation) fait que seuls 5% des votants décident du résultat d’une élection. Parfois moins. Les fameux 51% - 49% du deuxième tour. Notre pays est donc gouverné par cette infime portion de votants qui n’entendent rien à la politique mais conservent ce droit inaliénable de pouvoir choisir. Sans aucune qualification, pire : sans aucune motivation. Un bulletin de vote en vaut un autre.

Maintenant, une question se pose.

Dans un pays comme la France, qui détient le pouvoir ?

Les politiques ?

Il fut un temps pas si lointain où l’on pouvait répondre par l’affirmative sans chercher midi à quatorze heures. Dorénavant, ce pouvoir ne s’applique qu’à des situations extrêmes : comme l’apparition d’un virus, par exemple. Et il ne s’agit encore que de privations, d’entraves, pas réellement de pouvoir. On vous mettra en prison si vous ne respectez pas les lois, mais les hautes instances ne viendront pas dans votre salon vous dicter votre vie (en revanche, la télé, si – nous le verrons plus loin). Vous êtes libres de vos mouvements, de vos décisions.

L’économie, les multinationales ?

En apparence, mais en apparence seulement, on peut avancer que ces mastodontes internationaux règlent nos vies quotidiennes avec plus de force que les états, parfois moins puissants. Ce sont ces entreprises qui vous emploient, elles qui vous vendent ce dont vous avez besoin et aussi par la même occasion ce dont vous n’avez pas besoin.

Les pays occidentaux sont devenus depuis une petite cinquantaine d’années des sociétés de consommation. La production nous échappe, la plus part du temps. Nous imaginons et nous concevons (ce qui constitue un pouvoir en amont), d’autres pays (l’     Asie et la Chine  en particulier) se contentent de fabriquer. Mais, au final,  nous sommes tous des consommateurs.

Or, en vertu de l’axiome postulant que dans tout échange commercial, la règle se fixe non sur la valeur qu’accorde le vendeur mais uniquement l’acheteur, nous avons, tous autant que nous sommes et chacun à son propre niveau, le réel pouvoir de décider.

Coluche raillait « il suffirait que personne n’en achète pour que ça ne se vende plus ».

Je connais un atelier automobile qui a décidé de fermer le Samedi après midi. Non, sous le coup d’un soudain altruisme humaniste,  pour offrir à ses employés la possibilité de partager leur temps libre en famille ou avec leurs potes. Non, simplement parce qu’il a constaté que les clients étaient rares à ce moment là.

Nike fait travailler des prisonniers chinois et des enfants sans aucun état d’âme ? Boycottons les baskets à la virgule. Ne serait-ce que pendant six mois. Vos vieilles tatanes peuvent durer encore quelques mois de plus, n’est-ce pas ? Il est certain que cette pression suffira pour faire changer de position le géant américain qui fait courir le monde entier.

Il est avéré que Nestlé utilise des produits cancérigènes dans ses préparations gourmandes ? Même punition : évitons de grignoter ses abondants produits.

Notre moyen de pression est infini. Nous avons le pouvoir définitif et sans appel.

On m’objectera que, si Nike et Nestlé mettent la clé sous la porte (cela reste peu probable, ils préfèreront toujours évoluer que simplement arrêter, on le constate chaque jour avec ce virage « bio » sur les étiquettes), que chausserons-nous et que mangerons-nous ? Justement, ce sera le moment de proposer quelque chose de différent. Ce sera un sacré défi, je le consens. Supprimer une situation désagréable pour la remplacer aussi sec par la même chose, sous des couleurs différentes et que notre argent tombe dans d’autres caisses, toutes aussi corrompues, ne sert à rien. Voilà le vrai défi. Savoir reconstruire après l’effondrement. Proposer de nouvelles structures plus respectueuses de l’environnement et de l’humain. Un éthique en somme.

Il reste des sceptiques ? J’affabule,  serais-je  en train de rejoindre cette hideuse secte des complotistes ?

Il y a pourtant une preuve irréfutable de ce que j’avance. Si ces multinationales, si puissantes que leur chiffre d’affaire dépasse parfois le Pib de certains pays, détenaient  ce pouvoir exorbitant et sans partage, pourquoi s’évertuent-elles  à nous abreuver d’autant de publicité ? Ce conditionnement extrême à chaque instant de nos vies, notamment par le biais de la télévision (mais le net n’est pas plus innocent, lui qui devait être un espace de liberté) n’est-il pas  conçu pour orienter nos choix en matière de consommation ? Elles savent mieux que nous tous combien ce pouvoir pourrait leur échapper si d’aventure nous nous mettions à penser par nous même et ne plus systématiquement suivre leurs conseils. Leurs recommandations. Leurs commandements ?

Reste un épineux problème.

S’il est presque facile de se mettre d’accord à quarante autour d’une table (c’est approximativement le nombre de macro dirigeants qui commandent  le monde économique), il   est autrement plus délicat de s’élever d’un seul mouvement pour des millions, des milliards d’êtres humains. Là encore, une particularité agit dans le sens des multinationales. Notre individualisme constant, porté par un système libéral tout puissant. Les grands groupes ont bien compris ce dilemme et l’encouragent depuis la seconde moitié du XXème siècle. Elles en sont même à l’origine. Ainsi, cet individualisme qui devrait nous mettre à l’abri du conditionnement en faisant de nous des êtres pensants (quoi de plus imbécile, idiot et stupide qu’une foule ?) est aussi ce qui nous empêche de nous réunir.

Notre liberté nous rend égoïstes et notre égoïsme aura la peau de notre liberté.

27 Mars -  Masculin & féminin

C’est Claude Lévi-Strauss qui a mis au jour cette constatation sociologique : dans les tribus primaires, les femmes devaient chercher leur futur époux parmi d’autres clans. Il appelle ça la prohibition de l’inceste.

Nous sommes tous issus de tribus primitives. Il y a encore 15 000 ans, nous vivions de cette manière. Cela ne représente pas 500 générations, à peine la possibilité de constater une évolution physiologique de l’espèce. Entre le dernier homme des cavernes et le trader New-Yorkais, peu de différences morphologiques. En revanche, au niveau culturel,  la mutation peut s’observer sur une seule génération. Il n’y qu’à voir l’importance qu’à pris dans nos vies le téléphone mobile, allant jusqu’à changer profondément nos habitudes, nos comportements. Notre rapport à la technologie nous a permis de nous affranchir des lois naturelles : on peut très bien passer toute une vie sans marcher (le strict minimum) ou, plus généralisé, ne pas avoir à produire sa nourriture, ses vêtements, construire son nid. Cette spécialisation des tâches a fait de l’humain un homme machine. La nouvelle révolution numérique va certainement avoir de prochaines répercussions sur notre mode de vie. Et, par là, notre mode de penser.

Mais revenons à Levi-Strauss. Sa constatation est lourde de sens.

Puisqu’il faut, d’un point de vue purement généalogique, trouver chaussure à son pied en dehors de sa propre cellule, cela encourage l’échange entre peuplades. La découverte de l’inconnu. Mettez vous dans la peau de cette femme des cavernes ou d’un homme, votre lointain aïeul, qui quittait sa famille, sa tribu, ses règles de vie pour aller vers l’inconnu. Il devait faire preuve d’une grande capacité d’adaptation, d’ouverture d’esprit, d’abnégation et de tolérance.

Dans la horde voisine, on avait surement d’autres habitudes, on mangeait différemment, on se comportait selon d’autres règles, on obéissait à d’autres lois. Ce changement, cette confrontation permettait de s’élever moralement.

Les voyages forment la jeunesse prétend le proverbe. On y trouve ces racines dans nos lointains ancêtres, dans les gênes de ceux qui ont osé quitter leur cocon pour découvrir le monde. La jeunesse. Peut-être parce qu’à un certain moment, les habitudes et la routine empêchent de s’adapter à une nouvelle vie. On s’encroûte, on se résigne, on abdique.

Par delà cette simple question de patrimoine génétique qu’il faut absolument différencier le plus possible, une morale se détache, toute simple : la peur nait de l’inconnu. En allant vers les autres, en quittant son nid, on tend vers un universalisme pacifié.

Toutes les guerres, les conflits d’intérêt ont pour objet trois causes :

D’abord cet attachement viscéral à un bout de terre, principalement celle qui nous a vus naitre.

Tant que l’homme n’aura pas compris qu’il n’est que locataire sur cette planète et non son propriétaire, il y aura toujours un état, une nation pour en envahir une autre.

Ensuite vient la question de  la religion, mais c’est un peu la même chose : on est si sûr d’avoir raison que l’on veut absolument imposer nos points de vue à nos voisins.

Reste enfin les causes économiques, une simple question de richesse non partagée ou mal distribuée. Cela recoupe les deux autres catégories, chargées d’un égoïsme latent.

Tout comme l’homme ou la femme préhistorique devait aller chercher son ou sa compagne loin de sa tribu,  peut-être gagnerions nous à nous projeter au-dehors de notre petit confort, de notre routine qui nous rassure.

Test : en couple, de quel côté du lit dormez-vous ? A droite, à gauche ? Personnellement, je n’ai jamais compris cette simple et pourtant terrifiante habitude. Tout comme s’asseoir toujours à la même place à table. Le pire, c’est de le faire même quand on est seul.

Je viens de relire le Deuxième Sexe, écrit par Simone « castor » de Beauvoir à la fin de la guerre (la dernière sur le sol Européen). Depuis, la condition de la femme a largement évolué, même s’il y a encore quelques ajustements à effectuer. Le propos a donc largement vieilli, devenu obsolète pour bon nombre de postulats. Il n’en demeure pas moins que les constatations sur l’origine de la nature féminine restent pertinentes.

Pour De Beauvoir, l’homme (masculin)  est un être  de transcendance , c'est-à-dire qu’il peut se réaliser en dehors de lui-même : il crée, il construit, il se bat. Il est tourné vers l’extérieur, toujours en mouvement. Il n’a pas (ou peu) de questionnements existentiels.

La femme, en revanche, originairement occupée à élever ses enfants, est dans une position plus égocentrée, attentiste, elle est immanence.

Lui se réalise dans le mouvement, elle en est réduite à l’attente. Il est plus réceptif au progressisme, elle serait davantage conservatrice.

Cela conduit à de profondes différences, héritées de milliers d’années passées dans ce manichéisme : l’homme est conquérant, la femme plus réfléchie. Elle a le temps pour ça. Elle accordera davantage d’importance aux relations humaines, sera plus observatrice que lui.

Ces talents sont complémentaires et, dans la société d’aujourd’hui, parfaitement interchangeables. Je pense qu’il y a plus de différence entre deux hommes entre eux (ou deux femmes entre elles) que, plus généralement, entre l’homme et la femme.

L’idéal est de pouvoir, de savoir mélanger les deux. Quand on le peut au sein d’une même personne, c’est parfait.

On peut même extrapoler d’un point de vue plus sociologique. Cet attentisme qui est dévolu à la femme, à laquelle on ne demande pas son avis, qui subit les directives masculines, on le retrouve dans la société entre, d’une part la classe dirigeante, créatrice, qui conçoit, et la masse ouvrière qui est chargée de mettre en pratique ou de produire les idées de l’élite. Cette dichotomie se retrouve dans le déséquilibre nord/sud, hérité de siècles de colonialisme : l’homme blanc était celui qui impulsait l’action (incarnant les valeurs masculines), le bon sauvage devant se plier (relégué à des valeurs plus féminines de partage, d’entre-aide, de liens). Il serait temps, il serait bon de mélanger enfin ces deux appréciations de la vie et d’en tirer le meilleur. Savoir créer, décider, inventer, aller de l’avant mais sans oublier ces valeurs plus intériorisées. Le combat féministe est à relancer, cette fois au niveau même de la morale collective. Mélanger les talents, les aptitudes, les compétences comme le peintre mélange les couleurs pour en créer une nouvelle. 

On a souvent déploré l’absence de femmes dans les instances dirigeantes de tout poil. Au nom de la parité, on y est parvenu en politique du moins. Mais les quotas ont leur limite. Ce n’est pas le féminin que l’on a haussé à la moitié de nos représentants, ce ne sont que des femmes… qui, pour atteindre ces postes à elles interdits pendant des siècles, doivent se plier à une certaine manière de penser… encore parfaitement masculine.

20  Mars  -  La fin des temps

« Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire »

Tout le monde, du moins les plus cinéphiles du lot, a encore en mémoire cette lamentation d’Anna Karenine dans le film de Godard, Pierrot le fou.

Il y a pourtant tellement de choses à faire, ici. J’aimerais que les journées fissent 48 heures ou que notre sommeil ne dure que quelques minutes.  Mais, non : ce serait se priver du bonheur de rêver. S’inventer chaque nuit une nouvelle existence où nous sommes le héros de nos péripéties, multiplier nos sensations éveillées par celles, oniriques, plus fortes et plus intenses.

Parfois j’éprouve une angoisse, des regrets, spécialement depuis que je sais avoir derrière moi davantage d’années déjà vécues qu’il ne m’en reste à vivre. Jamais je ne pourrai faire tout ce que j’ai envie de faire.

Je liste d’improbables inventaires : des livres à lire, des films à visionner, des endroits à visiter, des personnes à rencontrer, des êtres à aimer… Jamais je n’irai au bout.

Comme  cette tentation de tout savoir. C’est physiquement impossible : la quantité d’information qui apparait chaque jour dépasse de loin les capacités du plus volumineux disque dur.

Il s’écrit plus de livres chaque jour que l’on ne pourrait lire, même en diagonale, même ignominieusement résumé.

Il se tourne davantage de films quotidiennement que ces pauvres 24 heures n’offrent de pouvoir regarder, même en avance rapide.

Il nait, à chaque seconde, plus de personnes qu’on ne pourra en rencontrer, en aimer.

Seuls les lieux terrestres sont limités.  Toutefois, même cette liste là est impossible à satisfaire.

Devant ce découragement, j’en viens à éprouver un défaitisme qui se meut en une sombre futilité de la vie.

A quoi bon, après tout ?

Nous ne sommes ici que le temps d’un battement d’aile d’un point de vue géologique.

Qu’avons-nous fait de notre vie. Pourquoi ? Pour qui ? Tout cela est bien dérisoire, si vain, insignifiant.

Qui n’a pas lu « à la recherche du temps perdu », vu « citizen kane », apprécié à sa juste valeur « les tournesols » ou visité Venise ne mourra pas amputé d’une partie de lui-même. Tout cela ne changera rien à l’affaire : nous finirons tous au même endroit, et quasiment de la même manière.

Ne pas avoir aimé,  ne pas avoir été aimé ? Qu’est-ce que cela change, au final ? Ces personnes rencontrées ou pas, finiront elles aussi par s’éteindre. Futilité de l’existence. A quoi bon ?

Dans ces conditions, seul l’art restera. L’art et la philosophie. On se souvient encore de Platon et d’Aristote, deux mille ans après leur disparition.

On écoute encore du Vivaldi et du Mozart.

On a la chance de pouvoir revoir Chaplin et Gabin en noir et blanc et en couleurs.

Tout comme les grands hommes, ceux qui ont façonnés l’Histoire. César, François 1er, Jfk. Mais ceci n’est pas donné à tout le monde.

Alors, que faire ? Se suicider tout de suite, car tout cela n’a pas de sens ?

Il y a quelques années, j’étais parfois pris d’une angoisse existentielle majeure, liée au déroulement inexorable du temps. Au détour d’une interview, j’ai appris que l’acteur Michel Blanc s’effrayait de la même interrogation.

Un jour, je mourrai. Mais la vie continuera après ma disparition. Comme je n’ai pas la chance de croire en quelque divinité supérieure, je doute d’être réincarné à un moment ou à un autre et de pouvoir, par un coup du destin, continuer cette aventure, la recommencer.

Seulement, le temps continuera et d’autres humains naitront dans un monde où je serai absent. Lorsque l’espèce humaine aura disparu, la Terre continuera de tourner. Sans moi. Sans nous. Le soleil explosera d’ici quelques milliards d’années. Cela n’empêchera pas la Galaxie de poursuivre son éternel parcours : des étoiles meurent, d’autres naissent. Toujours sans moi.

Quand cela s’arrêtera-t-il ?

Au vu des observations  et des projections mathématiques actuelles,  il est fort probable que l’univers enfle à jamais, évitant un mouvement perpétuel infini constitué de big bangs successifs donnant suite à des big crunchs comme un pendule qui oscillerait à jamais. L’horreur absolue. Ainsi le temps ne s’arrêterait jamais. Sans moi.

Heureusement, l’univers est en expansion, on le sait, on le subodore du moins. Un jour, suffisamment lointain pour que notre entendement ne puisse même l’imaginer, toutes les étoiles s’éteindront définitivement. Lorsque plus aucune réaction atomique n’aura lieu, lorsque le dernier électron aura terminé sa folle course autour du dernier noyau, lorsque le zéro absolu sera finalement atteint, tout s’arrêtera. En est-on si sûr ? L’espace et le temps sont liés, n’est-ce pas Albert ? Un univers démesuré, fixe et immobile, constitue quand même un espace. Donc le temps qui l’accompagne. A moins d’imaginer que les trous noirs ne règnent en maitres absolus et encore, cela ne fait que déplacer le problème : un trou noir, avaleur de matière, demeure encore quelque chose. D’autant qu’il est possible que ces entités encore méconnues soient la porte à d’autres Big Bangs, faisant naitre de nouveaux univers. Le serpent se mord la queue. On n’en sort décidément pas.

De quoi empêcher de dormir même le plus paisible et amorphe  des sages.

Comment contourner cet épineux problème ?

Quelqu’un d’utile

J’avais trouvé une solution acceptable. Puisqu’il est question d’éternité, restons dans le domaine de l’infini. Que se passe-t-il au moment de la mort ? Un écran noir ? Une lumière aveuglante ? Rien de tout cela ?

J’ai opté pour un long sommeil, comme un rêve. Une image se figerait dans ma conscience à la seconde même où mes molécules cérébrales cesseraient leur fonction. Une image infinie, annulant le temps. Comme dans un rêve qui nous semble s’étaler sur plusieurs heures et qui ne prend que quelques secondes de notre temps terrestre. La dilatation du temps.

Comme je confiais mes angoisses existentielles à une amie, je concluais en lui demandant si elle aussi avait de tels questionnements. Elle eut un sourire de commisération et elle me fit : je n’ai pas ce problème, puisque j’ai des enfants.

Je n’y avais pas pensé.

Il y a effectivement deux voies pour accéder à l’immortalité. Créer une œuvre artistique ou politique majeure qui perdurera par delà les siècles. Peu d’élus en ce domaine, nous l’avons vu. Une autre façon est de  sauvegarder l’espèce en se reproduisant. Le souvenir de notre mémoire s’effacera d’ici deux ou trois générations, lorsque nos petits enfants cesseront de penser à leur aïeul disparu, mais notre patrimoine génétique continuera à exister. Finalement, ce n’est guère éloigné d’une forme absolue de la métempsychose : tous les atomes qui constituent notre corps ne meurent pas, ils se transforment en d’autre chose. Je suis composé d’électrons ayant peut-être appartenus à Charlemagne, un mammouth ou encore une pierre. Nous sommes tous des poussières d’étoiles, cela ne fait aucun doute. Et le cycle continuera, indéfiniment.

Néanmoins, il y aura forcément une fin. On ne peut jamais faire confiance à ses descendants et il est probable qu’un jour ou l’autre, qu’un siècle ou l’autre, nos arrières petits enfants n’auront pas de descendance, mettant un point final à tant d’abnégation. Hou, les fils indignes ! Quoi qu’il en soit, puisque l’espèce humaine est vouée à la disparition,  comme toutes les espèces vivantes, et que, quand bien même, personne n’empêchera le soleil  de mourir, on en  revient au même point.

Il y aurait bien une autre solution, celle-ci à la portée de chacun. Vous n’avez même pas besoin de trouver le partenaire plus ou moins idéal afin de fonder une famille. Chacun possède en lui-même ce don inouï, commun tant aux riches qu’aux plus pauvres.

Puisque la vie est sans objet, sans but, dérisoire et futile et que seuls une poignée passera à la postérité (et pour quel résultat, au final ?), la seule issue possible pour accepter que cette vie existe plutôt que le néant, est de profiter.

Vivre l’instant présent.

Considérer chaque nouvelle journée comme étant la dernière en l’abordant, si on le peut, avec l’état d’esprit que ce soit la première.

Cet épicurisme, cet hédonisme semble trop égoïste ? Qui vous a dit que vivre l’instant présent devait être centré sur vous-mêmes ? Jouir de la vie, certes, mais aussi rendre les autres heureux. Trouver sa félicité personnelle dans la contemplation des beautés qui vous entoure mais surtout dans ce sentiment si puissant d’être quelqu’un d’utile. 

13  Mars,  attention les yeux!

Saint Thomas avait tort sur toute la ligne : nos sens nous mentent sans arrêt. Je ne parle même pas des intentions mauvaises que peuvent avoir les images lorsqu’elles sont détournées pour nous conditionner de la plus belle des façons.

Je me rappelle une publicité (parfois, rarement, ces petits clips se rapprochent plus de l’art que du commerce) d’un quotidien anglais. On y voit un homme courant à perdre haleine en pleine rue. Arrêt sur image. Texte : certains journaux ne vous donnent qu’une version des faits. La séquence reprend, en élargissant le plan. Cette fois, on voit qu’un policier poursuit l’individu qui change, d’emblée, de condition : de victime possible il devient probable coupable. Second arrêt sur image. Texte : d’autres quotidiens vous donnent une toute autre vision des faits. Le film se remet en mouvement et, cette fois, on assiste à la scène globalement, avec le recul nécessaire pour comprendre que l’on faisait fausse route à la fois dans l’un et l’autre premiers scenari.

Ne pas se fier à un seul sens, spécialement le plus utilisé dans le monde moderne : la vue. Toujours comparer, confronter, recouper, examiner. Ne jamais se laisser berner. Utiliser sa raison et son expérience (donc ses erreurs passées) pour déchiffrer chaque nouvel épisode de sa vie.

Mais ce n’est pas facile.

Exemple : le soleil et la lune, vus de la Terre, semblent tourner autour de nous.  Chacun des astres se lève et se couche après avoir formé une courbe dans le ciel. Nos seuls sens indiquent ce que l’humanité a cru la majeure partie de son existence, à savoir que nous sommes le centre de l’univers et que celui-ci nous tourne autour.

Pourtant nous tournons autour du soleil et la lune tourne autour de nous. Deux mouvements opposés qui, d’un point de vue (le notre en l’occurrence), semblent se confondre. Pour comprendre cela, il a fallut à l’homme plus que ses yeux. Il lui a fallut son entendement, sa conscience, sa raison.

Les miroirs aux alouettes ne reflètent qu’une vérité fausse sous des aspects authentiques.

Toujours se méfier des conclusions un peu trop hâtives ou des réponses trop simples, voire simplistes.

Dans Minority Report, dans un futur proche, on parvient à arrêter les criminels avant qu’ils ne passent à l’action, par un système de précognition. Cela semble une avancée majeure, définitive, pour assurer la sécurité de sociétés trop denses pour que les hommes continuent à y vivre humainement.

Cela ressemble à un idéal que beaucoup de décideurs politiques aimeraient voir se réaliser : une société sans crime. Dans un pays comme les Etats-Unis, où un meurtre est commis à chaque seconde (j’avance le chiffre sans aucune idée de sa réalité, mais je pense ne pas me tromper dans l’exagération), cela résonne encore plus vivement.

Il y a cependant une petite différence. Si petite mais immense d’un point de vue philosophique.

Dans ce système à priori parfait on condamne quelqu’un pour avoir l’idée d’assassiner, non pour l’assassinat lui-même. Et qui n’a jamais souhaité la mort de quelqu’un ? C’est un peu comme si on accusait quelqu’un d’outrage ou de diffamation, simplement parce qu’il a  pensé l’injure.

6  mars,  l'Empreinte humaine

Depuis que le vingt et unième siècle égrène ses jeunes années, on parle très souvent d’empreinte écologique. Pour une fois, j’aimerais attirer votre attention sur une autre empreinte, tout aussi vitale. L’empreinte humaine.

Pour commencer, munissez-vous d’une feuille de papier, mieux d’un cahier, car vous allez voir que ça risque vite fait de déborder des marges. Et commencez par lister toutes les personnes dont vous avez besoin.

A moins d’être paralytique ou souffrant d’un quelconque handicap, vous allez me répondre, un brin goguenard, que vous n’avez besoin de personne (et pas forcément juché sur une Harley).

En êtes-vous si sûr ?

Commençons par le commencement. Vous vous réveillez le matin au bruit strident de votre radio réveil, montre, téléphone mobile ou cet antique appareil qui vrille les tympans.  Prenons au plus simple : le mobile, cette petite plaquette qui tient dans la main et qui nous suit comme son ombre (ou bien serait-ce plutôt l’inverse ?).  Il a bien fallu  des personnes pour le concevoir, un gars qui en ait dessiné les contours, imaginé les contours. Toute une équipe de techniciens qui ont mis au point son fonctionnement. Des équipes d’ouvriers, même situés au bout du monde, disons en Asie du sud-est pour être précis, pour fabriquer les circuits imprimés, les assembler. Ces usines, il a fallu du personnel pour les construire. Il a fallu encore du monde pour fabriquer les poutres et les briques de ces susdites usines. Toute une armada de gens pour assurer le transport. Des douaniers, une armée de gratte-papier pour signer les autorisations diverses et obligatoires. Encore une batterie d’agents administratifs pour que tout soit en règle. Ensuite des vendeurs, des publicitaires pour que l’objet arrive chez vous et vous en vanter mes innombrables et incomparables mérites. Sans parler de ces voix anonymes des hot-line pour vous expliquer comment ça marche.

Tout ce processus qui met en branle un nombre infini de personnes se répète pour chaque objet que l’on utilise au moins une fois dans la journée, dans l’année, au cours de sa vie. J’ai oublié les mineurs qui extraient les matériaux rares, les conducteurs de pelleteuses, les routiers, les marins. Bref, on atteint quasiment toutes les couches de la population et sur tous les continents.

En manipulant ce petit objet, le téléphone mobile si indispensable à nos existences , vous faites en plus appel à des garnisons de techniciens qui pourvoient au bon fonctionnement des réseaux, des réparateurs, bref la logistique quoi.

Vous avez le tournis ? C’est normal. L’opération va se reproduire à chaque minute, à chaque seconde de votre journée, si simple et banale en apparence.

Vous montez dans votre voiture ou prenez le bus pour aller au travail : rebelote. Tout est lié. Dès que vous notez un nom : le conducteur de bus, par exemple, cela fait ricochet. Il lui a fallu d’autres personnes pour assurer sa formation et le processus s’étend à nouveau, sur d’autres personnes. Comme un satané virus qui se répand inexorablement.

Au moindre pied mis en dehors de chez vous, vous mettez en branle tout un monde, en réalité le monde entier. Même en y restant chez vous, à moins d’ignorer la télé, ne plus manger et se réfugier sous la couette. La couette ? Le tissu, les matériaux pour le fabriquer, les petites mains pour le coudre, etc, etc…

Ce n’est pas fini. Tout cela est bien, très bien. Mais comme tout n’est pas rose dans ce monde 2.0 et qu’il faut compter sur les dommages collatéraux, imaginez maintenant de la mort de combien de personne vous êtes responsable. Oui, vous avez bien lu. Vous êtes un criminel en puissance et qui s’ignore.

Exemple : dans votre portable, dans les batteries de votre voiture ou de vos panneaux solaires (car vous êtes quelqu’un de bien, écolo et tout ça), se trouve des minéraux rares, extraits possiblement dans des conditions limites. Allez consulter les rapports de décès prématurés dans les mines où sont extraites ces terres rares. Sans parler de la manipulation de substances chimiques, des risques d’empoisonnement, des risques tout court.

Tout ce que l’on utilise a demandé la plupart du temps du transport. Or, vous le savez bien, le risque zéro d’accident de la circulation n’existe pas encore. Et toc ! Par votre faute, vous avez fait subir un deuil à une famille qui n’y était pour rien, enfin pas plus que vous. Parce que, bien sûr, pour un chauffeur tué sur l’autoroute, il y a des dizaines de milliers de consommateurs qui profitent de sa cargaison.

Toutes ces personnes qui se suicident à cause de leurs trop éprouvantes conditions de travail et dont vous êtes un soupçon dépendant, la cause dilué dans la multitude, mais la cause quand même. Toutes ses maladies liées à la pollution, tous ces cancers, c’est un peu à cause de votre dernier 4x4 et ses rejets carboniques. Vous roulez à l’électrique ? Soit. Mais l’électricité est produite encore majoritairement dans des centrales à charbon dans le monde. En France ? Un bon tiers provient du nucléaire. Le risque existe et il est grand.

Alors, que faire ?  Se suicider tout de suite, avant de continuer à emmerder le monde ? Stop là : il vous faudra compter sur les pompes funèbres et encore tout un barda d’agents administratifs dont certains vivent très mal leur hiérarchie. On n’en sort pas.

Quelqu’un d’exceptionnel

J’ai pourtant la solution. Comme dans n’importe quel cas de petite dépression qui guette, de dénégation personnelle, de « personne ne m’aime » et « je suis nul ». Imaginez maintenant, sur le même cahier, tous les hasards et toutes les coïncidences qu’il a fallu au monde pour que vous puissiez être là. Le nombre de personnes entrant en jeu pour que vous puissiez simplement vous dire, tel un Descartes moderne : « j’existe ». Vos parents, bien évidemment. Mais tous leurs proches. Les circonstances de leur rencontre. Leurs choix. Leurs influences. On appelle cela l’environnement humain. Et multiplier tout cela par autant de générations antérieures.

Non, vraiment, vous êtes quelqu’un d’exceptionnel.

Qui emmerde certes le monde entier, mais exceptionnel tout de même.

27 Février - mon programme

En cette période pré-électorale où chacun y va de son programme pour l’avenir du pays. Quand je dis chacun, j’entends les français dans leur ensemble, pas seulement  les candidats déclarés. Au cœur de ces revendications, le boulot et l’argent.

La première grosse erreur a été de mélanger ces deux concepts, si étrangers l’un à l’autre.

Si j’avais à me présenter comme possible hôte de l’Elysée, j’entrevois déjà mon slogan : plus de travail = fin  du chômage, plus d’argent = fin de la pauvreté.

Et toc !

L’argent est à la base des inégalités. La plus visible.

L’inégalité de statut, d’intelligence, de religion ne se voit pas d’emblée. A part celle de peau, contre laquelle on ne peut rien (à part Michael Jackson), c’est bien l’argent qui crée ces frontières.

Comment résoudre cet épineux problème ?

Supprimer l’argent reste la meilleure manière, la plus radicale. Cependant cela est bien difficile à mettre en place dans un monde qui est basé sur cette monnaie d’échange depuis que l’homme  inventé le commerce. A moins de revenir à une autarcie et une indépendance de chacun, il sera très ardu de se passer de ce symbole.

Il est évident qu’à cette époque reculée où l’homme a commencé à penser à l’avenir en mettant du grain de côté, en faisant des provisions et en salant la viande d’auroch pour mieux la conserver, on a commencé à se spécialiser.

Jusque là, tout le monde effectuait grosso modo la même chose : on cueillait des baies, on déterrait des racines, on chassait le mammouth ou le bison. Bien sûr, les gringalets se contentaient de la cueillette quand les musclés rapportaient des quartiers de viande encore fumants. Première inégalité.

Ensuite, lorsqu’on s’est mis à la culture (celle des champs, pas celle des musées, pour ça il faudra attendre encore un peu  d’être assurée d’avoir le ventre plein), la spécialisation s’est généralisée et le troc devenait compliqué. J’imagine bien l’agacement du gaillard qui devait trimballer tout un bric à brac pour aller faire son marché.

Par ailleurs, la monnaie d’échange universelle que constitue l’argent n’est pas condamnable  en soi. C’est plutôt cette forme de spéculation sur l’argent qui pose problème.

Le fondement du capitalisme : le pouvoir des banques.

Quelques individus plus chanceux, plus malins, plus travailleurs amassèrent plus de bien. Tout ceci est parfait. A  chacun selon ses possibilités, son talent, son labeur. Très bien.

Jusqu’au jour où un nanti a proposé de prêter de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts.  Dès que l’on commence à faire travailler son argent plutôt que ses bras, il y a un souci.

L’expression populaire assure : être né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Et certains l’ont en or massif et même parfois  sertie de diamants. L’inégalité ne se fabrique pas, elle EST. Imaginez une course où pas un seul concurrent ne part de la même ligne.

Il y a pourtant un truc tout simple pour égaliser ce dangereux déséquilibre :  interdire l’héritage. On hérite de ses parents une quantité de choses, de valeurs, de notions, de tempérament, d’exemples. Pourquoi y ajouter des pièces d’or et un compte en banque ?

Si l’on remet les compteurs à zéro à chaque génération, cela permet à nouveau d’appliquer cette maxime : à chacun selon ses possibilités, son talent, son labeur.

J’irais même plus loin.  La collecte annuelle des impôts. Plutôt que de prélever une somme forfaitaire calculée on ne sait jamais bien comment  (dix pour cent sur chaque euro gagné serait plus équitable, non ? – cela inclurait bien  évidemment toutes les taxes perçues d’un point de vue inégalitaire au possible : le prix d’une baguette est le même qu’on soit au Rmi ou cadre sup), je propose une nouvelle fois de remettre les compteurs à zéro.

Premier Janvier, les étrennes. Hop, c’est reparti. Tous les concurrents sur la ligne de départ. Pas de privilège, pas d’handicap. Si tu t’es planté l’année passée, tu as encore toutes tes chances cette fois-ci. On efface l’ardoise. Pour celui qui a prospéré, rien ne change : s’il l’a fait une fois, il peut aisément recommencer, non ? A-t-il bénéficié d’un coup de chance ? Justement, on n’en veut pas de cette perfide alliée des inégalités avouées.

Là, on m’objectera  que, finalement, ça ne sert à rien de gagner de l’argent si c’est pour ne plus rien avoir l’année suivante.

Justement. C’est le but recherché.

Car, finalement, l’argent n’est qu’un moyen. Un outil qui permet de fabriquer et non une fin en soi. C’est une  brique, pas l’idéal.

Trouver d’autres motivations dans son labeur que celle, seule, d’amasser de l’argent.

Et on en vient au deuxième point sérieux de la discussion : le travail.

Pour bien comprendre le monde dans lequel on vit, il faut remonter à la source et comprendre d’où vient le mot même de travail.

Avant la révolution industrielle, dont les prémisses remontent  au XVIIème, quand on parlait de cette partie de notre vie qui consiste à s’activer en vue d’améliorer le bien commun, on ne parlait nullement de travail. On disait le métier ou le labeur, la besogne. Un menuisier, un tailleur, un boulanger exerçaient leur métier, c'est-à-dire une besogne qui nécessite un certain savoir-faire. Pour ceux qui n’avaient besoin que de l’aide de leurs bras, on parlait de labeur. Le travail était nécessairement physique dans un monde où 95% des gens étaient paysans.

Le travail c’était tout autre chose. Au moyen-âge, une époque où l’on ne se posait pas trop de questions sur les droits de l’homme, on s’amusait beaucoup à torturer pour un oui ou pour un non. Tout le monde connait le principe de la roue : on attache un péquenot sur une table et, par un système de vis, on écarte peu à peu les membres liés aux parties mobiles de l’engin.  Un de ces instruments particulièrement effroyables avait pour nom le travail. Du reste, on retrouve cette première acception lorsqu’on parle du travail du bois pour indiquer que celui-ci se déforme ou bien quand on dit que le paysan travaille la terre, c'est-à-dire qu’il la modifie.

Quand il fallut trouver un terme pour évoquer cette activité rébarbative, ennuyeuse et sans aucun intérêt qu’est de passer toute sa journée dans un atelier à répéter de la plus bête des façons le même geste, on ne trouva pas mieux que le terme travail. Car c’était  tout d’abord une torture mais ces gestes qui ne nécessitaient pas de réel vrai savoir-faire, répétés tant et tant de fois finissaient par déformer physiquement et moralement celui qui avait la malchance  d’être obligé de s’y adonner. On choisit un métier, jamais un travail.

Ceci posé demeure la question essentielle : pour qui travaille-t-on ?

Pour soi-même ? Possible, en de très rares occasions. Les artistes qui se révèlent par leur œuvre, qui en ont besoin pour vivre (et là je ne parle pas de gagner sa vie, mais bien d’une force qui nous dépasse – on ne peut pas vivre sans, autre définition de la passion). La plupart du temps, on travaille pour obtenir un salaire, donc c’est de l’argent dont on a besoin. Pas du travail.

Pour son patron, celui ou ceux qui nous emploient ? Là encore, il est davantage question d’argent que de travail. On fait gagner de l’argent (du reste, posez-vous  la question de combien vous faites gagner à votre entreprise plutôt que de combien vous lui coutez).

En réalité, chacun travaille pour les autres. Et ceux qui ne le font pas exercent des métiers inutiles, voire nuisibles (banques, publicité). Avant toute chose, chacun travaille pour son prochain. Un boulanger fabrique du pain pour ses clients, un prof distille du savoir aux plu jeunes, un ouvrier produit des  objets pour la communauté, un artiste divertit le spectateur. Partant de cette constatation, cela change tout. Savoir que toute activité est dirigée vers les autres induit une certaine responsabilité. Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour d’autres personnes, ce qui revient à dire que tous les autres travaillent pour nous. Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse.

Il y a une obligation morale du travail bien fait.

Et une obligation humaine qu’il soit fait dans de bonnes conditions.

En écrivant ceci, je repense à cet agriculteur, cet entrepreneur agricole plus exactement, puisque à une certaine démesure on ne peut plus parler de paysan, qui ne mangeait pas ce qu’il produisait. Pas si bête.

Travailler dans de bonnes conditions en offrant le meilleur de soi-même pour les autres, cela ne s’appelle plus du travail, mais une activité, un labeur, un métier. 

J’aimerais donc que chacun occupe un métier pas un travail.

20 février : comment ça va?

Ca faisait longtemps que je ne m’étais pas emballé comme ça à la lecture d’un livre. Enthousiasmé est le bon mot.

Pourtant, il n’y a rien de joyeux dans le propos puisque le personnage central vit la mort de son meilleur ami. Mais il y a des situations graves écrites avec une légèreté de plume d’oisillon. Cela ne réduit en rien la force de l’émotion, cela la rehausse même d’une certaine façon tout comme les plus grands chagrins ne font pas verser de larmes.

Philippe Claudel possède cet art de l’écriture fluide,  « écrivant comme personne avec les mots de tout le monde » si cher à George Sand. On sort de ses romans revigoré, bousculé, peut-être la larme à l’œil mais avec une volonté de vivre inébranlable.

L’arbre du pays Toraja est presque un roman philosophique. Il nous amène à réfléchir sur notre propre existence, à se demander comment on réagirait dans telle out telle situation. C’est un roman qui distille du doute, un texte qui nous fait avancer et, peut-être, tend-il à nous rendre meilleur ?

Au détour d’une page, Claudel se demande pourquoi on utilise cette formule si souvent employée : « comment ça va ? »

Et là, j’ai repensé au nombre de fois où l’on emploie le verbe marcher. Dans le langage courant, tous les appareils ne fonctionnent pas, ils marchent. Pour ne rester que dans le domaine de la locomotion, je n’ai personnellement jamais vu d’automobile marcher. On peut rouler, voler, glisser, tomber, mais la marche est réservée aux animaux possédant au moins deux jambes et deux pieds.

Comment ça va ?

Comme s’il était besoin de toujours avancer, sinon on tombe. Si la marche est bien un déséquilibre constant, un pas en appelant forcément un autre, l’humain est parfaitement capable de se tenir debout, immobile – quoi que cette position n’est souhaitable à personne à long terme et c’est pour cette raison évidente que l’on a inventé la chaise, puis le fauteuil, enfin le canapé, le divan,  le sofa. Bref, l’humain, de nos jours, ne se tient plus debout ni même assis : il se vautre comme un ectoplasme. Si ce n’était que ça. Mais cet avachissement physique s’accompagne souvent  d’un amollissement moral.  On en vient à ne plus s’étonner de rien.

- Tu vas entrer dans un monde où tout le monde est blasé, plus personne n’est étonné. Alors, il va falloir que tu te forces à sembler toujours surpris. Parce que tu es souvent indifférent, apathique. C’est un défaut. Alors, si tu veux bien, on va faire un petit test tous les deux. Je vais te dire deux ou trois petites choses qui auront l’air ordinaires mais il faudra que tu aies l’air étonné.

- Ok.

- Tu vois, là je sens poindre déjà comme une désillusion, une apathie.

- Non, non, pas du tout.

- Ah, c’est mieux.  Bon, tu savais que Macron était de droite ?

- …

- Et voilà. Ca ne t’émeut pas le moins du monde. Ton œil reste lointain, effacé.

- Excusez-moi. Mais bon, c’est pas facile.

- Je sais bien. Il faut faire un effort.  Tu devrais prendre exemple sur un acteur avec qui j’ai joué il y a quelques années. Richard. Lui avait toujours l’air étonné.

(Petits conseils pour passer une bonne journée)

Noter le plus et le moins, mais en insistant sur le plus et en tentant de réparer le moins.

Noter ce que l’on a appris, toutes les premières fois que l’on a vécues.

Nos vies monotones semblent difficiles d’en tirer autre chose qu’une éternelle répétition. Justement, en se forçant à y trouver l’inédit, on le provoque. Il n’est pas plus aveugle que celui qui refuse de voir.

Enfin, savoir qu’une journée sans rire ni danser est une journée perdue. J’ajouterais qu’une journée sans câlin est comme une journée sans soleil.

12 février,  Dialogue de sourds

Entre ce que l’on veut dire et ce que l’on dit, entre notre pensée, si pure et circonstanciée soit elle, et les mots qui sortent de notre bouche, il y a un décalage, parfois un gouffre.

Notre interlocuteur les entend et les compare avec son propre système de valeurs, issues de son expérience et ses propres définitions, pas forcément très justes. Il interprète.

Bien difficile, dans ces conditions, d’arriver à se comprendre.

Il est établi que chacun d’entre nous possède son propre système d’apprentissage. Certains privilégient le facteur humain : ils ont besoin de contact direct pour qu’une information pénètre dans leur cerveau. D’autres sont plus logiques, exigent une explication rationnelle. Il existe une catégorie qui ne peut ingurgiter un savoir qu’en le répétant tant et plus alors que d’autres demandent d’y adjoindre de l’émotion.

Tous ces schémas s’appliquent non seulement à celui ou celle qui fournit le savoir, mais également à celui ou celle qui le reçoit. Cinq ou six façons différentes d’aborder une information à partager, cela donne une si grande quantité de possibilités qu’il est rare que deux personnes puissent s’accorder. Imaginez un peu le casse tête de l’éducation, de l’enseignement, dans une classe de trente élèves. L’idéal serait d’un précepteur par élève et encore faut-il le choisir en adéquation avec comment l’élève entend apprendre.

Le problème se posera d’autant plus que les élèves sont jeunes, tous encore différents face au flot d’informations qu’ils reçoivent, à ce moment de leur vie où le savoir est le plus déterminant et la faculté d’apprendre la plus intense puisque la connaissance s’imprime sur un terrain vierge.

Plus l’élève gravit les échelons, plus une sélection s’opère : il est bien noté non en raison de son intelligence ou de sa volonté d’apprendre, de ses capacités cognitives et de ses aptitudes, mais parce qu’il entend et comprend ce que le professeur lui dit. L’un et l’autre partagent le même schéma de partage de connaissances, ils sont sur la même longueur d’onde.

Combien de parents s’étonnent de constater que cette maitresse là ou ce professeur ci conviennent mieux à leur rejeton. « Il apprend bien mieux depuis qu’il a monsieur Durand comme prof ».

Au fur et à mesure que l’enfant progresse dans ce système, il se conforme, de gré ou de force, à ce que l’on attend de lui : ainsi, quand il commence des études supérieures, il « parle » et « comprend » le langage de ses précepteurs. Une classe de troisième année de médecine parle et partage les mêmes concepts d’apprentissage. L’écrémage par la manière.

Il est donc si difficile de parvenir à se comprendre vraiment que nous ne devons pas être surpris par ces couples, si amoureux au début de leur passion, tellement fusionnels, maintenant ne partageant plus que la banalité du quotidien, n’échangeant quasiment plus aucune parole censée.

Cela explique aussi pourquoi les conversations ordinaires se cantonnent à parler de la pluie et du beau temps. On n’a pas besoin de grande précision ni de subtilité, on se comprend parfaitement.

6 février 2022 : Les 10% du cerveau

Une légende urbaine prétend que l’humain n’utilise seulement que dix pour cent (10%) des capacités de son cerveau et là je ne parle que d’un humain lambda, situé idéalement  à mi chemin entre Albert Einstein et Frank Ribéry.

Si l’on prend en compte les prouesses de certains comédiens, capables de retenir une pièce entière de Shakespeare par coeur, si l’on  considère ces champions de la mémoire devenus des as au scrabble ou aux mots croisés, si l’on évoque celui qui, ayant lu une page peut la réciter à la virgule près, si l’on estime toutes ces têtes bien remplies pouvant jongler avec les concepts les plus abstraits, résoudre des équations de plusieurs degrés à inconnues multiples, sans parler bien sûr des prouesses astronomiques de quelques autistes, variant Asperger…

Si l’on additionne tous ces exploits cognitifs, force est de constater qu’on a de la marge et que l’on n’utilise vraiment qu’une infime partie de ce précieux trésor qu’est notre cerveau. Pourquoi pas, avoisiner les neuf dixièmes ?

Car, physiologiquement parlant, le cerveau d’Einstein et le mien apparaissent semblables. Même capacité, même volume, mêmes cellules, mêmes neurones, mêmes vaisseaux sanguins pour l’irriguer. Ce n’est que la manière de l’utiliser qui diffère. Après tout, je n’utilise pas un autre alphabet que celui qui a       permis à Victor Hugo de nous régaler des plus belles pages de la littérature, ce sont les mêmes couleurs de base (bleu, jaune, rouge) que je partage dans mes barbouillages avec celles des toiles de maître intemporelles.

Nous avons donc tous, dans notre garage cérébral, une Ferrari de quatre cents chevaux, prête à l’emploi. Ne reste plus qu’à en maîtriser la conduite, disons le pilotage (car si l’on conduit une Peugeot, on pilote un bolide).

J’irai plus loin.

Les auteurs de science fiction aiment illustrer l’intelligence suprême en mettant en scène des surhommes capables de déplacer des objets par leur seule pensée ou bien d’influencer leurs congénères en les fixant intensément de leur regard supérieur. Cela dit, concernant l’influence, il n’est pas besoin de développer des capacités hors normes dans notre cerveau : il suffit de constater les dégâts que certains pervers narcissiques peuvent déclencher chez des individus à la personnalité fragile.

Je n’ai pas encore vu une autre performance bien plus utile dans les récits d’anticipation : la capacité que notre cerveau pourrait avoir à nous guérir, à réparer les désordres du corps.

Il sait pourtant déclencher une riposte face à un virus en mettant en action notre système immunitaire (fièvre) ou lutter contre un empoisonnement en provoquant un vomissement, une nausée. Notre pouls s’accorde avec l’effort demandé, la sudation refroidit toute la machine pour éviter la surchauffe du système. Et quantité d’autres choses encore.

Alors, pourquoi ne pas imaginer que notre cerveau, utilisé à pleine capacité, puisse agir sur nos propres gênes, à la manière de ces vaccins nouvelle génération, dits à message ARN. Pourquoi ne pas croire que le cerveau soit, un jour, à même de coder des protéines pour accélérer la guérison d’une blessure, stopper une hémorragie, assouplir tendons et articulations, reléguant à de vieux souvenirs tous les problèmes de rhumatismes et d’arthrose ?

Ne serait-il pas possible qu’il agisse directement sur les cellules cancéreuses, stoppant leur développement dans l’œuf ?  Qu’il régule le taux de glycémie et de cholestérol, lançant de vrais bons signaux à notre régime alimentaire : hé là, les gars, va falloir peut-être y aller plus doucement sur la tartiflette, le Nutella et les bonbecs.

Qu’il puisse coder les bons gênes afin de ressouder des os cassés, les reconstruire même comme la queue du lézard qui repousse une fois mutilée. Qu’il soit capable de  réparer des pathologies avant qu’elles de deviennent de vrais problèmes que même les meilleurs docteurs et hôpitaux ne peuvent rien contre.

Oui, pourquoi ne pas désactiver ce fameux gêne responsable du vieillissement ?

Tout cela serait alors possible si nous utilisions réellement 100% de nos capacités cognitives.

Mais nous les utilisons peut-être déjà, ces capacités.

Partant du fait que quelques millions d’années d’évolution ne s’embarrassent pas de gadgets inutiles (l’humain s’est débarrassé de sa queue, pas très adapté en dehors du crapahutage sylvicole, a laissé derrière lui sa fourrure depuis l’invention des vêtements – à part Demis Roussos, bien entendu – et ne va pas tarder à virer les quelques molaires qui ne servent à rien dès lors qu’il s’agit ne de plus dévorer de viande crue).

Si la nature a horreur du vide, elle ne s’alourdit jamais d’inutilité. Tout ce qu’on possède peut et doit servir à quelque chose. Spécialement cet organe si avide en énergie qu’est notre cerveau. Pourquoi dépenser tant d’énergie pour alimenter une fonction qui ne tournerait qu’à 10% de son potentiel. Il n’est pas besoin d’investir dans une Ferrari 400 chevaux pour se trainer  dans les embouteillages parisiens.

Face à cette évidence de l’évolution avec le plus grand E imaginable, toutes les billevesées scientifico-cérébrales ne valent pas grand chose. Force est de se rendre à l’évidence, ces 10% ne sont qu’une légende. Une belle légende urbaine moderne, alimentant de la plus jolie façon les discussions des dîners à la mode et remplissant les pages des meilleurs romans d’anticipation.

Oui, mais voilà, il y a le rêve.

Et ça change tout, mon bon Monsieur.

Lorsque nous rêvons, notre cerveau écrit le scénario le plus délirant possible que même Tim Burton peut s’aligner avec son imagination débordante, mais il conçoit en même temps tout l’environnement du rêve, comme l’architecte et le décorateur en chef du milieu dans lequel nous évoluons. Il imagine les autres personnes, impose les dialogues, parfois même nous envoie des signaux qu’il nous semble provenir d’autres que nous mêmes. Toutes ces trouvailles découvertes dans nos rêves sont le fait de notre seul cerveau. Personne n’a encore put s’immiscer dans notre cérébral sommeil pour y infuser des idées étrangères à notre propre moi. Un dialogue entre nous et notre subconscient. Et je ne parle pas des prémonitions.

Et nous rêvons chaque nuit. Pendant plusieurs minutes, qui elles-mêmes correspondent à un temps bien plus long – les images déroulées pendant notre sommeil n’ont que faire du ratio  des 24 images à la seconde que l’œil peut percevoir pour avoir une idée du mouvement.

Vous n’avez pas idée de tout ce que cela demande en capacités de calcul. Notre processeur est une bête. Alors qu’on n’aille pas me faire croire que nos capacités cérébrales lors de la veille soient capables d’égaler notre potentiel nocturne.

Rêvons !

30 janvier 2022 : Les  7 derniers jours de ma vie

Je viens de refermer un bouquin de Gilles Legardinier. 

Une chance sur un milliard. Parce que le héros est un statisticien, matheux inné  jonglant avec les probabilités pour vendre un meilleur avenir aux compagnies d’assurance.

Mais comme personne n’est parfait, voilà qu’il apprend, du haut de sa petite trentaine, qu’il ne lui reste plus qu’un an à vivre. « Dix ans, ça vous écorcherait la gueule » braillait Coluche dans le sketch où son personnage apprend pareille fatalité.

Je me suis alors souvenu d’un film de Jean Becker où Albert Dupontel vit ses derniers instants (deux jours à tuer) et devient délicieusement odieux à ses proches… Pour qu’ils le regrettent moins, une foi diparu.

Avant la page 50, je savais comment ça allait finir. Pas difficile. « Les gens, ce qu’ils aiment bien c’est quand ça finit bien » (Pierre Pelot – un été en pente douce). Surtout chez Legardinier.

Tout faux.

Ouais, le mec, y meurt à la fin, désolé (Oups ! Mais non, je l’ai pas dit).

Alors j’ai eu l’idée de l’écrire, moi, le roman que j’imaginais à la place.

Imaginons un gaillard obscur, à la vie d’une banalité affligeante, tout juste dans la moyenne : ni trop beau ni trop laid, pas riche sans être pauvre, un métier commun comme il en existe des milliers, une histoire d’amour sans histoire, des idées ordinaires, empruntées essentiellement à l’air du temps.

Parvenu à la moitié de sa vie, on lui assène le coup de grâce : un dérèglement génétique peu commun ne lui accorde qu’une semaine d’existence. Pas de douleur, pas de dégénérescence, exceptée peut-être les dernières heures. Un compte à rebours inexorable. Une bombe à retardement dont le décompte cliquette comme une horloge fatale. La pendule de la vie et de la mort.

Si on vous apprenait ça, quelle serait votre réaction ?

Voilà, un gars en blouse blanche vous assomme avec quelques précisions médicales incompréhensibles pour qui n’a pas étudié pendant sept ans le corps humain et ses faiblesses, saupoudrés de mots inconnus, aux racines latines et grecques, qu’il tente de synomiser avec une moue de dédain. Il vous reste un an, un mois, une semaine.

Grosso modo, trois réactions sont possibles.

  1. L’abattement, assorti d’une dépression. Bon, une semaine, ça passe vite somme toute.
  2. Se battre. Dès le lendemain, direction la meilleure clinique du coin, examens, prises de sang, médication, chimie, rayons, positiver surtout. Ok, on peut gagner un ou deux jours.
  3. Puisque les dés sont jetés, autant en profiter au max. Une semaine, vous avez dit ? Bon, ça laisse sept jours entiers pour en profiter. Et pas question de dormir. On se reposera après.

Nul doute qu’une large majorité va choisir la troisième solution, allez ne dites pas non !

Seulement, quelles seront vos priorités ?

Rattraper le temps perdu en voyageant, un, deux tours du monde ? Jouir de ses sens une dernière fois. Baise, alcool, drogues. A quoi bon épargner ou protéger un corps et un esprit qui n’ont plus qu’une semaine à vivre ?  Un brin égoïste, non ?

Pourquoi ne pas utiliser ces derniers instants à faire le bonheur autour de soi ?

A commencer par ses proches, sa famille, ses amis.

Pardonner de vieilles querelles, résoudre quelques problèmes enlisés dans les habitudes d’une vie que l’on croyait éternelle, du moins quelques décennies de plus. Léguer son plan d’épargne logement à ceux et celles à qui cela profitera bien plus qu’aux limbes de la mort annoncée. Renouer des liens distendus. Revoir des visages oubliés. Putain, sept jours c’est trop court.

Et voilà l’ultime journée. La dernière sur le calendrier de la vie du quidam. Votre dernier lever de soleil, si tant est que les nuages ne contra    rient pas ce final absolu. La der des der.

Et, là, coup de théâtre !

Ben oui, c’est un roman, c’est une histoire je vous dis. Ca ne ce passe pas comme ça dans la vie. Mais à quoi bon écrire la vie ? La vie, ça se vit ma bonne dame.

En fait, on révèle le pot aux roses au personnage principal. Tout ça n’est qu’une arnaque montée de toute pièce par celui (ou celle) qui ne lui veut que bien : changer de vie et…

Vivre le reste de sa vie comme si c’était le dernier jour.

21 novembre, La question de Dieu

 Aperçu de mes récentes lectures :

Bien naïvement, je pensais que les philosophes, dans leur immense majorité, avaient pris leurs distances vis-à-vis de la religion. Philosopher étant  l’art de se poser des questions tandis que la religion est le commerce de donner des réponses.

Bien sûr, je savais vaguement que Pascal avait fait son pari (« à tout prendre, il vaut mieux croire en Dieu, on ne sait jamais ») et, là, je découvre que Descartes, le même qui a annoncé fièrement « je pense, donc j’existe » soutient l’existence bien réelle d’un être tout-puissant, à l’origine de tout, étant la cause de tout.

A ce moment, je me rends compte que ni Pascal, ni Descartes n’ont parlé de religion. Seulement de Dieu. Seule la religion est politique, s’entend : qui se mêle de la chose publique. Dieu est une affaire privée, intime. Mais, pour commencer, c’est quoi ? Dieu ?

Infini et cause de toute pensée (« l’idée de Dieu dans le cerveau d’un homme  ne peut avoir pour cause que Dieu lui-même »), Il est la Perfection ou, en d’autres termes, la Vérité.

La beauté d’un visage de femme

Mais la perfection, qu’est-ce que c’est chiant ! La perfection, c’est l’aboutissement. Après, il n’y a plus rien. La mort est une perfection. L’équilibre parfait.

La beauté d’un visage de femme ne provient pas de proportions idéales, de traits irréprochables. La beauté n’est pas une affaire de mathématiques, elle ne se résout pas par une équation. Ce qui émeut, qui bouleverse, dans la beauté, c’est justement le petit défaut qui rompt l’équilibre. Un soupçon en plus, un brin en moins. Justement : la différence entre la beauté et la divinité.

Donc Dieu ne serait pas perfection. Il est partout et nulle part, infini et impalpable. Si Dieu est en chacun de nous, même contre notre propre volonté, il doit être aussi dans chaque être vivant, chaque cellule, chaque atome.

Dieu est une particule élémentaire.

Du corps et de l’esprit

Je me suis rendu compte depuis pas mal de temps que ce qui différencie les croyants des impies était le constat qu’eux font en ce que la conscience/l’âme/l’esprit (cochez la case qui vous convient) est indépendante du corps.

Or le corps n’a besoin que de son environnement  naturel pour survivre : un peu d’oxygène, de l’eau, un peu de nourriture.  Mais la conscience est intimement liée au corps. Elle est de chair, n’en déplaise aux grands penseurs que l’on lit cinq cents ans encore après leur mort.

Sans corps, l’âme ne survit pas. Tandis que le corps continue de (sur)vivre sans entendement. Il y a des exemples plein les lits d’hôpitaux et aussi dans les Ephad. On parle de légumes. On me réfutera que le simple fait de respirer, nos battements cardiaques sont régit par le cerveau. Le cerveau, oui. La conscience, non. Cela relève du réflexe, de la génétique. Est-ce qu’un ver de terre, un protozoaire  a conscience de lui-même ? Pourtant il se reproduit, il existe.

Télécharger la conscience

La conscience ne survit pas à l’absence d’un corps. Elle n’existe pas sans lui. On n’a, à mon humble connaissance, pas encore réussi à télécharger la conscience sur disque dur. Et quand bien même. Un ordinateur est-il capable de « penser » ? Je pense (donc, je suis Moi) que l’intelligence artificielle (A.I. en anglais)  n’est que calculs et probabilités poussés à l’extrême. Un automate peut ressembler à une créature, il en possède les mouvements, l’apparence mais pas l’essence. L’A.I est comme la quadrature du cercle : on peut juxtaposer une infinie de lignes droites, on n’obtiendra jamais un cercle. Juste une copie, même pas une copie : une approximation.

Les logarithmes se contentent de déduire. Ils sont capables de traiter peut-être davantage d’information que le cerveau humain (cela reste à prouver toutefois), de calculer plus et plus vite, mais en aucune façon ils sont capables d’émettre une idée, de former une pensée originale. A partir de rien. De rien ? 

Mon nouvel ami Descartes me rétorquerait que ce rien n’existe pas. Que ce que j’appelle sans savoir un rien n’est autre que Dieu. Que nos plus belles pensées sont inspirées par lui. Et nos pires, alors ? Dieu serait-il ambivalent ? Ou bien, un être à deux faces, le yin et le yang, Dieu et le Diable. Mais de cela Descartes ne parle pas.

Un savoureux gâteau

En revanche, si je tente de lui expliquer que mes pensées viennent de mon expérience, de mes sens, de mon entourage, que j’en fais un mélange comme dans un gâteau, la farine, les œufs, le beurre et le sucre forment les composants d’une chose inédite où l’on ne pourra pas y retrouver, ni par la vue, ni par le goût, ni par le toucher, à peine par l’odorat et, peut-être, pour certains seulement, par le goût les composants originaux, il me répondra que tous ces ingrédients portaient la cause de Dieu en eux-mêmes et que, sans le savoir, je suis baigné dans l’idée de Dieu. Je serais donc le Monsieur Jourdain de la pensée.

Poussières d’étoiles

Mais, admettons que tous les ingrédients qui me permettent d’élaborer une pensée que je pense originale, inédite et unique, soient de la main, heu, de la pensée de Dieu, ce que je produis, moi, ne l’est que par ma conscience propre.

Nous sommes tous et toutes des poussières d’étoiles. Les mêmes atomes, arrangés de différentes façons, peuvent former soit une montagne, soit un océan, soit une planète, soit un canard, soit un être doté de conscience. Est-ce pour cela qu’une montagne, qu’océan, qu’un singe sont exactement les mêmes choses ? Nous sommes tous et toutes uniques au monde. Nos empreintes digitales sont comme notre cerveau : il n’en existe pas deux pareilles. Et, puisque rien ne se perd, rien ne se crée, tout change, j’avancerais plutôt que s’il y a bien quelque chose qui est éternel, c’est bien notre corps, pas notre esprit. Nos atomes, une fois venu le jour de  notre mort (le plus tard possible et jouissant de la meilleure santé possible) se recombineront pour former un autre gâteau… En revanche, la métempsychose de l’esprit, je ne sais…

Alors, monsieur Descartes, j’attends vos arguments.

7 novembre, la réforme des retraites

Les pays scandinaves se posent en exemple en ce qui concerne la protection sociale. Ils sont régulièrement désignés comme une excellence en matière d’assurance maladie et de régime de retraite. Cependant, ce modèle doit avoir quelques négligences. Ainsi les quatre plus grosses fortunes du pays se retrouvent obligées, à plus de soixante dix ans, de retourner au charbon pour arrondir leur quotidien.

Oui, le mythique groupe Abba est de retour, quarante après. Alors disons-le tout net : ce n’est pas par amour de la pop music. On a connu le duo compositeur plus inspiré, ça sent non pas le réchauffé mais le fade des plats industriels sous vide. Je comprends que les compositions étaient limitées par le filet de voix qu’il reste à Anna Frid et Agnetha, ne pouvant plus monter dans les aigus comme à leur grande époque (elles ont peut-être contracté le Covid, va savoir).

On ira me rétorquer, non sans raison, qu’en 2021 on ne compose plus comme en 1974 ; les chansons ont changé, la technique n’a plus rien à voir, les styles musicaux ont évolués. A cela, je réponds par une simple chanson, celle des californiens Music Go Music, sortie en 2008 (light of love) qui possède cette magie du groupe suédois indémodable.

Honnêtement, je vois mal le quatuor avoir dilapidé un trésor accumulé en dix ans de succès sans interruption : les seuls droits de diffusion d’une bonne trentaine de tubes suffisent à leur accorder une manne quotidienne digne de Crésus. Ne reste donc plus que la nostalgie des jours enfuis.

Il ne faudrait jamais vieillir.

Question de style

Autre différence notable, d’après les vidéos de leur reformation qui courent sur Youtube : côté vestimentaire, on est loin des outrages au bon goût des seventies. Car Abba, ce n’était pas que des mélodies entendues une seule fois et que l’on retient toute sa vie. Les tenues de scène valaient leur pesant de notes.

Toute une époque.

Il se trouve, par un hasard qui sait jouer les meilleurs scénaristes, que les White Plains viennent de sortir une compilation de leurs œuvres. Les White quoi vont riposter les moins de trente ans. Et les autres aussi. Moi le premier. Car, il n’y a pas dix jours, ce groupe anglais m’était tout simplement inconnu.

Entre 1970 et 1978, c'est-à-dire entre les remous de l’après 68 et le style psychédélique qui l’accompagnait et l’avènement du Disco, nous avons connu l’âge d’or des années variétoche. Des chansons aux refrains évidents, interprétées par de jolies voix et dont le thème tournait insensiblement autour de l’amouuuur, y compris les plus élégantes d’entre elles : j’ai encore rêvé d’elle, fille du vent, le téléphone pleure, l’été indien… Quand un chanteur à minette venait parader chez Guy Lux, il arborait une chemise col pelle à tarte dont les extrémités venaient caresser les épaules rehaussées par une veste galbée, souvent blanche (voir Joe Dassin) et un pantalon pat’def, entendez « patte d’éléphant » puisque si jusqu’au genou, le tissu moulait si bien qu’on pouvait « y deviner la religion » (Elie Semoun), au niveau des chevilles il s’évasait comme un pied de pachyderme. Ajouter à cela un gros ceinturon et un médaillon sur la poitrine (quand j’étais chanteur) reposant sur le tapis d’une poitrine velue. Les couleurs n’étaient pas en reste. On mariait allégrement l’orange vif et le vert pomme, le bleu turquoise et le rouge sang, le rose bonbon et le jaune canari. Toute une époque.

Il faut savoir que la France n’était pas la seule à être tombée dans ces délires sans retenue, autant du point de vue des refrains (la la la, lorsque le parolier était à bout) que des tenues vestimentaires. Les anglais n’avaient aucune leçon à recevoir de personne. Quiconque a déambulé dans le Londres du début des années 70 doit se souvenir de belles rencontres. Souvenir peut-être effacé par la déferlante punk qui a permis tous les débordements ostentatoires, tant au niveau des habits que des coupes de cheveux. Au moins, dans  ces insouciantes années d’après le joli mois de mai, le port du brushing était de rigueur. Les cheveux s’étaient sensiblement allongé en de raides tiges tombant au milieu du dos (je parle là autant pour les filles que les garçons) en ce qui concerne les hippies ou encore en un volume ondulé flattant les épaules (Michel Sardou, la maladie d’amour, 1973).

Bref, chez les britons, un courant musical habillement installé entre un pseudo hard rock et une jolie variétoche, nommé Glam Rock, inondait  les ondes et les écrans. Là, c’était une vraie débauche d’accoutrements délirants. Plus c’était grotesque, plus ça passait. T.Rex et Slade, Gary Glitter sont des exemples (à ne pas suivre).

A côté de ça, les Bay City Rollers, les Rubettes, the Sweet, First Class, Wizzard, Middle of the Road et, donc, les White Plains.

3 novembre,

Ayant passé un début d’automne à découvrir les secrets de l’univers par le truchement de douze cours prodigués par l’astrophysicien Aurélien Barrau, professeur de cosmologie à l’université de Grenoble, qui a eu cette gentillesse de laisser filmer ses interventions (disponibles sur youtube – tapez univers, Barrau : vous y êtes), je m’attendais à voir ces théories en images, grâce au film de James Gray Ad Astra.

Bon, pour ceux dont les soporifiques cours de latin n’ont laissé aucune strate, Ad Astra se traduit par « vers les étoiles » ou, plus joliment, « to the stars ». Oui, je sais, parfois la langue de Shakespeare est plus musicale quand celle de Molière est plus belle. Juste répartition des choses.

Donc, Ad Astra, porté par le lumineux Brad Pitt, ça devait être une ode au cosmos, avec de larges plans sur la galaxie, les étoiles formant de formidables dessins, des planètes en orbite, des satellites qui jouent avec les rayons solaires, le tout dans ce silence  propre aux grands espaces, tout juste agrémenté de nappes de violons (Mahler, Debussy, Fauré, surtout pas Tchaïkovsky). Perdu.

Rien de toute cette espérance dans ce Lexomil ® du Dimanche soir. Que de bâillements en deux heures pendant lesquelles un type, genre superhéro des temps modernes, bien loin de la sculpture physique du délivreur de Troie mais dont la force est toute mentale, part à la recherche de son père, évanoui aux confins du système solaire.

Comme soporifique, il y a mieux et c’était même diffusé dès le lendemain par Arte.

Mort à Venise. Le chef d’œuvre de Visconti ? Tu parles. De longs plans de Venise, sa plage (y’a une plage à Venise ? je croyais que tout était bétonné… ou inondé, selon le point de vue), bref ce que Ad Astra a raté est bien présent chez le maestro. Mais quel ennui ! Ca n’a pas loupé, avant 22h, j’étais au pays des songes.

Hier soir, pas de risque. Je termine à l’arrachée l’éthique à Nicomaque d’Aristote. J’avoue que j’ai un peu décroché à certains moments, mais pas à cause du sommeil… juste de mes limites intellectuelles. Cela dit, quelques très belles pages sur l’amitié. A lire absolument, c’est le chapitre 9.

C’est la période des citrouilles. Avant, on les voyait désolées dans un champ détrempé par les pluies d’automne, aujourd’hui elles ornent fièrement les fenêtres et les jolis jardins pour le 31 Octobre. Signe des temps ? Ou simple action commerciale ? Ce n’était surement pas la trêve des confiseurs ce weekend… ni celle des fleuristes du reste.

Bref, les groupes de pop rock se sont donc trompés de plante puisque, quasiment en même temps, deux albums portant le même titre sortent sur le net (de mon temps on disait « sortent dans les bacs », comprenez les bacs où dormaient les merveilleux vinyles chez le disquaire – chez le quoi ?). Les premiers sont des ricains de Kansas City qui, tout le monde le sait, se trouve au… eh bien non, justement, c’est dans le Missouri ! Les seconds viennent de Vancouver, la patrie de la pop en cette deuxième année de Covid, mais j’y reviendrai.

Dandelion. Comme ça, ça ressemble à un pseudonyme mythologique ou encore un héros de légende scandinave, chevalier téméraire sur son destrier ébène, bardé d’une armure et brandissant son épée millénaire… Pas du tout, les amis. Dandelion, ça veut tout simplement dire pissenlit. Et c’est un peu logique, en ces moments de Toussaint.

Oui : manger les pissenlits par la racine, enfin !